CAN WE PULL THROUGH THIS CRAP? ❋ PRIAPE

Leo était partagé entre le soulagement de pouvoir parler de tout ça avec quelqu'un qui pouvait comprendre son ressentiment face à la situation ; mais il avait aussi l'impression de rendre le cauchemar encore un peu plus réel. Comme si parler encore et encore de la maladie de Calypso pouvait aggraver son cas. « Elle n'en a pas parlé une seule fois, je pense pas que ce soit envisageable, peut-être qu'elle n'en a pas parlé parce que c'est joué d'avance … » Elle n'avait pas hésité à lui parler de la chirurgie et de son refus de l'opération, parce que même si c'était risqué, ça existait. La chimio n'avait jamais été évoquée. Mille questionnements se bousculèrent dans la tête de l'étudiant, peut-être que le cancer était trop avancé, Caly n'était de toute manière pas assez en forme pour subir le choc d'une chimiothérapie sur son organisme. Le jeune homme se mit presque à rougir lorsque Priape parla de l'épisode syphilis. Il n'en était vraiment pas fier, même si avec le recul ce n'était pas la pire chose qu'il soit arrivé à la blonde. Dissipant le léger malaise que pouvait provoquer une discussion plus approfondi sur l'implication de l'un et de l'autre dans l'IST de la jeune femme Leo s'empressa de répondre. « Oui je pense aussi, il faut qu'elle soit en confiance. Mais je culpabilise de la prendre par les sentiments pour la faire changer d'avis, je ne veux pas qu'elle prenne un tel risque juste pour satisfaire son entourage, il faut qu'elle comprenne que c'est pour elle. » Et pas pour rassurer un petit ami désespéré, un ex trop inquiet ou une meilleure amie trop émotive à l'idée de la perdre. Mais elle ne pouvait pas décemment choisir de mourir. Il reporta son attention sur son livre. « Je n'y comprends pas grand chose, ça a l'air de ressembler à ce qu'a Caly et les symptômes ne vont aller qu'en empirant : vomissements, perte de connaissance. » Comme si elle n'était pas déjà suffisamment l'ombre d'elle-même.

C’était presque plus démoralisant d’en parler, de découvrir que les solutions –classiques- à ce genre de pathologie, ne s’appliquaient pas dans le cas particuliers du cancer de Caly. C’était peut être cet abattement qui avait gagné la jeune femme également et qui avait eu raison de son caractère combatif. J’écartai donc mentalement l’option chimio, même si seul un véritable cancérologue serait nous renseigner sur l’utilité d’un tel traitement pour la tumeur en question. On fit tous les deux abstractions de ma boulette et de l’évocation de l’épisode syphilis, préférant rebondir sur le besoin d’être en confiance pour Caly. « J’ai tellement de mal à croire qu’elle ait baissé les bras. Je suis pas dans sa situation, dans sa tête, j’imagine que je peux pas comprendre son choix du coup… Mais c’est juste que ça lui ressemble pas. Elle a des rêves, des ambitions, elle a toujours tout fait pour attendre ses objectifs. » Alors qu’elle se laisse terrasser par la maladie, ça me paraissait improbable. « Mais oui c’est pour elle, ni toi, ni moi, ni personne ne pourra la forcer à tenter l’opération. » Mais comment lui ouvrir les yeux ? Léo était en train de se décomposer en parcourant je ne sais quel bouquin sur le thème des tumeurs cérébrales. Je le lui pris des mains, le fermai et le reposai sur une étagère. « Je crois qu’on a pas besoin de lire ça pour savoir comment ça va finir si elle se soigne pas… » J’essayais de chasser de mon esprit l’image du corps de Caly sans vie. Je ne pouvais pas m’y résoudre. « Liz elle sait ? » J’avais remarqué quelques tensions entre elles en écosse, mais la rouquine restait sa meilleure amie. Elle, elle saurait peut être comment prendre Caly pour essayer de lui ouvrir les yeux.  

