La reine des glaces ♣ Annalynne

Mes doigts se glissent dans mes cheveux et l’élastique qui se trouve autour de mon poignet s’étire lentement afin d’attacher ma chevelure en une queue de cheval haute. Habillée comme il se doit pour courir, je passe dans la cuisine afin de me servir un café avec celui que je viens juste de faire couler. La chaleur de ce dernier imprègne mon corps encore fatigué de la nuit de travail que je viens d’avoir, alors avant de ressentir un peu trop le fait que je dors encore debout, je finis ma tasse et me décide à partir. Enfin … Avant cela, je pense à mon colocataire et dans ce qui reste de la cafetière, je verse du vinaigre à son intention, ne lui précisant pas que j’ai laissé du café, histoire qu’il ne voit pas le piège arriver.
J’enfile ma paire de baskets avant de sortir de l’appartement sans oublier de prendre mes clés, histoire de ne pas risquer de me retrouver enfermer dehors si son humeur au réveil, au flic, n’est pas au beau fixe. Une fois à l’extérieur, je prends ma voiture afin de m’éloigner un peu des rues bien trop empruntées de notre petite ville. Et me voilà quelques minutes plus tard en train de courir et de profiter d’un semblant de liberté. J’oublie mon père et ses envies de me mettre la bague au doigt, avec l’élu de son choix, afin de ne penser qu’à moi. Je cours depuis quelques minutes déjà, l’esprit ailleurs, quand un choc provoque mon cœur. Plus vite qu’il ne faut pour le penser, je me retrouve par terre, tombée. " Aoutch! " « A qui le dis-tu ! » je m’entends cracher entre mes dents serrées. Mes mains se joignent, frottent afin de nettoyer la poussière. " Oh, je suis désolé.. Vraiment confus! " Et moi sonnée, clairement, ce n’est donc qu’après un temps que je relève le regard vers celui qui vient de commettre le crime. Il me tend sa main, veut m’aider, et j’ai presque – je dis bien presque – envie de le remballer. Seulement je la prends, me retrouve à nouveau debout, lui fait face quand il s’excuse une nouvelle fois. " J'espère ne pas vous avoir fait mal... " Mes prunelles le jaugent pendant un instant, inclinant le visage je réalise que je connais le sien. Ironie du destin.

« Ça va, je tiens encore droite. » Prononce mes lèvres un peu plus mauvaise que ce que je l’aurai voulu. Dans ma mémoire je me mets à chercher, parce que parfois pour reconnaitre quelqu’un cela se révèle compliqué. Au travail, des hommes j’en ai déjà vu par millier, alors tenter de définir où j’ai pu croiser celui-là, se révèle bien plus dur que ce qu’on croit. Ma lèvre inférieure s’en trouve mordu, quand je torture mon esprit afin de savoir, et reste finalement dans le noir. De nature peu pudique, j’en viens à poser la question. « On se connait ? » Plus clair, on ne peut faire. Je resserre ce qui tient mes cheveux en place avant d’épousseter mon short un peu abimé et d’observer mes jambes afin de juge mieux de mon état. « Si j’avais su, j’aurai choisi un jogging je crois. » Je dis plus pour moi que pour lui, faut croire qu'à moi même je me suffis. Une ou deux égratignures, rien de grave, vraiment, mais pour le travail, ça risque d’être emmerdant. Serveuse certes, mais mon plus gros atout dans ce métier, c’est mon corps, parce que c’est pour lui en premier que les verres sont payés.

Lorsqu’il m’offre encore des excuses j’ai soudainement l’impression que deux choix s’offrent à moi, soit celui d’être agacée par tant de bonté, ou bien d’être de touchée par sa considération. J’avoue que je me donne encore le bénéfice du doute avant de choisir mon option. Pourtant à défaut de préférer une de mes propositions, j’en viens à rechercher son prénom. Parce que je me sais le connaitre et de ce fait je lui demande si c’est le cas, voir s’il a une meilleure mémoire que moi. " J'ai l'impression que oui. Mais j'ignore d'où. " A l’évidence, non, il ne l’a pas. Mais cette réflexion, je me la garde pour moi.

