Qu'est-ce qui nous a prit? (Jarod)

Le jeune homme venait de passer de la case sourire à la case visage soucieux. Quand il parlait de Joanne et heureusement ce n'était pas tout les jours... Son visage se fermait, le mauvais souvenir de sa mort prenait le pas sur les bons qu'il avaient pu partager avec elle. Je n'avais pas connu la jeune femme et même s'il m'avait confié cet épisode de sa vie, on en parlait guère peu souvent. Les rares fois où il le faisait, j'essayais de l'épauler et de lui faire penser à autre chose. Il ne savait pas si sa chance pouvait tourner, si sa vie pouvait changer. Sa vie en était-il déjà autant blasé? Il était clairement ailleurs, dans des coins reculés de sa tête, des coins où je ne pouvais avoir réellement accès. J'avais déposé ma main sur la sienne pour doucement le tirer vers la réalité. La réalité c'était ici et maintenant. Mais, je n'avais pipé mot. Il termina la sauce et ramena le tout à table. J'avais été chercher la bouteille de vin et j'étais en train de remplir nos verres lorsqu'il reprit enfin la parole. Sur le coup je faillis lâcher la bouteille qui m'échappa des mains et que je rattrapais de justesse. Bien qu'ayant quelque peu tâché la nappe de la table. Il avait rencontré une fille? C'était Joanne. Je pense que je suis devenue livide avait-il des hallucinations? Mon sourire s'effaça. Quoi? lâchais-je. Ce n'était pas elle mais, sa jumelle Jamie... Je ne comprenais pas très bien enfin si j'entendais mais, comment ça sa jumelle. Un fantôme du passé venait de surgir dans sa vie en la personne d'une jumelle identique à elle. Je déposais la bouteille et il se mit a servir les assiettes presque machinalement. Et tu n'étais pas au courant?  A vrai dire, je ne savais pas trop quoi en penser. Ses traits me semblaient marqués, soucieux même. Il était là mais, il était ailleurs. Ma fourchette s'était mise à séparer les pâtes. Je la redéposais et avalais mon verre de vin blanc d'une traite.

C’était dingue comme je pouvais facilement me faire envahir par des fantômes. Le fantôme de Roxanna, de Joanne… Tout était fait pour me troubler et me faire perdre la tête. J’avais toujours à la drogue il y a quelques mois, j’avais fait des bads trips, ce genre de chose dont je ne parlais pas. J’avais également un peu trop touché à l’alcool, me laissait à demi mort sur le canapé, mais qu’importe, je ne pensais pas dans ces cas-là. Aujourd’hui, Sanaa était mon rayon de soleil, celle qui me boostait à aller de l’avant et même si mon cœur se sentait plus léger lorsque j’étais dans les parages, je ne m’autorisais pas à penser que je ressentais des sentiments pour elle. Pourquoi ? Parce que j’étais bloqué, parce que je ne méritais pas d’aimer et d’être aimé et parce que toutes les personnes que j’appréciais finissaient par s’envoler en doux fumet sombre. Je regardais un instant les quelques gouttes sur la nappe, d’habitude je me serai levé en trombe pour nettoyer, ce genre de chose, mais là je n’en avais pas la force. Je soupirais alors qu’elle tentait de manger ses pates discrètement. « Je n'en sais rien. Je ne connaissais pas son existence et elle ne connaissait pas la mienne. Elles étaient en froid, apparemment… » Je prenais alors ma première bouchée du repas, un peu nauséeux. Joanne avait pourtant su à quel point la famille était un point important et essentiel pour moi. Je relevais alors la tête vers le soleil de ma journée, puis je voyais à quel point j’avais pu assombrir son visage. J’attrapais alors la bouteille et tentais de dessiner un sourire tout en servant son verre. « Tu n’as même pas trinqué… »

Jarod venait de m'assener une bien drôle de nouvelle. Il m'avait perturbée l'espace d'un instant. Il fallait l'avouer pour la première fois depuis longtemps, je ne savais pas quoi lui dire. Enfin non, en fait là c'était la seconde fois en l'espace de quelques heures. Très étonnée, j'avais laissé un nouveau blanc, un silence, s'installer avant de lui poser une question anodine mais, importante. Du moins je ne comprenais pas grand chose à cette histoire, sa copine avait une jumelle mais, lui semblait totalement l'ignorer. Au point d'avoir cru voir en elle Joanne la défunte. Joanne à qui il pensait toujours, qu'il n'oublierait peut-être jamais. A ce souvenir, cette mémoire, je me sentais incapable de palier. J'avais pourtant essayé de lui redonner le goût d'avancer, mais cette nouvelle me montrait qu'il pouvait encore replonger si facilement. Peut-être était-ce lui qui avait raison, le passé ne nous laisse jamais vraiment nous échapper. Il venait de m'expliquer que ni l'un ni l'autre ne se connaissait... Que les deux jumelles étaient en froid. Et moi, moi? Je ne savais pas quoi répondre à cela. En même temps, je me mettais à sa place, ça ne devait pas être facile. Oh je vois, ça doit être étrange. finis-je par lâcher tout en lâchant aussi ma fourchette. Je relevais les yeux sur son visage et son faible sourire et je l'imitait alors machinalement. C'est vrai que j'avais bu mon verre un peu vite. J'avoue, je le regardais servir mon verre. J'emprisonnai ma coupe entre mes fins doigts. Tu as raison, excuses-moi à quoi veux-tu trinquer? A ta nouvelle rencontre, à nous, à la vie à quoi exactement? Un nouveau sourire s'accroche à mes lèvres, notre soirée prenait une étrange allure. A notre beau voyage au Chili. J'entrechoquais mon verre contre le sien avant de le vider une nouvelle fois cul sec.

« Effectivement… » Oui c’était étrange, gênant même. A vrai dire je ne m’étais toujours pas remis de cette rencontre soudaine, qui s’était, en plus de ça, très mal déroulée. Un choc entre deux personnes dans un café bondé, rien de plus normal ou presque, on aurait presque dit une scène de ces fameux films que les femmes apprécient tant. Mais la ressemblance avec Joanne était trop grosse et mon haut-le-coeur n’était pas passé inaperçu. S’ensuivaient quelques explications, puis le ton mêlé à la colère était bien évidemment monté, apportant avec lui la souffrance et la méchanceté. Je m’étais mis en colère ce jour-là, ouais, moi, en colère et contre une femme en plus. Ce jour-là, ce que je cachais notamment à Sanaa, je m’étais dit qu’au final mes démons que je pensais disparus, eh bien… ils étaient toujours bels et bien là, à attendre un léger débordement de ma part, et au fond c’était ça qui m’angoissais terriblement… « À nous deux, au Chili. » Je tendais à feindre un doux sourire puis j’approchais mon verre à mes lèvres pour le descendre d’une traite. Mauvaise idée sachant mon passif en compagnie de l’alcool, mais qu’importe, j’avais besoin d’un verre, et puis j’étais plus fort que ça non . Plus fort que la tentation, plus fort que l’alcool ? Je raclais ma gorge puis attrapais à nouveau mes couverts pour déguster ce diner affectueusement préparé. Pendant la soirée, Sanaa et moi, nous nous contentions d’éviter les sujets fâcheux, laissant place à la bonne humeur qui régnait entre nous, jusqu’à ce que la soirée se termine....