Le car fait une pause dans une station service aux allures un peu suspectes. Une fille semble malade, on a pas vraiment le choix à priori. Mon ancien compagnon de voyage s’étant installé un peu plus loin pour une partie de poker improvisée, je me suis étalée de tout mon long sur la banquette, un sweat shirt sous la tête à défaut d’avoir son épaule en guise d’oreiller. Une fois que nous sommes à l’arrêt, je m’étire et, ni une ni deux, saute sur mes pieds. J’ai besoin de me dégourdir les jambes ça en devient vital. Je me retrouve quelques secondes plus tard dans la boutique de la station, une canette de soda dans la main. Mon regard se pose sur une table proposant divers jeux à l’achat. Au vu de la poussière sur les boîtes, il faut croire que les visites dans le coin sont rares. Un sourire se dessine sur mes lèvres, ça vient de faire « tilt » dans ma petite tête. Comme quoi, j’ai des souvenirs de soirées où je suis ivre morte et où il me semble avoir fini par un magnifique black out. Je ne prends absolument pas cette vision comme un signe d’une quelconque divinité me surveillant. « Passer mon été à faire des mots croisés et jouer aux dames, le rêve ! » Et oui, c’est bien un jeu de dame que j’ai en face de mes yeux et non n’importe quel jeu de société. Il ne me faut pas plus pour prendre Caleb au mot près, me jeter sur la boîte toute poussiéreuse et lâcher quelques billets au caissier – qui a également une tête suspecte – et retourner dans le bus. Le voyage continue et je reste allongée avec la musique dans les oreilles et un air béat sur le visage. Sincèrement, je l’apprécie de la façon la plus simple au monde et c’est peut être ce petit détail qui me rend heureuse. Il ne me manquerait plus qu’une dame du troisième âge pour lui qui se trouve « vieux » parmi tous les « jeunes » que nous sommes. J’ai comme la sensation qu’il doit me considérer comme une gamine, mais tant pis.
À peine arrivés au Summer Camp, je l’invite à me rejoindre au bord du lac situé non loin et indiqué sur un plan des alentours distribué par nos adorables accompagnateurs-encadrants – et optionnellement professeurs en période scolaire. Peu de temps avant de partir dans le Vermont, j’ai appris que je partagerai ma chambre avec Marloes et Meghan. À mon humble avis, le moins je les côtoierai, le mieux je me porterai. Autant les autres filles de la chambre ne me dérangent pas, autant il pourrait y avoir quelques « tensions » avec ces dernières. Je pose ma valise et file aussi tôt à l’exploration des alentours, munie de ma super trouvaille. Je m’étonne au passage à apprécier le calme de la nature que j’ai souvent fuit en Andorre et danse parfois entre les arbres au rythme de la musique qui continue de résonner dans les écouteurs. Le chemin débouche finalement sur le lac. C’est bon je ne suis pas perdue et il semble que j’ai été plutôt rapide sur le coup. Pas de charmante tête blonde dans les environs. Je m’installe non loin de l’eau en m’allongeant sur l’herbe et en callant mon sac sous ma tête. Je respire de grandes bouffées d’air frais tout en fermant les yeux pour les protéger du soleil.
« i press trigger, i don't press people button. » (CALEB&KATELL)
Si le destin n’existait pas, Caleb croyait en l’intuition plus que toute autre chose. Il n’avait jamais tenté de comprendre ces inexplicables pulsions qui le poussaient à faire un choix plutôt qu’un autre, il ne faisait que le faire, confiant tout à ce hasard favorable. Il ne savait pas réellement ce pourquoi il avait accepté de venir au Summer Camp, il s’agissait plus d’une décision prise sur un coup de tête qu’un vraie réflexion. En même temps, Rockefeller n’avait pas toute sa tête à ce moment et Katell avait peut-être été un élément déclencheur. Mais il n’était pas mécontent, le Vermont semblait vraiment être une jolie région. Quoi qu’un peu perdue. Mais c’était peut-être aussi ce qui faisait son charme. Caleb ne pouvait pas se vanter d’être un grand amateur de la nature, c’était un citadin pur et dur, qui avait du faire une fois tout au plus du camping à Yellowstone. Ce n’était pourtant pas les idées qui lui manquaient, mais plus souvent le temps ou la motivation. Ce voyage lui permettait de renouer un peu avec ce côté qu’il avait délaissé depuis un moment. Cependant, il ne renonçait pas pour autant à son petit confort et son indépendance. Caleb avait loué un Hummer pour les vacances, histoire de pouvoir se rendre où il voulait sans pour autant devoir prendre les bus douteux du coin. Il comptait aussi emmener sa sœur Charlotte dans les montagnes, pour rattraper le temps perdu. Ils avaient beaucoup de choses à se dire. Notamment par rapport à un certain Damian, qui avait eu le malheur de se retrouver sur la liste de ses colocataires de chambre pour le Summer Camp. La seule chose positive dans cette situation, c’est qu’il pouvait l’avoir à l’œil. Même s’il avait conscience que cela pouvait vite dégénérer, il s’efforcerait de garder son légendaire sang-froid.
