I want to touch the other side. PV.

Bonaventure était en avance une fois de plus au rendez-vous fixé par sa mère. Ils devaient aller déjeuner ensemble comme tous les lundis depuis qu’elle était venue s’installer à Boston. C’était un petit rituel qui leur permettait de se voir et cela lui convenait même s’il doutait encore des raisons de son installation. Sa mère craignait-elle à ce point pour sa santé mentale ? Ou avait-elle compris ce qu’il cachait depuis quelques semaines. Ces derniers temps, Bonaventure avait éprouvé beaucoup de difficulté à regarder son père droit dans les yeux et pour cause, ce dernier ignorait tout de sa fille biologique. Un joyeux bordel. « Tiens, bonjour Delilah, tu as rendez-vous aujourd’hui ? »salua-t-il avec bonne humeur, la jeune femme qui venait de se mettre à ses côtés tandis qu’ils attendaient l’ascenseur. Il appréciait beaucoup cette jeune femme bien qu’il ne connaisse pas grand-chose d’elle. Lui-même ne lui avait toujours pas dit qu’il n’était pas un patient mais le fils de sa thérapeute. « Vas-y après toi » l’invita-t-il à rentrer dans l’ascenseur avant d’y pénétrer à son tour. Ni l’un ni l’autre ne remarqua la feuille qui se détacha du mur à la fermeture des portes et pourtant, il s’agissait d’une information capitale : Attention, ascenseur en panne.

Machinalement, il appuya sur le bouton de l’étage du cabinet de sa mère et la machine commença son élévation jusqu’à stopper brutalement. « Qu’est-ce qui se passe ? »se demanda-t-il en appuyant plusieurs fois sur le bouton de l’étage avant de se tourner contrit, vers la demoiselle. « Cela doit être une petite panne passagère »

   

« Salut Bona ! » Je souris au jeune homme qui avait déjà appelé l'ascenseur. Je savais qu'on allait au même endroit mais j'étais un peu intriguée qu'on arrive en même temps. Oui si on a rendez vous avec la même personne ça veut forcément dire que l'un d'entre nous deux va attendre un petit moment avant de passer et je ne suis pas fan de l'attente. « J'ai rendez vous oui, toi aussi ? A quelle heure ? » Je regarde ma montre et mon téléphone, j'ai bien rendez vous à 11h30 aujourd'hui. Je ne me suis pas trompée, j'espère que je vais passer la première. Je passe la première pour entrer dans l'ascenseur ne faisant pas attention au reste. Puis on commence à monter et là c'est un peu étrange jusqu'à ce que ça se stoppe. Bordel il ne manquait plus que ça. Je ne suis pas la femme la plus patience qu'il existe sur terre, si Bonaventure ne le sait pas encore, il va vite l'apprendre de moi. « J'espère, je vais être en retard sinon ! Et je n'ai aucune envie de passer toute ma journée dans cet ascenseur ! Tu as essayé le bouton d'appel parce que je n'ai pas de réseau ici. » Dans ce type d'appareil il n'y en a jamais malheureusement. C'est souvent le cas, en effet, le téléphone est souvent en absence de réseau lorsqu'on en a le plus besoin, c'est une horreur, les opérateurs devraient sérieusement penser à faire quelque chose pour ça. Oui oui, je suis aussi le genre à refaire le monde quand un truc ne va pas et que ça me parait aussi simple que cela pour que ce soit réglé.

« A 12h30 mais j’étais dans le quartier alors je me dis que je serais toujours mieux au chaud dans la salle d’attente que dehors à me geler les… enfin à avoir froid »se reprit-il au dernier moment. Le métisse veillait toujours à son comportement et à ses propos en société de peur de s’attirer le ridicule. Pour certain, c’était un concret du mec coincé par excellence, pour d’autres, juste l’exemple parfait de la bonne éducation. Et pour le principal intéressé ? Juste une habitude vieille comme le monde. « Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te prendre ta place » la taquina-t-il avec un petit clin d’œil tandis qu’ils pénétraient tous deux dans l’ascenseur qui rapidement, tomba en panne à leur plus grande consternation. « J’ai essayé mais il n’y a rien » lui répondit-il avec une certaine appréhension. Il le sentait mal pour le coup ! « Tu as du réseau ? J’en ai pas » lui demanda-t-il alors qu’il rangeait son smartphone dans la poche de son jean. Bon, inutile de paniquer, ça allait rapidement se remettre en marche. « Ils vont bien finir par se rendre compte que l’ascenseur est bloqué » tenta-t-il de rester optimiste, lui adressant même un sourire chaleureux.