Me voilà en train d’observer les dégâts sur ma peau dévoilée sans trop faire attention à mon compagne, jusqu’à ce que je laisse échapper une de mes pensées à laquelle il répond. " Désolé pour ça. " Mes iris dans un automatisme se lèvent vers le ciel, s’il continue à s’excuser, je jure que je vais choisir d’être agacée. " Si j'avais su, j'aurais tout simplement regardé devant moi " Un soupire et puis. « Garde cette idée pour la prochaine fois. » C’est tout ce que j’prononce sans trop savoir définir le ton de ma voix.

Sur ma peau ses prunelles restent encore et je devine qu’il cherche à savoir si oui ou non, on s’est déjà retrouvé nez à nez avant ça. Ses cheveux, ses iris, j’avoue moi aussi le faire, et force est de constater qu’il est plus rapide que moi pour effectuer cet exercice-là. " Vous êtes mademoiselle Malcolm, non? " Interloquée, j’arque les sourcils, peu de personne en dehors du cercle mondain de mon père connait mon nom de famille, du coup j’attends plus d’explication de sa part. " Je suis Gaël, vous veniez dans l'hôtel où je travailles. " A son visage et son allure j’associe alors son prénom et l’information au sujet de son travail. Du coup, de mes yeux, je le détaille, puis c’est soudain, oui, ça me revient. Quand je suis une cliente, je crois avoir le pouvoir de devenir affreusement chiante. Bon, quand je suis naturelle aussi, je suis capable de l’avoue, après tout, j’ai bien foutu du vinaigre dans le café de Clay. « Anna Malcolm, oui, c’est ça. » Mon prénom, il peut l’obtenir, mais des excuses pour mon comportement lorsque j’ai été dans son hôtel … Là il peut juste recommencer à courir.

" Je serais pardonner si je vous offres une boisson fraîche ou un café? " A nouveau il me choque, et je me questionne pour savoir s’il a réellement fait le rapprochement de qui je suis, cette princesse qui semble et pense pouvoir tout contrôler de la vie. Ainsi que celle d’autrui. Cependant sans que je ne le vois arriver, c’est un sourire qui vient se placer sur mes lèvres au moment où je regarde vers l’endroit que désigne sa main. Et me voilà donc en train de hausser les épaules pour lui signifier un « pourquoi pas » muet. On se met en route et c’est à ce moment là, que je décide de comprendre la raison de sa proposition. « Tu offres souvent … » comment définir ça, je cherche une fraction de secondes avant d’opter pour l’honnêteté. « des cafés aux garces ? » Parce que c’est ce que je suis, ce que j’ai été avec lui, et ce que le monde m’a dicté. Merci papa adoré.

" J'espère ne pas avoir de prochaine fois.. " Sur ses lèvres je lis un sourire des plus faux, je ne doute même pas qu’il le soit, pour l’utiliser plus souvent qu’il ne le croit. Alors j’incline le visage et me contente de ne rien rajouter, de rester muette tandis qu’il recherche où on s’est déjà rencontré. Finalement les présentations se font puisqu’il a retrouvé quand et comment nous nous sommes rencontrés. " Enchanté, Anna. " C’est euh … réciproque, je crois. Je hoche simplement le visage et le voilà en train de me proposer un café. J’accepte et ensemble on s’approche du poste de vente ambulant. " C'est rare." Qu’il répond, quand je lui demande s’il offre souvent des boissons aux filles comme moi, celles qui ont l’art et la manière de rendre les gens comme lui, hors de soi. " En général je le fais seulement quand mon travail ne m'empêche pas de manquer de respect " Un rire taquin s’échappe de mes lèvres et je ne peux m’empêcher de laisser échapper une petite réflexion. « Donc aujourd’hui je dois avoir peur de toi ? » Ou plutôt du fait qu’il n’aura pas sa langue dans sa poche cette fois.

