(flashback) happy&nevada ✗ boire un verre

« Non, on s'en prend pas à lui. Mais t'vois, j'suis un peu comme un chien de garde, le premier qui le chauffe, il est pas prêt de recommencer. » L'image du chien de garde était plus ou moins vraie. Les deux amoureux se disaient toujours tout, et la plupart du temps, ils étaient ensemble lorsque James ne travaillait pas et que Nevada n'était pas en cours. Et Nevada était quelqu'un de très observateur, lui aussi. Alors il reconnaissait toutes les personnes susceptibles de faire des avances à son homme. « Bah moi j'pense que si t'es déjà du genre à te faire des films sans être en couple, tu vas passer ta vie en mode cinéma. » Nevada rit à sa petite vanne, après tout, il fallait bien détendre l'atmosphère et puis il n'était pas du genre à dire ce qu'il ne pensait pas ou même à rester politiquement correct. Oh non, ce n'était pas son délire, à lui, les courbettes et les mots tendres. « D'accord, à notre réconciliation, alors. » Il apporta son verre au sien pour les entrechoquer en gardant un sourire, avant de boire une gorgée.

La protection et la jalousie de Nevada semblaient toutes deux frénétiques. Happy ne le blâmait pas pour cela, lui-même possédant ces deux élans dans sa personnalité. Mieux encore, il aurait été prêt à devenir incompréhensible et même abscons, passant pour un imbécile si cela permettait d’ôter tout désir envers sa petite amie. Sauf que petite amie, il n’y avait pas, du moins pas encore, là résidait tout le truisme. « Je crois qu’on est deux à passer nos vies en mode cinéma, nan ? Toi avec un peu d’avance, vu que tu es déjà en couple. Ne prends surtout pas mal ma question mais… t’es pas fatigué ? » Il s’intéressait pour la simple et bonne raison qu’il voulait entendre une expérience parler. Celle de son interlocuteur, en l’occurrence. Comme il ne comptait pas finir sa vie tel un ecclésiastique, viendrait forcément un moment où Happy se mettrait vraiment en couple et où les ennuis risquaient forts de commencer. « A ta bonne santé, alors ! » Conformément au désir de James, le jeune homme mettait de l’eau dans son vin. Non pas qu’il compte finir abstème au passage, non. Pour lui, l’alcool restait son dada et puis cela permettait de décoincer un peu les humeurs. « Tu fais quoi dans la vie si tu me permets de demander ? »

Le problème avec Nevada c'était qu'il se faisait bien trop de films quant à l'entourage massif de James. Happy en était un très bon exemple, quoiqu'il n'avait pas trop mal réagi non plus. Il aurait bien pu le chercher beaucoup plus que cela, cependant il avait promis à James de se calmer suite à une bagarre dans un bar, dans laquelle Nevada s'était fait tabassé pour avoir défendu une amie. Il avait été trop bon ce jour-là, et il en avait payé les conséquences. Pour autant, il continuait tout de même à se défendre, mais maintenant, cela se produisait seulement si nécessaire. Après avoir lâché un léger rire, il répondit à son interlocuteur. « Ben concrètement avec tous les films que j'me fais, j'crois que j'ai beaucoup d'avance. Ca fatigue, oui, mais tu sais quoi, j'trouve que ça en vaut la peine. » Il hocha la tête pour confirmer ses paroles, puis attrapa son verre entre ses doigts fins pour trinquer. « Et à la tienne aussi. » D'un sourire, il but une gorgée de son verre. Et lorsque Happy lui demanda ce qu'il faisait dans la vie, les yeux de Nevada s'illuminèrent d'une lueur pétillante et enthousiaste. S'il aimait parler de sa passion ? C'était seulement peu dire. « J'suis étudiant en art. Je peins principalement, mais j'dessine aussi. Je préfère quand même la peinture, à choisir, mais j'peux pas toujours avoir mon set et une toile vierge sur moi. »

D’après le tempérament des plus explicites de Nevada, ce dernier ne restait jamais mutique dès qu’il avait le moindre doute, que ce soit envers un homme ou une femme, susceptibles d’approcher James d’une façon qui lui déplairait. Il ne fallait pas s’attendre à une autre réaction que celle d’un énergumène profondément amoureux et jaloux, dont les sentiments ne faisaient qu’exacerber cet état de fait. Happy se trouvait affublé d’impedimenta, mais il n’était apparemment pas le seul. « Clairement ne pas être jaloux, c’est n’en n’avoir rien à foutre alors je suis d’accord, ça vaut le coup. Mais c’est aussi à double tranchant… tu crois que James ne sera jamais fatigué lui de devoir s’inquiéter pour toi parce que tu pousses le bouchon ? J’imagine que tu n’uses pas que des mots comme avec moi… » Finalement, l’américain le comprenait mieux qu’il ne l’aurait cru. Son état d’esprit n’était pas aussi labyrinthique qu’il pouvait le laisser paraître d’un premier regard. Ou alors, son frère de cœur lui avait trop bien décrit Nevada qu’il avait l’impression de le connaître vraiment. « Un calepin ça doit être plus facile à trimbaler qu’une toile ! Tu aimerais devenir peintre ? » s’intéressa-t-il avec sincérité. Voir le regard de son interlocuteur briller ainsi avait piqué sa curiosité, car cela démontrait par a+b à quel point ce n’était pas un soliveau.