En arrivant aux chalets, il fut surpris de recevoir un message de la jeune européenne qui lui donnait rendez-vous près du lac. Le courant était bien passé entre eux la dernière fois, et même s’il ne souvient pas de tout, il en gardait un bon souvenir. C’était donc avec plaisir qu’il acceptait d’y aller. On leur avait fourni des plans en tout genre des environs, et il s’avérait que le lac n’était pas si loin d’ici. Caleb déposa rapidement ses affaires et prit le sentier pour se rendre sur le lieu indiqué. L’endroit était splendide. Tout était si… naturel en fait. Il aperçut bien vite la silhouette de la jolie brune allongée sur l’herbe, son sac en guise de coussins. Ses yeux étant fermés, Caleb décida de la surprendre. S’avançant avec des pas légers, il essayait d’aller vers elle le plus discrètement possible. Une fois arrivé à son niveau, il se pencha sur elle et laissa ses mains parcourir son ventre pour lui faire des chatouilles. Certes, c’était particulièrement puéril et il n’aurait jamais fait ça si ce n’était pas Katell. Il retrouvait quelque part avec elle une certaine âme d’enfant. De toute façon, c’était soit ça soit faire un plongeon dans le lac, chose pas forcément très appréciée par tout le monde même si l’eau était très tentante. « Alors Mademoiselle, on ne m’attend pas pour faire la sieste ? » Caleb s’assit tout sourire dans l’herbe, à côté d’elle, pas mécontent de la revoir.
J’entends rien, pas même besoin de faire semblant. Il paraît que certains sens fonctionnent mieux quand on se prive d’un autre, mais là, nada. Je pourrais presque ronfler ça reviendrait au même. Je somnole juste et sentir ses mains sur mon ventre me fait tressaillir de surprise. Oh pitié, pas les chatouilles. Un rire cristallin est expulsé de ma cage thoracique. Il m’en faut peu pour ne plus en pouvoir. J’en ai de nouveau les larmes aux yeux au bout de quelques secondes. Puéril ? C’est le cadet de mes soucis. Pas besoin de me saouler pour me mettre dans un tel état. Mine de rien, je suis relativement immature. « Alors Mademoiselle, on ne m’attend pas pour faire la sieste ? » Je rouvre enfin les yeux et croise son regard, non pas que j’ai douté une seconde quant à l’identité de mon « agresseur », mais s’il y a bien une chose que je ne sais pas faire c’est ne pas fixer mon interlocuteur. Un point de côté s’installer et j’essaye de reprendre mon souffle avant de finir par me redresser et m’asseoir à ses côtés. « Qu’est-ce que tu crois toi ?! Qu’on allait faire une sieste l’un contre l’autre comme des petits vieux ? » Ou comme deux amants, chose que nous n’avons pas eu l’occasion de faire la dernière fois. Je déroge de plus en plus à la règle, ou du moins à ce que l’on raconte dans mon dos. Je me retourne grand sourire aux lèvres et essuie les quelques larmes qui continuent de perler sur mes joues. « J’ai déjà une image assez... dégradante pour ton sex appeal à jouer avec aux dames et faire des mots croisés avec une demoiselle du troisième âge. » L’image me revient en tête et je ris de plus belle, ça en devient vraiment incontrôlable et Caleb pourrait écourter mon séjour dans le Vermont pour me faire interner dans un quelconque asile des alentours. Au moins, je ne fais pas de bruits suspects dignes d’un abattoir contrairement à certaines personnes. Je pose ma tête sur son épaule et tente de me reprendre vainement. C’est que ça fait travailler mon pauvre petit ventre tout ça. « Et oui, je n’ai pas tout oublier il faut croire… » Je lève les yeux au ciel. Je n’ai pas oublié sa confession, non plus. Je ne sais pas si c’est à prendre au sérieux cette histoire, mais même avec tout ce qu’il avait bu, en parler semblait l’affecter. En attendant, je ne préfère pas remuer le couteau dans la plaie dès le début de notre séjour ici. Peut être une autre fois, à tête plus reposée. Je lui donne un petit coup d’épaule, son silence me laisse penser qu’il est un peu ailleurs lui aussi. « Oh et cadeau pour toi ! Je devais l’embarquer en le voyant ! » J’attrape le fameux jeu hors de mon sac et le lui pose sur les genoux avec fierté. Mes mains se glissent sur son ventre. C’est à son tour de « souffrir ». Je me retrouve aussitôt face à Caleb, à le chatouiller. Ça a du bon de pouvoir se comporter comme des gosses, quelque part.
