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« La vie c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. »
lawrie & lily
Etait-ce une impression, un sentiment, ou bien se muait-il dans une politesse presque acariâtre ? Elle se souvenait d’un homme plus spontané, moins dans la mesure de ses dires et de son apparence. Ou alors avait-elle oublié, ou lui-même s’était-il perdu depuis les affres de la jeunesse. Le fait est que plus il parlait, plus elle sentait l’image qui les liait jadis devenir plus floue, s’effriter comme un souvenir qui n’a plus sa place. La madeleine de Proust commençait à avoir un goût de rance, et c’était comme si aujourd’hui, elle redécouvrait un homme aux antipodes de celui dont elle avait le souvenir. « En Russie, ça l’est en tout cas. » dit-elle avec une spontanéité proche de la certitude. L’instant suivant elle avait semblé songeuse, repensant avec une netteté quasi photographique à ces espèces de croix et marques distinctives qu’elle avait pu observer sur la peau albâtre de Wolfgang à maintes reprises. Comme si ces images répondaient à un dialecte, un langage précis. Car chaque tatouage répondait à une symbolique et un référent précis. Même les parties du corps n’étaient pas choisies au hasard pour leur emplacement. Elle avait eu le droit quelques explications à ce sujet, et savait notamment que certains tatouages indiquaient le rang dans le gang. Il les portait comme des médailles, des victuailles. Une histoire encrée entaillant la chair jusqu’au sang.
En réalité, l’idée de devenir agent comme son père ne lui était jamais venu à l’esprit. Elle avait du cran, mais savait que même avec un miracle, elle n’aurait jamais une résistance physique suffisamment importante pour se battre par exemple. Elle avait quelques bases, savait par exemple comment faire de son petit gabarit et de sa petite taille un avantage en cas d’agression par quelqu’un de plus costaud, mais cela restait relativement élémentaire. Elle ne s’était jamais sentie en danger au point de vouloir apprendre à se défendre à la perfection. Et si l’avenir décidait de se montrer plus clément à son encontre, elle avait des ambitions assez banales. Avoir son propre atelier, réussir à vivre de ses toiles, éventuellement ouvrir une galerie pour promouvoir les artistes en devenir, fonder une famille … Au fond Lily, si elle n’était pas simpliste, avait des envies pour le moins … Traditionnelles. Mais elle percevait toutes ces perspectives plus comme des songes surréalistes, que comme des possibilités à saisir.
« Je ne te le propose pas par bonté d’âme. » dit-elle dans un sourire en demi-lune songeur, proche du dépit, alors même que son regard se perdait un instant au-dessus de son épaule. Il idéalisait ses principes et son éducation peut-être un peu trop. Et si elle proposait son aide, c’était plus par volonté d’aider à apaiser les parents de la jeune femme, et pour comprendre l’individu qui était la cause de sa disparition, plutôt que par générosité. Lily avait toujours été curieuse de comprendre quel élément pouvait vous faire basculer. A partir de quel instant quelqu’un de bien pouvait sombrer, au point d’en oublier son éthique, et ses principes ? Et qu’en était-il de ceux, qui dès le plus jeune âge, prenaient un malin plaisir à faire souffrir ? Elle se posait souvent ces questions en observant le genre humain. Le sujet des amours était à présent abordé. Le regard noisette de la jeune femme se figea dans celui de Lawrence, impalpable, flamboyant d’une lueur qui n’avait rien à voir avec de la tristesse. Si elle semblait aborder le sujet avec une forme d’autodérision, en réalité elle était très sérieuse. Ses paroles ne représentaient pas forcément ses pensées profondes. Mais le fait est qu’elle ne percevait pas l’amour comme la plupart des jeunes gens de son âge. Comme anesthésiée, l’amour ne lui manquait pas. La présence de quelqu’un à ses côtés non plus. « Je n’ai pas peur d’aimer, ni d’être aimée. C’est juste que je n’y arrive pas, c’est tout. Mais ... Merci ... » Il comprendrait, ou non, cela n’avait pas d’importance. Elle savait pertinemment que pour le sujet de l’amour, sa maladie lui servait de prétexte pour se dérober. C’était plus facile de dire que l’on ne voulait pas aimer par crainte de mourir et de faire souffrir, plutôt que d’admettre qu’il faut faire le deuil d’un être aimé, pour faire une place dans son cœur à quelqu’un d’autre.
Son expression, jusqu’alors sensiblement absente, et pensive, se fit plus captive en écoutant la réponse de l’homme. Un instant il la fit voyager avec lui verbalement, et l’instant suivant, elle se sentait envahie par une sorte de malaise latent qui commençait à lui enserrer la gorge. L’expression de ses traits, la façon dont ils se tirèrent … Sans être tout à fait sure, elle comprit. Et l’usage qu’il fit de l’imparfait ne fit que confirmer ses soupçons. Un silence s’était installé. Lourd. Terrifiant. Lily le regardait se renfermer en-lui-même comme une coquille, impuissante. Avant qu’il ne parte trop loin pour ne plus lui revenir, ses petites mains avaient encadré son visage, forçant son regard à retrouver le présent plutôt que de s’enliser dans un passé qui le tiraillait d’une souffrance indicible. « Lawrence. Je suis désolée. Regarde-moi. » Ses pupilles allèrent de l’une à l’autre. Elle ne savait pas bien comme s’excuser de lui avoir fait revivre ce souvenir. Inconsciemment évidemment. Mais jamais elle n’avait voulu le faire souffrir. Pour une fois à court de mots, elle s’était juste contentée de l’enlacer, avec force, comme pour lui insuffler le courage de refouler toute cette tristesse qui l’avait envahi. A son oreille, elle avait murmuré « Pardonne moi, je ne voulais pas te replonger dans leur souvenir. » elle s’était ensuite reculée, ne demandant aucun détail. Elle avait compris l’essentiel : elles avaient été, n’étaient plus aujourd’hui. S’il souhaitait lui expliquer les circonstances de leur disparition elle le laisserait prendre cette initiative. Elle n’avait pas suffisamment d’audace et d’irrespect pour lui pour s’hasarder à poser des questions.
© ACIDBRAIN
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