C’était étrange de constater que la famille n’était finalement pas uniquement liée à un héritage biologique. En effet, Paris avait beau ne pas être de mon « sang », ni écossais, mais je crois que jamais je ne cesserai, malgré les ennuis qu’il pouvait s’attirer tout seul comme un grand, de le considérer comme le fils que je n’ai jamais eu, et que j’aurai pourtant souhaité. Et comme tout bon père de famille, j’avais la charge de sévir lorsque les bêtises dépassaient certaines limites. Or, ce soir, Paris avait franchi une limite. Le qualificatif que je venais d’employer à son attention le fit détourner le regard. J’avais visé juste, pile au cœur, comme à mon habitude. Mais je ne baissais pas les yeux, continuant à observer ses réactions, son humeur, attendant que la morale derrière le mot fasse son petit effet. Et je n’avais pas eu besoin d’attendre des lustres.
« Si. Si je crois que tu as besoin que je te fasse la leçon, puisque ce n’est pas la première fois. Paris, même si tu me connais en tant qu’étudiant puisque nous faisons partie de la même confrérie et que la Dunster House est plus qu'une maison, c'est une famille, ce n’est pas la raison qui m’a poussé à te prendre sous mon aile, tu sais. Si je t’ai aidé, mon garçon, c’est parce que je savais déjà qu’avec toi, ce ne serait pas facile. Parce que ce n’est pas la première fois, et ce ne sera pas la dernière. » répliquai-je, patient, en haussant à peine la voix pour qu’il sache que ce n’était pas un jeu.
« Ce n’est pas mon problème, Paris. Quand on cherche les ennuis, on finit par les trouver, tôt ou tard. » Une façon subtile de lui faire comprendre que ces coups, il les avait mérités ? Oui, en partie. Sans dire que la violence était défendable, j’estimais que par moments, elle ne pouvait pas faire de mal. Evidemment, les deux idiots de tout à l’heure frappaient trop forts pour que je cautionne leurs gestes, mais c’était surtout leur intention qui m’encourageait à continuer. Car s’ils avaient commencé, Paris évidemment, avait aussitôt répliqué sans, à mes yeux du moins, user d’un autre moyen que ses poings pour leur régler leurs comptes. Etait-ce la solution ? Avec ces deux-là, peut-être qu’il n’avait pas eu d’autres choix. Sauf que je ne l’acceptais pas. Pour quelles raisons ? Parce que si je n’étais pas intervenu, que se serait-il passé ? Voilà justement où se situait le problème. Lui tendant mon mouchoir de poche, sans répondre à son remerciement implicite, je l’observe sous tous les angles, discrètement, avant de le conduire jusqu’à ma voiture garée derrière. Une fois à l’intérieur du véhicule, je démarre le contact, en route pour l’hôpital, sans un regard pour mon passager blessé, jusqu’à ce qu’un soupir se fasse entendre. Je n’étais pas rancunier lorsqu’il s’agissait de personnes qui me sont proches. C’était même plutôt le contraire.
« Parce que la vie est difficile, petit. » murmurai-je en regardant la route droit devant moi, respectant chaque priorité, chaque feu, jusqu’aux prochains tournants.
« Parce que ce n’est pas un long fleuve tranquille mais un combat de chaque instant. » Sans le connaître depuis longtemps, je pouvais dire que le jeune homme n’était pas très expansif. A l’intérieur, c’était un volcan. A l’extérieur, un roc. Mais ce n’était qu’une apparence, un masque trompeur destiné à dissimuler au mieux une force, une violence qu’il ne parvenait pas encore à canaliser. Un « défaut » que j’avais possédé, moi aussi, fut un temps.
« J’ai…appris. » lui dis-je, hésitant. Devais-je tout lui raconter ? Je n’en suis pas sûr. Il n’est pas prêt.
« L’expérience et les années ont fait le reste. » continuai-je alors que je me garai enfin devant l’hôpital.