SDF toi même (canys)

On partait définitivement sur de mauvaises bases, Denys et moi mais c'était plus fort que moi, j'étais totalement électrique aujourd'hui et je ne supportais pas grand chose. Il venait de me prendre pour une SDF et je devais dire que même si je n'étais pas vexée d'être comparé à eux puisque ce sont des gens très humains, j'acceptais moins la critique sur le plan physique. Je ne ressemblais donc à pas grand chose et il fallait absolument que je change ça parce que les étudiants allaient me bouffer tout cru à la rentrée si ça continuait comme ça ! Qu'est-ce que je détestais ça d'avance mon dieu.. C'était tellement difficile de s'intégrer ici que si je n'avais pas un peu d'aide, je serai vite coulée quoi. Il éclate de rire et je le regarde, penaude, déçue, triste, tout ce qui est synonyme de ça. Je n'avais définitivement pas la même vie et mode de vie que tous ces étudiants et ils ne se gênaient pas pour tous me le faire payer d'une manière ou d'une autre. Mais Denys s'excusa rapidement. Je l'écoute et ponctue son explication de Ah et Oh. Et quand il parle d'être un Dieu de la guitare, je lève les yeux au ciel. " N'importe quoi... Dieu de l'essuyage de la vaisselle tout au plus " Lançais-je, taquine, tentant de détendre l'atmosphère tant bien que mal. Après tout, c'est moi qui avait ronchonné et tout ce qui va avec. " Ça te manque pas ? " Demandais-je simplement avant qu'une mèche de cheveux vienne m'embêter et qu'il tente de m'aider. Pas le Roi de la coiffure non plus tiens. Il me ramène une petite cuillère et je fronce les sourcils. Bon, je vais faire avec. " Oui ça devrait aller " Soufflais-je en me battant un peu, mes cheveux lisses glissant rapidement avant que je serre bien le tout. La grande classe Casey, vraiment. Manquerait plus qu'on te voit dans cet état tiens. Je l'écoute, souris et secoue le visage de droite à gauche. " Non je connais pas l'Australie. Enfin, je sais que c'est une île quoi " À moins qu'il parle de connaître l'Australie genre d'un point de vue humain. " Je suis arrivée de Colombus en janvier et j'ai jamais voyagé, jamais été en vacances et tout ça... " Soufflais-je avec un petit haussement d'épaules. " Et je pars pas au Canada là. Enfin, ça me permettra de découvrir Boston et Cambridge comme ça " Toute seule, comme une grande. Oui, ça va être sympa comme tout.

 Je ne voulais pas avoir l’air de me moquer mais elle était drôle malgré elle, avec son –qu’est-ce qui est doux-. Des excuses et une petit leçon de géo plus tard, et je terminai mon anecdote de voyage par un auto compliment, me gratifiant d’être un dieu de la guitare ce qui lui fis lever les yeux au ciel et me donner un tout autre titre. « Ca me va aussi, j’suis pas difficile. » me marrai-je avant de finir d’essuyer une nouvelle assiette. « Puis t’as vu, je manie le torchon comme un maitre. » Un peu d’autodérision ne me faisait pas de mal, histoire qu’elle voit aussi que je ne prenais pas au sérieux, que je n’étais pas un petit con prétentieux comme elle avait pu le penser de prime abord. Je sentais comme un mieux entre nous et c’est ainsi qu’on parla du Népal, elle me demandait si ça me manquait. « Parfois… Souvent même… Je repartirais en voyage là bas un jour c’est sûr. » Mais pour l’heure il fallait que je reprenne ma vie en main… Et les cheveux de la demoiselle. Mission coiffure vite avortée, elle me demanda de lui trouver de quoi retenir ses cheveux en arrière et c’est avec une cuillère que je revins. « Ca te va bien… » me moquai-je en voyant son chignon plus qu’original. Je poursuivis mon blabla de baroudeur en confiant que mon bronzage était du au job de cueillette que j’avais effectué ces derniers mois sur le sol australien. Elle ne connaissait pas le pays, enfin elle n’y était jamais allée. Là dessus, elle enchaina en avoua qu’elle était arrivée quelques mois auparavant et qu’elle n’avait jamais voyagé, pas de vacances ni rien… « Oh… Par choix ? Ou par manque d’opportunités ? » Opportunités c’est à dire l’occasion, l’audace, l’argent… Y’avait plein d’obstacles qui pouvaient nous retenir et nous empêcher de découvrir le monde, je me demandais si pour elle c’était juste le manque d’envie qui l’avait bloquée. Elle me raconta qu’elle n’allait pas non plus au SC. « Tu devrais c’est sympa. T’es étudiante à Harvard ? Parce qu’il y a des tarifs pour nous étudiants, et une grosse partie du campus y va c’est toujours l’occas’ de s’amuser et de rencontrer de nouvelles têtes.»  

