A long time ago ∞ Alayna

Mon cours de danse venait tout juste de se terminer. J’étais dans les vestiaires en train de me changer lorsque j’avais reçu le sms d’un des garçons que j’avais rencontré la semaine dernière lors d’une fête étudiante. Heureusement que j’avais enregistré son numéro de portable avec son prénom et une photo sinon je ne me serais jamais souvenu de qui était ce fameux Kévin. Il fallait dire que je sortais tellement et que je rencontrais tellement de personnes aussi bien homme que femme que je me perdais assez rapidement. Enfin bref, il me proposait de le retrouver lui et ses potes sur le parking pour boire de la tequila et fumer. En temps normal, j’aurais peut-être hésité mais étant donné que j’avais fini les cours, je pouvais me permettre cet écart. Et puis de toute je faisais bien ce que je voulais cours ou pas cours, j’étais assez grande pour savoir ce qui était bon ou pas pour moi. Je sortis donc rapidement des vestiaires et filais sur le parking ou j’y retrouvais Kévin et six autres garçons que je ne connaissais pas mais je m’en fichais entièrement. J’étais plutôt sociable et j’avais l’habitude de me retrouver la seule fille dans un groupe et c’était plutôt plaisant au final. Kevin me présenta à ses amis - dont je ne retins que la moitié des prénoms – avant de me tendre la bouteille de tequila. Si l’un des prof ou même le doyen nous voyait, je ne suis pas sûr qu’il apprécierait mais peu importe. Alors que j’étais en train d’allumer ma cigarette tout en écoutant la blague d’un des garçons, j’aperçue au loin quelqu’un que je connaissais ou plutôt que je croyais connaitre mais ce n’était pas possible elle ne pouvait pas être à Boston alors je détachais mon regard et reportait mon attention sur le groupe en ne pouvant m’empêcher de penser qu’elle lui ressemblait étrangement.

Ma journée de cours était enfin terminée. Bordel, qu'est-ce que ça pouvait être casse-couille de terminer aussi tard... Le pire dans tout ça, c'est que même après les cours, j'étais forcée de passer la soirée entière à bosser, réviser et étudier. Ce soir, je n'avais pas du tout la tête à travailler donc je décidais de prendre ma voiture pour sortir un peu en ville. Boston était un endroit immense et il y avait tellement de choses à voir que ce serait idiot de ne pas y faire un tour. Je me dirigeais donc à pas pressés vers le parking. Il faisait tellement froid – et en bonne merdeuse, j'avais choisis ce jour pour sortir en robe, génial, non ? J'aperçus au loin un groupe de sept ou huit personnes, tous des gars, qui fumaient clopes sur clopes. D'ailleurs, le parking entier puait la mort. J'avais l'impression que j'allais m'étouffer. Heureusement, ma voiture était garée totalement à l'opposé d'où ils étaient. C'est pas comme si j'allais me faire violer non plus mais on ne sait jamais, les gens qui se réfugient ici sont tous des cons drogués ou alcooliques. Alors que je m'apprêtais à monter dans mon véhicule, je m'attardais sur le groupe. Je reconnus une fille. Elle devait sûrement être une mather... parce que voilà quoi, elle était entourée de tout un tas de mecs et elle fumait aussi. Son visage me rappelait étrangement quelqu'un mais je ne savais pas exactement qui. Je me creusais la cervelle à essayer de donner un nom à ce visage mais rien ne me venait à l'esprit. Enfin, j'avais un – très – léger doute mais ça ne pouvait pas être possible... Chloé à Harvard ? Elle ne fumait pas, elle n'était pas ce genre de meuf. Et de toute façon, si elle serait venue ici, je l'aurais remarquée plus tôt, non ? Ça ne pouvait pas être elle.

