Game on (Amelia)

 Negril, un bar dont j’avais oublié le nom, blindé de spring breakers. J’aimais cette effervescence, cette ambiance festive, cet état d’esprit carpe diem et de fiesta all night long qui régnait chaque soir pendant ces vacances… Et pourtant, malgré tout ça, malgré ces soirées à n’en plus finir, cette atmosphère décontractée loin du campus et du stress des cours, je n’arrivais clairement pas à lâcher prise. Au bout de trois, quatre verres, c’était quasi systématique, elle venait hanter mes pensées. Qu’elle soit face à moi, souriante, à partager l’apéro, qu’elle soit un peu plus loin en train de danser avec ses copines, ou qu’elle soit absente, à l’hôtel ou à une autre soirée, ça n’y changeait strictement rien, Ash finissait TOUJOURS par occuper mon esprit. Je le savais pourtant, que c’était une voie sans issue, une nouvelle impasse, puisque même après le lui avoir avoué, que j’étais amoureux d’elle, elle avait préféré ne pas y croire et continuer sur la voie de la simple amitié… Un lot de consolation. Une relation platonique à laquelle j’allais devoir me faire. Alors ce soir, comme tous les soirs, je pris la résolution de ne pas y penser. On n’était encore qu’au deuxième verre, donc résolution tenue jusqu'ici, et ma tête blonde préférée n’était pas dans ce bar. Conditions réunies donc, sauf que mes potes me lâchèrent au milieu du deuxième verre, pour rejoindre les filles dans un bar adjacent justement. Me fallait une excuse pour rester et c’est alors que j’aperçus une brunette au visage familier. « Partez devant, je vous rejoindrais peut être après… » Mes amis captant mon regard, me charrièrent avec des –ça y est, tu repars en chasse- et c’est en riant qu’ils quittèrent l’établissement alors que moi, je m’approchais de la demoiselle, profitant qu’elle soit seule. « Hey ! » l'abordai-je en m’approchant. Et d'ailleurs, de plus près, ça me revient : c'était en Australie, c’était là bas que je l’avais vue. Et d’ailleurs, dans mon souvenir, elle avait beaucoup plus de ventre à l’époque, et je ne parlais pas d’un abus de bière… Je n’eus pas le temps de l’inviter à boire un verre ou d’évoquer Brisbane justement, parce que le barman prit la parole et annonça un concours de fléchettes avec des conso offertes à la clé. Mon regard se reporta alors sur la brune, joueur, amusé, et je lançais : « Ca te dit de te mesurer à moi ? »  

Qu'est ce qui m'avait pris ce soir de me rendre dans ce bar seule ? Je ne savais pas mais je n'avais pas eu envie de rester dans ma chambre à ruminer le manque de mon fils qui commençait à se faire ressentir. Du coup, je préférai largement supporter un mec lourd parce qu'il a trop bu que de porter le poids de ma solitude et du manque. Mais ma solitude fut vite comblée. En effet, j'étais à peine arrivée qu'un mec que je ne connaissais ni en blanc ni en noir vint m'accoster. Après un rapide regard de la tête aux pieds, je ne pris pas mes jambes à mon cou, il avait l'air plutôt cool et pas déplaisant et surtout il ne sentait pas encore l'alcool à plein nez. Pour le coup, j'étais plutôt pas mal tombée ce soir et lorsqu'il me proposa de me mesurer à lui pour le concours de fléchette, je ne pus pas décliner l'invitation. J'adorais les challenges et se mesurer à ce mignon petit inconnu était plutôt tentant. « Si tu n'as pas peur de perdre tu as trouvé ton adversaire ! » Je lui adressai un beau sourire des plus amicale lui montrant bien que je le mettais au défi et non que je l'agressai. C'était bon enfant. « Mais je suis pas sûre que les consos gratuites soient une récompense suffisante ! » J'aimais rajouter de l'enjeu et puis si on accrochait bien, s'il était aussi sympathique qu'il le paraissait, il fallait bien qu'on se revoit et qu'on trouve un moyen de faire plus connaissance donc ajouter un enjeu qui nous serait plus personnel n'était pas tout à fait bête... A moins que lui veuille se contenter de moi comme adversaire de jeu et non comme peut être future connaissance ou amie.