Le rire de la jeune fille faisait écho dans la vallée et il fallait dire qu’il était particulièrement communicatif. Caleb en avait presque mal aux joues à force de sourire. Un peu comme lors de ces soirées mondaines, dans lesquelles il fallait conserver un sourire freedent à longueur de temps. Sauf qu’à cet instant, il ne se forçait pas, il était étonnamment sincère. « Qu’est-ce que tu crois toi ?! Qu’on allait faire une sieste l’un contre l’autre comme des petits vieux ? » Caleb haussa les épaules avec un sourire en coin. Qu’en savait-il ? Elle ne lui avait pas dit ce qu’elle voulait faire après tout, sans parler de ce voyage qui fut exténuant pour tout le monde. « J’ai déjà une image assez... dégradante pour ton sex appeal à jouer avec aux dames et faire des mots croisés avec une demoiselle du troisième âge. » Sa réflexion le fit bien rire. Il avait eu pendant un court instant l’espoir que tout ce qu’il avait pu dire la dernière fois ne lui soit pas resté en mémoire, mais il fut rapidement balayé. Au moins, elle admettait qu’il avait un certain charme, chose qui ne lui déplaisait pas. Caleb aurait été capable de lui dire que les couguars étaient en vogue en ce moment, pour tenter de se justifier. Mais il doutait finalement que cela améliore vraiment son image. Et même s’il avait confiance en Katell, il éviterait de sortir ce genre de bêtise qu’on pourrait prendre au mot. « Et oui, je n’ai pas tout oublié il faut croire… » Il sentit sa tête se poser alors sur son épaule. Caleb ne savait pas comment interpréter cela. Les yeux rivés sur le lac, il essayait de se remémorer ce qu’il lui avait dit. Mais apparemment, elle s’en souvenait mieux que lui. Commençant à se mordiller la lèvre, il se sentait gêné sur le coup. Il avait peur de ce qu’elle pouvait penser de lui ou qu’elle le juge pour ce qu’il n’était pas. Katell le sortit de ses pensées en lui adressait un petit coup d’épaule. « Oh et cadeau pour toi ! Je devais l’embarquer en le voyant ! » Caleb haussa les sourcils, un mince sourire sur le visage. Il n’avait même pas eu le temps de lui acheter quelque chose avant de venir à son rendez-vous. En fait, il ne savait qu’ils en étaient déjà au stade de s’offrir des cadeaux. Sortant une boite de son sac, elle la posa sur ses genoux. Il regarda Katell dans les yeux, avec un léger air suspicieux avant même d’avoir vu de quoi il s’agissait. « Merci. » Reposant son regard sur la boite, son corps fut soudain parcouru par un frisson lorsque les mains de la jeune fille se posèrent sur lui. Plissant les yeux, il comprit que sa vengeance était en marche pour les chatouilles de tout à l’heure. Caleb explosa de rire, essayant de rapidement maitriser les bras de sa jeune amie pour mettre fin à cette insupportable sentence. Parvenant à lui immobiliser les mains, il la bascula sur le côté, la plaquant dans l’herbe sur le dos. Se retenant avec ses mains de part et d’autre de Katell, c’était avec un sourire triomphant, presque sadique, qu’il la toisa. Il resta à la regarder pendant quelques secondes, avant de se rendre compte de la position embarrassante dans laquelle il était. Caleb ne s’était pas senti aussi bien avec quelqu’un depuis longtemps, mais il ne comptait pas la gêner non plus. « Hum… Pardon. Voyons voir ça. » Reprenant un air sérieux, il se rassit correctement pour se saisir de la boite qu’il avait laissée de côté dans la bataille et savoir enfin de quoi il retournait. A peine avait-il posé les yeux dessus qu’il se mit à rire de nouveau. « T’es pas sérieuse ! Je t’ai pas précisé que j’étais terriblement mauvais aux jeux ? Même une grand-mère gâteuse pourrait me battre. » Il avait oublié de mentionner que c’était également un très mauvais perdant, mais tant pis, il n’allait pas commencer à lui énumérer ses nombreux défauts. Il la regarda de nouveau avec un franc sourire aux lèvres. « Merci, ça me fait plaisir que ça t’ait fait penser à moi un jeu aussi chiant. Je te mets au défi de ne pas gagner. » Caleb déchira l’emballage plastique qui entourait la boite avant d’ajouter « Au moins, tu pourra te faire des soirées jeu de dames avec tes camarades de chambre. Tu les as rencontrées ? » Il ouvrit le jeu, sortant le plateau et les sachets avec les pions pour les poser dans l’herbe.
