I need a doctor • Jude

A ma descente de l'avion tout s'était un peu trop vite enchainé. J'avais senti quelque chose de pas normal entre mes jambes, on avait récupéré nos bagages, mes parents étaient là tous les deux pour nous accueillir ils étaient heureux de nous voir de retour en pleine forme. Enfin arrivée à la maison j'avais quand même rapidement prétexté que je devais aller voir Priape pour le rassurer que nous étions bien rentrées pour pouvoir m’éclipser. Au lieu de cela j'avais filer aux urgences de l'hôpital sachant très bien que la substance visqueuse qui s’échappait de mon utérus n'était pas normal. Je me dirigeais directement vers l'accueil, je tentais de rester calme. « Bonjour, il me faut un médecin, je crois que je suis en train de perdre mon bébé ou d'accoucher... » La nana en face de moi releva les yeux vers moi simplement pour me dire que les urgences sont blindées et qu'il va falloir que j'attende comme tout le monde. Là je deviens beaucoup moins calme et le ton monte. « Je suis enceinte de six moi, ce n'est pas normal et c'est pas le moment d'accoucher, vraiment il me faut un médecin TOUT DE SUITE ! » Bordel je travaille ici et mon père est un grand chirurgien de renom et personne ne va bouger son cul alors que je sais que ce qu'il se passe n'est pas normal. Mais ça n'a l'air d'intriguer personne autour de moi. Je crois que je vais commencer à pleurer si personne ne bouge. Je suis paniquée, vraiment.

Je crois que c'est d'apprendre qu'Emma s'est mise en couple qui m'a donné la claque de trop. J'suis pas amoureux d'elle, mais j'pense m'être quand même un peu trop attaché à elle. Assez pour que je sois jaloux de Wade, assez pour que ça me fasse chier qu'elle soit en couple. Du coup, j'ai décidé de partir. Médecin Sans Frontières ont encore besoin d'aide en Afrique pour en finir une bonne fois de tout avec Ebola, et j'ai décidé de me réengager pour le mois d'Août. Loin de tout le monde, pour arriver à me reconcentrer sur ce que je veux vraiment, afin de reprendre des forces pour me battre pour récupérer mon fils à la rentrée. Et surtout, pour me sentir utile. Quand j'arrive à l'hôpital de Cambridge, je vais voir mes responsables de stage et je leur explique la situation. J'ai des millions de papiers à remplir et c'est avec une tonne de dossiers que je traverse le hall de l'hosto quand j'entends une voix qui me semble familière. « Je suis enceinte de six moi, ce n'est pas normal et c'est pas le moment d'accoucher, vraiment il me faut un médecin TOUT DE SUITE ! » Je fronce les sourcils et je reconnais Talya que je connais plutôt bien puisque je la parraine à la fac de médecine. Je m'approche et je passe une main sur son épaule en arrivant derrière elle, « Talya ? Qu'est-se qui se passe ?  » La secrétaire me regarde avec un air désespéré en m'expliquant que les urgences sont overbooké et que mademoiselle doit attendre avant de voir un médecin. « Tu veux que j'm'occupe de toi ? Enfin, si ça te dérange pas. » Oui parce qu'on se connait assez bien et c'est quelque chose de très intime une grossesse, ça serait normal qu'elle se sente beaucoup trop gênée à l'idée que je l'ausculte.

Je sais comment fonctionne les urgences, je sais qu'il faut attendre, que chaque urgence est traitée selon son degré de gravité mais là je suis sûre d'une chose : si personne ne fait rien je vais soit perdre mon bébé, soit le mettre au monde avec beaucoup trop d'avance pour qu'il s'en sorte sans aucune séquelle. Aucune des deux solutions n'est envisageable et pourtant il m'est impossible de voir un médecin et impossible de me soigner seule. Fort heureusement Jude arrive et propose de me prendre en charge. Je le regarde avec de grands yeux, est ce qu'il est sérieux. « Quoi ? Toi ? Ta tête... Entre mes jambes ?? C'est dégueu Jude... » Impossible que mon parrain de médecine, que celui que je côtoie pour suivre ses pas dans l'obstétrique ne passe la tête entre mes jambes pour m'ausculter l'utérus. Comment est ce que je pourrais le regarder calmement et normalement après cela ? Peut être juste car il allait sauver mon bébé ? Je n'en savais rien mais une nouvelle contraction arrivait, avec elle je sentais couler un peu de liquide. J'attrapais sa main qui n'était pas sur mon épaule et la serra en même temps que je serrais les dents avec une grimace qui rendait surement mon visage monstrueux. « Je vais perdre mon bébé si personne ne fait rien, c'est bon aide moi...» Il était doué non ? J'avais pu le voir plusieurs fois, alors tant qu'il pouvait arrêter ce calvaire je voulais bien prendre sur moi pour lui dévoiler mes parties les plus intimes.