Je savais bien qu'attaquer le jeune homme comme ça ne me servait à rien parce qu'il avait l'air plutôt drôle quand même... Mais ça me rebutait pas mal, la façon dont il m'avait jugé quelques minutes plus tôt. J'étais piquée à vif, en quelque sorte. " Le Roi du Torchon ouai, je vois ça ! " Finis-je par lancer, riant légèrement, détendant l'atmosphère que, je n'avais aucun doute, j'allais réussir à retendre sous peu. Parce que c'est tout un art d'être une casse bonbon et d'être vexée de cette manière. En tout cas, parler de son envie de retourner au Népal me pince le coeur pour la simple et bonne raison que Colombus me manque, que mes parents me manquent mais je sais que je ne pourrais pas les revoir... Jamais. À moins de quitter tout ce que j'ai ici. Un chignon qui tient grâce à une cuillère et une pique de plus. " T'as de la chance que c'est pas une fourchette, je te l'aurais planté entre les deux yeux " Lâchais-je en riant légèrement, me concentrant à nouveau sur mon activité vaisselle. J'avais toujours envie de l'étrangler quand même... Je n'aimais pas trop toutes ces questions parce que c'était une manière de plus de me mettre dans le "négatif". " Je vivais dans une petite communauté jusqu'en janvier, une communauté autosuffisante donc les voyages et tout, c'est pas trop notre mode de vie... " Je lui dis qu'on se déplace en carrioles et que je n'ai jamais mis les pieds dans une voiture ? Que jusqu'il y a peu, je ne connaissais pas le coca, chose dont je suis complètement accroc depuis ? Non, on évite. " Je suis pas étudiante non... C'est pour ça qu'à moins de jouer au loto ou d'aller au casino, ça va être difficile pour moi " Soufflais-je en haussant les épaules. " Et puis prendre l'avion... " Non, ça va pas le faire mais alors pas du tout ! " T'as déjà été en Summer Camp toi ? " Demandais-je en lui tendant une assiette, vidant l'eau et en faisant couler de la toute propre pour les verres.

 On allait se croiser souvent non ? Si elle était bénévole ici elle aussi. Alors autant essayer de se rattraper, et ma meilleure arme ce n’était pas nouveau c’était l’humour. Faire le pitre avec mon torchon et m’auto couronner roi dans le domaine. Elle rigola d’ailleurs, un peu. On était sur la bonne voie. Je sauvais ses cheveux d’une chute dans l’eau savonneuse de la vaisselle, lançant au passage la mode du chignon à la petite cuillère. « Pulsion violente, je vais devoir me méfier… » rigolai-je ensuite à ses menaces. Et le sérieux revint, mes voyages à moi étant évoqués, puis elle me confia qu’elle n’était jamais partie. Ca m’intrigua un peu, moi, l’électron libre.  Je ne compris pas à quel genre de –communauté- elle se référait, imaginant plutôt un groupe du style de ces bobo écolos un peu hippie. J’étais tellement loin de la vérité. « Ok, je vois… » J’expliquais mon enthousiasme pour le SC, faisant un peu la pub du voyage, vantant les tarifs étudiants, la pensant elle aussi étudiante. Mais je me trompais là encore. « Je pensais que tu l’étais. Tu bosses alors ? Tu fais quoi ? » Quant à mes expériences passées : « Je ne ratais jamais ça. J’y ai participé mes deux premières années ici. Et je compte y aller cet été également. » Enfin, histoire de ne pas avoir l’air de la narguer j’ajoutai : « Après Boston, c’est bien aussi l’été je pense… Ca va être calme quoi, différent du reste de l’année. »