Je n’ai même pas le temps de comprendre ce qu’il se passe, de voir ce que Caleb me fait faire en moins de quelques secondes je le retrouve juste au dessus de moi. Il ne me laisse pas le temps de répliquer ou de réagir. C’est vrai que vu de l’extérieur, ça pourrait paraître étrange, surtout qu’après le long voyage que nous venons de tous subir, je ne serai pas étonnée de voir d’autres étudiants se dégourdirent les jambes dans les environs ou piquer une tête dans le lac. « Hum… Pardon. Voyons voir ça. » Je me redresse à mon tour, hausse un sourcil en me demandant pourquoi il s’excuse et passe mes mains instinctivement sur mes vêtements, ils ne sont pas froissés ou plein de terre, d’herbe pourtant. Vieux réflex. Un sourire s’affiche sur mon visage pensant que Caleb s’occupe du jeu. Je le suis aussitôt dans son fou rire, incapable de me contrôler je suis réduite à m’effondrer de nouveau au sol. Mes joues, mes abdominaux… Tout mon corps me fait mal à force. Les larmes de joie refont surface. « T’es pas sérieuse ! Je t’ai pas précisé que j’étais terriblement mauvais aux jeux ? Même une grand-mère gâteuse pourrait me battre. » Oh et bien s’il tenait à jouer aux dames et faire des mots croisés tout l’été, il allait devoir s’activer. Toujours dans un fou rire, je suis incapable de lui répliquer que je ne dois pas être bien meilleure que lui. Cela fait bien des années que je n’y ai pas joué, je ne me souviens presque plus des règles. Je prends une profonde inspiration pour me calmer et tourne enfin la tête dans sa direction. « Ah ça j’ai peut-être oublié ce détail entre temps. Enfin, ça ne me dit vraiment rien. » Je fais mine de réfléchir un instant. Rien de plus. Nous étions dans un état bien loin de la sobriété, pourtant j’ai encore quelques souvenirs parfaitement gravés dans ma mémoire. « Merci, ça me fait plaisir que ça t’ait fait penser à moi un jeu aussi chiant. Je te mets au défi de ne pas gagner. » Alors que Caleb s’attèle à préparer une partie, du moins à ouvrir la boîte, je me rassieds en tailleurs en face. « Je crois que tu n’auras pas de mal à gagner, entre nous. » Je glisse mes doigts dans l’herbe puis redresse vivement la tête. « Au moins, tu pourras te faire des soirées jeu de dames avec tes camarades de chambre. Tu les as rencontrées ? » Mes camardes… Non, je ne suis même pas allée prendre le temps de les attendre pour les rencontrer. Un sourire gêné se dessine sur mon visage. « Ah non, le jeu tu te le gardes et te le balades tout l’été ! » Cependant, des encadrants n’ont pas oublié de me préciser à qui j’allais avoir à faire dans le courant des semaines à suivre. « Mes camarades de chambre… » Je hausse les épaules. Je ne connais pas encore une des filles, Jhules, j’en connais vaguement une autre, Evannah. Quant aux trois autres, il pourrait y avoir des rires, des crises, des hurlements et probablement des pétages de plombs à l’appelle. « Si Meghan, Marloes et moi sommes capables de nous montrer civilisées, on devrait toutes s’en sortir vivantes, ma foi. D’ailleurs, il y a aussi ta sœur, ce qui me réconforte un peu pour les semaines à venir. » Je ne sais plus si j’ai eu l’occasion d’aborder les quelques tensions avec les deux premières, mais je fais comme si de rien n’était, ça ne doit peut être pas l’intéresser ces histoires de demoiselles. « De ton côté, t’as touché le gros lots de mâles bourrés de testostérone ? »
