FB. Keep closed feat. Bonaventure

« Parce qu’il lui manque une jambe…Je sais. On me le dit très souvent mais dans un sens, je veux bien la comprendre. Les personnes qui subissent une amputation peuvent changer, devenir aigri et perdre le contrôle de leur vie. Je pense qu’elle avait peur que je change, de ne plus me reconnaitre. Dans le fond, elle n’a pas eu tort. C’est juste que j’aurais aimé qu’on en parle tous les deux et non qu’elle me quitte de cette manière-là » soupira-t-il conscient que Sanaa ne devait plus savoir sur quel pied danser avec lui. La dernière chose qu’il souhaitait, c’est qu’elle ne le prenne en pitié comme beaucoup de personne. Oui, il lui manquait une jambe mais il vivait, il respirait comme tout le monde. « Je n’aurais jamais dû m’en prendre à toi de la sorte. Je suis vraiment désolé surtout qu’en prenant la peine de parler avec toi, je me rends compte que vous êtes vraiment différentes au-delà du physique » lui dit-il un peu penaud. S’il avait su qu’il faudrait se retrouver plus ou moins dans le noir, enfermé avec Sanaa dans un centre commercial pour qu’il ose enfin lui parler… Bonaventure ne l’aurait pas cru. « Okay… je vais essayer de te trouver ça dans le magasin » se reprit-il. Il fallait qu’ils sortent tous les deux d’ici et le temps des confidences venaient de se terminer. Place à l’action. « J’ai trouvé des grosses trombones, cela te suffira ? » lui demanda-t-il en revenant vers elle, quelques minutes plus tard. « Attends, je vais t’éclairer la serrure » lui dit-il en se servant de l’application lampe torche de son smartphone.

Fréquenter un homme handicapé par amitié était une chose mais le voir meurtri dans l’intimité, le voir ôter sa prothèse chaque soir avant de se coucher, ne plus sentir le contact de sa jambe contre la vôtre au sein même de votre lit, avait de quoi perturber. Bonaventure avait souvent réfléchi à la question en se mettant de l’autre côté de la barrière : aurait-il pu continuer son histoire d’amour avec Lucy en la sachant diminuée ? Son cœur lui soufflait que oui mais sa tête elle, tenait un autre discours. Il était simple de dire oui, dans la spontanéité du moment mais le moment venu ?! Les choses pouvaient être différentes. « Je l’ai été par le passé » avoua-t-il. Oui, Aigri, amer au point de faire le vide autour de lui afin de souffrir en silence et surtout pour mieux se droguer en silence. Une part sombre de sa vie qu’il combattait toujours malgré ses sourires, malgré sa bonne humeur apparente. Aussi, voir Sanaa lui faisait prendre conscience que sa rancœur était toujours présente et qu’il avait peut-être besoin de tirer un trait sur le passé une bonne fois pour toute. « Oui, vous vous ressemblez étrangement. Physiquement j’entends car ta voix, tes expressions faciales, ton comportement est différent. C’est comme se retrouver face à un fantôme du passé puis au final, croire qu’on hallucine quand tout redevient normal » tenta-t-il d’expliquer l’effet que produisait sa comparse du moment sur lui. Bonaventure alla lui chercher ce qu’il pouvait trouver pour la serrure et les lui tendit alors que la discussion reprenait entre eux. « J’ai essayé au départ pour tenter de la récupérer mais je tombais sur une boite vocale. Je savais qu’elle a séjourné un moment chez ses grands-parents dans le Maine puis j’ai abandonné. Par moment, je me surprends à vouloir lui parler pour tout déballer mais au bout de trois ans… Ce serait ridicule non ? »

A la réponse de Sanaa, il ne put s’empêcher de rigoler. « Oui, je sais que tu n’es pas sa jumelle, elle était fille unique » fut sa réponse tandis qu’il secouait légèrement la tête. Lucy appartenait à son passé mais elle n’avait plus sa place ni même le droit de se mêler de son présent. Il devait enterrer ce passé pour pouvoir être pleinement heureux auprès d’Andrea et surtout, pour libérer Sanaa de ce fardeau. Elle n’avait pas demandé d’être la pâle copie de Lucy. Oui, pâle car à présent qu’il la côtoyait plus longuement que quelques secondes, il prenait conscience de combien ces deux femmes étaient différentes. Sanaa avait cette force dans le regard que Lucy n’avait pas. « Non aucune alarme. Le courant semble être coupé dans tout le centre-commercial. C’est étrange d’ailleurs qu’il n’y ait pas encore eu de gardiens » médita Bonaventure avant d’hausser les épaules. « A moins que cela ne soit une coupure générale dans tout le quartier. Ces derniers temps, il y a eu beaucoup de faits de ce genre relatés dans les journaux » lui apprit-il non sans lui sourire avec amusement. En effet, cela ferait tâche si on les surprenait dans ce centre commercial.

