Reminiscences

Un après-midi tranquille dans mon bureau, mon cabinet médical modeste. Jamais je n'aurais imaginé qu'une bombe puisse tomber ici, aujourd'hui. Métaphorique, mais l'effet sur mon coeur est le même. Quelqu'un frappe à la porte, un étudiant blessé sûrement, c'est mon train train quotidien maintenant. Quand je lui intime de frapper, malgré les cinq ans qui ont passé, je le reconnais tout de suite. Loukas. Je l'observe, figée, paralysée, impossible de bouger. Mes lèvres s'entrouvrent, sous le choc, juste légèrement. Lentement, au ralenti je me lève sur mes talons hauts. Ma blouse blanche n'est pas boutonnée et on peut déceler la robe rouge en-dessous, légèrement décolletée, s'arrêtant un peu plus haut que les genoux.

- Loukas ? Que fais-tu là ?

Je réussis par demander, contournant mon bureau, posant mes lunettes de lecture sur ce dernier, comme pour mieux vérifier sans elles que je n'assiste pas à un mirage, qu'il est bien là devant moi.

- Est-ce que c'est une caméra cachée ?

Je ne trouve que ça à dire. C'est une blague, c'est ça ? Une pauvre blague pour me faire du mal ? Et pourtant je vois à son visage sa surprise. Ce n'en est pas une. Il est bien ici, devant moi. Le monde est petit.

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Un après-midi comme les autres où j’ai laissé ma fille en compagnie de son adorable nounou. J’avais entraînement comme la plupart du temps l’après-midi. Je ne supportais pas les cours théoriques, il fallait que je coure, que je m’aère l’esprit et je n’avais qu’une hâte, me défoncer sur le terrain. J’avais dû prendre des jours loin de l’équipe pour m’occuper de ma petite qui était tombé malade et du coup là j’avais envie de tout donner. Loukas, tu dégages à l’infirmerie, visite médicale oblige. Je jurais et j’me pinçais les lèvres, bordel est-ce que c’était vraiment obligé ? Vu que le regard de mon coach, carrément. J'soupirais alors, énervé de ne pas pouvoir m’entraîner et je me dirigeais vers l’infirmerie. Sans doute que mon coach avait peur que j’repprenne des substances illicites. J’entrais alors dans la pièce et j’me pointais devant le bureau de l’infirmière qui ne m’était pas inconnu. « Ellana ? » Le sang parvenait rapidement à mes tempes et ma bouche restait grande ouverte. « C’est toi l’infirmière, mais attend, depuis combien de temps t’es là, et elle est où l’autre vieille là ? » Je m’interrogeais sur le fait que la vieille infirmière s’était transformée en une bombe phénoménale qui appartenait à mon passé. « Non sérieusement, c’est une blague, c’est pas possible… »

Une blague ? C'est moi qui t'ai posé la question avant ! J'ai envie de lui dire, mais le choc sur son visage me surprend d'avantage. J'ai presque envie de rire, comme si les forces cosmiques de l'univers voulaient nous faire passer un message. S'il y a vraiment un dieu ou des dieux là-haut, ils sont en train de bien se marrer en nous observant.

- La vieille a pris sa retraite. Je travaille ici depuis début 2015. Et toi qu'est-ce que tu fais ici ? Tu es à Harvard depuis quand ?

Je demande, choquée. Si il me sort qu'il est là depuis tout autant de temps que moi et qu'on ne s'est jamais croisés, je ris. Moi qui pensais ne plus jamais le revoir, que ça m'aiderait à tourner la page, finalement mes efforts sont ruinés. On n'oublie jamais son premier véritable amour. Et il avait été le premier dont j'étais tombée amoureuse. L'oublier avait été très difficile, alors s'il rentrait à nouveau dans ma vie, je n'étais pas sûre de pouvoir le supporter. Mon coeur ne le supporterait pas à nouveau.

- Tu ... Tu es blessé ?

Je demande, réalisant que s'il vient à l'infirmerie c'est pour se faire soigner.