Aplatissant l’herbe avec ses mains, il y ouvrit ensuite le plateau de jeu. Le temps était au beau fixe et inspirait peut-être plus à aller nager qu’à jouer à ce genre de chose, mais qu’importe, ils ne se prenaient pas au sérieux. Tous les deux ne semblaient pas être très bons aux dames. « Ah non, le jeu tu te le gardes et te le balades tout l’été ! » Tss. Cette phrase tomba comme une punition mais ne manqua pas de faire sourire le jeune homme avant qu’il constate la gêne de son amie lorsqu’ils abordèrent le sujet des chambres. « Mes camarades de chambre… Si Meghan, Marloes et moi sommes capables de nous montrer civilisées, on devrait toutes s’en sortir vivantes, ma foi. D’ailleurs, il y a aussi ta sœur, ce qui me réconforte un peu pour les semaines à venir. » Caleb haussa un sourcil, se demandant ce qu’il pouvait y avoir entre les trois filles pour cela rende Katell autant embêtée. Là était tout le problème des chambres attribuées au hasard, on ne savait pas sur qui tomber. Mais cela rassura l’ainé des Rockefeller de savoir sa sœur avec elle, au moins une personne qu’elle connaissait. « Vous avez intérêt à rester vivantes s’il y a Charlotte avec vous. Je veillerai. » Il lui adressa un clin d’œil en lui souriant. Lui qui ne voulait pas commencer à jouer au grand-frère protecteur, ça partait bien. Il n’avait jamais douté de sa sœur, qui était quelqu’un de plutôt responsable, mais les ennuis pouvaient vite arriver et personne n’en était protégé. Il lui servirait bien un jour ou l’autre. « De ton côté, t’as touché le gros lot de mâles bourrés de testostérone ? » Le blondinet soupira, déchirant les sachets de pions. Il avait rapidement parcouru des yeux la liste des habitants de sa chambre, et il n’avait pas été si déçu que ça. Mis à part Jude, il les connaissait tous plus ou moins. Par contre, il se serait sans doute bien passé d’être en compagnie du frère Kovalevski qui avait fait tant souffrir sa sœur. « Ça va, je ne me plains pas trop. Il y en a bien un à qui j’aurais envie de mettre mon poing dans la figure mais… Je vais essayer de me contrôler et de le croiser le moins possible, sinon va y avoir de la casse. Pour les autres, ça peut passer, on va dire. » Il ne mentionnerait pas aussi le fait qu’il avait couché avec la copine d’un de ses colocataires, personne n’était supposé le savoir et il comptait bien sur la discrétion de Chuck pour ne pas l’avoir dit à Edenshaw. En y repensant, ce n’était pas très classe ce qu’il avait fait, mais bon, ce n’était pas le seul responsable dans l’histoire. Il éviterait seulement de parler d’elle avec lui pour ne pas sentir un quelconque malaise. « Par contre, je ne suis pas sur qu’ils soient très branchés jeu de dames. Sauf pour les dames en vrai, évidemment, ça je leur fais confiance. » Caleb afficha un petit sourire en coin, repensant à son ami Sheldon qui partageait sa chambre. Il lui avait raconté une fois que l’unique raison pour laquelle il participait au tutorat, c’était pour pouvoir brancher plus de filles. Cela ne l’avait pas étonné plus que cela, venant de la part d’un Winthrop, il fallait s’y attendre. Et puis, sa méthode semblait faire ses preuves d’après ce qu’il lui disait. Caleb ne le jugeait pas, chacun son truc après tout. On ne pouvait pas tous réussir comme lui à avoir un rendez-vous en parlant simplement de jouer aux dames. Il fallait avoir un certain talent. Ou ne pas en avoir du tout. Il y avait quand même mieux pour draguer une fille. Qu’importe, Caleb ne s’estimait pas maitre en la matière. « Et sinon, c’est quoi le problème avec les autres ? » Leurs prénoms lui disaient vaguement quelque chose, mais il ne les avait jamais rencontrées pour autant et était curieux d’en savoir plus. Il commença ensuite à positionner les pions sur le damier.
