Le feu & la glace (Bambi)

 J’étais mal à l’aise, même si j’appréciais le geste de mon amie, rangeant les tenues pour pouvoir poursuivre cette conversation, parce qu’avec les déguisements devant mes yeux, j’avais malgré moi plein d’images en tête et ça me troublait. Une fois le dressing refermé, mes excuses gênées faites, Bambi se saisit de mes mains avec douceur pour reprendre sur les révélations de ma virginité. Elle reconnut être une grande romantique, et qu’elle trouvait donc ça bien que j’aie gardé ma première fois pour quelqu’un qui comptait vraiment. « Mouais, dis ça aux mecs, ils riront bien… » soufflai-je dans un petit soupir, persuadée que j’étais qu’Hadès, mon ex, m’avait larguée parce que je ne couchais pas… Curieuse, et un peu plus à l’aise grâce à la patience et la compréhension de mon amie, je me risquais à quelques questions. J’étais capable de mettre de côté cinq minutes mes préceptes religieux, pas de sexe avant le mariage et compagnie, histoire d’en apprendre un peu plus sur mon adorable roomie aux meurs libérées… Sauf que l’histoire de la première fois de mon amie, trois ans auparavant, ne s’était guère bien terminée. Et cela l’avait un peu conduite vers les aventures sans lendemain. « Je vois ce que tu veux dire… » Je me laissais tomber sur mon lit avec un petit air exaspéré en concluant : « Les mecs c’est nul… Mais on n’arrive pas à s’en passer. » On finissait toujours par s’amouracher… La preuve je n’avais jamais complètement oublié Hadès. Il avait toujours cette place particulière dans mon cœur, même si je cherchais à le nier. « Il s’est passé quoi avec ce garçon il y a trois ans ? Tu veux m’en parler ou bien c’est encore trop dur ? » demandai-je prudemment à Bambi en tapotant le matelas à côté de moi pour qu’elle vienne s’installer elle aussi sur mon lit.

 

S'ils se marrent, c'est qu'ils sont bien cons ! Les mecs ne pouvaient pas comprendre ce que le don d'une virginité pouvait signifier pour une demoiselle. Certes, certaines s'en foutaient pas mal de la donner au premier venu mais ça n'avait pas été le cas de l'italienne, contrairement aux idées reçues. Elle était tombée amoureuse, s'était brûlé les ailes au sens propre comme au figuré du terme, refusant désormais de se laisser prendre au jeu à nouveau. Mais elle ne blâmait pas Cassie de vouloir se préserver bien au contraire, car il n'y avait pas si longtemps, elle avait été dans la même position qu'elle, dans le même état d'esprit. Ce serait tellement plus simple si on pouvait s'en passer tiens ! reprit-elle avec humour, avant de venir s'asseoir sur le lit de sa roomie, ayant bien saisi le signe de cette dernière. Sa question la fit se tendre légèrement, mais en parler lui ferait sans doute du bien. Pendant un long moment c'était parfait, une magnifique histoire d'amour... puis il a commencé à devenir violent avec moi. D'abord des gifles, puis davantage. Je suis tombée enceinte par accident... adorant les enfants, j'ai trouvé que c'était un signe du destin, mais il a très mal pris la chose. Il est parti du principe que l'enfant n'était pas de lui et m'a battue quasi à mort, avant de provoquer un incendie. J'ai survécu grâce à l'appel d'un voisin, qui a entendu mes cris... mais j'ai de multiples cicatrices et brûlures qui ornent mon dos. Je suis... mutilée, si tu préfères. Tu vois pourquoi j'ai si peur de faire confiance ?

   Si de prime abord, j’avais pris ma coloc pour une dévergondée en découvrant son dressing, ce n’était désormais plus le cas. Discutant, je découvrais une jeune femme bien plus fleur bleue qu’on ne l’imaginait. Me laissant tomber sur le lit, je l’invitais à me rejoindre mais également à se confier à moi, sans la forcer, sans la brusquer, lui laissant la possibilité de garder le silence si elle le préférait. Mais Bambi vint prendre place à côté de moi et elle se livra alors. Je frissonais d’effroid en entendant mon ami me raconter que la violence avait peu à peu remplacé l’amour chez son ancien conjoint. « Oh Bambi, j’suis désolée… » soufflai-je en attrapant sa main avec un air peiné. « C’est terrible… » Horrifiée, je serrai doucement mes doigts sur ceux de ma coloc, en geste de soutien. « Viens là… » soufflai-je en la prenant dans mes bras, une douce accolade, le moyen de lui montrer que j’étais là désormais. La relâchant ensuite, je repris : « Un jour tu vas trouver un mec super, un garçon qui t’aimera sincèrement et qui fera tout pour te rendre heureuse, parce que tu le mérites, t’es une fille en or. » Grand sourire de ma part. Je ne savais pas que cette rencontre que je prédisais arriverait très vite dans la vie de ma roomie. En attendant, je repris sur le sujet délicat de l’ex taré : « Il a été traduit en justice ce gars ? Il est emprisonné ? »  

 