Je n’arrivais plus à me concentrer sur ce que disaient Kevin et sa bande. Il dû m’appeler à plusieurs reprises pour me demander si je voulais encore de la tequila. Je le regardais et secouais la tête. C’était comme si on était sur deux planètes totalement différentes, dans deux espaces différents même si on était l’un en face de l’autre. Je n’étais plus du tout en harmonie avec eux. Le fait de revoir cette fille m’avait replongé plusieurs années en arrière à l’époque où j’étais au lycée en pensionnat à New-York. A cette époque, je menais en quelque sorte une double vie. Au lycée j’étais une fille timide à la limite d’être coincé mais en dehors, le week-end j’étais totalement différente, j’étais une autre Chloé mais personne au lycée de ne le savais. J’avais toujours fait en sorte d’aller faire la fête loin de ce lycée, chez mes grands-parents à Honolulu. Là-bas, j’étais un véritable démon qui ne respectais absolument rien et qui n’écoutais jamais ce qu’on me disait. J’étais sûr que c’était Alayna, ma meilleure amie du lycée. Certes ça faisait un moment qu’on ne c’était pas vu mais je la reconnaissais quand même. Elle avait marqué mes années lycée et même si on c’était totalement perdu de vu je ne l’avais pas oublié. Je quittais Kévin et sa bande. Je les entendis m’appeler mais je ne fis pas demi-tour. Je jetais ma cigarette et l’écrasait par terre, avant de me diriger tête bien haute vers cette fille qui ressemblait trait pour trait à Alayna. De toute façon, même si ce n’était pas elle, je n’avais rien à perdre, je dirais tout simplement que je m’étais trompée de personne et je m’en irais exactement comme j’étais venue et retournerais fumer et boire. « Alayna ? » Dis-je d’une voix claire ce qui me surprit un peu au final. Il fallait que ce soit elle, il le fallait.

Ce n'était pas possible, je devais sûrement me tromper. Et pourtant, cette fille me faisait affreusement penser à Chloé. Les mêmes traits de visage, le même regard... Mais non, au fond de moi, je savais pertinemment que ça ne pouvait pas être elle. L'esprit ravivé par tous mes souvenirs d'adolescence, j'ouvris la portière et je m'apprêtais à rentrer lorsque je fus interpellée par celle qui m'intriguait depuis maintenant quelques minutes. Alors... c'était elle ? Ça faisait trop pour n'être qu'une coïncidence, non seulement elle lui ressemblait comme deux gouttes d'eau mais en plus, elle connaissait mon prénom. Chloé... C'est toi ? Je pouvais pas y croire. Au fond, j'avais envie que ce ne soit pas elle. Parce que je ne voulais pas admettre qu'elle soit devenue ainsi. Je l'avais connue tellement... timide. C'est à peine si elle acceptait de venir à une soirée où il y avait de l'alcool. Et maintenant, elle était là, entourée de garçons, en train de boire et se défoncer. Forcément, elle devrait être différente, elle avait probablement changé. Rien que physiquement, elle était méconnaissable. Je n'arrivais pas à la quitter du regard. C'était elle, j'en étais certaine. Je pourrais reconnaître ses yeux entre milles. Elle a quand même été ma meilleure amie, à une certaine époque.

C’était bien elle, je ne m’étais pas trompée. Alayna était bel et bien devant moi en chair et en os après toutes ces années. Si j’avais pensé un jour que je la reverrais. Elle avait été tellement importante à l’époque du lycée. Une des rares personnes avec qui j’arrivais à m’entendre, à parler librement malgré le fait que j’avais qu’une envie : ne plus exister. Sans le savoir, elle m’avait permis de rester en vie. Et puis du jour au lendemain je l’avais quitté et je ne lui avais jamais plus remparer. Pourquoi ? Je n’en savais absolument rien. Peut-être que j’avais envie de mettre mon ancienne vie de côté ? Ou bien je n’avais tout simplement pas envie qu’elle découvre la véritable raison de mon départ. Comment dire à une amie qui avec qui je me comportais comme une fille timide qu’en réalité j’étais une droguée, fêtarde et qui se foutait de tout même de la vie ? « Oui c’est moi. » J’étais censé la prendre dans mes bras ou pas. Je continuais à la regarder. Elle avait gardé le même visage. Elle n’avait pas réellement changé. En revanche on ne pouvait pas dire la même chose de moi. Heureusement que j’étais habillée correctement. « Ça fait longtemps. » Je ne savais pas vraiment quoi dire. Trop d’année c’était écoulées entre nous. « Je ne pensais pas te revoir un jour. » Dis-je en me passant une main dans les cheveux.