Je souris en toute franchise à l’intérêt qu’il porte à sa sœur. D’un côté, Caleb avait hésité il y a encore quelques semaines à l’idée de venir ici pour ne pas mettre en valeur son côté sur-protecteur avec elle, pourtant il vient tout juste de commencer à faiblir. C’est vraiment adorable et dire qu’il s’est révélé plutôt discret dans le courant de l’année. Sa confession alcoolique résonne une nouvelle fois dans ma tête. Ceci doit expliquer cela, non ? C’est là que je ressens l’absence de Jader. Heureusement qu’ils me changent tous les idées, même s’il s’agit de dispute. « Ça va, je ne me plains pas trop. Il y en a bien un à qui j’aurais envie de mettre mon poing dans la figure mais… Je vais essayer de me contrôler et de le croiser le moins possible, sinon va y avoir de la casse. Pour les autres, ça peut passer, on va dire. » Mettre son poing dans la figure d’un de ses colocataires ? Je ne l’aurais pas imaginé violent – ni bisounours sur les bords –, enfin si, il reste un homme, c’est comme une seconde nature chez eux. Je me mords la lèvre. Il est clair que je ne connais personne sur ce campus. Je ne sais pourquoi, mais cette idée a le même effet qu’un déluge sur mes épaules. Qui plus est, Caleb ne semble pas avoir l’air de plaisanter, non plus. « Je t’aurai également à l’œil alors. Ce serait bien dommage… d’abîmer ce minois. » Ça se passera de clin d’œil en ce qui me concerne, c’est une remarque à prendre sur le ton de la plaisanterie cette fois, même s’il est loin d’être désagréable à regarder qu’on se le dise. Cependant, je ne peux m’empêcher de pointer mon index devant son nez. « Par contre, je ne suis pas sur qu’ils soient très jeu de dames. Sauf pour les dames en vrai, évidemment, ça je leur fais confiance. » Je lève les yeux au ciel. Je ne suis pas la mieux placée pour réagir de cette façon, mais il est vrai que j’ai eu l’occasion d’en faire l’expérience, sans pour autant y céder à chaque fois, il ne manquerait plus que cela. « Ils ne savent pas ce qu’ils ratent eux ! Bande d’incultes… » Cette phrase se termine par un soupire. Je ne sais pas si c’est du à l’ironie de mon ton, par rapport au fait que le jeu de dames soit la chose la plus passionnante sur Terre ou sur ce côté exaspérant de ce genre d’étudiants. « Et sinon, c’est quoi le problème avec les autres ? » Mes yeux se sont mis à fixer ses mains alors qu’il continue de préparer le plateau de jeu. Je me redresse. Surprise. Je n’aurais jamais pensé que ces histoires de filles puissent l’intéresser. J’arque un sourcil et finit par avouer l’histoire. « Pour Marloes, je n’ai jamais trop su. On s’est peut-être pris la tête une fois, la raison reste inconnue, probablement que nous nous sommes retrouvées dans un ces conflits entre Mathers et Eliot. Ça a toujours été tendu et on ne cesse de s’envoyer balader, au mieux. » Je déglutis. Ça fait beaucoup de chose à dire pour une fille que je déteste. « Et Meghan… J’ai toujours eu la sensation qu’elle ne m’aime pas, à moins que je sois paranoïaque, je suis prête à mettre ma main à couper qu’elle me fusille du regard quand je suis avec Charlotte. J’ai beau me moquer des rumeurs à mon sujet, mais il faut croire qu’il y a un impact. De toute façon, j’ai une vengeance à préparer, elle a beau le nier, je reste persuadée que son coup de fourchette dans la main était volontaire. » Oui, je fais particulièrement attention à ceux avec qui je suis en froid. Après tout, ne devons-nous pas rester plus proches de nos ennemis que de nos amis ? « Ça paraîtrait indiscret de savoir pourquoi tant de haine envers un de tes colocataires ? » Je ne lui laisse pas le temps de répondre et me lève sans prévenir. « Finalement, on pourrait remettre cette partie à plus tard… autour d’une bouteille, de la musique. Comme l’autre soir ? » Je tourne les talons et me dirige vers le lac, semant mes chaussures au passage. « J’irai bien me dégourdir les jambes, dans l’eau. » Je n’ai pas prévu la tenue de circonstance, mais c’est pas comme si je suis une demoiselle particulièrement pudique ou introvertie. Je me retourne dans sa direction. « Tu restes sur la terre ferme ? »
Il y avait toujours eu un certain risque à avoir des colocataires tirés au hasard, surtout lorsque ceux-ci n’étaient finalement pas de parfaits inconnus. Comme Damian, dont sa sœur lui avait beaucoup parlé. Ce qu’il lui avait fait mettait Caleb hors de lui. Chacun avait ses propres petites histoires avec les uns et les autres et ce que lui avait dit la jeune fille rassurait un peu l'Eliot qui se sentait moins seul dans cette position. Personne n’était à l’abri d’une dispute dans la chambre, pas même Katell et ses colocataires apparemment. « Ça paraîtrait indiscret de savoir pourquoi tant de haine envers un de tes colocataires ? » Il leva les yeux vers elle en haussant les sourcils. Ce n’était pas indiscret, après tout, elle venait de lui raconter son histoire avec Marloes et Meghan. Elle avait le droit de savoir ce qui le rendait aussi impulsif. Mais en même temps, ça ne regardait pas que lui, mais aussi sa sœur. Il n’eu même pas le temps de lui expliquer qu’elle se leva d’un bond. « Finalement, on pourrait remettre cette partie à plus tard… autour d’une bouteille, de la musique. Comme l’autre soir ? » Caleb arqua un sourcil et abandonna la mise en place de ses pions, que de toute manière, il ne savait pas placer. « Y’a pas de problème. » D’un certain coté, cela lui faisait plaisir et lui faisait éviter une défaite qui s’annonçait sanglante malgré tout ce qu’elle pouvait dire sur son niveau. Les