En entendant les paroles de Happy, un sourire malicieux se figea sur les lèvres de Nevada. Lui n'aimait pas la violence, c'est pourquoi il n'avait toujours usé que des mots et des ruses pour avoir ses adversaires à l'usure. Quant à James.. C'était une autre affaire. « Tu t'trompes. J'me prends plus de mandales que j'en donne. J'suis pas quelqu'un d'violent, tu m'as bien regardé ? J'irai pas bien loin avec ma carrure frêle. Non, moi j'préfère avoir mes ennemis à l'usure, avec des ruses, et détruire leur vie pour une souffrance psychologique plus dévastatrice. » Haussant les épaules en fixant son regard dans celui de Happy, l'artiste se rendait compte qu'il faisait un peu psychopathe en parlant de la sorte. Néanmoins, il ne pouvait pas faire croire aux gens qu'il se défendait en frappant. Et puis au moins, Happy était prévenu. « Quant à James, j'pense pas qu'il se fatigue. Il est le même que moi à ce sujet là, tu sais. » Le même, en plus violent, néanmoins. Si Nevada usait de mots, James, lui, ne prenait pas cette peine. Reportant son regard sur son verre, le jeune brun rit légèrement en hochant la tête. « Ouais. C'est pour ça que j'ai toujours mon calepin dans mon sac à dos. Et que j'ai toujours mon sac à dos. Mh, oui c'est un de mes rêves. Pouvoir peindre à longueur de journée, exposer dans un beau local tout blanc, vendre ensuite pour vivre de ça.. Quoi de mieux ? »

Vrai que Nevada aurait du mal à faire un championnat de mister univers, ou même du culturisme tout court avec son allure frêle. Mais les ruses psychologiques dont il usait n’était pas forcément mieux. Il détruisait des vies, restait à savoir s’il le faisait en ayant des preuves ou juste pour le jeu. Là se trouvait toute la nuance. « Ouais je me doute que tu ne dois pas frapper d’abord et parlementer après… c’est évident ! Mais tu te mets à ruser avec des gens dont tu es certain qu’ils ont des intentions envers James, ou juste pour le fun ? » Après tout, s’il devait mieux connaître le jeune homme, autant commencer par son défaut le plus évident : la jalousie. Si l’américain le partageait volontiers, il ne pourrait en revanche pas cautionner le fait que Nevada soit capable de détruire la vie quelqu’un par ruse juste pour le plaisir. Pour sûr, James ne cautionnerait pas plus, mais ça, ce n’était pas franchement ses oignons et Happy se garderait bien d’intervenir là-dessus. « Alors violent ça c’est net, mais jaloux c’est marrant, c’est une première… ça prouve combien il tient à toi » admit-il, à la fois curieux et amusé par avance de voir son frère de cœur dans pareille position. Cela devait valoir son pesant de cacahuètes en plomb. « C’est un beau rêve. Si tu exposais, je pense que tu me verrais à ton expo ! J’aime beaucoup la peinture. Je ne suis pas du tout doué pour ça hein, mais j’apprécie d’en voir. »

Nevada haussa les épaule de façon indifférente. Que pouvait-il répondre à cela ? Il n'allait quand même pas lui dire qu'il fut un temps où il s'amusait tout particulièrement à foutre la vie de certaines personnes en l'air, juste parce qu'il s'ennuyait. Il se fichait pas mal de ce qu'on pouvait penser de lui et de sa façon d'agir avec certaines personnes, néanmoins, il s'agissait là d'un ami cher à son petit ami. Il craignait surtout que Happy aille parler à James en sa défaveur, bien qu'il ait cessé toute activité depuis sa promesses à James. Bien sûr, il tenait suffisamment à lui pour arrêter de faire souffrir les gens en manipulant leurs faibles esprits pour s'amuser. Alors, Nevada décida de ne pas répondre à cette question autrement que par son haussement d'épaule, et porta son verre à ses lèvres pour en boire quelques longues gorgées pensivement. Ensuite, il sourit en se rappelant certaines fois où James était intervenu non sans violence, hanté par une jalousie suprême seulement nourrie de son amour pour l'artiste. « En quelque sorte, oui. » Nevada voyait bien d'autres manières qu'usait James pour lui prouver son attachement, les altercations menées par une jalousie féroce n'étant pas les principales. « Ben, t'as déjà dû en voir quelques unes, si t'es passé par la maison qu'on occupait. Y en avait dans le salon. » Le jeune doutait que Happy ait remarqué ses tableaux en venant à la maison. Et même si cela était le cas, il était persuadé qu'il n'y avait pas plus fait attention que ça. « Si j'expose, James te donnera une invitation, je suppose. »