   

« Ouf je pense que j'aurais pu de détester rien que de savoir qu'à cause de toi j'allais perdre mon temps dans une salle d'attente ! » Je lui adresse mon plus beau sourire en total contradiction avec ce que je viens de lui dire. Il a une bonne bouille, il a l'air d'avoir le coeur sur la main alors comment le détester juste pour une erreur de psychologue ? L'ascenseur se bloque et ni le bouton d'appel à l'aide, ni son téléphone n'ont l'air décidé à nous sauver la vie. Je prends alors le mien, mais il ne sera pas d'une plus grande aide. « Aucun réseau non plus... » Merde alors ! Ce n'est pas dans une salle d'attente que je vais perdre mon temps mais bien ici, ce n'est pas franchement mieux. « Bon ben je crois qu'il va falloir qu'on prenne notre mal en patience... » L'ancienne Delilah aurait eu des idées cochonnes mais moi non, j'avais juste envie d'apprendre à plus le connaitre. Je me laisse glisser le long de la paroie pour m'asseoir. Oui d'abord j'attends et après j'essaye de m'enfuir si je vois que ça ne bouge pas. « Ta séance était importante ? genre question de vie ou de mort ? » Si je me retrouve avec un psychopathe devant moi, je veux le savoir.

Coincé dans un ascenseur ! Génial ! Il ne pouvait pas rêver mieux. Certes, Bonaventure était en bonne compagnie mais tout de même, il ne voulait pas inquiéter sa mère. Cette dernière allait faire une syncope si elle se rendait compte que son fils était en retard. Depuis les attentats -et surtout à cause de ses nombreuses agressions, Norah Weasley s’était transformée en véritable maman poule. Le métisse ne disait rien, il adorait se faire chouchouter mais delà à inquiéter sciemment sa mère, il y avait de la marge. « Oui, nous n’avons pas le choix. Ils finiront bien par se rendre compte qu’il y a quelque chose qui cloche » lui répondit-il sans savoir que justement, l’ascenseur étant déjà déclaré en panne, personne ne viendrait à leur secours. Imitant Delilah, il se laissa glisser le long de la paroi pour s’asseoir à même le sol. Cela ne serait à rien de se fatiguer inutilement. « Euh non non.. En fait pour t’avouer la vérité, la psychologue est ma mère. J’avais rendez-vous avec elle pour déjeuner. J’espère que cela ne te gêne pas d’apprendre cela ? Ma mère est une professionnelle, elle ne parle jamais de ses patients si cela peut te rassurer » prit-il aussitôt la défense de sa parente. Bonaventure avait à cœur que Delilah ne se méprenne ni sur elle, ni même sur lui.

   

« J'espère quand même qu'ils vont s'en rendre compte rapidement... C'est bientôt l'heure de manger et j'ai très faim le midi comme je ne déjeune presque pas le matin. » Je raconte ma vie ? Juste un petit peu, en même temps je suis pas très à l'aise d'être enfermée ici, mais ça va passer en discutant, puis je me dis que c'est obligé qu'on se rende compte que nous sommes là rapidement et qu'on vienne nous chercher. Je l'espère. Mais en attendant je suis heureuse de faire plus ample connaissance avec mon habituel partenaire de salle d'attente. Je suis choquée par sa réponse. La psychologue est sa mère ? C'est une blague ? Il doit me prendre pour une folle c'est bon, il s'est fichu de moi en plus depuis plusieurs jours. Roh, je n'aime pas cela. « Je... Euh... Non ça ne me dérange pas par rapport à elle, mais c'est différent par rapport à toi... Comme je t'ai dit à plusieurs reprises que je me demandais pourquoi je venais parler à un psy alors que ça ne me faisait rien... » J'avais besoin de ça, je le savais, mais clairement je n'avais pas l'impression d'avancer, pas l'impression que ça me fasse quelque chose. « Pourquoi tu me l'as pas dit tout de suite ? » C'est un filou le petit gars là j'aurais pu lui en dire des vertes et des mures, heureusement que j'ai tenu ma langue.

« Si tu veux j’ai un paquet de biscuits dans mon sac ! J’ai tendance à toujours me perdre alors j’ai toujours de quoi pallier à une petite faim » lui proposa-t-il bien qu’il avait l’impression de passer pour un crétin patenté. Bonaventure était ainsi, toujours prévoyant -mais en même temps, vu les emmerdes qui avaient tendance à lui tomber dessus, valait mieux l’être. Aussi, il ramena sa sacoche élimée par le temps pour en sortir une bouteille d’eau ainsi qu’un petit paquet de biscuits non entamés. « Sers-toi, je n’ai pas vraiment faim » l’invita-t-il en posant ces quelques victuailles au milieu d’eux. Bien sûr, il fallut qu’elle lui pose une question et à cause de son honnêteté, le métisse n’avait pu que lui dire la vérité. « Parce que justement, je ne voulais pas te gêner ni même gêner le travail de ma mère. Normalement, je ne devrais même pas être dans sa salle d’attente mais j’arrive toujours en avance. J’ai vraiment apprécié discuter avec toi mais je te rassure de suite, je te l’aurais dit plus tôt si j’avais vu que tu me confiais des choses trop personnelles. Je te présente mes excuses si ça t’a froissé ou si cela te met mal à l’aise… Malheureusement, je peux pas vraiment te laisser toute seule là pour le coup » grimaça-t-il en faisant référence à leur situation. « Tu veux que j’aille au coin ? » s’amusa-t-il à dire pour détendre l’atmosphère.

