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J'ai la tête qui éclate, je voudrais seulement dormir.
Mon excitation est palpable. Sombrer dans des abysses aussi noires à quelque chose de foutrement bandant. Les gens ne pourraient pas comprendre, les gens ne comprennent pas. Ce que sont les êtres comme Gabrielle et moi. Nous sommes des Méphistophélès, des Nietzche, des Cioran. On a comprit bien assez vite que le monde était tourmenté par des illusions vaines et stupides, comme celle du temps qui passe, ou de la pression des sens. Le monde a été, à mon sens, perverti par tous ceux qui ont voulu le moraliser. Par tout ceux qui ont scindé les couleurs en deux, entre les sombres et les claires. Par tous ceux qui ont voulu dresser des règles, le quadriller, le rendre superficiellement parfait et sans entache pour pouvoir mieux le contrôler. Des cochons en cage et sous antibiotiques, c’est tout ce que vous êtes. Gabrielle est aussi noire que blanche, sa lumière n’a d’égal aucun contraste vivant. Et la morale … la morale, c’est une laisse qu’on accroche à votre cou pour vous faire sentir honteux de ce que vous êtes. Nous ne sommes pas nés pour construire. Nous sommes nés pour détruire. Tout en nous est destruction, nous respirons l’anéantissement. Même nos corps, nous les détruisons en les faisant trop vivre, en les portant jusqu’à l’assèchement du troisième âge, jusqu’au tas de vers six pieds sous terre rendus à la nature. Nous sommes fait pour détruire, et c’est ce qu’il y a de beaux en nous, c’est là notre pouvoir absolu sur la nature. Nos vies placides et vides sont bernées par ces illusions atroces d’agissements, de consentements, de respect, et de tous ces miasmes balancés à nos yeux comme du foutre rassis. Alors, quand j’me retrouve avec l’autre moi, je retourne à cette origine. Le chaos n’a rien de néfaste, le cosmos qu’est venu le régir oui. Il a fait perdre tout son non-sens à ce qui allait de soi, et explosait en soi comme le plus doux des tableaux. L’autre moi, Gabrielle, me rappelle à moi. Et j’en oublis, comme on s’évanouit à l’intérieur de son propre corps, tout ce que je suis en dehors de ça. En dehors de l’essentiel de mes aspirations. Je n’ai pas honte devant elle, je n’ai pas à m’abîmer ou m’alourdir de quelconques règles ou morales. Ma philosophie est celle d’un Sade, et je trouve que Sade a raison. En voulant rationnaliser le monde, on l’a terni. Je suis là pour, non pas briser les limites, mais briser les illusions que sont les limites. Et ce livreur, mauvais joueur, sera l’objet de mes expectatives. J’ai envie de casser quelque chose de niais, quelque chose qui croit pouvoir me faire avaler ses sottises. Et ça ne me fait même pas peur quand j’réalise que je ne trouve pas ça mal. Il n’y a ni bien, ni mal, que le plaisir et la douleur. Que j’trouve ça même naturel, et que toute cette situation m’excite, autant que le sourire de Gabrielle. Faux choix que j’propose aux garnements qui a cru lire en moi une bribe de sympathie. Je ne suis pas sympathique, et si tu me pensais pervers, c’est que tu ne sais pas encore qu’il n’existe pas de mot assez juste pour définir ce que je suis. Gabrielle se montre rassurante avec lui, à l’intérieur ça me fait frémir, j’ai envie de lui sauter dessus, de la bouffer tant j’la trouve parfaite. Il n’y a pas mieux qu’elle, ça ne sert à rien de chercher. Je ne bouge pas, reste figé, les deux verres dans mes mains, pression psychologique. Pas même quand Gabrielle prend place sur l’accoudoir. Et le garnement se décide. J’esquisse un sourire satisfait, je le congratule comme un chien qui viendrait d’ramasser la balle que je lui avais jeté. Et pour bien lui faire comprendre que ce n’est qu’un jeu, que dans le fond, ça ne me fait ni chaud ni froid, tout ce que j’veux, c’est lui faire mal, je m’éloigne sans le regarder boire. Je vais poser le verre d’urine sur la table de chevet, il ne faut pas que je le vide, non. Ça sera pour le serveur un gage de mes mauvaises intentions. Oui, j’suis capable de ça, et tu n’imagine pas à quel point je peux aller plus loin. La voix de Gabrielle m’interpelle, je me tourne vers elle et fronce les sourcils en voyant le whisky renverser sur le torse du jeune homme. Il faut que j’aie l’air d’un père dur et sévère. J’attrape la bouteille, et revient vers eux, de cette démarche prétentieuse, ne quittant pas le livreur des yeux, comme s’il s’apprêtait à recevoir la raclée de sa vie. Je fais durer le suspens un moment, jusqu’à me trouver face à lui, de toute ma hauteur. Et pour jurer avec cet air sévère, j’esquisse un sourire complaisant, avant de lui resservir un verre. Plein cette foi : « Qu’à cela ne tienne mon cœur, je m’enivrerais de le voir ivre ». Je ferme la bouteille et la pose non loin de nous, tandis que Gabrielle elle s’adonne à une nouvelle attaque. Mon dieu qu’elle est belle. Et comme elle est belle, je reviens vers elle, une main délicate sur sa joue, et je lui arrache un tendre baiser. Je le fais durer. Un peu, un peu, pour perdre encore plus le livreur sur nos jeux pervers, et parce que j’en ai envie. Et quand on se décolle enfin, je souris en la regardant dans les yeux. Je n’ai pas besoin de parler pour qu’elle comprenne ce que je suis entrain de lui dire. Et je me tourne vers le livreur : « Empresse-toi de l’embrasser comme je viens de le faire. Si tu ne l’as satisfait pas, alors …. ». Et je me relève, laissant ma phrase en suspend pour bien le faire tergiverser. Et viens m’asseoir à côté de lui. Si bien que moi, je me tiens à sa gauche, et Gabrielle à sa droite. Deux diables à chaque oreille, et qu’il n’attende pas l’ange.
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