« Ce n’est pas parce que tu n’as pas pu compter sur les bonnes personnes par le passé que tu dois continuellement être sur tes gardes. » énonçai-je en regardant la route. D’accord, le propos pouvait paraître mensonger voire ironique de la part d’un homme qui avait ma profession et devait se méfier de tout et de tout le monde. Sauf que je possédais aussi des amis. En cercle rapproché c’est vrai, mais la plupart connaissait mon identité réelle, et je savais que je pouvais leur faire confiance. Comment ? Le temps me l’avait appris par les épreuves que j’avais passées, et ils avaient continué à bercer mon existence jusque-là.
« D’autant que je ne te parle pas de « dépendre » d’une personne mais d’apprendre à lui faire confiance. La confiance se mérite, Paris. Dans les deux sens. Rassure-toi, je comprends tout à fait qu’à l’heure actuelle tu ne peux pas m’accorder entièrement ta confiance, c’est d’ailleurs tout à ton honneur puisque nous nous connaissons à peine et la garantie que je t’offre de rester à tes côtés est vaine tant que nous ne nous connaitrons pas mieux. Cependant, accepte au moins mes conseils avant de juger mes motivations. » corrigeais-je avant qu’un bref sourire n’étreigne mes joues à son commentaire sur mon entêtement.
« Je ne vois pas de quoi tu parles. » répondis-je alors très sérieusement, quoiqu’amusé par son propos qui m’avait déjà été « reproché » par une amie de longue date il n’y a pas si longtemps.
Garé un peu à l’écart de la porte d’entrée de l’hôpital pour ne pas faire obstacle au travail des ambulances qui débarquaient toutes les heures, mes sourcils se froncent lorsque j’apprends, partiellement et subtilement du moins, l’enfance vécue par le jeune homme. Malgré ma profession qui exigeait de moi que j’élimine certains individus, ces derniers n’étaient jamais des enfants de chœurs, ce qui faisait que, si ce n’était le souvenir de ma femme et celui de ma fille, j’aurai dormi comme un loir chaque nuit durant. En outre, on aurait pu penser qu’au regard de cette même profession je serais le genre de type à aimer la violence, et à en faire usage dès que l’occasion se présentait. Il n’y avait rien de plus faux. Et je haïssais du plus profond de mon être les violences exercées par un être supérieur sur un autre plus faible, pire encore lorsqu’il s’agissait d’un enfant. Sur le moment, face à ces mots, je ne sais pas très bien comment réagir. Ou plutôt, ma première réaction aurait été de lui demander le prénom de son géniteur, son numéro de sécurité sociale et de m’en occuper personnellement. Sauf que je n’avais pas envie de donner cette image de moi à ce garçon que je considérais comme mon propre fils.
« Il ne fait plus partie de ta vie, désormais. » murmurai-je en posant une main sur sa cuisse.
« Moi, oui. Et si ton…géniteur est encore en vie, si jamais tu as encore un contact avec lui, dis-toi que je serais là si jamais il recommençait à t’inculquer ce genre de leçons. » Car Paris avait beau être devenu un homme, une armoire à glace comme diraient certains, il n’en restait pas moins un fils vis-à-vis d’un père violent. Or, je savais par mes cours de psychologie enseignés à Harvard, qu’il n’y a rien de plus fragile, d’instable, qu’un enfant face à son parent. Quel que soit son âge, son sexe, sa forme physique, son état psychologique l’empêchait presque toujours de faire face aux défauts de tout ordre chez ses géniteurs. Il en devenait alors la victime muette. Un doute m’assaille encore en y repensant. Paris avait fait allusion à son père comme celui qui
« lui passait dessus », une expression typiquement américaine que je maîtrisais mal, hélas.
« Est-ce que…enfin j’ai compris qu’il était violent mais est-ce qu’il t’a aussi… » Je n’étais pas très doué pour m’exprimer sur le passé, ou sur les émotions s’y raccordant. Ce n’était ni de la gêne, ni de la honte, mais une envie de bien faire, de ne pas le traumatiser plus encore en y faisant allusion de la mauvaise manière. Cependant, si je lui posais la question, ce n’était que dans le but d’envisager une aide plus poussée, ‘psychologique’ j’entends, si tel avait le cas. Si…Paris avait subi un viol, ou des agressions sexuelles de son géniteur. Je priais de tout mon cœur que ça n’avait pas été le cas.
« Hum. Joli prénom. » Summer, je le retiendrai sans problème.
« Un verre de lait plutôt. C’est bon pour la croissance. » le taquinai-je en m’extirpant du véhicule pour aller l’aider, une main sous ses épaules. Une fois à l’intérieur, je le fais asseoir sur l’une des chaises de l’accueil, avant d’aller user de mon charme face à l’infirmière qui tenait la réception. Un sourire, une promesse de rendez-vous, et la dénommée Summer avait reçu un appel d’un certain docteur Harris qui la réclamait au service néo-natal, soit quatre étages plus haut, pendant qu’une infirmière était rapidement affectée aux soins de Paris.
« Monsieur…Barnes ? » demanda la jeune femme avec un sourire pendant que je m’occupais de l’aider à se relever.
« Suivez-moi s’il vous plait. Nous irons en salle 2 pour faire quelques examens. D’après ce que m’a dit votre ami, vous avez été agressé dans la rue et vous souffrez de quelques commotions ? » Soutenant son regard, je profite qu’elle pénètre dans la fameuse salle d’examen pour m’expliquer au jeune homme, à voix basse.
« Je lui ai donné un faux nom, pour que tu n’ais pas d’ennuis avec ta petite-amie. » le taquinai-je à nouveau. Qui a parlé de sexe faible en songeant à ces demoiselles ? J’étais bien placé pour savoir qu’une femme pouvait fort bien mener un homme comme elle l’entendait.