La vie vaut d’être vécue...

« J’ai déjà vécu avec un type à qui il manquait des dents. » J’ignore si ça peut compter comme une personne âgée mais ça fiche un peu la trouille en fin de compte. « Ok ok, j’ai pigé c’est bon, me raconte pas ! » tonnai-je en levant une main signe que son récit faisant allusion à des couches culottes était suffisamment effrayante en soi – et dégoûtante – pour ne pas avoir envie d’en savoir plus sur la petite vie de mamie et papy. « Bon ok, cette fois c’est sûr, je reste. » grognai-je ensuite en fronçant les sourcils devant son air désinvolte. Elle venait seulement de se limoger elle-même, mais elle trouvait ça normal. Bah voyons ! Jolie comme elle est, apparemment la tête sur les épaules, un taf pour avoir un peu de sous signe qu’elle savait aussi se servir de ses mains et de sa cervelle en même temps, mais mademoiselle pensait qu’elle n’en valait pas le coup. Y’a des fois j’vous jure, j’ai envie de secouer certaines personnes jusqu’à ce que ça monte au cerveau plus vite. Bon, d’accord je m’emmerde royalement, tournant sur ma chaise de bar plusieurs fois, jetant un regard noir à son collègue avec deux mains gauches de temps à autres, feignant d’être très occupé lorsque Mira lève les yeux vers moi parfois, et discutant une ou deux fois avec certains de ses clients les plus intéressants. (ou les moins cons pour ceux qui n’auraient pas compris.) Finalement, l’heure de fermer arrive. Et nous sommes à présent seuls dans le bar. Parfait. Ce que je veux maintenant ? « Bouge pas, j’reviens. » Les toilettes, pour commencer. Parce que depuis tout à l’heure, je trépigne sur mon siège pour éviter que Mira ne pense que je vais la quitter comme ça. Dix minutes plus tard, je reviens vers la jeune femme, comme si de rien n’était. « Tu vas faire comme si tu comprends pas pourquoi j’suis venu toute la soirée ou je dois commencer le premier en fait ? » grognai-je en me postant juste à côté de son foutu lave-vaisselle. Bon, cette fois-ci, le débat est lancé. Plus d’échappatoire, je pouvais pas être plus clair.

© belzébuth

@Mira J. Hudson

La vie vaut d'être vécue

Sachka & Mira

Je ne peux pas m'empêcher de rire en le voyant à ce point réticent à l'idée que je parle de la vie avec une personne âgée. Mais à vrai dire, je ne sais pas trop ce que ça peut-être le quotidien avec une personne du troisième âge. J'ai vécu 18 années avec mon père. Et à mon arrivée à Harvard, j'ai préféré prendre un appartement pour moi seule, ne voulant pas de colocation. J'ai toujours rêvé d'être indépendante, alors pour la première fois de ma vie que cela était possible, je n'allais pas passer à côté, même si, pour payer le loyer je suis obligé de travailler, comme ce soir. Mais ça ne m'a jamais réellement dérangé de devoir relever mes manches pour gagner un peu de fric, j'aime ce boulot. Même si, ce soir, c'est plus difficile que d'ordinaire, avec un collègue que je dois former, et l'arrivée de Sachka, qui malgré notre changement de conversation ne semble pas avoir oublié la raison de sa venue ici. Je lève légèrement les yeux au ciel alors qu'il m’affirme vouloir rester ici. « Je te jure, je n'ai jamais vu quelqu'un aussi têtu. » dis-je entre mes dents, plus pour moi que lui . J'ai perdu mon sourire, préférant me concentrer sur mon boulot, n'ayant pas envie de penser à ce qui m'attend à la fin du service.
Ce dernier arrivant bien trop tôt selon moi d'ailleurs. Je reviens me positionner de l'autre côté du comptoir, après avoir congédié l'autre serveur, prête à ranger le bar, et à affronter Sachka. Je relève légèrement les yeux vers lui tandis qu'il s'enfuie aux toilettes, ce qui me fait légèrement sourire, secouant doucement la tête, avant de profiter de son absence pour remplir le lave-vaisselle. Mes yeux se posent de nouveau sur lui lorsqu'il revient dans la partie principale du bar. « Avec le temps que t'as mis, j'espère que t'as nettoyé ! » dis-je un léger sourire aux lèvres, essayant de détendre l'atmosphère, avec la « discussion sérieuse » . Conversation qui vient rapidement. Un soupir s'échappe de mes lèvres à sa phrase. Je prends mon temps pour répondre, préférant refermer le lave-vaisselle, et le mettre en route. Je me redresse et pose de nouveau mon regard bleuté sur lui. « Tu veux encore des conseils modes ? » un sourire s'installe sur le coin de mes lèvres tandis que je me dirige vers les tables, un torchon à la main pour les nettoyer. « Je n'ai pas envie de me replonger là-dedans... je pense que tu peux le comprendre ! » Je n'ai pas envie d'y repenser, de me replonger dans mes souvenirs, car c'est ce qui se passera si j'en parle.