 La demoiselle me toisa un instant, surement pour juger si j’étais le genre gros relou qui va la harceler pour finir dans son lit et je devais pas avoir une tête de vicieux parce qu’elle accepta ma proposition pour les fléchettes. « Que le meilleur gagne alors. » rigolai-je alors en me dirigeant vers la cible pour attraper les fléchettes qui y étaient plantées. « Je suis gentleman je te laisse choisir ta couleur, tu préfères les rouges ou les noires ? » demandai-je en tendant les projectiles à la demoiselle et en lui laissant l’avantage de choisir sa couleur alors qu’elle soulignait avec amusement que l’enjeu de cette petite compet, les conso gratuites, n’était pas assez. « Je vois que mademoiselle est très confiante sur ses compétences. Rassure moi, je ne viens pas de défier la championne du monde de fléchettes là ? » demandai-je avec humour avant d’accepter. « On rajoute quoi ? Je te préviens, j’étais déjà à découvert avant de partir au SB. » Ou comment ne pas marquer des points. Ca la rassurerait sur le fait que j’étais pas venu en dragueur vers elle, parce que la technique –je suis fauché- elle n’avait jamais fait ses preuves pour brancher des nanas. Bref, par mes paroles, je voulais surtout lui signifier que tout pari d’argent était proscrit. « T’as une idée pour pimenter la partie alors ? » 

« Les rouges ! Rouge sang ! » J'avais lâché cela comme ça, naturellement avant de me rendre compte que je pouvais paraitre un peu folle et sanguinaire pour le coup, ce qui n'était pas du tout mon intention ni le cas. Je rigolai donc en me reprenant : « Désolée je me suis laissée emporter ! Promis je ne rêve pas de te planter les fléchettes dans ton joli minois ! » Je gardai mon sourire aux lèvres, pris les fléchettes rouges qu'il me tendait et le bourrai légèrement pour le taquiner et le "chauffer" un peu, mais un chauffage dans le jeu hein, rien d'un jeu de séduction même si son physique pouvait me plaire. Ce soir, j'avais décidé d'être sage. Pour le moment au moins. Je me mis en place, face à la cible et je me concentrai. Est ce que j'allais être forte ? Peut être bien que oui peut être bien que non... Le non s'appliquait si la chance du débutant n'était pas avec moi, le oui, dans l'autre cas forcément. Mais je n'étais pas décidée à admettre que j'étais novice et puis j'espérai bien gagner par l'intimidation, c'était une technique comme une autre ! « Juste la championne d'Australie, je ne me suis pas mesurée au monde encore. » Je lui fis un clin d'oeil avant de me reconcentrer sur la cible, mais je rebaissais une nouvelle fois ma fléchette pour lui répondre, je n'étais pas prête à tirer, pas prête à me ridiculiser même si j'allais bien rire si je loupais complètement la cible. « Si je gagne t'es à mes petits soins pendant une semaine, si tu gagnes, c'est moi qui te traiterai comme un roi. Ca te va ? » J'attendai sa réponse, peut être que l'enjeu m'aiderait à viser le mieux possible.

Ok, donc là avec cette réponse, elle essayait de jouer les tueuses en série flippante ? Marche pas sur moi mademoiselle, non, ça me fit plutôt pouffer en fait, surtout qu’elle s’excusa rapidement et enchaina en précisant ne pas avoir de pulsions violentes à mon égard. « Peut être que ta technique c’est de crever les yeux de tes adversaires pour être sûre qu’ils ne parviennent pas à viser mieux que toi ensuite. » me marrai-je entrant dans son délire avec facilité. Autant se mettre dans l’ambiance, et d’ailleurs, quand je plaisantais sur son titre imaginaire elle marcha également. « Ca tombe bien, t’as devant toi le champion de Grèce. » Comme ça, on annonçait aussi la couleur quant à nos origines géographiques. Enfin pour ma part, l’ayant déjà vu, j’en étais quasi sûr, à Brisbane, je savais déjà qu’elle avait habité l’Australie. Elle se tourna vers la cible, fléchette en main, visant, avant de se tourner à nouveau vers moi pour définir l’enjeu de la partie. Pas juste les conso offertes par le bar non. Mademoiselle avait autre chose en tête et lorsqu’elle annonça son idée, je souris : « Sauf que là, c’est les vacances, on a pas forcément besoin d’un esclave, alors disons que la semaine aux services de l’autre, ça sera à la rentrée, en rentrant sur le campus. » précisai-je avant de tendre la main vers elle pour qu’on scelle ainsi notre deal. J’annonçai ensuite, adoptant son attitude assurée, sur un ton faussement prétentieux : « Au fait, tu t’appelles comment ? J’aime bien connaître le nom des gens que je vais battre. »

