Jonas B. Holt ► Jason Acuña

« It is not our differences that divide us. It is our inability to recognize, accept, and celebrate those differences. » ~ Audre Lorde

Alors que la chaleur se faisait ressentir dans le bloc, une dizaine de sage-femmes étaient en pleine opération périlleuse. La chaleur du mois d'août montait inexorablement aux têtes et ce malgré la climatisation, des gouttes de sueur s'écoulaient des fronts, des encouragements et des cris raisonnaient dans les têtes remplies. Poussez Madame Holt, vous y êtes ! Ces mots ressassés en boucle ne finiront-ils pas par payer ? L'attente se faisait longue, et ce en raison du problème diagnostiqué par les gynécologues qui se sont chargé de Madame Holt. Son enfant ne sera pas comme les autres. Non. Ses bras et jambes étaient bien trop courts à l'échographie, la cage thoracique, elle était en bonne état, mais on ne sait rien de plus. Trisomie ? Difformité ? Handicap physique ? Tant de doutes et questions dans la tête de la maman du petit Jonas qui la crispait plus qu'autre chose.. Les cris de douleurs s'accentuent, à un tel point qu'on en ressentirait presque la douleur de l'extérieur, son visage devient rouge, son rythme cardiaque et sa respiration s'accélèrent.. Quand tout un coup, le soulagement suprême. Il est là. Enfin. On entend son pleur d'ange en guise de mélodie. Jonas est né. Sa mère le prit enfin dans ses bras et l'admira. Il est beau mon Jonas. La joie est courte, il faut en savoir plus à son sujet, sous couveuse, on l'emmena aux mains des experts sur les nourrissons pour l'examiner..
Deux longues heures s'écoulent. Trois coups retentirent à la porte de Madame Holt. Entrez dit-elle d'une voix faible et inquiète. J'ai une bonne nouvelle lui esquisse le médecin. Un sourire immense apparaît sur le visage de la nouvelle maman. Votre petit Jonas n'a aucun handicap grave au niveau moteur, ou neurologique. Il souffre "simplement" de nanisme. Bien que cela peut paraître étrange, Madame Holt était heureuse comme jamais, non pas que son fils soit nain, mais qu'il aille bien. Et peu importe son physique, il restera toujours son bébé. Sa différence fera leur force.


La pluie.. Ça fait du bien de temps en temps mais seulement quand on est chez soi. En ce mois de Septembre, Jonas a sa première rentrée de collège, il appréhende particulièrement ce moment. Ses amis de la petite section ne sont plus là, son nanisme n'était pas un problème pour lui au niveau social, il a toujours eu des amis et tout le monde le connaissait.. Hélas, il s'agit maintenant de changer d'environnement. Plus le temps passe, plus son visage prend forme. Il prend une forme mature. On remarque qu'il n'est pas simplement petit, puis on regarde ses bras, ses jambes et on en rigole. Pourquoi les gens de moquent de moi Papa ? s'interroge le jeune homme. Son père soupire et le regarde. Ce regard qui remplace les mots pour te faire prendre conscience.. Parce que je suis petit ? insiste Jonas. Son père hoche la tête. L'entrée du nouvel établissement de Jonas n'était plus qu'à quelques pas. On aperçoit déjà les professeurs accueillant les parents et enfants qui découvrent eux aussi, émerveillés, l'école des grands. Même si je suis petit de taille, moi aussi je suis grand se réconforte le garçon, tout en allant de sa démarche prononcée. L'entrée est là, les premiers regards ne sont que rarement trompeurs, et Jonas est un enfant perspicace. Il se sent regardé comme s'il n'était pas normal. Et c'est vrai. Il ne l'est pas. Du moins, aux yeux des autres. Ce sentiment de se sentir regarder parce qu'on est différent est si horrible.. On entendait les chuchotements des camarades à leur parents. Il est bizarre le garçon, entend-on, malgré la discrétion maladroite.
Le père de Jonas fait mine de ne pas prêter attention à ces petits garnements. Ce serait décrédibiliser Jonas. Bonne journée mon pote glisse-t-il à son fils. Mon pote, c'était son surnom, ils sont très proches et se comportent comme si c'était des amis d'école de temps à autres. Il est temps pour les pré-adolescents de faire connaissance, et la plupart des gamins se dirigent vers Jonas. Tous le harcèlent de questions, pourquoi est-il petit ? Pourquoi ses bras et jambes semblent écrasés ? Ecartez vous les minus lança Brandon, l'élève joufflu et costaud par excellence. Une bonne tête de terreur. Brandon a redoublé sa première année, il n'est pas très futé et déterminé. Oh, un vrai nain ! Ils sont où tes frères et Blanche Neige, Simplet ? hurle-t-il. Cette blague fait rire tout les enfants attroupés et Brandon se sent puissant, ce qu'il aime. Il poussa Jonas au sol. Les enfants s'écartent et regardent attentivement.
Jonas effrayé, ne sait plus où donner de la tête. Il regarde autour de lui, puis regarde Brandon avec des yeux qui ne comprennent pas ce qu'on lui veut. Il se relève, la sonnerie retentit. Sauvé. Les élèves rejoignent leur rangs
Journée suivante, la même histoire. Jour après jour, bis repetita. Jonas garde tout pour lui, il n'en parle à personne. L'âge bête dit-on. C'est devenu la victime de Brandon. Petit à petit, il se fait voler ses stylos, ses cahiers, puis sa nourriture. Jonas est marqué par cette rentrée. Il n'a pas d'amis et paraît épuisé mentalement et physiquement. Cela se fait ressentir chez lui. Ses parents l'interroge souvent sur ses journées, et sa triste mine. Je vais bien, l'école me plait et j'ai plein d'amis, répond-il souvent à ses parents.
C'est bientôt les vacances et comme à son habitude, Jonas se fait bousculer par Brandon. Comme toujours, les enfants regardent la scène. Désabusé, Jonas ne veut plus se laisser faire.. Laisse moi.. souffle-t-il. Brandon s'amuse, Tu as dis quoi minus ? Je t'entends pas de là haut. Jonas se relève, l'énervement se ressent sur son expression faciale. Laisse moi j'ai dit. T'es sourd gros porc ? Stupéfaction générale. Quelqu'un ose répondre à Brandon. Je suis pas gros, menteur, des rires se font entendre. Jonas a un déclic. Il comprend bien tôt pour son âge que les mots sont une arme. Une arme qu'il peut tirer à son avantage. De l'admiration se dégage de la foule. Depuis ce jour, Jonas est destiné à être accepté de tous.