On est littéralement parti du mauvais pied tous les deux et ça m'énerve pas mal. Je déteste être en froid avec quelqu'un mais c'est plus fort que moi genre vraiment plus fort que moi. Je n'aime pas qu'il m'ait confondu avec l'une des personne de l'association parce que ça en dit beaucoup sur moi et je n'ai pas envie que ça en dise beaucoup pour moi. Je ne suis pas une SDF, je suis une jolie jeune femme. Enfin, c'est ce que je tente de me dire mais visiblement, c'est pas le cas. Il va vraiment falloir que je me bouge pour changer avant de faire fuir tout le monde, comme ça a été le cas avec Baptiste. Au final c'était pas lui le problème mais bel et bien moi et ça, ça fait mal à constater. Et plus je discutais avec le jeune homme et plus je me rendais compte que j'étais vraiment différente de lui, de tout le monde ici. Un extra-terrestre sur la planète terre. Génial dites moi voir.. " Je bosse dans une épicerie juste en face de l'université et le soir, je vais en cours pour tenter d'avoir mon diplôme mais c'est vraiment pas facile " Soupirais-je. Ouai, j'adorais aller en cours, ça c'est clair et net mais je n'étais pas très bonne pour ça, loin de là même. Pourquoi ? Tout simplement parce que je n'avais pas l'habitude de travailler, de faire des langues, d'écrire des pages de dissertation et tout ce qui va avec. C'est difficile. Surtout quand on a jamais été à l'école et qu'on choisit Harvard pour pied à terre. De la folie. En tout cas, il a déjà été au Summer Camp lui et il a hâte d'y retourner. Un léger sourire se dessine sur mon visage. Boston c'est les vacances pour moi, ça me change de Colombus quoi. " Oui ça va être bien et puis, je pourrais bosser mes cours pour l'examen à la rentrée " Alors ça m'allait. Mais je n'avais aucune idée encore que j'allais y aller, à ce summer camp. Je termine les dernières assiettes et lui pose tout pour qu'il essuie. Les mains dans l'eau, j'enlève les résidus de nourriture qui bouche l'évier et me rince les mains. " Tu t'en sors le Roi du torchon ou t'as besoin d'aide ? " Demandais-je en me moquant gentiment de lui. Le refuge allait bientôt fermer et on allait pouvoir rentrer chez nous. Enfin, j'allais pouvoir prendre mon poste à l'épicerie. " Tu viens combien de fois par semaine ? " Demandais-je au final.

 On discutait, on apprenait à se connaître, et je me plaisais à croire qu’elle avait oublié ma confusion première. Je découvris ainsi qu’elle bossait dans un épicerie et qu’elle suivait des cours du soir. Elle passait l’été à Boston. « C’est bien y’aura des bénévoles pour faire tourner l’asso quand même pour juillet et août. » soufflai-je alors. Parce que pour moi le SC, c’était immanquable. Outre les tarifs étudiants qui permettaient de partir sans se ruiner, c’était aussi et surtout une dernière bouffée d’air frais avant une rentrée placé sous l’accent du travail. La demoiselle acheva de nettoyer les dernières assiettes que je saisis pour les sécher de mon torchon. Elle reprit d’ailleurs mon petit sobriquet –roi du torchon- pour me demander si j’avais besoin d’aide. Je secouais la tête de gauche à droit pour refuser, posant le dernier plat sur la pile une fois sec. « Tadam ! T’as vu ça, il gère le roi du torchon. » rigolai-je en faisant tourner le chiffon en l’air, tout fier alors qu’ensuite elle me questionnait sur les soirs où je faisais acte de présence. « Je suis là tous les jeudis. » annonçai-je avant de m’approcher d’elle, taquin : « Pourquoi tu me demandes ça miss cuillère ? » Mes doigts allèrent d’ailleurs saisir le couvert qui tenait ses cheveux pour le lui retirer, libérant sa cascade de cheveux blonds, à présent qu’elle en avait fini avec l’évier : « Tu vas demander à changer de soir de permanence pour ne plus me croiser c’est ça ? »

Je ne sais pas si rester ici est vraiment l'idée du siècle mais bon, qui sait. J'ai pas mal de choses à faire à Cambridge et dans ses environs et je n'ai toujours pas de nouvelles de ma bourse alors bon... aussi bien c'est foutu et ça va me foutre un sacré coup au moral, je crois bien. J'ai vraiment envie d'intégrer Harvard, c'est primordial pour moi, je ne peux pas faire autrement, j'en ai réellement besoin, c'est vital. Je l'écoute dire qu'il gère et ris légèrement. " Te lance pas trop de fleur tu veux " Redescends sur terre mon coco parce que sinon je vais me faire un plaisir de t'aider, moi. Enfin, ça a mal commencé mais il est gentil. Il n'a pas l'air d'être comme les trois quart des gens ici, à Harvard. " Pourquoi pas ? " Répondais-je taquine, imprimant bien dans ma petite tête qu'il venait tous les jeudis. " Voilà c'est ça, je veux plus te voir alors je viendrais tout le temps sauf le jeudi " Lâchais-je avec un large sourire. Mon plus beau sourire. Tête de nouille va, c'est juste comme ça, pour savoir, pour ne pas revenir habillée comme ça surtout et lui prouver que je ne suis pas une SDF. On continue un peu à discuter, on passe le balai et on file rapidement. Fini le repas bénévolat.

rp terminé