Bambi ne s'était pas confiée pour faire culpabiliser Cassie, bien au contraire, ou même pour lui démontrer son côté fleur bleue. Il s'agissait plus là d'une marque de confiance. Un tel secret délivré à sa roomie sur un plateau, sans raison apparente, ne pouvait qu'être une marque de confiance de la part de l'italienne. Une façon pour elle aussi de briser définitivement la glace, maintenant qu'elles vivaient toutes deux dans cette chambre depuis un petit moment. Il ne fallait jamais que ce soit à sens unique... et puisque Cassie s'était ouverte à elle, la brunette trouvait logique de faire de même. Ne sois pas désolée ma belle, tu n'y es pour rien tu sais... reprit-elle d'une voix douce, ayant d'abord serré délicatement ses doigts avant de s'abandonner un instant à cette étreinte que lui offrait sa roomie. Lorsque cette dernière la relâcha, toujours avec cette extrême douceur, le discours qu'elle adopta arracha une petite larme d'émotion à l'italienne. Elle qui ne pleurait pas facilement malgré son côté émotionnel assez développé, elle ne pouvait pas ne pas être touchée par tant de gentillesse. Je crois que ça fait très, très longtemps qu'on ne m'avait pas fait autant de bien avec des mots... merci Cassie. Merci pour ta gentillesse, tout simplement... maison pour te répondre non, il n'a pas été traduit en justice. Il est en cavale, et pour cause, même si la police m'a poussé à porter plainte, il avait fuit depuis bien longtemps à mon réveil de l'hôpital. Il faut dire que j'ai eu plusieurs greffes de peau, de multiples opérations, et été dans le coltard un temps impressionnant... je ne suis pas sûre qu'un jour il paye pour ce qu'il m'a fait. Et j'espère, j'espère tu n'imagines pas à quel point j'espère qu'aucune autre gourde comme moi ne sera assez stupide pour tomber dans ses filets...

    Qui aurait dit que d’ouvrir le dressing de l’italienne allait nous mener là ? Assises l’une à côté de l’autre sur ce lit, nous livrant tour à tour sur les aspects intimes de nos vies personnelles ? Je découvrais le passé trouble de Bambi, ce qui l’avait conduit à cela, au rejet des relations sérieuses, à sa peur de l’engagement. Je comprenais mieux son besoin de plaire, sa culture des relations plus éphémères. Un câlin plus tard et je prédisais un futur plus doux, plus heureux à ma roomie. Je n’arrivais pas à croire que quelqu’un puisse vouloir faire du mal à une jeune femme aussi adorable et touchante qu’elle. Je repris ensuite prudemment mes questions sur ce type, cet ex horrible qui l’avait traumatisée. Elle me remercia pour mes mots. « C’est normal, on est pas juste coloc, on est amies. » lui assurai-je avant d’écouter comment ce vaurien avait lâchement fui et échappé ainsi à la justice. Je serrai les poings et la mâchoire de colère. J’arrivais pas à supporter l’idée qu’il courrait après avoir fait souffrir autant mon amie. « T’es pas une gourde, t’es pas stupide. T’étais amoureuse Bambi. » On disait que l’amour rendait aveugle, parfois on refusait de voir la facette sombre de la personne qu’on aimait. « Tu sais quoi ? On va fabriquer une poupée vaudou et on va lui enfoncer des aiguilles dans les yeux, les fesses et au niveau de l’entrejambe, comme ça on sera sûres qu’il va souffrir le martyr jusqu’à la fin de ses jours. » lançai-je alors diaboliquement, sortant mon téléphone pour chercher comment confectionner un tel objet ensorcelé.

 

Pour sûr, si l'on avait dit à Bambi que le fait d'ouvrir son dressing pour expliquer l'utilisation de ses tenues à sa roomie la conduirait à se confier de la sorte, sûrement n'en n'aurait-elle rien cru... voire même traité le prédicateur d'abruti fini. Mais il n'en restait pas moins que face à Cassie, l'italienne s'ouvrait peu à peu, tel un livre ne demandant qu'à être lu. Et cela faisait un bien indescriptible. Au moins autant que le câlin offert avec toute la délicatesse et la gentillesse du monde par nulle autre que la blondinette lui faisant face, et à qui elle offrit un petit sourire pour la remercier, d'abord silencieusement. Je l'ai toujours pensé aussi admit-elle en hochant positivement la tête. Voilà pourquoi aucune moquerie n'avait dépassé la barrière de ses lèvres alors que Cassie lui avouait être encore vierge, ou face au choc étant le sien au sujet de ses tenues... affriolantes. Non. Elle la comprenait et la respectait comme n'importe quelle vraie amie le ferait. Fallait-il que je sois sacrément amoureuse et aveugle pour toucher le fond et continuer quand même à creuser ! soupira-t-elle avant que, comme par magie, sa roomie préférée ne parvienne au miracle de lui arracher un petit rire. Le pire, c'est qu'elle semblait vraiment être en train de chercher la manière de faire une poupée vaudou sur son téléphone... Tu sais que c'est une idée qu'elle est bonne ? La poupée elle va tellement avoir d'aiguilles qu'elle aura plus de tête, fais-moi confiance ! On fait comment tu as trouvé ?

