Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas perdu son calme de cette façon et Leonidas s’en voulait à la fois d’avoir blessé Siloë mais surtout d’avoir perdu le contrôle de ses actes. Il se dégoutait d’être encore aussi sensible à certaines choses. Les femmes avaient beau déclencher tout son mépris, elles restaient son point faible. Combien de temps encore avant qu’il arrive à rester de marbre, à rester indifférent à leurs bassesses ? Il se faisait honte d’avoir ressenti de l’attachement pour sa colocataire. Siloë restait une femme et il n’y avait rien de bon à attendre d’elle qu’il le veuille ou non. Il aurait dû simplement se détourner mais son mariage, ses coucheries avec Ael, tout cela l’avait blessé. Pourquoi ? Parce qu’il s’était brûlé les ailes en se rapprochant d’elle, parce qu’il s’était attaché à elle. Une chose qu’il n’était pas près de recommencer car rien ni personne ne valait le sacrifice de toutes ses années à subir l’éducation tordue de son grand-père. Le grec avait fait un choix quand il avait onze ans afin de sortir de la misère, d’aider son père qui travaillait dur pour joindre les deux bouts. Il avait vendu son âme au diable mais à aucun moment il n’avait eu conscience de ce que cet homme allait faire de lui. Aujourd’hui, le simple fait de l’avoir au téléphone le faisait trembler de peur. Encore quelques années à tenir songea-t-il tandis qu’il se passait de l’eau froide sur le visage avant de se regarder dans le miroir pour y voir un homme au regard tourmenté, trop expressif. D’un geste vif il donna un coup de poing dans le miroir tant il ne supportait plus son reflet. On pourrait le penser narcissique mais si vous saviez comme il se dégoutait. « Encore quelques années » murmura-t-il comme pour se rappeler pourquoi il avait signé ce pacte, pourquoi il était ce qu’il était aujourd’hui. Des coups à la porte le tirèrent de ses pensées et il attrapa une serviette pour enrouler son poing ensanglanté dedans. C’était Ael. « Si tu es là pour m’en coller une, fais le rapidement qu’on passe à autre chose » lâcha-t-il froidement, droit comme la justice. Il n’était pas étonné de voir son ami ici et si la jalousie lui donnait envie de se battre, sa loyauté envers Ael l’en empêchait.

A l’instant même où il avait vu Ael sur le pas de sa porte, Leonidas savait qu’il allait se manger un poing dans la figure. Ce n’était pas une impression mais bel et bien une certitude si bien qu’il accepta sans broncher la douleur cuisante qui lui piqua la joue. Un grognement répondit en premier lieu au propos du brun. « Incapable de se défendre mon cul.. ça va mieux, tu te sens burné dans ce rôle de protecteur de la veuve et de l’orphelin ? » demanda-t-il d’un ton bourru avant de s’effacer. Sa fierté l’empêchait de demander des nouvelles de Siloë mais savoir qu’elle était allée trouver refuge chez Ael l’emmerdait royalement. Le poison de la jalousie coulait dans ses veines et il ne pouvait rien y faire si ce n’est remettre son masque de connard froid et insensible sur son visage. « Fais ce que tu veux.. sa chambre est au fond à droite mais quelque chose me dit que tu dois savoir où c’est » lâcha-t-il froidement avant de se diriger vers le bar où il sortit deux verres. « Je te sers à boire ? » proposa-t-il comme si Ael ne venait pas de lui en coller une, comme si la serviette à son poing n’était pas imbibée de son sang. Il ne ressentait rien comme à chaque fois qu’il retrouvait le contrôle de ses émotions. Le grec avait appris très jeune à se détacher de ces dernières pour se protéger. En même temps, on ne lui avait pas donné le choix. Son grand-père avait veillé à tuer ses sentiments à chaque session d’entrainement comme il aimait appeler ces derniers. Aux yeux de Leonidas, c’était plus des séances de torture physique et psychologique dont il n’avait parlé à personne. A quoi bon ? Il n’avait pas besoin de la compassion ni même de la pitié. Il se fichait bien qu’on ne le comprenne pas car ce n’est pas comme si cela l’emmerdait d’être perçu comme un connard. Siloë avait simplement oublié à qui elle s’adressait et elle s’en mordait les doigts à présent. Encore une qui s’imaginait qu’il pourrait changer par amour… Pathétique songea-t-il en se versant de la vodka qu’il importait de Russie. Buvant le premier verre cul sec, il se resservit un autre verre. « Si elle veut prendre des meubles, qu’elle le fasse, je ne compte pas rester dans cet appartement de tout de manière » reprit-il alors qu’Ael se dirigeait vers la chambre de la jeune femme.

