Je ne peux me permettre de dire que je connais assez bien les Rockefeller pour demander au plus âgé de rejoindre le camp d’été – chose que j’ai malheureusement fait, merci le verre de trop – ou pour même songer que sa présence sur le campus ou là bas puisse déranger Charlotte. Ça ne lui traverse pas l’esprit alors c’est sorti tout naturellement de sa bouche. « Elle y va mais… Je sais pas si c’est encore trop de mon âge les colonies de vacances. J’ai pas envie de jouer au grand frère un peu lourd non plus, tu vois. Je suis déjà venu à Harvard à l’improviste, ça doit suffisamment l’embêter comme ça. » Je ne relève pas. Pourquoi pas. Charlotte n’a jamais laissé croire cela dans son comportement, le contraire non plus.
« Je me fiche de ce qu’on peut dire. Ce que je vois moi, c’est une fille intelligente, jolie et sympathique. Et crois moi, mais j’ai connu des filles qui, avec moins d’alcool que toi dans le sang, se seraient déjà jetée dans mes bras. » Comme si je n’avais pas assez chaud sur le coup, je sens un afflux de sang me monter à la tête. Je dois peut être bien rougir, sauf que ce n’est pas le moment adéquat. « Merci du compliment Caleb. » J’esquisse un léger sourire sans bouger, sans baisser le regard, parce que ce serait suspect et que c’est une réaction de fille niaise. Entre nous, je suis soulagée, voire heureuse, qu’il ne me voit pas comme les autres. « Tu sais quoi, qu’ils aillent se faire tous foutre avec leurs rumeurs… » Je ris à mon tour. Pas une seconde je songe que sa remarque a un rapport avec ce qu’il tient tant à cacher. « Voilà qui est dit. » J’attrape la bouteille que j’ai posée devant nous un instant plus tôt et la colle à ma joue. Presque aucun rapport avec la nouvelle couleur de mes pommettes. « Quant au camp… Je pense pas que ce serait le genre de vacances comme on peut en passer quand on est adolescent. Tu sais, comme dans les films où l’on voit uniquement des feux de camps, des chamalows grillés, des jeunes qui chantent et jouent de la guitare, bref. Pas de remake de Camp Rock ou High School Musical, tu vois ? » Bouteille toujours colée au visage, je le fixe de nouveau. « Et puis, s’il faut on te trouvera un groupe de vieux du troisième âge où t’incruster. Mais sinon, tu compterais aller où ? » Oui, je suis toujours curieuse quand je tiens un conversation sérieuse, chose rare je vous l’accorde. Sinon, je peux aussi le bombarder de question sur ce qu’il me cache, sur la raison de son arrivée à Cambridge dans le courant de l’année. « Tu veux boire autre chose ? Ou grignoter ? » En y pensant, j’ai vraiment faim, toujours soif et toujours aussi chaud. Je me souviens avoir vu du pop corn la veille et en y repensant, je ne pourrai pas avaler autre chose, puis une bouteille de tequila lorsque mon voisin nous préparait son whisky-coca. Je me relève avec tant de bien que de mal, manquant de m’écrouler la tête la première une fois debout. Pour le coup, j’ai failli me retrouver littéralement dans ses bras. Je me rattrape du mieux que je peux, pense à repositionner ma robe aussi et rassembler mes cheveux du même côté. Avoir l’air fatiguée et saoule, d’accord on peut l’accepter. Avoir l’air débraillée et pas pudique pour un sou, non merci.
« fairytale got twisted and decayed. » (CALEB&KATELL)
La jeune femme acquiesça ce qu’il venait de dire, avant même qu’il n’ait eu le temps de s’excuser sur son vocabulaire, qui lui ressemblait si peu. C’était sorti tout seul disons. « Quant au camp… Je pense pas que ce serait le genre de vacances comme on peut en passer quand on est adolescent. Tu sais, comme dans les films où l’on voit uniquement des feux de camps, des chamalows grillés, des jeunes qui chantent et jouent de la guitare, bref. Pas de remake de Camp Rock ou High School Musical, tu vois ? » Caleb hocha la tête, un sourire moqueur sur le visage. Il était assez surpris et amusé par les références cinématographiques de Katell. Quoi qu’il en soit, il était plutôt partant pour les feux de camps. « Et puis, s’il faut on te trouvera un groupe de vieux du troisième âge où t’incruster. Mais sinon, tu compterais aller où ? » L’Eliot se mit à rire. D’accord, il l’avait peut-être un peu cherché, et même s’il ne considérait pas encore tout à fait comme un vieux, c’était plus ou moins ce qu’il avait supposé. « Passer mon été à faire des mots croisés et jouer aux dames, le rêve ! » Caleb dit cela avec une pointe d’ironie, même si en réalité, il n’admettrait jamais que cela ne l’aurait pas spécialement dérangé. Certes, il préférait les activités plus extrêmes mais il avait l’habitude de dire que pour faire un bon sénateur, il fallait penser et agir comme un vieux. Cette doctrine l’avait sans doute amené à paraitre