« Chut ! Ne le dis pas trop fort si jamais tu veux t'en servir pour ton prochain adversaire si jamais tu me bats ! » Je lui fais un clin d'oeil pour lui montrer que je rigole parce que je ne compte pas lui faire perdre ses yeux pour un simple jeu. Ca serait bien dommage parce que je suppose qu'il en a encore besoin dans la vie de tous les jours puis ils sont d'une bien trop belle couleur pour lui retirer. « Match international à grande échelle, l'Australie et la Grèce se rencontrent en Jamaïque quoi de plus logique ! » Je me la joue commentatrice d'évènement sportif, comme si on allait assister à la rencontre du siècle : la rencontre du siècle de franche rigolade devant si peu de talent surement oui ! Sauf s'il s'avérait plus douer qu'il n'en a l'air et qu'il ne voulait bien le laisser penser ! « Enchantée de vous affronter Monsieur... ? Je me présente Amelia Grace Wilson-Harris ! » Avec mon nom à rallonge je tentais de l'impressionner une nouvelle fois, et avec ma main tendue je tentais de faire la pro, mais s'il n'était pas trop saoul il avait bien compris depuis le début que ce n'était qu'un jeu de ma part, qu'il n'y avait du sérieux dans aucune de mes paroles. « Au fait je ne comptais pas passer mes vacances à te servir alors bien sur que ça sera à notre retour ! » Voilà, qu'il se rassure il pourrait profiter des Jamaïcaines encore tranquillement sans avoir sa servante dans les pattes... parce que oui je lui laissai envisager la possibilité qu'il gagne, qu'il le note bien, c'était la première fois que je baissai ma garde pour lui laisser un peu d'espoir. En effet, si je voulais avoir un serviteur pendant une semaine, il ne fallait pas que je l'effraie avant le match. « On commence ? »

 J’aimais l’humour décalé de la demoiselle et sa réponse m’arrachait donc un petit rire. Rire qui résonna à nouveau lorsqu’elle se vanta de ses qualités de championne d’Australie, occasion de révéler nos origines mutuelles à l’autre, puisque pour ma part, je m’inventais champion de Grèce. Elle lança la compétition telle une présentatrice d’émission sportive et on déclinait ensuite nos identités. « Denys Zacharias. Enchanté de t’affronter également, et encore plus enchanté de te battre… » Parce qu’en plus des nombreuses consos que j’allais pouvoir siroter dans ce bar all night long, j’allais apparemment avoir les services de la demoiselle pour moi à la rentrée. « Je suis en coloc et chaque semaine on se répartit les corvée, il me semble que je suis de corvée de cuisine au retour du SB. » annonçai-je en me frottant les mains. « J’espère que tu sais cuisiner. » Un petit rire diabolique. En vrai, j’étais pas plus doué que ça aux fléchettes, j’allais peut être me prendre une raclée. Si ça se trouve j’allais devoir faire la nourriture pour mes collocs + aller cuisiner pour la brunette chez elle. Enfin, c’était pour la charrier tout ça, et aussi pour qu’on en apprenne plus l’un sur l’autre. La partie commençait donc. « Aux dames l’honneur. » fis-je galant, laissant le privilège à la jeune femme de tirer en première. « Alors Amelia, à part le maniement des fléchettes, tu fais quoi de beau dans la vie ? » la questionnai-je gentiment, en la regardant prendre place devant la cible et viser, attendant de voir où elle allait réussir à planter le projectile.