   

« Va au coin oui c'est mieux que la fessée, je pourrais paraitre trop entreprenante et si tu répètes ça à ta mère elle va vraiment penser que je suis folle. » Je lui adresse un beau sourire pour lui montrer toute l'ironie de ma voix. Je le taquine parce que je préfère le prendre comme ça plutôt que de me vexer parce qu'il ne m'a pas dit la vérité avant. « Merci pour les gâteaux, j'en prendrais un quand je ne pourrais vraiment plus tenir plutôt que de te manger un bout de cuisse ! » Canibale, voilà ce que je pouvais devenir avec la faim. Mais quand même, j'allais savoir me tenir et faire durer non victuailles parce que je n'étais pas égoïste et je n'allais surement pas tout manger. Même si psy j'avais fait un sacré travail sur moi sur ce point là, avant, je n'aurais pensé qu'à moi sans problème de conscience. « T'as bien fait de ne pas me le dire... Je ne suis pas sûre que j'aurais pris le même plaisir à discuter avec toi sinon... Mais tu dois te demander ce que je fous là non ? » Oui parce qu'entre névrosés du bocal on n'a pas besoin de demander ce qui nous mène ici, mais maintenant que je sais qu'il vient simplement voir sa mère, je pense qu'il doit se dire que j'ai un problème pour être ici. Sans attendre de réponse à ma question je finis par lui lâcher : « J'ai perdu ma grande soeur dans la bombe qui a explosé à Harvard y'a trois ans. » Comme ça c'est dit. Mon regard se baisse pour se fixer sur mes mains.

« Oh tu sais dans ma famille, la folie est monnaie courante donc tu n’as pas à t’en faire » rétorqua-t-il en jouant le jeu du mec qui se met au coin. « Au moins, j’échappe au bonnet d’âne, ce qui n’est pas plus mal pour mon amour propre… En fait, je préfère encore le bonnet d’âne que la fessée » rigola-t-il, le visage tourné vers la paroi de l’ascenseur. Toutefois, Bonaventure remercia le fait de ne pas la regarder car sa taquinerie lui avait arraché une grimace. Delilah l’ignorait mais le bout de cuisse, c’était bien tout ce qui lui restait mais il se garda bien de le lui dire afin de ne pas plomber l’ambiance. Il termina tout de même par se retourner vers elle, conscient que la conversation s’engageait sur un terrain sérieux. La jeune femme lui apprit alors qu’elle avait perdu sa sœur lors des attentats et Bonaventure lui lança un regard désolé. « Je comprends… Les attentats ont pris de nombreuses vies, des êtres qui nous sommes chers. J’ai perdu mon meilleur ami ainsi que ma jambe droite » lui dit-il, jouant la carte de la franchise en tapant sur sa cuisse droite. « Ce n’est jamais facile de faire son deuil hein… surtout quand tout vous rappelle cette perte »

   

« Non mais je rêve... Tu m'encourages à te mettre une fessée ? » Est ce qu'il sait que je ne suis pas le genre de fille qui à froid aux yeux ? Peut être qu'il l'a compris avec mon franc parlé. « Ah non je me disais bien que t'étais pas fou à ce point ! » La fessée d'une presque inconnue ? Je voulais bien savoir que j'étais plutôt pas mal physiquement mais ça serait audacieux d'accepter une telle proposition venant d'une presque inconnue. J'en aurais été moi même gênée puisque je le taquinai, je prenais ça plutôt à la rigolade en n'étant pas sérieuse. « Ah. Je suis désolée. » La discussion était moins frivole, maintenant on parlait de ce qui m'amenait ici, des attentats et je dois dire que je ne m'attendais pas à de telles révélations de sa part. « T'as l'air complètement épanoui pourtant... Mais je ne te connais surement pas assez pour porter ce genre de jugement sur toi. » En fait, je veux clairement dire qu'il a l'air de bien le vivre, d'être un mec posé, qu'il sait où il va et pourquoi il fait les choses. Ca a l'air d'être un mec bien, on ne dirait pas qu'il a été si touché par les attentats. C'est fou. Soit il est vraiment fort, soit sa mère a réussi un bon job avec lui et dans ce cas là je me dis qu'il faut que je continue à venir la voir, qu'elle finira par en faire de même avec moi. « C'est ça... Enfin... Je crois que je n'ai pas à me plaindre par rapport à toi... Tu t'en es remis comment ? » Est ce que j'étais en train d'essayer de m'imaginer comment je ferais pour vivre avec une jambe en moins ? Peut être un petit peu. Ca voudrait dire plus de robe et tout. Impossible.