Sa réponse ne fut pas une surprise pour moi. Je m'en doutais, je le savais que c'était elle. Mon instinct ne me trompait jamais. Je savais pas quoi faire, quoi dire. J'étais juste choquée par ce qu'elle était devenue. Je l'avais connue différemment – autre fois, c'était tout sauf une alcoolo. Elle était ce genre de filles qui faisait tout pour rester loin de la drogue, des clopes et de toutes ces conneries. Et là... elle se défonçait dans un parking avec un groupe de bouffons. Encore heureux qu'elle soit pas en mini jupette... D'après la façon dont elle évitait mon regard, je pouvais voir qu'elle savait pas du tout quoi dire, elle non plus. J'sais pas, qu'est-ce qu'on est censé dire à son ex-meilleure amie qu'on a pas revue depuis presque dix ans ? Je pensais pas te revoir non plus. Jamais. Et encore moins à Harvard. Dans ces conditions. Tu vas me dire pourquoi t'es partie ? Pourquoi tu m'as abandonnée sans rien dire du jour au lendemain ? J'espérais qu'elle avait une bonne excuse en béton armé, que ça n'avait rien avoir avec moi et que ce n'était pas de sa faute. J'espérais qu'elle n'avait jamais rien souhaité de tout cela. Mais au fond de moi, je savais que c'était sa décision, que c'est elle qui a choisi de me lâcher comme ça. Et ça me faisait mal.

J’aurais aimé que nos retrouvailles se passent différemment et pas dans un parking où je me trouvais avec toute une bande de mecs à boire comme une alcoolique à la bouteille et à fumer comme un pompier. Ça n’aurait jamais dû se passer ainsi. Sa question était directe. Elle ne perdait pas de temps. J’aurais pensé qu’on aurait d’abord réappris à se connaitre, à rattraper le temps perdu. Mais d’un côté, je pouvais la comprendre. Je l’avais abandonnée et si elle m’en voulait elle avait toutes ses raisons. Je n’aurais jamais dû la laisser ainsi alors qu’elle avait toujours été là pour moi, quand personne ne voulait m’écoutait elle, elle était là, jamais elle ne m’avait laissé tomber. Mais est-ce que je devais lui parler pour autant de ce que j’avais fait, du fait qu’en réalité j’avais toujours été cette fêtarde qui ne vivait que pour se détruire depuis la mort de ma sœur autrement dit depuis la mort de ma demi-sœur. « Je… je devais retourner en Angleterre, ma mère ma ramener auprès d’elle là-bas parce que… Je ne sais pas pourquoi je ne t’ai pas appelé… Je crois que j’ai tout simplement essayé d’oublier ma vie en Amérique… » C’était une demie-vérité ma j’avais peur de sa réaction si je lui disais ce qu’il c’était réellement passé. On ne pouvait pas dire qu’on était amie mais je ne voulais pas qu’elle change l’image qu’elle avait de moi en tant que lycéenne. « Je suis désolée vraiment désolée. » Je sais que ça ne changerais rien à ce que j’avais fait mais tant pis.

Elle avait pas l'air d'être à l'aise. Comme moi, en fait. J'avais juste envie de me barrer en courant parce que non, je m'étais pas mentalement préparée à la revoir. Son explication me paraissait complètement... absurde. Elle aurait pu faire ça à n'importe qui mais pas à sa meilleure amie, quoi... elle aurait pu me passer un coup de fil, elle aurait pu tout me dire mais elle a préféré garder le silence radio pendant presque neuf ans. C'était incroyable quand même. On était plus complices que jamais, on se disait vraiment tout et puis un beau jour, pouf, plus de Chloé. Elle ne répondait ni à mes sms, ni à mes appels, ni à mes mails, ni à rien du tout en fait. Je pensais au pire genre toute sa famille avait été kidnappée et avait dû s'exiler en Russie ou des trucs du style complètement stupides – et puis un jour j'ai compris que non. J'ai compris qu'elle avait simplement décidé de couper les ponts, elle était partie sans me dire un mot, elle ne voulait plus de moi. Ça m'avait fait du  mal d'admettre ça mais la pilule est tant bien que mal passée. À un moment donné, j'avais détesté Chloé au point de ne plus jamais vouloir la revoir. Mais au final, j'ai compris que ce n'était peut-être pas de sa faute. Ça ne servait à rien de la haïr. En tout cas, je la connaissais par cœur et j'avais l'impression qu'elle ne me disait pas tout. Juste une impression. Tu me caches quelque chose ? Demandais-je d'une voix susceptible. Elle était désolée... ouais, mais au bout du compte, ça ne changeait pas grand chose.