jambes étendues dans l’herbe, il regarda silencieusement la jolie silhouette de Katell s’éloigner vers le lac. « J’irai bien me dégourdir les jambes, dans l’eau. Tu restes sur la terre ferme ? » Caleb esquissa un sourire, bien sur que non, il ne resterait pas assis. Il fallait être bête pour refuser une telle offre avec un temps pareil, dans un cadre aussi sublime et surtout en si charmante compagnie. Il n’était certainement pas aussi fan des dames que ça pour ne pas avoir envie de piquer une tête dans le lac. Il se remit sur ses jambes, se frottant les mains pour s’enlever les brins d’herbe et la terre qui pouvaient y rester. Posant ses talons contre le sol, Caleb retira ses chaussures avant de rejoindre Katell au bord de l’eau. Il approcha doucement ses orteils pour prendre la température. Le Vermont n’était pas une région spécialement reconnue pour sa chaleur, il fallait donc se méfier et ne pas plonger là-dedans comme un malade. Rockefeller n’avait aucune envie de faire une hypothermie. Les pieds s’enfonçant dans la vase du lac, il se mit alors à rire « J’espère que Mademoiselle n’est pas trop frileuse. » Se décollant du sol gluant, il revint sur le bord et commença à défaire la ceinture de son bermuda avant de passer ses bras à l’arrière de la tête pour retirer son tee-shirt. Il regarda la brunette en souriant. Ce genre de situation avait toujours profité aux hommes, qui pouvaient se baigner sans problème en caleçon. Caleb n’avait jamais franchement compris pour les femmes étaient gênées en sous-vêtements alors qu’elles pouvaient s’exhiber sur la plage en maillot. Quelle était la différence fondamentale entre les deux ? Finalement, mis à part un souci de transparence, pas grand-chose. Les hommes assumaient aussi peut-être plus leur corps que les femmes en général, ce qui facilitait les choses. Il plia approximativement son tee-shirt qu’il posa par terre, y ajoutant bientôt son bermuda. Allant jusqu'à ce que l’eau atteigne ses genoux, il s’en passa un peu sur la nuque et les épaules, en attendant que la jeune fille le rejoigne aussi. La regardant avec un sourire taquin, il ajouta « Elle est un peu fraiche mais ça peut le faire. Les Suédois vont au sauna au moins avant. C’est ce qu’on aurait du faire. »
Je me suis arrêtée sur mon chemin le temps de retirer mes chaussures à mon tour pendant que Caleb s’approche du bord. Son rire, tellement communicatif dans le fond, m’interpelle. Ai-je fait quelque chose de mal ou bien même de drôle ? « J’espère que Mademoiselle n’est pas trop frileuse. » Un peu, oui, mais entre nous le voyage fut tellement inconfortable et fatigant que j’ai bien besoin de ça pour tenir le coup de la première soirée. J’ai beau ne pas avoir les meilleures affinités au monde avec certaines de mes colocataires, je suis prête à faire le « sacrifice » de mettre nos rancunes de l’année passée entre parenthèses afin que nos vacances d’été ne connaissent pas de drames. Bref, à mon humble avis, nous avons une bonne raison de faire la fête ce soir, que ce soit à même la chambre ou autour de la piscine. Qu’on se le dise, oui, il y a toujours une bonne raison pour boire un coup, même avec ses pires ennemies. « Pourquoi Monsieur l’est ? » Je lui décoche un grand sourire pendant qu’il se déshabille. Il y a effectivement de quoi se rincer l’œil et je ne m’en prive pas, tout en essayant de jouer la carte de la discrétion. Cela pourrait être intéressant s’il était frileux. Enfin promis, ce n’est pas dans mes intentions premières de le couler. Je ne tiens pas à perdre l’une des seules personnes avec qui je m’entends bien. Que l’on se montre puéril ou pas, tout le monde ne réagit pas au second degré quand il s’agit d’attraper la crève, au minimum. Par cette occasion, je serai également en froid avec Charlotte et ça aussi me mettrait mal à l’aise. Ou comment ruiner un été et, qui sait, les prochaines années de sa vie. « Elle est un peu fraîche, mais ça peut le faire. Les Suédois vont au sauna au moins avant. C’est ce qu’on aurait du faire. » Un sauna ? C’est original. À croire que je passe mes hivers sur des skis pour profiter de ce genre de réconfort quand je rentre au pays, quitte à ce que nous séchions les cours au lycée. C’est bien le genre d’endroit pour lequel je tuerai aujourd’hui, ici. Un sauna et me faire masser ou subir quoique ce soit qui puisse mettre un terme à toutes ces petites douleurs du voyage, de ma sieste sur la banquette d’un car. D’ailleurs, qu’est-ce qu’ils ont tous dans ce pays à voyager en car ? Une histoire de convivialité ? L’avion n’est pas plus mal dans le genre, en plus de s’avérer plus rapide. Je laisse tomber ma robe à mes pieds sans prendre le temps de jouer les saintes nitouches comme certaines ou de la plier un tant soit peu. « C’est pas bête comme idée, j’y songerai la prochaine fois que je viendrai. Enfin, tu as vu un sauna au camp ? » Je suis Caleb et me glisse doucement dans l’eau. C’est frais, certes, mais je ne prends pas autant de précaution que lui. Je me retrouve avec de l’eau jusqu’à la taille et hésite. Est-ce que mon idée peut être mise sur le compte de nos amusements enfantins ou dois-je éviter de me montrer aussi proche ? « Mon pauvre, je suis tellement curieuse et tu m’intrigues… Alors qu’est-ce qui pourrait te donner des pulsions de violence ? » Ni une, ni deux, je glisse mes mains dans l’eau et me plante face à ma charmante compagnie avec un brin de malice dans le regard. Je passe mes mains fraiches sur ses joues et ses épaules et finis par l’éclabousser gentiment.
