H O M E L E S S
Mars 2005
La bandoulière de ton sac sagement posée sur ton épaule, tu avançais jusqu'au palier de votre nouvelle maison familiale, le silence parfait de la rue perturbé par tes pieds frottant contre le bitume. Il n'était que trois heures de l'après-midi et pourtant tu étais déjà de retour de l'école. Tu savais d'ores et déjà la réaction de ton père lorsqu'il te verra rentrer l’œil gonflé et bleuté, lorsqu'il comprendra et recevra le coup de fil de ton lycée. Mais à vrai dire, tu t'en fichais pas mal. T'ouvris la porte d'entrée dans la volée et laissas tomber ton sac de cours mollement au milieu du salon, le bruit alarma ton père et ta belle mère d'une nouvelle présence dans leur bien trop grande maison. La tête dans le frigo, tu ne fis pas attention à l'arrivée de Claudia, belle maman, et continuas ta recherche de nourriture. «
J'ai reçu l'appel du secrétariat, je n'ai rien dit à ton père Camille, mais s'il l'apprend tu... » commença-t-elle à te dire, le ton calme et doux. Tu fermas bruyamment la porte du frigo, la coupant dans son discours pseudo maternelle et sans même poser un regard sur elle, trop concentré à faire ton sandwich, tu répondis «
Qu'est-ce que ça peut bien te foutre de ce qu'il fera ? ». Elle s'apprêtait à renchérir quand soudain ton père entra dans la cuisine à son tour. Son sourire disparut instantanément quand il te vit et comprit pourquoi tu étais ici. «
Tu t'es encore battu ?! » te demanda-t-il en s'approchant dangereusement de toi. Tu ne pris pas la peine de lui répondre, la réponse se lisant sur ton visage abîmé par les coups. Il choppa ton menton dans sa main, t'obligeant à le regarder mais tu cassas d'un coup sec son emprise «
Tu veux bien arrêter deux secondes de faire comme si tu t'en préoccupais ? T'as pas de la crème solaire à mettre dans son dos ? » dis-tu, le ton sanglant en pointant ta belle mère d'un simple signe de tête. Depuis que ton père s'était remarié avec cette femme, vous étiez passé d'une vie dans la précarité, avec beaucoup de difficulté à finir le mois sans être dans le rouge, à une vie dorée, rythmée par les nouveaux talons que Claudia s'achetait. Certes, ce n'était pas une bourge sans cervelle comme tu adorais le raconter, mais ça ne changeait rien au fait que tu ne l'acceptais pas. Tu n'attendis pas que ton père te réponde et sortis de la cuisine pour monter deux par deux les marches menant jusqu'à ta chambre. On pouvait entendre les cris de ton paternel résonner dans toute la baraque mais tu t'en foutais éperdument. T'en avais assez. Assez de devoir vivre dans cette chambre trop spacieuse, de devoir manger en face d'une personne que tu ne considérerais jamais comme un membre de ta famille. Ça faisait des semaines que tu planifiais ton départ, et le jour était enfin venu. Sans plus attendre, tu attrapas ton sac à dos de voyage et vérifias que toute la nourriture que tu y avais plongé ce matin y était encore, intacte. T'enfilas un nouveau pantalon et un t-shirt propre et finis de faire ton sac avant de sortir par la fenêtre de ta chambre. Des fugues, tu en avais déjà faites. Ton père y était habitué. Mais cette fois, c'était différent. Tu partais. Tu fuyais le monde doré dans lequel on t'avait obligé à plonger.
B A D B L O O D
Juin 2012
Sept ans. Sept putain d'années que tu étais parti de chez ton père. Que tu avais abandonné ta famille pour commencer enfin à vivre. Pendant deux ans t'avais voyagé, rencontré de nombreuses personnes baignant chacune dans une culture différente. Ils t'avaient appris bien plus que ce qu'on pouvait raconter sur les bancs de l'école, lieu où tu n'avais jamais remis les pieds. Restant que quelques mois dans chaque ville que tu visitais, bien souvent tu t'étais trouvé un petit boulot où on te payait au black, te permettant de trouver un toit plus ou moins confortable à chaque fois. Puis t'avais rencontré une fille, en Angleterre, et tu t'étais laissé charmer par son sourire et ses yeux rieurs. Elle avait décidé de te suivre dans ton périple, quittant à son tour famille et prenant ses cours par correspondance. T'étais plus seul, t'avais quelqu'un avec qui partager tes frasques, tes délires. Puis vous vous êtes installés ensemble à Boston, en 2007, car elle avait espoir de rentrer à Harvard. Toi tout ce qui t'importait, c'était de vivre tranquillement à ses côtés. Parce que bordel, tu l'aimais, t'étais amoureux. Jusqu'à ce qu'elle te poignarde et te jette dans les méandres d'un amour brisé.
