Appel de Victoria à Cole

Assise sur mon lit, je lâchais un long soupire, stressée. Le mariage de ma mère aurait lieu dans une dizaine de jours, et mon frère ne savait toujours pas que j'allais m'y rendre accompagnée d'Avery, ni même que j'avais rendu les choses officielles avec celui-ci depuis près de deux mois maintenant. Le mariage aurait pu être l'occasion de faire l'annonce, mais je connaissais trop bien Cole pour savoir qu'il devait être préparé à ça avant. Au choc, de voir sa sœur chérie aux bras d'un pauvre, à un événement officiel, lui qui pensait que tout était terminée entre le Dunster et moi. Me décidant enfin, je pris mon portable et composais le numéro de mon frère. Une sonnerie, deux sonneries. Mon cœur battait la chamade. Enfin, il décrochait. Allô, Cole ? Je te dérange pas ?

L’espèce de frénésie qui régnait autour des noces de notre très chère mère, noces que je désapprouvais au plus haut point mais qu’apparemment j’étais voué à subir dans tous les cas, cela m’avait fait quelque peu prendre mes distances ces derniers temps vis à vis du cocon familial, Victoria incluse. Dire que sa petite tête blonde ne me manquait pas serait néanmoins mentir. Elle était quand même un peu la raison de mon transfert pour Harvard. Alors quand son nom apparut sur l’écran de mon smartphone, je pensais simplement, et naïvement, que c’était gagnée du même manque qu’elle désirait prendre des nouvelles. Je décrochais, ne pressentant pas un instant la bombe qui m’attendait au bout du fil. « Vic… Tu ne me déranges jamais, voyons… Comment tu vas ? » commençai-je sur un ton jovial, ravi d’entendre la voix de ma jumelle. Trop, sûrement, pour remarquer le manque d’assurance dans son ton à elle.

Bien .. bien, et toi ? Si Cole n'avait pas l'air d'avoir relevé mon air ailleurs jusque là, il était à présent sûr de capter que quelque chose n'allait pas. Le ton de ma voix était faux, tellement faux .. Ecoute Cole, il faut que je te dise quelque chose .. Je déglutis difficilement, le cerveau en ébullition. Je cherchais quoi dire, les bons mots, n'importe quoi qui puisse faire passer la nouvelle un peu mieux .. J'aurais voulu te le dire en face mais l'occasion ne s'est pas présenté, et comme le mariage approche, je pense que c'est mieux de le faire par téléphone maintenant plutôt que tu aies la surprise le jour même .. Mais rien ne venait, alors je me décidais à tout lui dire de but en blanc. C'est Avery qui va m'accompagner au mariage, on est ensemble. Pétage de plomb dans cinq, quatre, trois ..

 Ok, donc là, mon sourire satisfait et ravi s’effaça un peu. Parce que sa réponse ne me dupa pas. Quelque chose clochait. « Euh… Ca va. » répondis-je, évasivement, en me redressant sur mon siège, pressentant soudain que cet appel n’était pas juste une marque de courtoisie. D’abord quand elle commença, avec son petit ton gêné, qu’elle avait quelque chose à me dire, je la coupai un peu bêtement : « Si c’est pour me dire que Kyla n’est pas acceptée à la Eliot, c’est bon te fatigue pas, j’ai déjà consulté les listes je suis au courant. » Ouais, laisse tomber Cole, t’as vraiment pas idée de la bombe qui t’attends là mon petit bonhomme… Non, car ça n’avait rien à voir avec notre chère confrérie, et je le compris quand elle reprit, qu’elle m’expliqua qu’elle aurait voulu s’y prendre autrement, en face plutôt que par téléphone, évoquant le mariage imminent, parlant de surprise. Je fronçais les sourcils, déglutissant avec difficulté jusqu’à ce qu’elle lâche l’info. « Avery ? » répétai-je d’abord. « Ensemble ? » Fallait croire que j’étais passé en mode perroquet, que c’était la seule chose que mon cerveau était capable de faire sur le moment. Je me repris un peu, pensant d’abord à une blague : « C’est une plaisanterie c’est ça ? » Je la voyais encore, l’enguirlander pour son geste contre moi lors du bal de fin d’année. « Comment ça ensemble ? » Ensemble comme au bal ? Cavaliers l’un de l’autre ? Ou ensemble comme… En couple ?

