What's somebody like you, doing in a place like this? ◇ Abel

• Cette soirée commence à devenir un peu trop longue pour moi. Je commence à en avoir marre, je commence à avoir envie de me barrer, de rentrer chez moi, m'allonger sur mon lit et finir par m'endormir, trop de bordel pour pas grand chose, trop de prise de tête pour des broutilles. J'ai bu plus que je n'aurais du, mais je reste quand même conscient et maitre de mes mouvements, j'attends juste la remise des prix pour pouvoir me barrer, histoire de voir qui a reçu quoi, sauf que j'ai aucune idée de l'heure à laquelle ça va commencer, on nous a pas donné de programme en fait des festivités, du coup, j'me dirige dehors, j'ai envie de prendre l'air, et de fumer par la même occasion, j'étais loin de me douter de ce qui allait se passer... J'ai l'impression d'avoir bu le verre de trop, j'ai l'impression de me retrouver face à un fantôme du passé, au premier coup d’œil, je la reconnais, le son de sa voix, sa silhouette,, sa façon de se tenir, je me demande si je suis en train de rêver ou si c'est la réalité. "Heu... ouais, tient..." Je lui tend le feu, perplexe. Elle n'a pas l'air de m'avoir reconnu, on pourrait jouer de ça, je pourrais m'en amuser, voir sa réaction, voir si c'est juste un sosie, voir si ce n'est pas simplement de la drogue qu'on m'aurait glissé dans mon verre pour me faire halluciner... •

• Je suis comme perdu, perturbé, je ne sais pas si tout ça est réel, si ce n'est pas qu'un simple rêve, qu'un simple tour causé par l'alcool, je n'en ai aucune idée, mais la situation est assez étrange. Comment était-ce possible ? Comment elle pouvait être là après tant d'années ? Est-ce qu'elle avait toujours été ici ? Est-ce qu'on se serait croisé plusieurs fois dans les longs couloirs d'Harvard ? Je n'en ai aucune idée, mais la revoir était assez étrange. Le passé me claquait en plein visage comme une bonne gifle que ma mère aurait pu me donner lorsqu'elle était encore vivante. Combien il y avait il de chance qu'elle sorte en même temps que moi pour fumer et que le briquet, elle vienne me le demander à moi et pas à un autre ? Très peu. Elle avait l'air aussi perturbé que moi, elle, cette jeune femme que j'avais aidé il y a plusieurs années, celle avec qui j'avais passé de bons moments, avec qui j'avais flirté, aujourd'hui, elle était là, face à moi. J'hoche la tête à son merci, je ne la lâche pas du regard, mais je risque de passer pour un fou, alors j'arrête, je reporte mon attention sur ma cigarette, jusqu'au moment où elle reprend la parole. Sa voix, c'est elle. Ces paroles, ces questions, c'est bien elle, et c'est loin d'être un plan de drague foireux. Mais j'ai envie de m'amuser, l'alcool ou autre je ne sais pas, j'ai envie de lui faire croire que non, que je ne suis pas ce fameux gars, que c'est la première fois que l'on se voit. "J'pense pas, tu ne me dis rien... Mais... J'peux faire comme si on se connaissait !" Je pourrais très bien lui dire que oui, c'est bien moi, que oui, elle me connait, et que ça fait bizarre de la revoir ici, après tant d'années, mais non, je n'en fais rien, juste je joue, je veux voir si elle va insister. •

• C'est quoi mon but au final ? Pourquoi je ne lui dis pas tout de suite que c'est bien moi, que je suis ce fameux mec qu'elle a rencontré il y a quatre ans en arrière et celui qui est resté avec elle le reste de sa mission ? J'ai aucun but à faire ça à part l'embêter un peu, voir si elle va insister ou si elle va finir par me croire, par se dire que non, je ne suis pas ce mec. "On va faire comme si c'était moi alors !" Avais-je répondu en tirant sur ma cigarette. J'me souviens d'elle, j'me souviens de chaque moment passé en sa compagnie, de notre rencontre, de mes anciens amis qui ont voulu l'agresser, une étrangère ça courrait pas les rues à l'époque, et quand on en voyait une c'était signe d'argent, de richesse, alors on leur sautait dessus sans aucune pitié. J'suis loin d'être le mec le plus gentil du monde, mais à l'époque, je n'étais vraiment pas un enfant de cœur. Sauf qu'étrangement, cette fois ci, j'avais pris sa défense, cette fois ci, je ne les avais pas laissé faire, je l'avais prise sous mon aile, et j'avais appris à apprécier cette inconnue qui venait d'un monde bien différent du mien. Je ne savais pas vraiment comment réagir en la voyant ici, comment me comporter, et c'est peut-être pour ça que j'avais joué la carte de l'inconnu, de l'erreur. Erreur qui n'allait pas tarder à être démasqué au final... Elle me tend sa main, prononçant son prénom, et au final, si j'avais pu avoir des doutes, ils c'étaient tous envolé. J'attrape sa main pour la saluer, qu'est-ce que je fais ? Est-ce que je dis mon vrai prénom ? Est-ce que j'en invente un ? Allez, on va faire durer le suspens encore un peu. "Icare, enchanté !" Icare ? Sérieusement ? J'aurais pas pu trouver mieux ? "Parle moi du garçon avec qui tu me confonds, que je puisse me mettre dans le personnage..." J'suis déjà dans le personnage en fait, mais bon, j'ai envie de voir ce qu'elle va dire de moi. •

