T'as jamais su l'histoire de ta naissance, et pourtant, elle n'est pas tout à fait comme les autres. T'as vécu à Londres depuis toute ton enfance, tu n'as toujours vu que ton père et ta mère comme figures parentales autour de toi, alors pour toi, c'était clair, et tu n'es pas allé chercher plus loin. Tu avais juste eu une naissance normale, dans un petit hôpital de Londres, et ton père était près de ta mère au moment où tu poussais ton premier cri, coupant avec fierté le cordon ombilical. La vérité est pourtant assez différente, bien loin de ce magnifique cocon de famille. Outre les secrets des Cooper dont tu n'as aucune idée, tu n'es même pas sortie de ta mère à la maternité. Vois-tu, après plusieurs essais non concluants qui se finissaient en fausses couches, ils ont du faire appel à une mère porteuse. Après de longues discussions et un contrat écrit, ils ont inséminés des spermatozoïdes de ton père et ils ont priés pour que ça prenne. Et ça a marché. Ils sont aller s'installer à New York le temps du processus, pour être au plus près possible du corps qui te portait et de toi, et pour être présent au moindre problème observé. Et puis t'es arrivée, ce seize octobre brumeux, la petite Lydie Cooper aux cheveux ébènes. Mais y avait pas que ça. Ce jour-là, y avait deux cris qui résonnaient dans la clinique. Un autre bébé, un autre coeur qui battait, et une mère porteuse trop fragile, trop émotionnelle, et qui ne savait peut-être pas dans quoi elle s'était embarquée quand elle avait signée. Une mère porteuse qui faisait mal son boulot, et qui a décidé qu'elle n'avait signée que pour leur donner qu'un bébé, et que t'as soeur qui était sortie six minutes plus tard, se retrouverait à jamais séparée de toi. Elle l'a prise pour elle égoïstement, brisant surement un peu le coeur de tes parents dans le processus, mais t'étais là toi, et c'était tout ce qui importait. Et t'avais pas ta soeur jumelle, certes, mais t'avais des parents qui te voulaient. Et tu sais pas tout ça. Tu ne sais rien, aveugle de tout ce qui avait bien pu se passer avant ta naissance, comme l'existence d'un frère et d'une soeur que tu ne connaissais pas, et leur enfance avec des parents si différents de ceux que tu côtoyais maintenant. Et peut-être que c'était mieux que tu ne saches rien, peut-être que ça t'empêchait de juger les gens trop durement sur leurs choix passés, peut-être que ça te permettait d'avoir la vie libre que tu avais toujours eu, ou peut-être que t'étais juste le dindon de la farce, trop conne pour s'en apercevoir.
« J'veux un chien, j'veux un chien ! Papa achète-moi un chien ! » Tu t'exclamais, sautant comme une puce surexcitée en plein milieu du trottoir, tes bottes en caoutchouc faisant éclabousser les flaques d'eau à chaque fois qu'elles entraient en contact avec les pavés. Ton père tentait de remettre un peu mieux ta capuche rouge sur tes cheveux ébènes afin de te protéger de la pluie qui tombait, grognant un peu alors que tu mouillais son jean par tes allures trop enthousiastes.
« Calme-toi Lydie... » Il te reprenait de son air bougon, et t'arrêtais donc de sauter, faisant la moue en une imitation presque parfaite de son expression, tes bras venant se croiser contre ton torse pour montrer ton mécontentement. T'étais peut-être trop facilement vexée, ou t'aimais juste pas qu'on te dise ce que tu pouvais et ne pouvais pas faire, mais il fallait pas t'en vouloir, t'étais encore jeune et depuis que tu es née, t'avais toujours eu cette espèce de liberté que tu trouvais tout à fait normale. Tu écoutais seulement tes parents lorsque leurs règles n'étaient pas complètement débiles, comme lorsqu'ils te demandaient d'attendre que le petit bonhomme passe au vert avant d'avancer sur le passage clouté, ou qu'ils t'interdisaient de te balancer sur les barreaux du balcon du quatrième étage. Sinon, tu estimais de ton jeune âge déjà que ce que les parents demandaient parfois étaient abusifs, et vraiment, demander à ses enfants d'aller ranger leur chambre maintenant
à ce moment précis ou de les obliger le matin à mettre un pantalon plutôt que la robe qu'ils avaient choisi étaient des règles nulles, juste imaginées pour créer des disputes et montrer sa dominance envers les êtres sortis de leurs ventres. Ouais, tu pensais déjà que t'étais la reine du monde et que tu avais le droit de faire tes choix par toi-même à sept ans.
