Gideon ✾ I can't remember to forget you

Un devoir de droit, voilà ce qui m'avait tenu debout une bonne partie de la nuit. Je l'avais passé dans mon appartement, devant l'écran de mon ordinateur, des écouteurs enfoncés dans mes oreilles. C'était un devoir pour lequel je m'étais gouré au niveau de la date pour le rendre et du coup, ça avait été un vrai coup de speed. J'avais mis le point final vers cinq heures du matin et j'avais juste eut le temps de faire un petit somme et de filer sous la douche avant de devoir partir pour aller rendre le devoir à mon prof. Je n'avais pas de cours, juste ce devoir à rendre et j'allais donc pouvoir rentrer après dormir davantage mais pour l'heure tout ce que je voulais c'était me débarrasser de ce petit dossier fraichement imprimé qui m'avait couté tant d'énergie la nuit dernière. J'avais grimpé dans ma voiture, laissant le dossier sur le siège passager et j'avais pris la route, me félicitant d'avoir opté pour un appartement à proximité de mon campus universitaire. L'année était déjà suffisamment éprouvante et chargée sans que j'aille en plus me rajouter des kilomètres, d'autant plus que même en étant tout prêt, on était jamais à l'abris des bouchons qui pouvaient survenir sur la route ou encore un parking plein à craquer. Ce matin-là, j'eut droit à la seconde option. Avec frustration, je me mis à me balader dans le parking plein à craquer, sentant poindre un mal de crâne. Soudain, alors que je tournais pour un nouveau et énième tour, je vis une voiture sortir de sa place et fonça, ne me préoccupant pas franchement de la voiture qui attendait déjà. Je passa devant le véhicule, irrité. Je m'engageais dans la place lorsque quelqu'un attira mon attention en frappant à la vitre du côté passager. Je l'ouvris, histoire d'entendre la personne en question me gronder. « J'étais là avant vous! Alors vous allez prendre votre bagnole et foutre le camp d'ici. »  « Ecoutez, je n'en ai que pour une... » Commençais-je machinalement à débiter avant de m'interrompre tout seul lorsque je daigna tourna la tête vers la personne. Je la re-situa dans la seconde, en même temps, on n'oublie pas la première. « Ca, je l'avais pas vu venir » lâchais-je, sous le choc. « C'est sympas de te revoir » les circonstances moins en revanche, mais c'était un peu le cadet de mes soucis.

Voir Sophia ici, sur le campus, me faisait l'effet d'avoir fait un soudain bond de dix ans en arrière. C'était se retrouver à nouveau en Angleterre, à l'époque où être en couple avait tout d'une nouveauté pour moi. J'avais décidé de rompre à l'époque car je me sentais pas capable de faire tenir cette relation et je ne l'avais jamais regretté. D'un autre côté, je ne m'étais jamais sorti totalement Sophia de la tête. « Sympa, oui. » Il était rare que je ne sache pas quoi dire, mais là, pour le coup, les mots me manquaient un peu. Je me contentais de la dévisager calmement, une main sur le volant de ma voiture et l'autre sur le frein à main. Nous nous observions l'un l'autre, dressant en quelque sorte mentalement la liste de ce qui avait changé et de ce qui était toujours pareil chez l'autre depuis que nous nous étions quittés à l'aéroport il y a des années. « Je réalise pas trop, je ne savais pas que tu étudiais ici... et je ne savais pas que t'étais du genre à piquer les places des autres. » Je me mordis la lèvre, un sourire un brin gêné se dessinant sur mon visage. « Désolé, faut que je remette un dossier à un prof, j'ai passé une sale nuit et du coup j'ai juste hâte de m'en débarrasser » ça n'excusait pas ce que j'avais fais, mais je n'avais pas de meilleure excuse en stock, je lui déballais là simplement la vérité. Un coup de klaxon retentit, suivi d'un autre, me tirant de mon espèce de léthargie. Un rire vaguement nerveux m'échappa. « On est en train de causer un beau bordel » Du coin de l'oeil je vis quelqu'un quitter sa place de l'autre côté et fit signe à Sophia d'attendre. J'alla me ranger en deux deux dans la place fraichement libérée, laissant l'autre à Sophia, ignorant volontairement les regards vaguement haineux que me jetaient d'autres étudiants encore coincés dans leurs voitures. J'attrapa mon dossier, rangea mon portable et mes clés dans l'une des poches intérieures de ma veste et quitta mon véhicule pour rejoindre à nouveau Sophia. « Voilà, on peut mieux discuter maintenant, donc ouais, je suis entré à Harvard y a des années maintenant, je suis en huitième année et j'étudie le droit » j'avais l'impression déstabilisante de ne plus rien connaître de sa vie et vice-versa.

