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N'y a-t-il que dans les crématoriums qu'on trouve un peu de chaleur humaine ?
J’crois pas qu’on puisse mourir d’amour. On en vit. On vit la blessure, jusqu’à l’épuisement. Et c’est pire. Le temps me parait long, je n’ai pas appris à m’en passer. C’est fatiguant, j’suis fatigué. Je déserte autant que possible les conventions sociales, la rentrée. J’suis pas capable de me tenir au milieu d’une foule amorphe, incapable de me concentrer sur de nouveaux visages. J’ai pris ce studio en plein la basse ville. Un peu miteux, bon marché. Non pas que ça ait influencé ma décision, c’est juste qu’ici, j’suis certain de ne croiser personne que j’connais. Ici, on ne viendra pas me chercher. J’me tapis à l’ombre de moi-même, triste spectre qui suffoque plus qu’il ne respire. La lenteur de mes gestes est devenue maladive, plus rien n’a d’essor ni de consistance. Il n’y a pas d’élans à mes sauteries. Mon paillasson a vu passer plus de talons qu’un podium de la Fashion Week. J’me contente de baiser des esthètes sans visage, d’chercher ce que je ne trouve plus. L’attention, les caresses, mon prénom. La fraicheur d’un tombeau sur leurs seins stigmatisés. Quelques filles de rues, laides quand elles sont nues. La laideur se fait discrète dans la pénombre et le silence. J’me complet dans ce rôle disgracieux de salaud de fortune, voyou de luxe dans son costume taillé parce que c’est tout ce qu’elle m’a laissé. De la douleur et un mépris profond envers moi-même. Je m’y accroche, parce que c’est tout ce que j’ai. J’implore le jour de ne pas se lever, la nuit de ne pas se coucher. Ma place est déplacée, je ne marche pas droit même quand je ne suis pas bourré. Dans mon ventre grouille la soif étanche du mort-né. Que même la fin soit terminée. J’subis l’éclipse, l’orageux couloir de mes limbes en cendre. Coincé dans le brouillard, j’allume les vices comme on allume des clopes, plaisir factice d’éclopé en cloque d’abysses. J’voudrais me jeter par-dessus le toit. Toi, toi. Toi, tu n’es pas là. Tu m’as laissé, tu cours trop vite, tu ne veux pas que je te rattrape. L’hiver avant l’heure, à peine l’été achevé. J’ai froid. Affreusement froid. J’me traîne à contre jour, j’avance à contre cœur. La peur nourrit la peur, j’ai tellement peur mon amour. De ne pas m’en sortir, de ne pas les faire sortir. Ces sentiments coagulés, ces bris d’âme et de larmes qui veulent t’accrocher. Le cœur brisé je le répare avec des bouteilles de scotch. J’suis fatigué. Sur mon canapé, j’regarde la distraction prendre la porte après avoir récupéré son dû. Son odeur empeste. Dans ma tête, toujours s’affichent les traits de celle qui décorent mes pensées. Devant mes yeux, même quand elle disparait. Sors de là, sors de là. Tu ne sors pas. Putain. Je me lève d’un coup sec, prends la porte derrière la catin. Après tout, j’suis comme elle, une pute à sentiment. J’vends ce que j’ai à vendre pour un peu de vibration. Mes mains dans les poches, la chemise sortie du pantalon, je quitte le bâtiment. J’ai froid, tellement froid. J’allume une clope après avoir éteins le vice, le regard perdu, l’air foutrement absent. J’balance un corps leste comme sur une ligne de front. Je suis pris, prisonnier. Dans ma cage thoracique, ça frappe trop fort, c’est comme de cogner dans un mur. J’en ai défiguré des murs, j’pourrais pas dire qui d’eux ou de moi à commencer. J’pourrais vomir maintenant si on m’promettait de perdre 82 kilos et de m’évaporer. Pas le temps de recracher la fumée, j’entends le coup de klaxon. Ma tête se relève aussi brusquement. J’allais traverser au rouge, s’en même m’en apercevoir. Un pas précipité en arrière pour éviter le couloir de voiture. Quand je sens mon corps qui heurte celui de quelqu’un.
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