Je ne savais pas que j’étais une mauvaise menteuse. Habituellement je m’en sortais très bien. Mentir, pour faire croire que tout allait bien était devenue tellement une habitude après la mort de ma demi-sœur que c’était comme ça que j’avais appris à mentir. Je pouvais les regarder dans les yeux et leur dit que oui tout allait bien même si ce n’était pas réel. Mais avec Alayna ça n’avait jamais marché elle avait toujours su quand je mentais et apparemment ça n’avait pas changé. Même après toutes ces années elle savait encore comment je fonctionnais. D’un côté ça me faisait plaisir mais d’un autre non parce que j’allais devoir lui dire la vérité et je savais que ça ne lui ferait pas plaisir. Elle allait être déçu en se rendant que je la Chloé timide et réservait qui se laissait un peu marcher sur les pieds n’avait jamais réellement existé enfin si elle avait existé mais seulement en Angleterre quand j’étais rentrée. « Je… Ce que je vais te dire ne va pas te plaire. » Mais c’était elle qui voulait la vérité pas moi. Parfois fallait mieux ne rien savoir. « La vérité c’est que tu ne me connais pas. Tu ne sais pas réellement qui je suis. Je n’ai jamais été une fille timide qui n’osait parler à personne et renfermé sur le travail. En réalité j’étais une fêtarde qui faisait la fête tous les week-ends quand je rentrais à Honolulu chez mes grands-parents et j’en ai payé le prix. J’ai fait une overdose un samedi soir et ma mère m’a ramener en Angleterre et j’y suis resté. J’aurais pu revenir mais je ne l’ai pas fait, je voulais simplement oublier ma vie oublier l’Amérique et recommencer tout à zéro. » Je relevais la tête et la regarda droit dans les yeux attendant une réaction de sa part.

Je pense qu'elle le savait – ça ne servait à rien de me mentir. J'étais une menteuse très douée mais j'étais tout aussi douée pour voir quand les gens mentaient. En particulier les personnes dont je suis le plus proche. Et Chloé avait été ma meilleure amie durant une longue période donc je la connaissais par cœur. Et là, je n'avais aucun doute concernant le fait qu'elle me cachait quelque chose. Ça sautait aux yeux. Je redoutais le pire quand elle m'annonça que ce qu'elle comptait m'avouer n'allait pas me plaire. Et en effet, ça me fit l'effet d'une bombe quand elle me donna finalement la véritable raison de son départ. Tu ne me connais pas. Elle avait osé dire ça ? Alors toutes ces années, tous ces moments qu'on avait passé ensemble, tout ça, c'était faux ? Ce n'était pas réel, ce n'était pas vrai ? Putain. J'avais été dupée de la sorte plusieurs fois mais je crois que je n'ai jamais été aussi choquée. Maxym, d'accord – nous n'étions pas tellement proches au final donc ça ne m'avait pas tant surprise que ça. Mais Chloé... elle était censée être ma meilleure amie. Comment elle avait pu me cacher une chose pareille ? Elle releva la tête pour me regarder droit dans les yeux, comme si elle redoutait ma réaction. Mais mon visage était vide, il n'exprimait rien. Ça me fendait le cœur de savoir qu'elle m'avait menée en bateau pendant presque six ans. Je ne comprenais pas pourquoi elle ne m'avait pas dit la vérité. Après tout, j'aurais sûrement été compréhensive avec elle, j'avais beau être la plus grosse salope de tout New York, j'étais loin d'être la même avec Chloé. Je la considérais comme ma sœur et elle même le savait : je l'aurais soutenue peu importe la situation. Je vois... je comprends. Ça me fait juste mal de me dire qu'au final, je comptais pas tellement pour toi. Pas assez pour que tu me dise la vérité, dis-je en la regardant à mon tour. J'aurais pu m'énerver et lui reprocher tout un tas de trucs mais là, j'avais pas envie de me disputer avec elle. J'étais déjà en froid avec Leevy, ça me suffisait amplement pour le moment. Et de toute façon, au fond, je ne comprenais que trop bien Chloé : parfois, on a juste besoin de fuir la réalité parce qu'elle est bien trop compliquée à affronter.