C'est la fin d'année à Harvard, les soirées sont récurrentes, et une des attractions de ces soirées ce n'est pas un nouveau jeu, ou un événement particulier, non, c'est la présence de Jonas. Quand il est là, on sait que la soirée sera mémorable, grand déconneur, buveur, il est très apprécié. QUE LA FÊTE COMMENCE hurle rempli de joie Jonas. Ca y est, le voilà dans son élément, là où il excelle et adoré. La musique à fond, l'alcool coule à flots, les joints collent à toutes les lèvres, les collés serrés, et les mains des garçons se perdent. Jonas comme à son habitude fait ses numéros, les jeunes savent à quoi s'attendre et se regroupent autour du jeune homme de moins d'un mètre 30. Faisant son signe préféré, et hurlant, il commence à ingérer une quantité d'alcool incroyable. Pour le gag, il a ramené un tonneau rempli de boisson, qui fait sa taille ! Tube à la main, il commence à tiser des litres et des litres sous les encouragements de la foule. En 15 minutes c'est fait, il a bu une quantité folle d'alcool, un peu sonné, il se fait porter en triomphe par ses amis et finit à l'eau de la piscine, ce qui le réveille plutôt facilement, il ne sait pas nager. Encore une soirée qui se déroule bien pour Jonas.
Aujourd'hui, Jonas est on ne peut plus heureux à Harvard. Il y est accepté, réputé, et respecté. Il a laissé ses souvenirs douloureux et plaisants derrière lui, en en faisant pour lui une véritable force. Il est populaire et réputé comme un fêtard fou et complètement dingue. Il faut dire qu'un nain, ça ne court pas des rues.

Jonas garde un secret pour lui. Il n'a pas 25 ans, mais en réalité 33. Il a travaillé 10 ans en tant que caissier, alors qu'il pense valoir plus que ça. Sa taille est une frontière pour un bon nombre de métiers. C'est un traumatisme qu'il a su intégrer en lui, et il veut l'oublier. Reprenant ses études à Harvard, faire croire qu'il a 25 ans l'aide à se faire des amis, et ne pas passer pour un vieillard dépassé. Tout le monde rentre dedans, personne ne peut voir l'entourloupe. Et il est tellement convaincant, qu'il se convainc lui même. Ce mensonge lui permet de.. comme dirait, remonter le temps et revenir à ses 25 ans, sauf qu'il ne veut pas finir caissier. Il veut finir dans un domaine qui lui plaît et lui donne des responsabilités, les relations internationales par exemple. Un métier où la taille n'est pas une frontière.