Face au silence de Nevada, Happy crut comprendre où il voulait en venir. Oh il pouvait se tromper bien sûr, mais quelque part, changer de tempérament pour l’amour de sa vie n’avait pas dû être une mince affaire. Les efforts du jeune homme étaient plutôt évidents, en tout cas du point de vue de l’américain. Aussi, à son haussement d’épaules, il reprit d’une voix douce : « je suis sûr que James est touché par les efforts que tu fais. » Une façon de dire qu’il ne comptait pas se mêler de leurs petites affaires, et qu’il ne savait que trop bien à quel point son frère de cœur était suffisamment grand pour gérer sa situation amoureuse tout seul. Happy ne mettait jamais le sujet sur le tapis, il attendait toujours que son ami fasse le premier pas, ce n’était donc pas pour aller leur mettre des bâtons dans les roues à tous les deux, alors que Nevada avait fait l’effort de s’excuser auprès de lui ce soir. Pour le reste… nul n’est parfait ! « Pas en quelque sorte, c’est certain ! Mais ça t’inquiète qu’il en vienne aux mains ? Si je suis trop indiscret tu me le dis, ne te sens pas obligé de répondre » fit-il avec respect. Oui, il respectait suffisamment leur relation pour ne pas chercher à en savoir trop. « Oh je vois ! Putain t’es doué alors, si ce sont bien les toiles auxquelles je pense. Mais tu sais, si tu exposes, tu as ton mot à dire, même si James veut m’inviter. Il n’y a aucune obligation si tu ne souhaites pas ma présence. »

Il est clair que Nevada n'avait aucune envie de parler de ses efforts. Ils n'en étaient pas à vrai dire. Tout avait l'air si simple depuis.. James. C'était à peine s'il se forçait à ne pas aller vers ces gens qu'il avait jadis fait tourner en bourrique. Il avait l'habitude, maintenant. Et puis, leur rupture n'avait fait que faciliter les choses à ce niveau-là. « Tout comme j'suis touché par ceux qu'il fait. » Bien sûr, il n'était pas tout seul à faire des efforts. James prenait beaucoup sur lui pour le bonheur de Nevada, et ce dernier en était bel et bien conscient, et très reconnaissant. Désormais, il ne le trouvait plus dans les bars à frapper n'importe qui, il ne le trouvait plus énervé comme jamais à cause d'une jalousie sans queue ni tête. « Mh. Je déteste quand il en vient aux mains. Heureusement qu'il n'en vient pas souvent aux mains. Il s'est calmé, j'trouve. Et t'inquiète pas, si j'veux pas répondre à tes questions, j'y répondrais pas tu peux en être certain. » Eh oui, car Nevada n'était pas du genre à se forcer à faire quelque chose qu'il ne voulait pas faire. Happy ne le connaissait pas tant que ça, mais il découvrirait cette partie au fil du temps, et bien assez tôt d'ailleurs. Avec un sourire qui se dessinait aux coins de ses lèvres, le regard de Nevada vint à se remplir d'une certaine lueur fière. « Merci. J'vois pas pourquoi j'voudrais pas. Tant qu'tu prévois pas de renverser ta coupe de champagne sur une de mes toiles, tout va bien. » Il le regarda d'un sourire taquin avant de laisser un léger rire s'échapper.

Happy se contenta d’un petit sourire à l’aveu de Nevada. Si ce dernier était touché par les efforts de James, c’était bien parce qu’ils s’aimaient tous les deux. Inutile de douter sur la sincérité de l’un ou de l’autre. « Je confirme, il s’est bien calmé ! Ça prouve qu’à ta façon tu l’apaises, ce qui est plutôt positif. Vous êtes complémentaires » renchérit-il, connaissant suffisamment son frère de cœur pour savoir à quel point il partait au quart de tour par le passé. Un regard de travers, un mot de trop et hop, les poings étaient levés. Là-dessus, il dépassait de très loin la nervosité latente de l’américain, pourtant assez puissante. Contrairement à James, en revanche, il ne s’était pas du tout calmé là-dessus. « Pas de risque, déjà parce que je ne suis pas assez richard pour boire du champ’, mais aussi parce que ce serait limite un péché que de gâcher une belle toile en l’approchant avec quelque liquide que ce soit. Surtout que je suppose que tes toiles sont uniques. Pas mon genre de me trimballer partout avec un verre en plus ! »