On approche pour de bon, et il me fait signe de commander en premier, chose que je fais. Un café crème, tout simplement, et sucré. Il fait de même et quelques minutes après nous voilà boissons en main en train de marcher côte à côte, comme si nous étions amis sans que je ne l’ai vu arrivé. A noter que ce serait tout de même une étrange amitié. " Et sinon, que faites vous... Enfin, que fais tu dans la vie? " Ma langue un peu brûlée par la chaleur de la boisson claque entre mes dents et j’ose imaginer quel avenir pour moi il a déjà dépeint dans son esprit. Alors je me permets une nouvelle gorgée, pour laisser planer un suspense un tant soit peu surfait. « Je suis … » Princesse en devenir, héritière de tout un empire. « Serveuse, à vrai dire. » Et j’attends presque sa réaction, parce que je suis loin de me comporter comme une serveuse qui a du mal à joindre chaque mois les deux côtés. « Toi ? » Je me contente de demander, parce que la politesse veut que la question soit renvoyée. « Tu n’as que le job de l’hôtel ? » Ne réalisant même pas, qu’elle peut être vexante cette demande là.

Quand il hausse les épaules, j’incline mon visage, parce que ce faux air menaçant, je me dis que j’aurai pu l’inventer, une soirée d’été, quand j’ai appris à jouer les innocentes comme je respire quand en réalité je préparais juste la venue prochaine d’un empire. " Si tu te montres gentille, je ne serais pas méchant... C'est du donnant donnant. " Mon sourire lui ment, parce que je suis de ceux qui se complaisent dans l’art de jeter les gens. Cependant je lui donne, pour un temps, ce qu’il désire, et accepte, bien gentiment, de partager avec lui un peu de mon temps.

Et quand il me demande ce que je fais dans la vie, j’ai l’impression de ressentir déjà de lui qu’il s’attend à ce que je lui dise quelque chose de géant, qui justifierait mon comportement. Du coup, j’hésite à lui dire, et quand je le fais, attends sa réaction, qui est un soupir, dans un premier lieu, moi, je suis, à la vérité, on ne peut plus sérieux. " Serveuse... Je n'aurais vraiment pas parié sur ça. " Durant un laps de temps relativement court, je me permets de me demander si c’est une insulte envers ma personnalité. Je suis serveuse parce que sans ça, je serai bientôt fauchée. Mais je ne ressens pas vraiment le besoin de me justifier, après tout, ce n’est pas comme si lui et moi, on se connait. « Et plutôt sur quoi ? » Me pousse tout de même à questionner, ma curiosité.

" Je ne fais que ce job car je suis étudiant en communication. " Tout s’explique, et je bois une gorgée, lui de même, avant qu’il ne se mette à agrémenter sa réponse. " Mais pour tout te dire miss, mon père a un métier qui lui rapporte de l'argent, je profites de la fortune familiale. Je n'ai pas besoin de bosser a vrai dire, je le fais juste pour avoir bonne conscience je crois " Fils à papa, je m'empêche de lui dire, pour ne pas être trop mauvaise à ses côtés, après tout, il vient de me payer un café. Sublime, mes iris se lèvent au ciel quand une pensée idiote traverse mon esprit, peut-être que nos père sont amis. Puis je le hais un peu, de pouvoir profiter de la fortune familiale quand le mien, de père, trouve génial de ceinturer mon accès aux billets. « Et il fait quoi, ton père ? » Que je sache où me positionner, si je décide de faire de lui un ami ou l’inverse … par intérêt. Comme toujours. A jamais.