Talya est une élève brillante et on a beau dire, non, ça n'est pas forcément les cordonniers les plus mal chaussés. Parce qu'en tant que médecin, parfois, on a tendance à minimiser les symptômes ou les maladies, mais il peut arriver l'inverse, on peut tout dramatisé et être beaucoup trop préventif. En la voyant de loin assez paniquée, je décide donc de m'approcher car je sais qu'elle ne ferait pas cette crise à la secrétaire si ça n'était pas nécessaire de le faire. « Quoi ? Toi ? Ta tête... Entre mes jambes ?? C'est dégueu Jude... » Je ris un peu en secouant la tête, bah dis donc c'est si joliment dit ! Elle est poétique la demoiselle n'est-ce pas ? Je n'ai pas le temps de répondre qu'elle grimace et décide enfin d'être raisonnable, « Je vais perdre mon bébé si personne ne fait rien, c'est bon aide moi...» Je souris et j'hoche la tête, donnant mes papiers à la secrétaire en lui demandant de rendre tout ça à mes supérieurs. Je prends la main de Talya pour l'amener avec moi à la première salle d'osculation disponible. Je la laisse entrer et je ferme la porte derrière elle, appuyant sur le gel de solution hydroalcoolique pour me nettoyer les mains en me tournant vers elle, « Expliques moi ce qui se passe, pourquoi tu penses que c'est si urgent ? »

J'ai bien du mal à m'imaginer Jude la tête entre mes jambes et ça le fait rire, pour le coup moi aussi, mais c'est plus nerveux. Sauf que je sais que ce qu'il se passe n'est pas normal et je finis par accepter. Là il doit comprendre que si je suis capable d'écarter les jambes devant lui, en plus de la panique qui me gagne de minutes en minutes c'est qu'il se passe quelque chose de grave. « J'ai des contractions depuis plusieurs semaines, j'ai été voir un médecin en Arizona mon col avait pas bougé, y avait pas risque et comme elles se calmaient à chaque fois ça ne l'inquiétait pas plus que cela... » Mais là c'était complètement différent, j'avais des contractions, des vraies, celles qui poussent pour que le bébé sorte et ce n'était pas le moment. Je savais distinguer les contractions après avoir connu un premier accouchement je ne pensais pas me trouver là dessus. « Mes contractions sont fortes et elles font descendre le bébé je le sens et je sais pas ce qu'il se passe, je ne suis pas encore incontinente et pourtant j'ai l'entre jambe tout mouillé....» Il pouvait le voir par lui même maintenant. « C'est gluant... Je crois que c'est du liquide... » Et là bim une nouvelle contraction qui me fait grimacer. Bordel qu'elles me font mal et j'ai beau respirer, rien ne passe, serrer les fesses, rien n'y fait, ça pousse. Je m'allonge sur la table d'auscultation, il met les trucs pour les pieds en place et après avoir enlevé le bas, je mets mes pieds dessus. Situation gênante du jour, bonjour.