« Ne crie pas victoire trop vite Denys ! » J'aurais plutôt repris son nom de famille à la fin de ma phrase si on se connaissait mieux mais là ça aurait été un peu trop familier ou alors ça aurait trop fait genre bonhomme qui se mettent au défi pour une nana... Donc non, très peu pour moi, puis il avait un prénom rare et assez joli alors autant l'utiliser. « En coloc, je comprends donc mieux ta facilité à aborder tout le monde et n'importe qui ! » Parce que j'avais beau être quelqu'un de très avenant et sociable, je n'avais pas cette facilité là et loin de là même. C'était peut être ma pointe de timidité qui faisait cela, mais c'était vraiment une pointe et celle-ci disparaissait facilement et rapidement après quelques verres. « Je cuisine, mais je peux être du genre rancunière et comme je n'ai pas l'habitude de servir les gens... Tu pourrais te réveiller avec la diarrhée ou te coucher avec la gorge en feu ! Tu verras bien ! » Mystère, mystère. Je n'allais pas tout lui réveiller non plus, si ça se trouve il allait changer de deal après et je n'en avais pas envie, je ne voulais pas me retrouver avec un truc pire à faire si jamais il voulait changer. Mais pour le moment pas question de changer, j'allais tirer ma première flèche. Je me concentrai pour viser la cible, espérant planter ma flèche dedans. Je ne visais pas le centre, non, j'essayai simplement de viser un gros chiffre. « Je suis en première année de droit et sport ! Je suis pas nulle, j'ai juste recommencé mon cursus en arrivant à Harvard, je faisais médecine avant. » Et je ne donnerai pas plus d'information sur le pourquoi du comment j'avais arrêté parce que je n'avais pas envie d'en parler, puis avec l'arrivée du petit c'était mieux sinon je n'aurais surement que très peu de temps pour lui. « Et vous Monsieur Zacharias ? » Et op à la fin de ma phrase j'avais fini ma mise au point pour tirer et je le fis attendant le verdict... comme je m'y attendais ce fut un premier tir loupé... complètement à côté de la cible !

 Petit rappel à l’ordre de la demoiselle, il ne fallait pas crier victoire trop vite. La vérité : j’étais juste en train de me mettre dans l’ambiance. Parce que si j’étais joueur, je n’étais pas mauvais perdant et j’avoue que c’était surtout et avant tout pour le fun que je défiais cette brunette. Et puis, c’était l’occasion d’apprendre à se connaître non ? Comme lorsque je révélais être en coloc, fait qu’elle souligna et qui expliquait selon elle ma facilité à aller vers les autres. « Peut être que la colocation aide en effet. Toi tu vis seule ? Pas en confrérie non plus ? » Parce qu’une frat ‘ c’était comme une grosse coloc en quelque sorte. La corvée que je lui réservais déjà mentalement pour le come back à Boston était tout vu : ma semaine derrière les fourneaux, ce qu’elle répliqua me fit aussitôt rire. « Je crois que je vais te garder ma semaine corvée ménagère. » Ou pas… « A moins que je me retrouve avec des polos et t shirt taille XS après ça… » Ouais réflexion faite, vu le petit côté rancunier affiché et assumé par la miss, j’allais peut être trouver autre chose à lui faire faire quand elle serait à mes petits soins. Enfin, ne pas vendre la peau de l’ours, il fallait encore jouer. Elle commençait à viser tout en continuant la discussion, révélant qu’elle avait vrillé de médecine vers le droit et le sport. « Sportive ? » Je la détaillais soudain encore plus intéressé. Le mot magique. « Je suis en troisième année de psycho comme majeure, et… sport en mineur. » Et puis petit rire taquin, malgré moi, en la voyant échouer son tir. « Les cibles jamaïcaines sont pas les mêmes qu’en Australie c’est ça ? » fanfaronnai-je avant de m’avancer pour viser à mon tour. Allez, on faisait un peu moins le malin là, fléchette entre mon index et mon pouce, sur le côté de mon visage, je clignai un œil pour viser et je tirai ensuite…