" Je sais que c'est une question qu'on ne pose pas aux femmes. Mais tu es peut - être différente des autres. " Avec la boisson chose et peut-être un peu trop lactée pour un café, je me brûle la langue quand il commence à envisager de me demander je ne sais quoi. " Tu as quel âge? " Là c’est soudain, je me mets à rire, parce que je ne saurai dire comment je dois réagir à ça. Etre vexée, un brin offusquée ? Conquise et touchée de son envie de connaitre un peu plus que tous les autres personnes de notre société ? J’en ai aucune idée, et c’est bien pour cette raison que je lui dis en toute honnêteté – pour changer – « 28 belles années. » Suspicieuse, je lui dis alors « Pourquoi, je fais plus vieille, c’est ça ? » Je m’en fiche, je joue la comédie, là, je joue "toutes les femmes", n'est-ce pas ? « Et toi, dis-moi ? » Avec ce visage poupin, j’imagine plus jeune que moi.

De tout mon aplomb, je lui pose au sujet de mon présumé travail la question. Ce à quoi avec un petit sourire, finalement, il me répond. " Un truc genre, notaire, banquière... Un peu a l'image d'une femme fatale en tailleur " Et j’étouffe un rire derrière mon café, en un sens il n’est pas si loin que ça de la réalité, ou plutôt, de la future réalité, quand mes droits et mon entreprise en héritage me seront rendus. « C’est un compliment ? » Après tout, femme fatale n’est pas la pire des insultes, mais il y a quelque chose à l’intérieur de moi qui me dit que ça a un rapport avec mon comportement, qui n’est pas des plus exemplaires, n’est-ce pas ? « Ou tu veux juste me rappeler que j’ai été ignoble avec toi ? » Je le sais, ne m’en souviens pas, mais lorsque je joue les filles à papa, il ne vaut mieux pas se trouver dans mon chemin, oui, c’est certain.

" Mon.. Idiot de père est PDG dans une entreprise de M.I.T " Oh donc, c’est clair à présent, son père doit avoir déjà aperçu le mien. Donc en fausse confidence, puisqu’en un sens, ce n’est pas un secret d’état, je lui révèle que « Fille du dirigeant d’Omnicom. » je hausse les épaules et imagine qu’il comprend, d’où vient le comportement que j’ai souvent. Puis j’ose une supposition, juste pour agrémenter un peu plus la discussion. « Ils doivent se connaitre, fin peut-être. » Mais je ne saurai dire pourquoi, je n’arrive pas à penser que le sien, de père, valse avec la malhonnêteté.

Vient la question sur mon âge, ce à quoi je réponds sans cacher la vérité, puisque je n’en vois pas l’intérêt, rajoutant tout de même une petite phrase qui prouve une nouvelle fois mon caractère que rien n’arrêtera. " Non, au contraire... Je pense que j'aurais pu te donner un peu moins " Et là, j’imagine que je dois le prendre bien. Que je lui renvoie la question, je crois dans ses yeux, lire, une certaine, hésitation … Et puis, non, c’est bon. " J'ai vingt deux ans. " Si peu, vraiment ? Un enfant. " Tu aurais pu deviner mon âge? " En fronçant les sourcils, je bois une gorgée supplémentaire de mon café, passant ma langue sur mes lèvres afin de ne pas y laisser une seule trace de la boisson qu’il vient de m’acheter. Un petit soupir s’infiltre hors de moi, tandis que je décide si oui ou non j’aurai pu savoir quel âge il a. Le fait est que je ne sais pas réellement. « Je crois pas. » prononce ma voix, je grimace avant d’ajouter. « Une chose est sure, je te savais, plus jeune que moi. » Tout du moins, je me permets de préciser. « Ce n’est pas pour autant que je te pense immature, hein, loin de là. » Je ne le connais pas, et pour une fois, je ne juge pas de suite, ou bien très peu, quoi. J’essaie tant bien que mal, d’être agréable, je crois, après tout, il a payé le café, n’est-ce pas ?