Il fallait voir les choses en face, Caleb n’était pas un grand amateur du frisson et on était bien loin de la mer chaude des Caraïbes. Il n’était pas contre le changement, bien au contraire, mais il n’avait jamais eu l’habitude de foncer tête baissée. On n’était jamais assez trop prudent après tout. Se trempant inlassablement les membres avant de daigner rentrer dans le lac, il regarda Katell, sans aucune gêne apparente, lui passer devant pour se glisser dans l’eau. Il se trouvait un peu con sur le moment mais cela ne l’empêcha pas de continuer son adaptation à la température. « C’est pas bête comme idée, j’y songerai la prochaine fois que je viendrai. Enfin, tu as vu un sauna au camp ? » Remontant le menton, il fit mine de réfléchir pendant cinq secondes. « Je ne sais pas, peut-être que si tu n’avais pas été aussi pressée de me revoir, j’aurais eu le temps d’aller m’informer un peu plus. » Il ne sous-entendait rien de particulier par là, quoi que. Toujours était-il qu’il n’avait pas eu l’occasion d’analyser tous les plans et les prospectus qu’on leur avait donnés. Mais Jay Peak était aussi une station de ski en hiver, Caleb supposait donc qu’il pouvait y en avoir un. Quel resort digne de ce nom n’en possédait pas ? « Mon pauvre, je suis tellement curieuse et tu m’intrigues… Alors qu’est-ce qui pourrait te donner des pulsions de violence ? » Caleb haussa les sourcils, en esquissant un sourire. Il l’intriguait, voyez-vous cela. Mais il n’eu pas le temps de se poser plus de questions lorsqu’il sentit les mains glacées de Katell se poser sur son corps. Frissonnant, il se fit ensuite surprendre par la jeune fille qui l’éclaboussa. « Ce genre de chose, par exemple. » Il se mit à rire, frappant sa main dans l’eau pour répliquer et la faire reculer un peu plus dans le lac. Continuant d’avancer jusqu'à ce que le niveau lui arrive à la taille, il s’aspergeait encore régulièrement d’eau. « C’est juste que je n’aime pas qu’on se moque de ma sœur comme Kovalevski l’a fait… C’est vraiment un co… J’ai même pas envie d’en parler. Les filles, leurs amours et leurs grands-frères, c’est toujours galère. » Caleb n’avait pas encore digéré le fait que Damian laisse tomber sa sœur après lui avoir fait croire qu’il l’aimait. Il ne supportait pas ce genre de comportement, surtout lorsqu’il s’agissait de Charlotte, à qui il tenait le plus au monde. Il n’avait jamais été un très grand adepte des histoires d’amour, ayant au final eu assez peu de relations sérieuses et était donc mal placé pour pouvoir lui donner des conseils. Il éprouvait peut-être aussi une certaine jalousie et une nostalgie à la voir grandir. Caleb repensa au frère de Katell, qui devait surement comprendre son sentiment. Il ferma les yeux et s’enfonça dans l’eau entièrement une bonne fois pour toute. Remontant la tête à la surface, il se ramena les cheveux en arrière. « Et toi, t’es avec quelqu’un ? » C’était sorti tout seul, sans trop réfléchir, même si ce n’était pas ce qu’il voulait dire au départ. Se passant une main sur le visage pour s’enlever les dernières gouttes qui dégoulinaient encore, il tenta de rattraper sa question assez indiscrète. « Enfin non… Ce que je voulais dire c’est que t’avais surement du connaitre ce genre de situation aussi, tu sais comment c’est. »