Emi Burton

Spoiler:

(Invité)

« J’vois pas d’quoi tu parles. » répliquais-je de mauvaise foi, et très sérieux cependant. Je ne suis pas têtu. Enfin si, mais seulement quand quelque chose me tenait à cœur, c’est tout. Revenu des toilettes quelques heures plus tard, je hausse un sourcil l’air à la fois contrarié et amusé par le commentaire de Mira. « Si par nettoyer tu veux dire tirer la chasse, essuyer ma pisse et m’laver les mains après, alors ouais, j’ai nettoyé. » grommelai-je en faisant exprès d’être vulgaire. Non mais tu crois toi ? J’suis pas femme de ménage moi hein ! T’as cas demandé à l’autre glandouilleur là-bas de nettoyer, c’est son boulot non ?! Et d’toutes façons les toilettes sont propres, tu m’prends pour qui ou pour quoi là ? Ok, c’était de l’humour, je venais de le comprendre. Trop tard. « Des cons…non. NON, merci. » Des conseils mode, non mais tu veux m’tuer ou quoi ? Déjà la dernière fois j’ai failli mourir de soif, de faim et d’épuisement en allant faire du shopping avec toi. Non parce qu’un mec peut pas passer deux heures non stop dans un magasin, c’est physiquement et psychologiquement impossible. Sur ce point, je dois reconnaître que j’admire les filles pour avoir ce super pouvoir ! « Non. Non j’comprends pas. J’comprends que tu veux pas revivre ça, mais c’est pas c’que j’te demande. J’veux juste t’aider à avancer. Parce que viens pas m’dire que t’as réussi à avancer jusqu’ici, que t’y penses pas jour et nuit, que ça te hante pas, j’te croirais pas. » grognais-je en croisant les bras sur mon torse. Je ne la croirais pas, parce que je vivais exactement la même chose. « Pourquoi tu veux pas voir un psy au juste ? »

© belzébuth

@Mira J. Hudson

La vie vaut d'être vécue

Sachka & Mira

Je ne préfère pas répondre à Sachka, me contentant simplement de lever les yeux au ciel. Têtu et de mauvaise foi en plus. Enfin, je ne peux pas me le changer et je n'en ai pas l'intention de toute manière, bien trop occupé par mon boulot de toute façon. Et puis Sachka est assez grand pour reconnaître ses défauts tout seul je pense, à la base je lui donne juste quelques conseils pour s'habiller car là… je pense que la mode lui est totalement passé à côté et l'a épargné, ce que je trouve dommage ; il a du potentiel, du charme, il suffit simplement de le mettre un peu en évidence derrière cette grosse tignasse que sont ses cheveux. Mais pour le moment , ce n'est pas vraiment le sujet de conversation. Je suis crevé, et devoir faire encore le ménage après le service est loin d'être quelque chose de plaisant. Malgré tout j'essaie de plaisanter un peu avec ça, en lui demandant s'il m'a filé un coup de main pour le nettoyage des toilettes... Raté ! « Trop aimable de ta part ! À quoi tu me sers, si tu restes après la fermeture et que tu nettoies pas au juste . » C'est vrai quoi ! Je ne suis pas contre un coup de main, je pense notamment à un autre Russe là, Arthur qui est venu la dernière fois à la fermeture . Un deal a été conclu : un verre contre de l'aide... j'aurai dû faire ça avec Sachka : une discussion contre le nettoyage des WC . J'y penserai la prochaine fois, s'il y en a une. Pour le moment, je me contente de m'occuper des tables à nettoyer l'écoutant d'une oreille. Je finis par me tourner vers lui, après avoir essuyé la table. « et en quoi le fait d'en parler va m'aider hein' ? Ça changera pas le passé, rien ne le changera ! Et pour répondre à ta question : oui j'ai réussi à avancer, j'ai abandonné mon lieu de vie, des amies pour pouvoir avancer justement, et j'ai réussi à me créer une vie ici, alors fou moi la paix avec ça ! » Oui ça me hante, oui je fais des cauchemars. Lorsque je vois un mec en frapper un autre sans défense ou autres, j'ai l'impression que c'est moi qui prends les coups, qui souffre autant qu'eux. Mais parler ne changera rien à cette situation. Un psy… le revoilà avec cette histoire . « Parce que le psy c'pour les malades ! Je ne suis pas malade ok ! C'pas moi la folle dans l'histoire ! » Je finis ma phrase à la limite du cri, avant de me retourner pour foutre les chaises sur les tables. Je ne suis pas folle non ! Mon père a beau avoir dit ça des années, comme une sorte de couverture pour se protéger, se cacher, ce n'est pas vrai… Je ne suis pas cinglée, les histoires que je racontais n'étaient pas sorti de mon imagination comme il pouvait le sous-entendre . Aller chez le psy, c'est le faire gagner, lui prouver que j'ai un problème avec moi-même. Je veux juste qu'on me foute la paix merde !

Emi Burton

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(Invité)

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