« Woaw, des années! Je suis à Harvard depuis 2010.  C'est fou, t'étais là et... je ne t'ai même pas vu. » C'est clair que ça l'était vu que j'étais là depuis le tout début de mes études et que en toutes ces années, on aurait put avoir l'occasion de tomber sur l'autre au détour d'un couloir mais il faut croire que si parfois le monde est petit, il peut aussi se révéler trop grand. « C'est pas possible, tu m'as surement déjà vu. » « Non » enchaînais, sur un ton plutôt catégorique, le genre de ton que je prendrais pour sortir une vérité absolue et répandue, comme si la contestation de cette affirmation relevait du domaine de l'impossible. « Je sais que je m'en serais souvenu » je le pensais fermement et je voulais pas qu'elle se dise le contraire. Parfois, je me disais qu'elle devait croire que dans notre relation, je l'avais quelque part moins aimée. Après tout, j'étais celui qui avait mis fin à cette histoire alors que la fin de mes avances approchait très dangereusement. Peut-être que cela avait eut l'air très simple à faire lorsque j'avais rompu, comme si ça n'avait pas vraiment compter pour moi, mais ce n'était pas le cas. Et ça allait toujours compter. « Content de me revoir? » J'acquiesça avec un grand sourire. « Bien sûr, je te cache pas que ça me désarçonne un peu, mais dans le bon sens. » Je ne pensais pas la revoir un jour et c'était sympas d'avoir l'occasion d'apprendre ce qu'elle était devenue. « Et si tu me racontais un peu tout ce que j'ai manqué pendant que je vais déposer ce dossier ? » Dis-je en brandissant le dossier que je tenais à la main. « J'aimerais pas avoir fait mon gros con en te piquant ta place pour rien » ajoutais-je, taquin. Ouais, ce serait dommage. Je lui fis signe de me suivre et commença à partir en direction des bâtiments universitaires. Je me montrais bavard, à l'aise, mais à l'intérieur, un malaise était né. Je me sentais comme coupable, quelque part.

Je me sentais assez empoté, même si, fidèle à moi-même, je le cachais à grand coup d'assurance. Mon ton était posé, calme et mes sourires avenants. A l'intérieur c'était davantage le bordel, je ne savais pas exactement où j'allais. Sur ce coup-là, j'avais totalement été pris au dépourvu, mais je n'étais pas inquiet. Je n'étais pas du genre à tout planifier, ça n'avait jamais été mon truc et j'allais réussir à rebondir d'une façon ou d'une autre. « Qu'est-ce que tu veux savoir? Tu sais que j'ai horreur de parler de moi. » Je tourna la tête pour lui adresser une petite moue dans le genre chien battu. « Mais je veux bien faire un effort pour toi. » Les coins de ma bouche se soulevèrent et ce ne fut que d'autant plus le cas lorsque Sophia tourna la tête vers moi, m'adressant un grand sourire. Ma main refermée sur mon dossier, je ne la quittais pas franchement des yeux, comme si je voulais glaner le maximum d'informations à ma portée. « On s'est pas vus depuis genre dix ans, il y a forcément eut du lourd dans ta vie, quelque chose pour satisfaire ma curiosité » j'haussa les sourcils. Ce n'était pas juste pour faire la conversation. Vu la fin de notre histoire, elle se figurait peut-être que je me fichais d'elle, de notre histoire qui remontait loin maintenant, mais il ne fallait pas croire. Elle avait compter, elle avait une place dans mon coeur et ce que j'éprouvais en cet instant, c'était de la curiosité. J'avais envie d'entendre qu'elle allait bien, qu'elle était satisfaite de la tournure prise par sa vie.

J'étais en train de la mettre mal à l'aise, j'en avais conscience et je m'en voulais car c'était pas l'effet recherché. Moi-même, je l'étais un peu, j'étais juste peut-être plus apte à le lui dissimuler. Elle avait le regard un peu fuyant et je m'apprêtais à lui dire qu'elle n'avait pas à me parler si elle n'en avait pas envie lorsqu'elle ouvra la bouche pour répondre à ma question. « Je... et bien. J'ai appris que j'avais une soeur jumelle et j'ai déménagé ici, à Cambridge, il y a six ans. » J'ouvris la bouche et la referma, digérant l'information. Avait-elle grandit avec ses parents dans ce cas, ou était-ce le contraire ? Je ne posa pas la question, estimant que ça aurait été de la curiosité mal placée. J'étais déjà sans doute allé trop loin en l'amenant ainsi à me parler et je n'avais vraiment pas envie d'abuser. De plus, je la sens bouleversée. Elle essaie de le dissimuler, mais je la connais tout de même un minimum. « J'étudie la sociologie et l'économie et j'adore ce que je fais. » « C'est génial » lui dis-je avec un sourire sincère. Sophia était quelqu'un de bien et je lui souhaitais vraiment d'être heureuse et pleinement satisfaite dans sa vie. Elle le méritait vraiment. Je me mordis ensuite la lèvre. J'étais dans l'embarras, j'avais l'impression d'agir comme un gros nul avec elle et j'avais l'impression d'être en position de force, qu'il y avait un déséquilibre et je ressentis le brusque besoin de changer ça. Les mots franchirent mes lèvres sans que j'ai eut le temps d'y réfléchir à deux fois. « Ma petite soeur est morte il y a huit ans. » lâchais-je d'une voix sourde, un peu comme si je l'avais prononcée sous l'eau.