JILL HALBERSTAM ► anne-marie van dijk

La musique hurlait son volume élevé dans les oreilles de Jill, rythmant sa course à un tempo soutenu. Sa montre lui indiquait qu’elle était déjà partie depuis trente minutes, son souffle ne montrant encore aucun signe de fatigue. Perdu dans ses pensées, elle tentait d’oublier son dernier partiel qui se déroulait dans 3 jours. Elle avait voulu se changer les idées avant de se remettre au boulot mais c’était un ultimatum difficile à négliger. Elle sentit son écouteur droit glisser de son oreille. « Dis-moi que tu fronces les sourcils sur tes jolis yeux parce que tu t’inquiètes de ta tenue de vendredi soir. »  Roulant des yeux sans pouvoir empêcher un sourire, elle tourna la tête pour poser son regard sur le propriétaire de l’ironie de ces propos, autrement appelé Angus, qui occupait la place de meilleur ami dans le cœur de la blonde depuis le lycée. « Désolée, tout le monde n’est pas aussi serein que toi en pleine période d’exam, monsieur le premier de promo. » Le concerné apporta sa main sur sa poitrine, imitant théâtralement une blessure au cœur. Il faut dire qu’il était vraiment le genre de pourriture de génie qui révisait ses cours un minimum (peut-être un peu plus tout de même) et se gardait toujours avec flegme des notes ahurissantes. « Ca c’était petit, tu me déçois beaucoup Jill Halberstam ! Non sérieusement, il faut vraiment que tu penses à autre chose, ça frise l’obsession. » Soupirant, la jeune femme se contenta de ne rien répondre. Au fond, ne faisant pas partie de ceux qui cri à l’échec à tord pour se faire remarquer, elle était bien consciente qu’elle maitrisait son sujet et n’avait jamais prétendue le contraire. Mais c’était plus fort qu’elle, elle le ruminerait encore un peu jusqu’à ce que ça soit terminé. « En plus, Josh vient vendredi. » La californienne manqua de s’étouffer entre rire et surprise. « Sérieusement ? Et alors ? » « Merde Jill, ce type ne te quitte pas des yeux depuis des mois, pourquoi tu ne lui laisses pas une chance ? Si Ruth Martin avait la moitié du même intérêt pour moi, j’hésiterais pas un instant. » Il écopa d’un coup dans les cotes amusé pour sa dernière remarque mais elle n’ajouta rien alors qu’il explosait de rire. Josh avait intégré la fac au début du semestre et elle avait en effet des doutes sur ses intentions. Il était plus que physiquement agréable, c'était un fait et il lui plaisait, un peu, mais avait ce sourire au coin des lèvres qui l'exaspérait. Le genre qui fait tomber toutes les filles qu'il veut quand il veut, et bien qu'il aille essayer ailleurs, trop peu pour elle. Elle n'arrivait pas à prendre la chose avec assez de légèreté pour tenter l'expérience avec un type comme ce dernier, dont les chances que ce ne soit qu'un jeu pour lui soient démentielles. Honnêtement, elle n’avait juste pas envie d’en parler. C’était un peu l’un des sujets à éviter chez elle, ce pourquoi les personnes au courant de ça venaient se compter sur les doigts d’une main. Elle n’avait jamais été amoureuse et n’avait jamais accordé sa confiance suffisamment à un garçon pour le laisse franchir la barrière qu’elle avait construite entre elle et le monde. « Si tu comptais te vouer à une vie d’abstinence, tu aurais pu me le dire plus tôt, j'trouverais ça triste mais j'comprendrais ! » « Pardon mais j’estime qu’il y a une différence entre une vie d’abstinence et se taper tous les mecs du campus ! » « Tu vois très bien ce que je veux dire. »  « Toi aussi. » S’il croyait qu’elle était pas la première victime de tout ça. C’est pas comme si elle ne le voulait pas. Plutôt qu’elle n’y arrivait pas, et qu’avec toutes les histoires qu’elle pouvait entendre digne d’une série télé ne participait pas beaucoup à lui donner foi en l’espèce humaine. Enfin, elle avait l’habitude et trouvait bien d’autres problèmes à s’occuper. Puis au final, elle attendait quand même cette soirée avec impatience, étant la dernière qu’elle passerait à Berkeley avant de s’envoler rejoindre son frère à Harvard. Et ce n’était pas l’impatience qui lui manquait. Si elle ne se serait jamais imaginée quitter sa précieuse Californie natale, il fallait avouer que Leo lui manquait énormément, et un petit séjour à Harvard ne faisait jamais mal sur son CV, surtout lorsqu’on avait les moyens intellectuels, et elle les avait. Peut-être au fond n’était-ce qu’une manière de bousculer un peu sa vie, ses conventions, ses habitudes enclavées nonchalantes dans son quotidien trop fade pour elle. Et elle se demandait si son départ pour Harvard n’était pas aussi une excuse pour fuir. Fuir la monotonie qu’elle connaissait depuis son enfance, cette vie sans remous, aussi lisse que du verre, aussi calme qu’un lac. Elle était née ici, grandi au milieu d'une famille sans histoire, de trois frères et d'amis qu'elle aimait. Mais ce n'était pas assez. Si elle ne se l’avouait que peu, elle avait besoin de plus, toujours plus que ce qu’elle avait. Plus d’imprévus, plus de surprise, de danger. Au fond, Jill s’est cette fille à la recherche désespérante du frisson, ne serait-ce que d’une sensation. De l’ardeur comme de la peur.