• Pendant un instant je suis revenu à la réalité, pendant un court instant j'ai failli craquer et lui dire que c'était bien moi, que j'étais bien ce gars qu'elle avait rencontré il y a de ça plusieurs années en arrière, sauf que le jeu a vite repris le dessus. Je pense d'ailleurs qu'un jour, ça me mènera à ma perte, à trouver jouer, je risque de perdre, à trop jouer, je risque de me bruler et de ne plus pouvoir reprendre l'avantage. Sauf qu'aujourd'hui, c'est différent, au fond, je me dis que je vais jouer encore un peu, que je vais me faire passer pour quelqu'un que je ne suis pas, et au moment où je lui dirais que c'est moi, que je m'amusais juste un peu, elle sera contente de savoir qu'elle ne c'était pas trompé, de me retrouver même peut-être, je retarde juste ce moment encore un peu, pour faire comme si nous n'étions que deux inconnus qui se rencontrait pour la première fois, deux inconnus qui c'étaient échappé de cette salle de bal pour prendre l'air, fumer une cigarette, et discuter l'espace d'un instant. Si avant de venir ici on m'aurait dit que je tomberais sur Giulia, je n'y aurais pas cru, je ne l'avais pas oublié non, mais disons que dans ma tête, c'était une histoire du passé, une rencontre que j'avais fait à un moment de ma vie que j'essaie tant bien que mal de laisser derrière moi. Je n'avais pas peur de replonger, de redevenir ce branleur que j'étais, ce mec pas fréquentable du tout, mais ça allait faire remonter des souvenirs, ça allait me rappeler le garçon que j'étais, un con, tout simplement, un con qu'elle avait compris, un con qui c'était un peu ouvert à elle. Alors je l'écoute, je l'écoute me parler de ce fameux gars, me parler de moi, de notre rencontre, je l'écoute me dire que je suis son sosie, mon sosie, et je ne peux m'empêcher de lâcher un petit rire lorsqu'elle affirme que je suis loin d'être Brésilien et que je n'ai jamais mis les pieds là-bas. Reprend ton sérieux. "Le Brésil ? Connait pas, j'suis Polonais à la base, mais je suis arrivé à Boston quand j'avais trois ans, donc pour le coup je suis plus américain que polonais..." J'crois que j'en ai trop dit, j'crois surtout que j'ai pas du tout la gueule d'un Polonais et qu'elle va vite comprendre qu'elle a bien à faire à moi, qu'elle ne s'est pas trompé sur la personne... •

• Elle n'avait pas tant changé que ça au final. Pour moi, jamais je n'aurais la chance de la revoir, alors j'avais laissé cette histoire dans le passé, mais aujourd'hui, c'était bien différent, aujourd'hui, je me rendais compte que chaque détail du passé peu ressurgir à n'importe quel moment, et Giulia en étant la preuve, elle qui n'était que de passage pour quelques semaines au Brésil se retrouvait ici, à Harvard, tout comme moi. On allait pas se mentir, elle était déjà belle à l'époque, mais aujourd'hui, c'était encore plus. Dans sa robe de bal, on aurait presque pu croire à une princesse venue tout droit d'un compte de fée, j'avais craqué à l'époque, et j'étais tout à fait conscient qu'au jour d'aujourd'hui, je pouvais replonger facilement. "Si par contre là si, j'ai fait parti d'un gang... Le gang des vélos, j'étais jeune, et j'étais toujours à vélo..." Plus notre conversation allait, plus je m'enfonçais dans un personnage qui n'était pas crédible du tout, un personnage qui n'était pas moi, un personne qu'elle avait surement démasqué au final... Chaque partie de mon passé a une importance, qu'on le réalise ou non, je ne pense pas que j'en serais là aujourd'hui si je n'aurais pas fait toutes ces mauvaises choses étant plus jeune, je n'aurais surement pas connu le chemin de la rédemption. "Ah oui ? Tu lui aurais dit quoi ?" Qu'est-ce qu'elle m'aurait dit si je lui aurais avoué dès le début que j'étais bien moi, et surtout, pourquoi est-ce qu'elle ne me contredisait pas ? Est-ce qu'elle aussi, y trouvait un certain amusement ? Tirant sur ma cigarette une dernière fois, je la jeta un peu plus loin, reportant mon attention sur la jeune femme, je la regardais de haut en bas, faisant remonter mes souvenirs en sa compagnie, le rayon de soleil qu'elle avait été à cette période si sombre de ma vie. •