J'relevais même pas la remarque qu'il avait faite sur sa prostituée, j'étais bien trop ailleurs, bien trop stressée pour penser à autre chose que ce que j'avais à lui dire. Mes mains étaient moites, mon cœur battait la chamade, et j'avais la boule au ventre .. Je craignais sa réaction, ce qu'il pourrait dire ou pire, ce qu'il pourrait faire. Avery ? Ensemble ? Je gardais le silence, ne soufflant qu'un simple 'non' lorsqu'il me demandait si j'étais en train de le faire marcher. Comment ça ensemble ? Je me mordis la lèvre inférieure et pris un temps infini avant de répondre. Tu sais bien ce que je veux dire Cole .. Quelques secondes de silence supplémentaire, avant de poursuivre, doucement. On est en couple.

 C’était pas une blague. En même temps, elle m’aurait dit que si, c’était une plaisanterie, j’aurais vraiment ri jaune... Mais j’aurais préféré. Plutôt que d’entendre ça, de l’écouter m’avouer que je savais bien ce que ça voulait dire, et qu’elle ajoute ces quatre mots ensuite –on est en couple-. Le silence s’installa soudain entre nous. Pesant. Lourd. Et je le brisai, m’éclaircissant la gorge pour ensuite demander, sur un ton froid, glacial, distant : « Depuis quand ? » Si d’abord, les premières secondes, j’avais retenu mes nerfs, là d’un coup, ce n’était plus possible, je me sentais à deux doigts d’exploser et ne laissant pas le temps à Vic de me répondre, j’enchainais d’une voix dure, impérieuse : « Depuis quand ça dure votre histoire Vic ? C’était déjà d’actualité au SC ? Le jour où on a mangé ensemble et où tu m’as incendié pour Kyla ? Et le jour du bal vous étiez déjà ensemble aussi ? » m’énervai-je de plus belle en me levant d’un bond, commençant à faire les cent pas dans ma chambre.

Depuis quand ? Et cette question là, elle était pire que tout ce qu'il aurait pu dire. Pire qu'une remarque déplacée ou qu'un commentaire injurieux. Pire, parce que je savais que la réponse allait le ferait exploser. J'le sentais venir à des kilomètres, à son souffre saccadé, à la sécheresse de ses mots. A ce moment là, j'étais bien heureuse qu'il ne soit pas en face de moi. Non, on était pas ensemble au moment du bal. Mais par contre, quand on s'est vu ce jour là au restaurant et que j'ai taillé allègrement ta prostituée de copine oui, j'étais déjà en couple avec lui. Ça s'est fait durant le Summer Camp. Allez, dis lui une bonne foi pour toute et débarrasse-toi enfin de ce poids qui t'emmerde depuis des semaines. Avoue ta mauvaise foi et prépare-toi aux rétributions, qu'on en finisse. La veille du jour où on s'est vu, toi et moi.

  Je me levais d’un bond, furieux, imaginant déjà le pire des scénarios : celui où elle aurait fait semblant d’engueuler ce cher Avery au bal, alors même qu’elle jouait déjà au petit couple avec lui, celui où elle m’aurait caché cela tout l’été durant… La pression descendit d’un cran quand elle lâcha qu’ils n’étaient pas ensemble au bal. Relâchement de courte durée puisque ma colère refit surface à ses aveux suivants. « Et je peux savoir pourquoi, alors même que j’ai joué carte sur table et que je t’ai tout raconté pour ma relation avec Kyla, pourquoi toi, tu n’as pas jugé utile de me le dire à ce moment là ? » m’énervai-je, sur un ton accusateur. « Et me sors pas le refrain du couple récent, des doutes concernant l’avenir et du fait de vouloir être sûre. » On était jumeaux, on se disait tout d’habitude. « J’arrive pas à y croire… » soufflai-je en passant ma main libre sur mon front un instant, l’autre collant toujours le portable contre mon oreille. « Je sais pas ce qui est le pire : que tu sois avec ce moins que rien ou que tu m’aies caché ça tout ce temps. » Les deux surement. J’avais l’impression de perdre doublement ma jumelle pour le coup.