En général, on évite de soigner les personnes de notre entourage car notre jugement est faussé par le fait qu'on connait cette personne. On ne peut pas être totalement impartial avec quelqu'un qu'on connait et encore moins quelqu'un qu'on affectionne. Mais quand je vois la détresse dans laquelle Talya est, je ne regrette pas du tout de m'occuper d'elle, malgré que je ne sois pas officiellement dans l'exercice de mes fonctions mais bon, osef. « J'ai des contractions depuis plusieurs semaines, j'ai été voir un médecin en Arizona mon col avait pas bougé, y avait pas risque et comme elles se calmaient à chaque fois ça ne l'inquiétait pas plus que cela... » Mais ça a du changer, puisque mademoiselle Blackburn est de retour à l'hosto, et paniquée en plus de ça. « Mes contractions sont fortes et elles font descendre le bébé je le sens et je sais pas ce qu'il se passe, je ne suis pas encore incontinente et pourtant j'ai l'entre jambe tout mouillé.... C'est gluant... Je crois que c'est du liquide... » Une nouvelle contraction la plie en deux et je m'approche pour l'aider à s'installer sur la table, « Bon déjà, on va essayer de calmer tes contractions okay ? On va éviter de pousser le bébé trop vers le bas. »  Je l'aide à mettre ses pieds sur les poses pieds. Je vais chercher une poche de perfusion et tout ce qui faut. J'installe le tout près d'elle et je cherche une veine que je peux piquer au niveau de son bras pour la perf. « J'vais te donner de la tractocile ça devrait calmer tout ça assez rapidement. » Une fois la perfusion posée, je me mets face à ses jambes en essayant de faire abstraction de la situation un peu gênante pour elle comme pour moi afin de vérifier la dilatation du col. Je grimace un peu et je relève la tête vers elle, « T'es sûre que ton col était pas dilaté quand t'as été à l'hosto en Arizona ? Parce que là il est à 2cm. Et ta poche des eaux est fissurée. »  Et ça craint un peu pour une femme enceinte de seulement six mois.  

« Fais tout ce que tu veux mais fais que mon bébé reste dans mon ventre ! Je suis enceinte de 29 SA c'est beaucoup trop tôt ! » Je n'ai aucune envie de mettre au monde un grand prématuré, je ne veux pas que mon bébé ait des séquelles, des retards de croissance ou de je ne sais quoi à cause de moi et de mon incapacité à mener ma grossesse à son terme. Rapidement je me retrouver perfusée et j'espère que ça va calmer les contractions que j'ai assez vite parce que je sens que si ça continue, je ne serais plus enceinte mais bien mère pour la deuxième fois dans quelques heures et Jude ne fait que le confirmer en me disant d'une que mon col est ouvert à deux, et de deux que j'ai fissuré la poche des eaux. « Deux ? Mais je suis venue tout de suite après être arrivée chez moi et que mes contractions aient augmenté ça ne peut pas être aussi rapide ! Je vais accoucher ? » Même si Jude semble calme et pas dégouté par la vision de moi qu'il a en face de lui, je n'arrive pas à me calmer, mon coeur bat à cent mille à l'heure, si seulement je pouvais appeler Priape et compter sur lui mais là c'était vraiment la dernière personne que j'avais envie de voir. « La poche des eaux fissurées ? C'est dangereux ? » Je vais finir par tourner de l'oeil ou je ne sais quoi si il continue de me faire peur. Je ne suis pas prête pour accoucher, on n'a encore même pas parlé des prénoms avec Priape !

« Fais tout ce que tu veux mais fais que mon bébé reste dans mon ventre ! Je suis enceinte de 29 SA c'est beaucoup trop tôt ! » Bien sur que 29 SA, c'est beaucoup trop tôt je ne suis pas débile. Mais après l'avoir ausculté, je peux bien affirmer que son col commence à s'ouvrir et surtout, que la poche des eaux est fissuré, ce qui est très mauvais signe. Elle n'a pas perdu les eaux, mais maintenant que la poche est fissurée, elle pourrait les perdre n'importe quand et une fois qu'elle les aura perdu, il n'y aura plus rien à faire, il faudra qu'elle accouche qu'elle le veuille ou non. Le truc de bien quand on ausculte une étudiante en médecine, c'est qu'on a pas besoin de trouver des "vrais" mots pour expliquer ce qui se passe. Je peux lui parler en jargon de médecin, elle comprendra parfaitement. « Deux ? Mais je suis venue tout de suite après être arrivée chez moi et que mes contractions aient augmenté ça ne peut pas être aussi rapide ! Je vais accoucher ? » Je secoue la tête et je me relève,«  Non tu vas pas accoucher, on va empêcher ça. Le médoc va agir et les contractions vont se calmer, tu vas pas accoucher okay ? »  Le but là, c'est de la rassurer parce que je vois bien qu'elle panique de plus en plus, ce qui est normal vu la situation. « La poche des eaux fissurées ? C'est dangereux ? » Je secoue la tête et je lui enlève les pieds des poses pieds parce que.. bah j'vais pas la laisser les cuisses écartées comme ça, on est amis et presque collègues, ça reste un peu gênant même si j'essaie d'être le plus pro possible.«  C'est pas dangereux en soit, mais ta poche est fragile et il faut empêcher qu'elle ne se rompe entièrement. Du coup, va falloir que tu restes couchée jusqu'à la fin de ta grossesse pour empêcher que tu n'accouches trop tôt.. mais ça va aller d'accord ? Calmes toi, le bébé sent ton stress et c'est pas bon pour lui alors souffle un grand coup.. »