plus sage et ennuyeux qu’il ne l’était réellement. Quant à ce qu’il comptait faire autrement, ses projets étaient tous tombés à l’eau depuis son départ. Il aurait voulu s’offrir des vacances dans les Caraïbes avec sa copine de Yale, mais de toute évidence, ce n’était plus d’actualité. « Je n’avais rien prévu de très excitant. Et puis, ça n’a plus d’importance… J’ai… Tu m’as convaincu, je viens pour les chamallows. » Caleb n’avait forcément très envie de dire qu’il s’était fait plaquer par sa petite-amie de l’époque, et encore moins qu’il n’avait pas de plan B. Les vacances étaient finalement arrivées plus tôt qu’il ne l’aurait imaginé. Le camp lui semblait être sa dernière option s’il voulait échapper aux retrouvailles avec ses parents. « Tu veux boire autre chose ? Ou grignoter ?» Caleb avait passé sa soirée avec un douloureux hoquet qui avait pris fin lors de leur traversée du campus pour revenir à l’Eliot House. Il ne pouvait certainement plus rien manger, et il n’avait plus soif non plus. Malgré tout, il continuait de faire atrocement chaud et s’il avait été seul, il se serait sans aucun doute permis de retirer son tee-shirt. « Non merci, j’ai l’estomac en vrac. J’aurai peut-être du rester là-bas et danser un peu pour éliminer… » Il se passa une main sur le visage pour sécher les gouttes de sueur qui pouvaient couler sur son front et observa avec un certain amusement Katell se mettre debout. Ne souhaitant pas rester seul assis, simplement par politesse, il se releva difficilement, s’appuyant tant bien que mal sur le mur derrière lui pour soulever ses 80 kilos de muscle. L’alcool lui engourdissait les membres, et ses articulations le faisaient souffrir.
Contrairement à l’image que Caleb a de lui-même, je ne vois rien d’ennuyeux chez lui. Ce soir, j’ai justement découvert une personne qui m’a sauvée d’une soirée barbante et offert une bien différente de tout ce que j’ai connu jusqu’à présent. C’est plutôt calme à vrai dire, mais j’en apprécie chaque instant. « Passer mon été à faire des mots croisés et jouer aux dames, le rêves ! » J’ai beau ne pas être dans l’état le plus lucide qui soit, je m’imagine parfaitement la scène. Caleb, une vieille mamie dans un rocking chair, le tout jouant aux dames face un lac paisible. Je ris à ne plus en pouvoir, limite les larmes aux yeux. Femme qui rit, à moitié dans ton lit. À mon plus grand étonnement, en y repensant, je n’ai pas envie de tout ça. Pas avec lui. Il semble être de ceux avec qui j’ai bien envie de m’entendre. Vraiment. « Je n’avais rien de prévu de très excitant. Et puis, ça n’a plus d’importance… J’ai… Tu m’as convaincu, je viens pour les chamallows. » J’hausse instinctivement un sourcil à sa remarque. Je l’ai convaincu ? Pourquoi pas après tout. La curiosité est un vilain défaut, je vous l’accorde, mais il faut croire que Caleb fait tout pour attiser ladite curiosité qui se cache en moi. « Non merci, j’ai l’estomac en vrac. J’aurai peut-être du rester là-bas et danser un peu pour éliminer… » Oh je vois… Je me mords la lèvre inférieure sans pour autant sentir une remarque d’ennuie, de regret, ou quoique ce soit dans ce style, dans l’intonation de sa voix. Mais qui sait… je me fais peut-être avoir par une naïveté on ne peut plus refoulée que j’ignore encore… Je m’appuies finalement contre le rebord d’un des canapés de la pièce. Ça continue de tourner dans ma tête. Est-ce vraiment raisonnable de souhaiter boire d’avantage ? En temps normal, je connais peu de limite en soirées, tant que mon image reste intacte… Oh merde, s’il ne veut pas boire, je n’ai pas besoin de suivre son exemple comme un petit chiot sage. Je jette un coup d’œil en coin et sourit en le voyant se redresser à son tour avec autant de mal que moi. « Alors réserve moi une soirée chamallows, feu de camp et jeu de dames, tu veux ? » Je me tourne vers le mini bar et regarde ce que je pourrai y trouver. Non. Non. Tequila ? Parfait même si cela s’avère toujours traître au réveil. Un shooter. Du sel. Et magique, on peut même trouver du citron vert. Le tout passe avec un peu de difficulté. Ça brûle là où ça passe. Et finalement je me retourne avec surement un brin de malice qui pétille dans les yeux. Oui, j’ai eu une petite idée. Oui, je me moque soudainement des quelques Eliots qui se couchent avec les poules. « Et puis qui a dit que nous ne pouvions pas danser ici ? » Ça sort tout naturellement de ma bouche, comme une évidence. « Même si à te voir suer, je me demande si prendre l’air ou une douche ne te ferait pas le plus grand mal. » Et je croise les bras sur ma poitrine. Ma seule façon d’avoir un tant soit peu l’air sérieuse. De toute façon, il n’y a pas le moindre sous entendu dans tout ça..