Ça ne manqua pas, évidemment. Et je peux savoir pourquoi, alors même que j’ai joué carte sur table et que je t’ai tout raconté pour ma relation avec Kyla, pourquoi toi, tu n’as pas jugé utile de me le dire à ce moment là ? Parce que ça ne faisait pas vingt-quatre heures, parce que c'était trop frais. C'était ce que j'allais lui dire, mais bien sûr Cole me devança, alors je restais muette. Je n'ajoutais rien lorsqu'il continuait ses remarques, et gardais le silence bien après qu'il se soit tu. J'aurais voulu te le dire avant, mais je craignais ta réaction. J'savais que t'allais me ressortir ce que je t'avais dis pour ta pr .. pour Kyla, comme si j'avais eu tort. T'aurais utiliser ma relation avec Avery pour invalider tout ce que je t'ai dis sur elle, et c'était pas ce que je voulais, parce que j'ai raison à propos d'elle et tu le sais. C'était surement pas le bon moment pour lui dire ça, mais quitte à jouer franc jeu autant y aller à fond. Tu m'aurais dis que j'étais mal placée pour critiquer ta copine et t'aurais tourné mon argument contre moi sans considérer qu'on est dans deux situations complètement différentes. Ne dis pas le contraire, je te connais Cole.

Je savais pas ce qui me rendait le plus dingue : qu’elle soit en couple avec lui, ou qu’elle soit en couple avec lui et qu’elle ne me le dise que maintenant. Victoria, mon double au féminin, ma sœur, ma jumelle, mon sang. Notre lien était censé surplomber tous les autres, être plus fort qu’une… amourette, oui c’était le mot amourette parce que ça pouvait pas être sérieux avec ce gus de Silver, je refusais d’y croire. Et c’est pour ce moins que rien qu’elle m’avait menti ? Elle me disait qu'elle avait voulu me le dire, ha oui… « Vouloir c’est bien, le faire c’est mieux. » Elle mit en avant ses craintes concernant ma réaction. « C’est sûr qu’en attendant plus d’un mois pour me l’annoncer j’allais beaucoup mieux le prendre… » répliquai-je, acerbe, le sarcasme suintant dans ma voix. J’écoutais ses arguments qui ne firent que renforcer ma colère, parce qu’elle saisissait l’occasion pour descendre un peu plus ma petite amie. « On est dans de situations complètement différentes en effet : apparemment, l’un de nous deux ne fait plus tout à fait confiance à l’autre. Mais soit, garde ton jardin secret, fais ta vie de ton côté, je ferais ma vie de la mienne. Mais si t’es pas là pour moi, ne t’attends pas à ce que je vienne te tendre la main quand tu en auras besoin Victoria. » annonçai-je alors sur un ton glacé. Ma voix était plus calme, un calme froid, détaché, inquiétant. « Je comptais t’appeler pour te l’annoncer, puisque tu occupais le poste l’an passé, par mesure de respect pour toi, parce que naïvement j'en avais encore à ton égard, et aussi parce que je ne souhaitais pas nous voir mener campagne l’un contre l’autre mais puisqu’apparemment  mon ressenti t’indiffère, je vais adopter la même attitude. Je te le dis quand même : je me présente à la présidence Eliot. Je ne m’attends pas à ton soutien, puisque selon toi je ne suis incapable de faire de bons choix, j’imagine qu’à tes yeux je n’ai pas les qualités nécessaires d’un dirigeant. » Sec et incisif, je sentais qu’il valait mieux que je raccroche. J’avais le sentiment d’avoir été trahi, de la perdre là, au bout du fil, ma jumelle... Et ce n’est probablement pas ma façon de mettre un terme à notre discussion qui allait adoucir nos tensions : « J’ai des trucs plus importants à faire, je dois te laisser. On se verra au mariage de mère… Ou pas… » Sous entendant volontairement que j’allais peut être sécher ces noces que je désapprouvais. « Salut. » Et sur ces mots, j’appuyai sur raccrocher, soufflant avant de balancer mon portable dans la pièce avec rage.