Vous savez pourquoi je suis dingue de cette fille ? Parce qu’elle ne ment pas. Quand elle me parle, ses yeux ne disent jamais le contraire de sa bouche. Si elle dit qu’elle ne partira pas, alors elle ne partira jamais. Je ne saurais pas comment expliquer ni notre complicité ni la confiance inconditionnelle que je lui accorde, mais c’est comme ça. Gabrielle, elle, ne me lâchera jamais. Parce qu’elle me l’a promis et qu’elle est la seule personne que j’ai rencontré qui sache encore à quel point une promesse est sacrée. Les autres, toutes les autres, ont voulu me faire avaler leurs belles salades pleines de merdes. Elles ont foutu un entonnoir jusqu’au fond de ma gorge et on chier leur amour laid et vide de sens. Jusqu’à ce que ça m’asphyxie le cerveau, jusqu’à ce que comme un con, je finisse par les croire. Et quand je les croyais enfin, quand je me laissais enfin aller à mes sentiments sincères, boum. Tout à coup, elles disparaissent, emportent avec elles leurs promesses, et dans leurs yeux, c’est comme si je n’avais jamais existé. Je crois que les gens ne savent pas aimer. Je crois que les gens font semblant. Ils vivent comme on joue dans un film, ils se regardent le nombril, et quand ils disent leurs « je t’aime » puant, c’est à leur reflet dans les pupilles des autres qu’ils s’adressent. Les gens ne savent pas aimer. Je le sais, parce que Gabrielle et moi on s’aime, et ça n’a rien à voir avec tout ce qu’il y a là dehors. Rien à voir avec les histoires qu’ils se racontent, avec les chansons qu’ils écrivent ou les films qu’ils tournent. On s’aime, c’est pur, net, clair et précis. Il n’y a pas de fioritures, pas de faux semblants, pas de foutre pour faire jolie. Quand elle me dit qu’elle m’aime, je ne me pose pas milles questions, je le sais, un point c’est tout, un point c’est elle. Quand elle me dit qu’elle ne partira pas, je la crois, je ne me demande même pas « et si », parce qu’il n’y a pas de conditionnel. Il n’y a pas de si, ni de « c’est impossible ». C’est comme ça, point barre, et le monde doit faire avec. Voilà pourquoi je suis dingue de Gabrielle. Parce qu’avec elle, c’est vrai. Tout est vrai. Elle ne cherche pas à m’amadouer, et ce n’est pas elle qu’elle regarde quand elle se met à aimer. Avec elle, je me sens plus un que jamais, comme deux jumeaux miroirs nés du même utérus. J’ai perdu la femme de ma vie, ma mère. J’ai perdu l’amour de ma vie, Sage. Qu’à cela ne tienne, j’avais oublié jusqu’à ce soir à quel point il m’était impossible d’être seul tant que j’étais avec elle. Je me fiche de ne plus avoir de cadeau à faire à la fête des mères, je me fiche de ne plus jamais avoir de petite-amie et de rester vieux garçon, je me fiche d’absolument tout. Ce n’est pas important, ça n’a pas d’importance. Si les gens qui se disent être mes amours ou mes amis m’aimaient vraiment, jamais ils ne m’auraient laissé dans cet état. La seule qui est là, c’est Gabrielle. La seule qui ne fuit pas, c’est elle. Et ça je le garde incrusté de ma nuque à mes reins : « Il est déjà insignifiant quand je te regarde toi », dis-je en souriant bien plus franchement, décollant mon front du sien. Et on se mit à fredonner tout les deux. Presque de plus en plus fort. Elle est belle cette chanson, putain de belle, elle me rappelle Gabrielle quand je l’écoute, je ne sais pas pourquoi. Nous finîmes par nous allonger face au ciel, mon bras tendu sous son cou, je la tirais vers moi, la laissant jouer avec mes doigts. Plus rien n’existait, je faisais ce jeu que font les enfants : imaginer qu’autour tout est noir, que nous sommes les seuls survivants de l’apocalypse. Je sentais son regard se poser sur moi, son souffle caresser ma joue, et je tournais ma tête à mon tour face à elle. Ce qu’on doit être beaux vus d’en haut : « C’est l’impression que j’ai. Et là, quand je suis comme ça avec toi, je finis par me dire que … tout le reste est d’une futilité acerbe. Je ne sais pas pourquoi j’accorde autant d’importance à ce que je ressens dehors, je veux dire … t’es la seule personne qui ne m’a jamais blessé, même sans faire exprès. Pourquoi je m’inflige la présence des autres ? Je ne sais pas, je suis trop con. Je voudrais rester ici pour toujours avec toi ». Elle tourne subitement la tête vers le ciel et je continue de contempler sa joue, son menton, ses yeux pétillants. Ce qu’elle peut être belle, c’est dingue. Même quand elle se met à parler, j’esquisse un sourire pincée, me mordant l’intérieur de la joue pour ne pas éclater. Putain mais … c’est un alien, mon alien. Elle se met à crier et ça ne me surprend même pas. Je ne bouge pas, continue de la contempler comme on admire un tableau. Je crois que Dali aurait pu peindre Gabrielle, je crois qu’il en serait même tombé amoureux, plus encore que de Gala. Et je tourne mes yeux à mon tour face au ciel quand elle m’invite à le faire, et me met à hurler. Hurler de toute mes forces, serrant sa main dans la mienne, je veux qu’elle fasse pareille. Je veux qu’on bousille nos cordes vocales en communion. Et j’hurle et … putain, je perds le contrôle, y a tout qui sort. Là, comme ça, y a absolument tout qui sort. Je lâche la main de Gabrielle, me redresse, complètement debout, bras tendus à l’horizontal, tête penchée en arrière vers le ciel : « VA TE FAIRE FOUTRE, VA BIEN TE FAIRE FOUTRE ENFOIRE, QU’EST-CE QUE TU VAS ME PRENDRE MAINTENANT HEIN ? MA MERE, SAGE, T’EN N’AS PAS EU ASSEZ ? J’AI PLUS RIEN A PERDRE ALORS VA TE FAIRE PUTAIN DE FOUTRE ! ». L’espace d’une seconde, je m’imagine entrain de me battre contre le ciel, contre les étoiles. L’espace d’une seconde, je perds complètement les pédales, je n’ai plus de voix, plus de souffle, plus rien.