Le jeune homme écoutait Priape avec attention, pour une raison finalement assez évidente, il avait confiance en lui en une telle situation. Même si c'était plus qu'étrange de confronter leurs deux visions de Calypso, il la connaissait depuis si longtemps alors que l'étudiant savait avoir bien des choses à apprendre de sa petite amie. Il n'osa donc pas s'étaler sur les ambitions et les rêves de la blonde dont il ignorait finalement presque tout alors qu'elle se vantait de ne vouloir rien prévoir. « Je ne pense pas qu'elle se soit laissée abattre, du moins elle ne le voit pas comme ça, elle trouve ça courageux, de ne pas jouer à pile ou face sur sa chance de s'en sortir. Elle est sure de son choix, je ne sais vraiment pas comment on pourrait la faire flancher. » Et Leo ne voulait surtout pas utiliser la carte des sentiments, c'était bien trop bas, il ne voulait pas en arriver là. Les paroles du Dunster firent un peu frissonner Halberstam qui en savait que trop bien l'issue de tout cela, Caly avait une chance infime de s'en sortir si elle se faisait opérer, elle avait bien évidemment aucune si elle n'agissait pas, et ça tuait le jeune homme d'imaginer qu'elle puisse mourir – pour faire simple. Il se contenta de soupirer avant de faire la moue. « Elles se sont vues cet été, j'ai poussé Lizie à la voir, mais elle est têtue … La réconciliation n'a pas l'air d'actualité, même s'il est clair qu'elle a besoin d'elle. » Ce n'était pas à Priape qu'il allait apprendre qu'elle était impossible à convaincre quand elle avait quelque chose derrière la tête.

Il en fallait du courage pour affronter la mort certes, mais à mes yeux, il en fallait encore plus pour affronter la maladie. Le doute. La chimio. Les rayons. L’opération. La perte de cheveux. Les nausées. Les vomissements. Les réactions au traitement. Son corps qui ne vous répondait plus très bien à mesure que les produits faisaient leur effet, s’attaquant aux cellules cancéreuses mais décimant aussi celles qui étaient saines sur leur passage… J’arrivais pas à avoir cette vision de Caly, toute vulnérable et affaiblie. Peut être que c’était ce qu’elle aussi avait pensé, peut être que c’était pour ça qu’elle avait refusé les soins d’ailleurs… Pour mourir digne et valide. « Je sais pas plus que toi comment la faire changer d’avis… Elle a perdu beaucoup de gens. Elle a aussi vu dans quelle détresse j’étais quand mon frère est mort en 2013. Je crois qu’elle sait très bien au fond d'elle dans quel état on serait si on devait la perdre… » Pas besoin de le lui dire et d'espérer jouer là dessus donc. Même si désormais les sentiments amoureux avaient cédé la place à une affection toute particulière pour la blonde, je savais que j’allais avoir du mal à remonter la pente si elle venait à mourir. Et à voir la tête que tirait mon interlocuteur, la descente aux enfers serait également de mise pour lui. Je questionnais le garçon sur la meilleure amie de Caly. Après les tensions de juin, les choses ne semblaient pas s’être arrangées entre elles. « Elle a besoin de nous tous… Mais elle refuse de le voir. » De l’admettre aussi. Mais s’isoler, s’éloigner de nous, ce n’était pas la solution. « Au moins, elle t’a toi… » Et c’était sincère. Surprenant mais sincère. Ma main vint se poser sur son épaule, un appui, un soutien. « Comment tu encaisses tout ça toi ? » Ouais, j’étais vraiment en train de m’inquiéter pour lui, parce que le rôle du petit ami de la malade, ça devait lui peser sur ses épaules. Surtout si il était obligé de jouer les mecs qui accepte que sa nana se laisse mourir sans rien dire…

Leo savait que la vie de Calypso n'avait pas été simple, il l'avait appris un peu aux dépends de la jeune femme d'ailleurs. Durant son altercation avec Zoya au bal, les deux jeunes femmes s'étaient violemment engueuler et il avait appris le détail de l'histoire familial de Caly sans qu'elle n'ait décidé d'elle-même de le faire. Peut-être que son refus de l'opération venait de là, qu'elle se disait que c'était peut-être mieux comme ça. « J'ai pas envie de savoir que l'opération pourrait marcher au fond, j'ai tellement peur de la perdre, elle a raison d'un côté, elle a un risque énorme de partir plus tôt que prévu, mais si jamais ça marche … » Et elle avait besoin de soutien, ce qu'elle semblait refuser, évidemment qu'elle l'avait lui, elle l'aurait toujours peu importe la situation, mais elle n'en avait pas parlé à Priape, transmettant le message via Talya, elle n'en avait parlé qu'à Zéphyr, Leo avait donné l'occasion à la blonde de l'annoncer à sa meilleure amie, elle ne l'avait pas fait. Le geste du jeune homme surprit Leo, mais il trouva cela presque réconfortant, c'était le premier à lui demander comment il gérait la situation et la réponse était … mal. « C'est pas facile, j'ai peur de lui faire du mal sans faire exprès, je fais abstraction de la maladie mais c'est difficile, parfois j'étouffe, je sais très bien ce qu'il se passe, mais je … » Il se coupe brusquement, pas tout à fait prêt à s'étaler plus sur les sentiments qu'il éprouvait à l'égard de la jeune femme. « C'est facile pour personne. »