Jude relève la tête après l'auscultation et il me rassure, enfin il fait tout pour. Mon regard se tourne vers le dessin que le monitoring fait, les contractions ont l'air de se calmer grâce au cachet il a raison. C'est un minuscule soulagement et une larme fini par dégringoler du coin de mon oeil jusqu'en bas de ma joue. « Je me calme, je me calme... » Je prends une grande inspiration et je suis moins gênée quand il baisse mes jambes m'indiquant que l'examen est terminé que je vais simplement devoir restée hospitalisée jusqu'à la fin de ma grossesse et encore pire : allongée sans bougée. J'ai envie de pleurer tellement je sais que ça va me rendre folle mais je prends sur moi. Il a dit qu'il fallait que je me calme, que le pire était passé ou allait passer et que mon bébé ne naitrait pas le lendemain de l'anniversaire de mon premier enfant. Un peu de répit. « Ca va aller oui... Je vais juste péter les plombs de devoir rester ici pendant plus de deux mois... » Et c'est peu dire. Mais bon il y a quand même peu de chance que je tienne encore deux mois soyons honnête. « Jude, tu vas oublier ce passage super gênant pour moi hein ? » Je rigole doucement parce que c'est le seul truc un peu drôle dans cette situation mais après tout sans lui je serais surement toujours en salle d'attente à attendre qu'on s'occupe de moi. « D'ailleurs c'était quoi tous ces papiers ? » Dans ma panique j'avais quand même eu le temps d'analyser ce qu'il se passait autour un minimum, je savais aussi que sa présence ici alors qu'il n'était pas en blouse était un signe, signe de quoi, bonne question.

« Je me calme, je me calme... » Je vois bien que ça la travaille, que ça lui fait peur. Y'a qu'a voir rien que son visage pour qu'on le remarque. Et je comprends. Enfin.. non, je ne comprends pas à cent pour cent, je n'ai jamais porté d'enfant mais des mères dans sa situation, j'en vois parfois plusieurs fois par jour à l'hosto quand je bosse ici. Les bébés nés prématurément, ça existe depuis toujours et on gère ça de mieux en mieux. Et les mères inquiètes, on en a tous les jours, tout le temps. Talya, même si elle étudie la médecine ne déroge pas à cette règle. « Ca va aller oui... Je vais juste péter les plombs de devoir rester ici pendant plus de deux mois... » Je souris un peu, essayant d'être rassurant, « Dis toi que c'est pour le bien du bébé. » Et puis, elle pourra bouger, mais rien qu'un peu. Il faudrait qu''elle soit un maximum au lit pour éviter que la poche ne se brise un peu plus et déclenche l'accouchement trop tôt. « Jude, tu vas oublier ce passage super gênant pour moi hein ? » Je vais vers le bureau pour prendre le dossier de Talya et ajouter les nouvelles infos dessus, « T'en fais pas, c'est déjà oublié. »  J'en vois tous les jours des cols, haha. Et ils se ressemblent tous. Je commence à noter des choses quand elle me demande, « D'ailleurs c'était quoi tous ces papiers ? » Je lève le regard vers elle et je souris un peu, « Des demandes de visa et des contrats avec Médecins Sans Frontière, je pars dans quelques jours au Libéria. »  Je reprends mon écriture en disant en même temps, « Ebola a pas encore éradiqué là-bas, ils ont besoin de renfort et y'a pas grand chose qui me retient ici ou au Summer Camp donc si je peux aider. »  J'dois avouer que je fais ça pour aider, parce que j'aime ça mais aussi pour essayer de fuir mes problèmes. Pas sur que ça soit une bonne idée mais bon.