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J’avais devant moi la plus parfaite des infirmières, celle qui m’avait sauvé la vie, celle qui avait pansé mes blessures pendant de longs mois alors que j’avais juste fait le con et que je m’étais posé au moment endroit au mauvais moment. « Attends quoi… Crois-moi si j’avais su que l’infirmière était aussi sexy depuis 2015, j'serai venue te voir avant. » J’tentais de rire, de la faire sourire mais je n'aurai peut-être pas dû, ce n’était pas forcément le bon moment. J’croisais mes bras contre mon poitrail et j’me posais contre la porte qui séparait son bureau. C’était étrange de la revoir, elle n’avait pas changé, toujours aussi silencieuse « J’huis à Harvard depuis quelques années maintenant, à vrai dire je suis venue ici directement après… l’armée. » J’fronçais les sourcils, pourquoi elle me regardait comme ça, j’avais l’impression qu’elle regardait un fantôme, quoi que moi aussi ça m'faisait un peu cette impression à vrai dire. « Non non, j’viens juste pour une simple visite médicale, au pire tu m'fais un certificat que j’donne à mon coach et l’histoire est réglée. On pourra peut-être en profiter pour… discuter. » J’me redressais et observais attentivement son regard qui semblait vouloir me tuer.

Son compliment me fait absolument aucun effet. Pas parce que je suis en colère, je suis juste encore sous le choc. Je récapitule tout dans ma tête. J'ai soigné Loukas, soldat blessé de guerre, il y a cinq ans. J'en suis tombée amoureuse. Nous avons eu une relation. De multiples relations sexuelles. Il est parti sans me dire au revoir. Je l'ai même cru mort. J'ai eu du mal à l'oublier. Le voilà maintenant devant moi. Il est à Harvard depuis un moment maintenant. On évolue dans le même lieu depuis plusieurs années sans s'être croisés. Et il est toujours aussi beau. L'espace d'une seconde je rougis quand il me sourit.

- Assieds toi et enlève ton haut, je vais t'examiner. Ils m'ont engagé parce que je soigne les gens, pas parce que je leur donne des certificats bidons.

Je lui dis en pointant la table de couchage spéciale.

- Et tu voulais discuter de quoi ? D'être parti sans un mot ?

Je demande, essayant d'être impassible. Et pourtant lorsqu'il ôte son haut, il est difficile de le demeurer. Je me souviens pourquoi il m'avait séduite. Non seulment un très bel homme, sexy, mais surtout un sourire solaire qui a su me faire fondre. Le genre de sourire qui me donne envie d'offrir toute mon âme et bien plus encore.

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C’était étrange de la voir en face de moi, si élancée et élégante. J’étais pas indifférent enfin disons que ça m'faisait pas rien de la voir. « Quoi mais… » J'soupirais sans pour autant protester, c’était définitif elle était totalement en rogne contre moi. J’me dirigeais alors vers sa table d’occultation et j’enlevais mon tee-shirt que j’balançais vulgairement sur la chaise. J’la regardais alors s’approcher de moi avec son regard emplit d’éclairs, j'sentais qu’elle allait vider son sac et que j’étais pas prêt d’obtenir ce fameux certificat. Mais pour une fois, j’étais plutôt satisfait d’être à l’infirmerie et de louper l’entraînement. Sur mon corps, il y avait toujours ses multiples cicatrices, les traces du passage d’Ellana et de son équipe sur mon corps après l’explosion lorsque j’étais en service militaire. J’me raclais alors la gorge tout en me roulant les yeux vers le plafond, alors il était là le problème. « Je n'suis pas parti, on m’a enlevé, c’est différent. » Ouais j’avais dû partir sans un mot puisqu’on m’avait totalement radié de l’armée à cause de mes multiples conneries, de plus mon père avait tout fait pour me ramener à New York, enfin ça c’était lorsqu’il était encore Maire de la ville.

Je suis en colère, déçue, triste, frustrée. Plein de sentiments mauvais qui me rendent hors de moi. Mais quand il me dit qu'il n'avait pas eu le choix, je le crois. Ce n'est pas une situation "normale". Un mec qui se casse après avoir sauté une nana sans rien dire pour retourner à sa vie banale. C'était la guerre. Et pour ça, je ne peux pas lui en vouloir, je ne dois pas lui en vouloir, je n'en ai pas le droit. Et pourtant, mon affection était réelle, mes sentiments aussi, et je ne peux m'empêcher de lui en vouloir, ne serait-ce qu'un peu.

- Je comprends. Un mot aurait suffi. Un message, une note, je ne sais pas.

Je réponds, plus calme, la colère s'en va petit à petit, ne restant que l'amertume et la tristesse. Je viens examiner méticuleusement son corps, ces cicatrices que je reconnaitrai entre mille. Et ça le rend plus beau encore.