En tous les cas, la jolie blonde semblait bien informée sur lui. « Oui, tu es bien informée. Andrea est ma petite amie » lui confirma-t-il avant de pencher la tête sur le côté. « Tu le tiens de Leanne n’est-ce pas ? J’ai appris qu’elle avait quitté Harvard il y a peu » reprit-il. C’était dommage qu’elle soit partie mais sûrement avait-elle ses raisons. « Tu t’en sors avec la serrure ? Sinon je peux essayer de voir si je trouve autre chose pour l’ouvrir » lui dit-il.

« Sûrement, dans les deux cas, je pense que nous ne risquons rien mise à part de rester coincé dans ce fichu magasin » répondit-il à Sanaa. Effectivement le gardien pouvait être en train d’essayer de faire fonctionner le courant ou au moins le générateur de secours -du moins, s’il y en avait un. La jolie blonde se redressa, visiblement contrariée de ne pouvoir crocheter la serrure aussi facilement. Devait-il commencer à réfléchir à une autre solution ?! Peut-être pourraient-ils passer par le faux plafond ? Dans ces immeubles, il était courant de ce genre de pratique, beaucoup moins onéreuse à la construction. Le métisse était tout de même sceptique même si son cerveau continuait de tourner à plein régime. Entre temps Sanaa lui expliqua qu’Andrea, Leanne et elle partageaient un lien de parenté. « Vraiment ? Le monde est petit ! J’avoue que je m’y perds un peu avec la famille d’Andrea » avoua-t-il avec une grimace comique. Il savait que Leanne et Andrea avaient eu le même père -du moins si sa mémoire était bonne ; mais du coup, Sanaa, il ne voyait pas vraiment d’où elle venait. Une cousine ?! « Tu es une cousine ou une demi-sœur ? » lui demanda-t-il pour essayer d’en savoir plus sur le sujet. Après tout, tout ce qui touchait à sa petite-amie l’intéressait au plus haut point. Cela l’amena à parler de Leanne et surtout de son départ. « J’espère qu’elle reviendra un jour ou l’autre » lui dit-il tout en se mettant en quête de quelque chose de plus rigide. Au bout de trois minutes, il revenait avec des petites tiges métalliques. « Il y avait des cintres cassés dans la poubelle, j’ai pu récupérer des petites tiges. Ce sera peut-être plus pratique pour toi ? »

Décidément, Bonaventure était totalement perdu dans cette histoire de famille avec tous les cousins, cousines. « C’est plus que compliqué, il faudrait limite que j’établisse un arbre généalogique de toute la famille pour resituer tout le monde » plaisanta-t-il en se frottant l’arrière du crâne, un petit sourire aux lèvres. Dans le fond, cela l’intéressait réellement car il aimait apprendre un peu plus sur Andrea mais de l’autre, il savait qu’elle n’était pas vraiment proche de certains membres de sa famille. Un peu comme lui. Pour beaucoup des membres de sa famille qu’ils proches ou lointains, Bonaventure ne cadrait pas vraiment avec le décor. Un métisse dans une famille purement blanche… Il y avait de quoi détonner.

La porte résistant à Sanaa, il essaya de lui trouver du matériel bien plus résistant et surtout imposant. Dire que s’il y avait eu du courant et que si la porte avait été contrôlée par un système électronique, il aurait pu le bidouiller en deux trois mouvements ; seulement si ma tante en avait, on l’appellerait tonton. « Oui, vraiment sérieux. Elle est tout ce que j’attends d’une femme et j’espère que l’on fera un bon bout de chemin ensemble. Et toi, tu as quelqu’un ? » lui demanda-t-il avec curiosité. Sanaa lui paraissait le genre de femme un peu inaccessible, énigmatique… Alors savoir si elle avait un compagnon lui paraissait être une bonne interrogation. « Ah, je crois avoir entendu un clic… tu as réussi ? » lui demanda-t-il plein d’espoir.