***
Confortablement assis dans votre canapé, tu portas ta bière jusqu'à tes lèvres, les yeux rivés sur la télévision. Tu travaillais pas aujourd'hui, on t'avait exceptionnellement donné ta journée et tu comptais bien... ne rien faire. Ta petite amie était allongée à côté de toi, tête posée sur tes jambes, assoupie. Tu commençais aussi à t'endormir quand soudain, on frappa violemment à la porte. L'un comme l'autre, vous sursautiez et les coups se faisaient encore plus intenses. Sans plus attendre, tu posas ta bière sur la table basse et allas ouvrir la porte. Plusieurs agents de police étaient sur le perron, menaçants. Le premier entra, laissant la place à ses coéquipiers d'entrer à leur tour et avant que tu ne dises quoi que ce soit, il te mit sous le nez un papier leur donnant l'autorisation de fouiller l'appartement. Il t'informa que l'on leur avait rapporté qu'une grande quantité de drogue se trouvait chez lui et qu'il s'y cachait un dealer. «
Mais bordel qu'est-ce que vous racontez il n'y a rien ici ! » dis-tu, sans cacher ta colère. Les flics retournaient tout, ouvrant les coussins, les tiroirs, fouinant tous les moindres recoins de l'appartement. T'essayais de faire comprendre au chef de l'équipe qu'il devait y avoir eu erreur, prenant sur toi pour ne pas t'énerver encore plus, mais il ne t'écoutait pas. Ce n'est qu'au bout de cinq minutes que plusieurs policiers vinrent à votre hauteur, plusieurs sachets de cocaïne et de pilules dans les mains, bien assez pour revendre. Machinalement, tu levas les yeux vers ta petite amie, cherchant à comprendre et face à ses yeux apeurés, tu compris. Putain. Les figures de l'ordre ne se firent pas attendre plus longtemps et te passèrent les menottes aux poignets avant de se diriger vers celle que tu aimais, prêts à l'embarquer aussi. «
C'est à moi, putain. » dis-tu, en rogne. Tu mentais, mais c'était tout ce que tu pouvais faire à cet instant. Mentir. Être blâmé pour un crime que tu n'avais pas commis. Et tout s'enchaîna vite, trop vite. Ils t'emmenèrent au commissariat avant de te balancer dans une cellule à la prison de Boston où tu allais pourrir cinq longues années.
***
Hugo se tenait face à toi, un petit sourire aux coins des lèvres, comme à chaque fois qu'il venait te rendre visite. C'était, d'ailleurs, un des seuls. Cela faisait des semaines que tu n'avais pas vu le beau visage de celle pour qui tu t'étais sacrifié, et tu commençais à te poser des questions, à perdre patience. Tu t'installas en face de lui et ne perdis pas de temps, chaque seconde était précieuse «
Elle est où ? Tu as eu des nouvelles ? » lui demandas-tu en sachant pertinemment qu'il saurait de qui tu parles. Le sourire si caractéristique de ton meilleur ami perdit sa malice et son éclat et tu le sentis embêté. T'arquas un sourcil. C'était assez rare de le voir aussi gêné à tes côtés. «
Écoute mec... Elle viendra plus. » dit-il, l'air désolé. Tu posas tes mains reliées par des menottes sur la table et fis mine d'avoir mal entendu «
Pardon ? ». Hugo répéta ce qu'il venait de te dire et ajouta «
J'l'ai vu... Avec Bastien. Ils sont ensembles mec, elle est passée à autre chose. ». Passée à autre chose... T'avais l'impression qu'on venait de te mettre un coup de belle en pleine figure. Cinq mois que tu mourrais dans ta cellule dégueulasse et voilà qu'elle t'abandonnait à ton triste sort, portant ce fardeau à sa place. Ton visage se ferma et tu te levas pour partir, sans un mot. T'avais besoin de rien dire. Tu bouillais de l'intérieur sans le montrer. On te ramena dans ta cellule et le codétenu avec qui tu la partageais vint te charrier «
Alors, c'était ta cochonne ? ». A peine avait-il fini que tu te jetas sur lui, l'assénant de coups violents. T'entendis l'os de son nez se briser sous la puissance de ton poing, sous toute la rage que t'y mettais, mais tu ne pouvais plus t'arrêter. Tous les habitants des autres cellules s'étaient approchés des barreaux pour pouvoir mieux voir et surtout, vous encourager. Une distraction pour eux, un vrai défouloir pour toi. Elle t'avait abandonné. Et t'allais le lui faire payer.