- Excuse moi de t'en vouloir. C'était la guerre, ce n'était pas ta faute, le contexte était délicat. Mais je t'aimais beaucoup. Je t'aimais. Et ça m'avait fait très mal.

Je rajoute avec la voix qui s'assombrit au fil de ma phrase, sans jamais le regarder dans les yeux. Puis finalement, je lève les yeux vers lui, ses beaux yeux océan, et je lui souris tendrement.

- Je suis contente que tu sois en vie et en bonne santé.

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J’fronçais les sourcils tout en observant ses mains, je la voyais regarder mon corps, les cicatrices qu’elle connaissait bien. « Ouais j 'sais, c’est là où j’ai déconné, c’est juste que j’ai pas vraiment eu le temps de tout capter. » Mon père était venu me sortir de cette merde par la peau du cul comme on dit. J’étais encore en convalescence. À mon retour à New York, il m’avait fait examiner par des dizaines de médecins afin qu’on me retire ce qui me restait dans le corps mais chacun d’entre eux pensait que j’étais un cas désespéré alors depuis je vivais avec ces morceaux de mortiers dans le corps. Par la suite, il y avait mon procès et avant ça, mon examen, ma radiation de l’armée et tout ce qui s’en suit, bref je n’avais pas eu le temps de respirer. « Hey… écoute Ellana, c’était pas du vent tout ça. » J’levais mes doigts vers son visage de poupée et j’effleurais son menton. J’pensais qu’elle était aussi attachée que ça et j’me prenais la réalité en pleine face car au final, moi aussi je l’avais apprécié bien plus que je ne voulais l’admettre. Moi le type volage, le mec qui apparaissait sur chaque couverture de magazine people, j’avais aimé être entre les mains d’Ellana, tout simplement parce qu’en temps de guerre, elle ne me voyait pas comme un playboy, ni comme le fils du maire de New York. « Je suis content aussi. » Je laissais alors tomber ma main sur mon genou afin qu’elle puisse continuer à m’examiner.

Pas eu le temps de capter. J'ai envie de répondre, mais que répondre ? Il a raison d'un côté. Je ne sais pas si j'aurais été capable de lui laisser un mot si la situation avait été inversée. Dans ces moments là, on ne réfléchit pas vraiment, on subit et on se laisse emporter par la vitesse, par le temps, par le danger, par la santé. Plein de facteurs étaient en jeu. C'était un soldat blessé, en convalescence, il avait un chez lui, et il y avait une guerre qui faisait rage encore. Mais l'orgueil d'une femme surpasse parfois la guerre, il serait temps d'oublier sa disparition subite.

- Tu n'as pas changé. Toujours aussi tactile.

Je souris, riant légèrement avant d'aller chercher le tensiomètre avec lequel j'encercle le bras de Loukas, faisant gonfler un maximum l'appareil, et laissant l'air doucement s'échapper.

- Tu es en pleine forme. Rien à signaler. Ils t'ont enlevé ... le reste ? Après que tu sois parti, ils t'ont entièrement soigné ?

J'ose demander, voulant éviter de toucher à un sujet sensible. J'effleure ses cicatrices, son corps, le visage inquiet.

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Ça n’avait été qu’un putain de concours de circonstances. Je n’avais pas apprécié être retiré ainsi, jugé sur ce que j’avais pu faire, sur mes uniques conneries d’ailleurs, bref j’avais mal digéré le fait de revenir à New York et Ellana en avait subi les frais, en quelque sorte. « J’y peux rien, j’aime effleurer les belles choses. » J’me mettais à sourire en la regardant. Avant elle et moi étions plus que proches, j’avais pu sentir sa peau contre la mienne et nos corps n’avaient formé qu’un alors à l’heure actuelle… C’était un peu comme si j’avais besoin de la redécouvrir. J’la regardais prendre ma tension et j’me mettais à rire. « Merci Docteur. C’est grâce à vous. » J'me mettais à rire. J’posais alors mon regard sur ses doigts effleurant mes nombreuses cicatrices à cause de ce mortier qui avait explosé en mille morceaux. J’fronçais alors les sourcils et j’reposais mon regard dans le sien. « Non, j’ai vu un tas de médecins et ils ont dit qu’ils ne valaient pas risquer le coup, que ça ne servait à rien. Trop dangereux. »