Léo était en pleine ambivalence : partagé entre l’envie de profiter de Caly, du temps qui leur était encore imparti, sans se poser de question sur l’intervention qu’elle refusait parce qu’elle pouvait la tuer prématurément, mais également incapable de faire complètement abstraction de cette solution bottée en touche. C’était lui, le soutien de la demoiselle, lui à qui elle s’était confiée, lui qui était près d’elle jour après jour, alors heureusement elle l’avait mais tout ce poids, toute cette pression qu’il devait ressentir, cela me conduit lui demander comment il allait. Peut être parce que cette place, si le timing avait été différent, si la maladie s’était manifestée plus tôt, ça aurait pu être la mienne. Peut être aussi parce qu’à mesure qu’on discutait, je me sentais gagné d’un élan de sympathie à l’égard du jeune homme. Je n’avais pas de mal à me mettre à sa place, à imaginer ce que ça pouvait être. Lorsqu’il me confia de ses craintes, de son étouffement, j’hochai la tête l’écoutant avec attention. Mon regard dévia un instant sur les étagères qui nous entouraient, les encyclopédies et ouvrages qui s’y trouvaient, tous parlant du même thème. L’ambiance n’avait rien de sereine ici. Mes prunelles retrouvèrent finalement celles de mon interlocuteur : « Tu devrais aller prendre l’air un peu… » Etudier toute la biblio sur le sujet n’allait pas sauver Caly, elle avait besoin de son petit ami, présent et solide…  

Cette conversation était loin d'être prévisible, même lorsqu'il avait vu Priape à ses côtés, Leo ne pensait pas trouver un quelconque soutien auprès du jeune homme, ni même qu'ils en viendraient à allier leurs forces pour convaincre Calypso d'accepter un traitement. Ils avaient fait du chemin depuis leur première rencontre, et avec recul il comprenait la réaction qu'avait pu avoir le Dunster à l'époque même si Halberstam en gardait toujours un peu de rancœur. Il lança un regard profondément reconnaissant à son étrange acolyte. « Je crois aussi, en tout cas merci, je serai rassuré que tu voies Caly de temps en temps, elle a confiance en toi et je peux pas être tout le temps là. » En tant que Leo, ça lui coûtait un peu de le reconnaître, mais que pouvait-il faire d'autre ? La menace de la perte de Calypso pesait sur leurs deux têtes d'une manière à la fois différente et si semblable que le jeune homme préférait s'entendre avec lui plutôt que relancer une petite guerre qui n'avait rien de bon dans ce genre de conditions. « Je vais y aller alors, mais on se tient au courant si jamais tu trouves quelque chose, enfin, merci encore. »

Léo approuva, il avait besoin d’air, puis il me remercia, me faisant savoir qu’il était rassuré que je sois aussi présent de temps à autre pour sa petite amie. Mes lèvres s’étirèrent un instant et un léger hochement de tête accompagna ce sourire. C’était étrange surement. L’actuel petit copain remerciant l’ex d’être toujours là. Je savais rester à ma place désormais, cela expliquait surement l’évolution de mon lien avec Léo et l’absence de conflit entre nous. Dommage qu’il y ait fallu en arriver au stade de la maladie pour que nous réalisions que nous pouvions très bien nous supporter finalement… « De rien c’est normal. Merci à toi de me laisser être là aussi. » Ce n’était pas rien, surtout vu comment notre toute première rencontre s’était passée. « Et bien sur oui on se tient au courant. » acquiesçai-je avant de saisir pour ma part un nouvel ouvrage. Je comptais rester encore un peu potasser ici. «A bientôt Léo. » Je regardais le jeune homme s’éloigner et se diriger vers la sortie avant de retourner m’asseoir à ma place, mon livre sous le bras, espérant vraiment que cette nouvelle alliance nous permettrait de faire quelques avancées, ou du moins de faire reconsidérer son choix à Caly…