O N E
Fin avril 2017
T'inspirais et appréciais la sensation d'air frais dans tes poumons. Cela faisait une petite semaine que tu étais sorti de prison et Hugo t'avait accueilli chez lui le temps de te trouver un appartement. Mais autant dire que tes poches étaient vides et que ce n'était pas n'importe qui qui allait accepter de payer et d'héberger un ex-taulard. Tu marchais sans réel but dans une vieille ruelle de Boston et n'avais même pas remarqué la jeune femme à quelques pas devant toi. Perdu dans tes pensées, tu manquas de lui rentrer dedans quand elle s'arrêta, tétanisée. «
Put... » t'exclamas-tu de surprise avant de poser ton regard sur son visage. Elle avait les traits fins, bien dessinés, et ne semblait pas du tout être du genre à se salir les mains. Une nana qui n'avait rien à faire dans les bas quartiers de Boston. Un sourire malicieux se dessina sur tes lèvres, presque pervers. «
Bah alors, tu t'es perdue boucle d'or ? Tu sais que c'est pas franchement conseillé de venir traîner par ici toute seule ? » dis-tu en t'approchant dangereusement de son corps tremblant. Tu jouais, tu t'amusais de la situation, mais tu n'avais aucunement l'intention de lui faire du mal ou même de la toucher. Aucun bruit ne transperça ses lèvres minutieusement maquillées et tu arquas un sourcil avant de lever les yeux au ciel. T'allais lui dire de se détendre mais elle quitta ton champs de vision en tombant par terre, les jambes affaiblies par ces tremblements violents qui la prenaient. T'haussas les sourcils, ahuri, sans comprendre la gravité de la situation «
J'pensais que faire tomber les filles comme des mouches c'était qu'une expression pourtant. » dis-tu, légèrement vantard. Mais la respiration anormalement rapide de la jeune femme attira de nouveau ton attention et t'hésitas entre la laisser là ou l'aider. Tu soupiras bruyamment, agacé d'être tomber sur un cas comme ça à une semaine de ta sortie mais voyant qu'elle ne se calmait toujours pas, tu t'agenouillas. «
Meuf, respire. Pète un coup je sais pas, fais quelque chose. Mais évite de crever à mes pieds, j'aimerais ne pas avoir d'ennui. » dis-tu, calmement malgré ton agacement. Elle nous faisait une crise de panique ou d'angoisse peu importe pour toi c'était la même merde et t'avais pas envie de repartir en prison parce que t'étais tombée sur une meuf un peu trop fragile. Tu devinas que l'ambiance lugubre de la sombre ruelle et la capuche sur ta tête, cachant une partie de ton visage, n'aidaient pas. Tu découvris ton visage et approchas tes mains d'elle pour l'aider à se relever mais elle eut un petit mouvement de recul. «
Ok bon, on va pas passer la nuit ici. » annonças-tu avant de l'attraper par les épaules et de la relever malgré sa réticence. T'étais pas franchement doux mais tu t'en foutais pas mal, t'avais pas que ça à faire. Tu tenais la blonde fermement et l'aidais à avancer jusqu'à la sortie de la ruelle où un petit café était encore ouvert. Tu poussas la porte avec ton pied et installas la jeune femme sur une des banquettes avant de t'asseoir en face. Une serveuse arriva rapidement, tu commandas un café et te tournas vers la peureuse «
Bon par contre c'est toi qui paye je te préviens. ». Aucun tact. Les minutes passaient et elle ne parlait toujours pas. Toi, tu la regardais, l'air emmerdé et le menton dans ta paume. Quand enfin, elle ouvrit la bouche. «
Je commençais à me dire que j'étais tombé sur une handicapée. » grognas-tu. Tu t'en doutais pas à cet instant, mais cette fille qui t'agaçait tant allait vite prendre une grande place dans ta nouvelle vie. Agathe.