 Ses confidences, découvrir cette phase trouble de son passé, ça me touchait. J’étais flattée qu’elle me fasse confiance, mais j’étais également troublée et peinée pour elle. Je tâchais d’abord de lui faire un câlin, avant de lui souffler que son attitude avait simplement été celle d’une femme amoureuse. Je voyais bien que Bambi n’était pas complètement convaincue par mon discours alors voilà que je lançais cette idée farfelue, ce plan. Je souris en entendant son rire, ça faisait un bien fou d’entendre ce son, de voir mon amie rigoler un peu.  Et en plus, elle approuvait l’idée. Les yeux rivés sur mon smartphone, j’avais trouvé quelques astuces. « Alors alors, nous faut, une vieille chaussette… » Je me levai, attrapai ça dans l’un des tiroirs de ma commode. « Faut rembourrer avec de la mousse… » Je réfléchis, partis dans les toilettes et revins avec la chaussette gonflée. « J’ai mis du PQ ça fera l’affaire. » Je donnai une forme de bonhomme à ma –poupée- dessinant ensuite avec un feutre une tête, des yeux, une bouche, un nez sur le personnage. Nouveau coup d’œil vers mon portable, je grimaçai : « Apparemment, pour que ça marche, il faut un truc personnel qui a appartenu à notre cible… » Est-ce que Bambi avait gardé un truc qui avait appartenu à son ex ?
 

Le câlin de Cassie lui ayant redonné courage, maintenant, constituer une poupée vaudou allait les éclater. Pour sûr, Bambi ne risquait pas d'oublier ce moment de sitôt. Elle restait pour l'heure un peu en retrait, écoutant les étapes et ingrédients nécessaires à la confection de ladite poupée, concentrée comme rarement elle l'avait été dans sa vie. Même son cours de neuro la passionnait moins en temps normal, c'était dire ! Je crois que le PQ ça fera l'affaire et sinon au pire j'ai du coton pas loin fit-elle, mi morte de rire, mi sérieuse, avant de regarder à nouveau sa roomie qui donnait un look de bonhomme à la chaussette désormais rembourrée. Seul problème : il fallait un objet personnel de son ex. Aie. Bambi avait un peu honte d'avouer avoir gardé une bague appartenant à l'infâme petit ami... mais là, c'était pour la bonne cause, puis elle faisait toute confiance à Cassie. Bouge pas, je reviens... Petite fouille archéologie dans son propre tiroir pour en sortir un écrin afin d'en extirper la bague et la lui tendre. Une bague fantaisie, pas de quoi sauter au plafond, ni avoir envie de la revendre à un bijoutier... ce serait sûrement parfait pour la poupée. Tu crois que ça ira ?

  J’essayais de donner une forme correcte à la poupée et quand Bambi suggéra de rembourrer avec du coton, je secouai la tête : « Non, vu ce que tu m’as dit sur ce sale type, c’est une merde. Donc le PQ lui correspondra mieux. » Et pour que j’utilise des mots aussi vulgaire, c’était que le sujet était grave. Son ex ne méritait même pas qu’on reste polie en fait... Je dessinais yeux et bouche à notre poupée vaudou avant de réclamer à ma roomie quelque chose de personnel. C’était écrit dans la –recette- si on voulait que le sort fonctionne. Je vis l’expression de Bambi changer un peu, comme si elle était honteuse et je compris qu’elle avait bien conservé quelque chose du garçon et que ça la rendait mal à l’aise. « Et t’inquiète… Pas de jugement. » Je serais bien mal placée pour juger… Elle se leva, fouillant dans un tiroir pour finalement revenir vers moi avec… une bague. « Je pense oui… » Je passais le bijou dans la chaussette, avant de brandir le tout devant le nez de Bambi : « C’est ressemblant ou tu veux rajouter quelque chose ? Une moustache ? Une barbe ? Une petite bite ? » Parce qu’il ne devait pas en avoir beaucoup dans le pantalon pour oser frapper sa nana moi je vous le dis.
 

Cassie prenait les choses en main et très au sérieux, à cœur même, surprenant Bambi de la meilleure des manières qui soit. Je crois que je n'aurais... pas eu de meilleur argument ! Vu que c'est une grosse merde en effet le PQ lui ira mieux... j'espère que t'as pris du bas de gamme, pas de triple épaisseur poussa-t-elle un peu la chose d'un air amusé, partant du principe que quitte à faire une poupée vaudou sur son ex ayant brisé sa vie, autant y aller carrément. D'autant que sa roomie ne la jugeait pas, pas même sur le fait qu'elle ait gardé une bague appartenant à son ex. Finalement, ce bijou de pacotille aura servi à quelque chose... Je crois que je vais avoir du mal à te revaudre ça reprit-elle d'une voix douce avant de réfléchir à ce qu'elle voulait rajouter sur la poupée pour la terminer. Barbe. Petite bite. Ce sera parfait ! s'exclama-t-elle sans appel. Autant dire que maintenant que leur poupée vaudou était prête, elles allaient s'en donner à cœur joie toute la soirée durant en se marrant pour maudire le mec ayant détruit la vie de Bambi...