Leonidas se fichait bien des remarques d’Ael ou du moins, il aimait le lui laisser croire car dans le fond, il n’était pas fier d’avoir blessé Siloë. Un excès de colère qu’il regrettait amèrement parce que cela signifiait qu’il avait échoué à garder le contrôle de ses émotions. « Je l’ai pas battu non plus, elle marque rapidement » soupira-t-il en balayant l’accusation d’un revers de la main. Il pouvait bien passer pour un connard insensible aux yeux de son ami, il avait la conscience tranquille car il savait que cela aurait pu être pire. Le grec aurait pu céder à la pulsion qu’il avait eu de marquer la jeune femme d’une autre manière et qu’on se le dise, il se serait royalement moqué de son consentement. Il ne l’avait pas fait et à ses yeux, cela signifiait qu’il n’était pas le monstre que son ex-trésor avait certainement dû lui décrire. « Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Que j’ai apprécié d’apprendre qu’on se tapait la même femme et qu’en prime, visiblement, elle prenait plus son pied avec toi ? Alors ouais, c’est ce que je dis ! Cela m’emmerde même si tu t’en fous » lâche-t-il en s’approchant du bar pour leur servir un verre, persuadé qu’Ael l’accepterait. Il lui en avait collé une, il avait fait son taf de protecteur, il pouvait bien prendre le temp de se poser en sa compagnie ? C’était toujours mieux que de rester à ruminer dans son coin. « Ainsi donc tu l’héberges… Je suis curieux, cela fait un moment que tu te la tapes ? » demande-t-il en lui tendant son verre, jouant la carte du connard insensible pour ne surtout pas tomber dans l’excès inverse à savoir un pauvre repenti qui se confond en excuse. Il assumait ses actes jusqu’au bout, tel était un Vasilis. « D’ailleurs si tu veux pousser le vice, tu peux lui racheter cet appartement, comme je t’ai dit, je ne compte pas m’éterniser. Je préfère faire le vide » reprit-il avant de boire quelques gorgées. Le pire dans cette histoire, c’est qu’il mourrait d’envie de lui demander comment allait la jeune cabot. Pathétique !

« Merci de me rappeler que je suis pathétique » soupire Leonidas en se retenant de l’envoyer chier. En même temps, Ael n’avait pas tort, il se mettait dans des états pas possibles pourquoi ? Pour une nana. Aucune femme ne méritait qu’il perde le contrôle de ses nerfs et qu’il se montre aussi grotesque en la présence du student.  Le grec aimait se dire que c’était parce que Siloë n’était pas une simple étrangère dans son existence : elle avait été sa première amie et certainement la première femme avec, qui, il avait décidé de se donner sans que son grand-père ne soit derrière lui pour le contrôler. Elle avait une « valeur sentimentale » et sa trahison l’avait heurté plus qu’aucune autre mais hors de question que de se lancer dans ce genre de confidence auprès d’Ael. Il avait sa fierté bon sang, il n’allait pas à se mettre à raconter ses déboires sentimentaux comme une femme le ferait à une amie. « S’il te plait, j’ai pas envie de lui courir au cul comme un amoureux transit ! Elle fait ce qu’elle veut de son cul, cela ne me concerne plus. J’ai pas besoin d’une femme mariée qui ouvre les cuisses dès que ça lui chante et devant n’importe qui » soupire-t-il. « J’ai eu un moment de faiblesse, cela arrive à tout le monde non ?! Je ne vais pas laisser une femme dicter ma vie et il est hors de question que j’y couche toute la soirée dessus » dit-il avant de se passer une main sur la nuque. La dernière chose qu’il voulait, c’était faire pitié à Ael. Ce dernier était un ami à ses yeux et il comptait bien garder sa dignité pour lui. De tout de manière, à quoi cela servirait-il de courir après Siloë ?! A rien donc autant faire ce qu’il savait bien faire dans sa vie : passer à la suivante. « Tu as toutes les affaires qu’elle voulait ? » demande-t-il histoire que l’appartement ne se transforme pas en un défilé de déménageur tous les trois quatre matins. Oh puis qu’est-ce que ça pouvait lui faire ?! Il ne comptait pas y passer ses nuits. Au contraire, il était pressé de quitter cet endroit où ils avaient vécu deux ans ensemble. « Sinon, quoi de neuf ? » demande-t-il après coup, comme si de rien n’était alors que son poing lui faisait un mal de chien.

Leonidas était vexé d’être aussi transparent concernant Siloë. Son égo en prenait un coup mais il ferait avec ! Après tout, il avait manqué de jugement, un instant de faiblesse qui ne devrait plus jamais se reproduire. Il devait tirer une leçon de ce qui s’était passé ce soir et adapter son comportement en conséquence. Ael avait raison, c’était son souci, pas celui d’un autre. De toute manière, il détestait réclamer de l’aide ou se confier. Ce n’était dans ses gènes. « La seule chose que je retiens de cette histoire, c’est qu’importe ce que je veux, c’est de l’histoire ancienne, point barre. C’est un souci oui et je te rassure, je ne vais pas me transformer en une gonzesse pathétique qui demande à son ami des conseils sentimentaux. Je ne vais pas t’infliger une horreur pareille » répond-t-il tandis qu’il observait sa main. Pas besoin de points de suture, une bonne chose songea-t-il seulement, il allait devoir nettoyer la plaie et surtout la désinfecter. Un regard à son verre lui fit penser que peut-être il pourrait y aller franco mais il refusait de se priver de son remontant ou même de gâcher. « Plate et vide hein ?! J’y crois pas un seul instant. Je ne te vois pas te contenter d’une vie aussi morose, pas toi ! Allez, raconte moi : tu te prends la tête avec combien de nanas en ce moment ? A moins que ce soit avec un mec ? » répliqua Leonidas qui voulait avant tout se changer les idées. Oh il s’intéressait un peu à la vie de son pote mais il n’était pas le mieux placé pour jouer les psys de comptoirs. Egoïstement, il avait surtout envie d’entendre qu’Ael était plus dans la merde que lui. Vous savez, un peu comme quand vous invitez une amie moche qui galère dans sa vie : c’était toujours un remonte moral que de l’écouter car cela vous faisait relativiser sur votre propre existence.