« Mais je veux un chieeeeeen. » Tu reprenais, parce que le but n'était pas qu'il oublie déjà tes désirs juste parce que tu t'étais arrêtée de sauter, loin de là. T'avais posé tes yeux sur ce magnifique chien il y a une minute à peine. Un couple d'hommes se tenaient la main, et l'un d'eux de sa main libre gardait fermement la laisse, alors que l'animal trottinait à leurs côtés, l'air heureux. Il était gros, son pelage blanc comme de la neige, et à la seconde où tes yeux s'étaient posés dessus, t'as su que t'en voulais absolument un. C'était pas une envie, c'était un
besoin.
« On l'appellera prince blanc neige parce qu'il est blanc comme de la neige! Ou... Ou prince nuage ! Et il dormira dans ma chambre, aux côtés de Grenouille et Monsieur Crabe ! On pourra même lui coller une carotte sur le front pour qu'il devienne une licorne magique ! » Tu continuais, tout excitée, t'imaginant déjà avec ton nouvel meilleur ami, assise sur son dos alors qu'il galopait dans la galaxie à la recherche de nouvelles aventures. En plus ce serait encore plus génial, parce que toutes les filles de la classe seraient trop jalouses, parce qu'elles n'auraient jamais de prince blanc neige comme le tien.
« Lydie, on va pas avoir de chien. » Casseur d'ambiance bonsoooir. Pour le coup, il te brisait dans tes rêves et tes délires de petite enfant, et ça n'allait pas se passer comme ça. Tu regardais tout d'abord à droite, puis à gauche, afin de vérifier que ta maman n'était pas aux alentours et cherchait toujours un cadeau pour l'anniversaire l'une de ses amies dans le magasin, puis tu reposais tes yeux sur le visage de ton père, ton regard marron foncé se durcissant, devenant bien plus déterminé. Comme l'apparence d'une mini femme d'affaire.
« Je veux un chien. Je veux le gros chien blanc qui ressemble à une peluche. Sinon... Il se pourrait bien que maman apprenne ce que tu faisais vraiment hier soir au lieu d'aller chercher son cadeau de saint-valentin. Tu sais comme les enfants parlent sans réfléchir. » Tu parlais, avant que ton expression et ton visage se métamorphose, lui lançant ce grand sourire angélique qui voulait pourtant en dire tellement plus, et tu t'éloignais, allant rejoindre ta mère dans le magasin. Trois jours plus tard, Prince Blanc Neige, un petit samoyède qui venait de naître, fut adopté dans l'appartement des Cooper.
« Ce n'est pas parce que tu ne l'as jamais vu que ce n'est vrai. » Tu reniflais un petit rire devant l'absurdité de la chose, tout en t'empiffrant d'une bonne poignée de chips goût barbecue. Tant pis pour la ligne, tu feras juste un peu plus de sport ce soir pour rééquilibrer tout cela, ni vu ni connu. Tes yeux se reposaient sur l'épisode de
ma famille d'abord qui se rediffusait sur ton bel écran de télévision – et t'adorais regarder cette série, même si évidement que tu ne comprenais pas toujours la dynamique entre frère et soeur étant donné que tu étais pratiquement fille unique.
« Mais, tu nous as rien dit sur lui. Dis nous au moins son prénom. T'es toujours la première à nous sortir le nom de tes nouveau flirt. » Tu soupirais un instant, regardant quelques secondes tes deux amies qui étaient aussi affalées que toi sur ton lit. T'aurais peut-être dû te taire pour le coup, ne même pas en parler, mais t'avais jamais été le genre de fille très sécrète. Malheureusement, dans des situations comme ceci, ça s'avérait encore plus délicat, car tu avais tellement envie d'en dire plus, de partager tout ça, mais tu savais que tu n'avais pas le droit. Ça te faisait royalement chier, mais en même temps, tu savais également un minimum dans quoi tu t'étais embarquée.
« Tu penses que je mens, c'est ça ? J'suis pas une mytho. » Tu répondais, le regard durci, et c'était pas totalement vrai car tu ne te refusais pas quelques mensonges lorsqu'ils le fallait, mais là n'était pas la question. Elle se dépêchait de secouer vivement sa tête, et tu reprenais quelques chips.
« Vous êtes vraiment des commères, pire que Gossip Girl. » Tu lâchais, reprenant tout de même ton petit sourire en disant ça.
« J'peux pas vous dire son nom. Il est... Timide. » Ouais, super raison.
« Toi tu fais dans les timides maintenant ? » Te taquinait l'une, et tu lui lançais un
« Ta gueule. » tout sourire avec tes yeux levés au ciel. Tu reprenais.
« Il est blond, sportif, super canon, et il sait manier sa langue comme personne. » Tu répondais sans pudeur, avant de leur faire un petit clin d'oeil et de rire. Elles se mettaient à leur tour à glousser comme des pucelles, et t'espérais qu'elles lâchent un peu le sujet, surtout la partie mystère de « découvrons qui est le fameux nouveau petit-copain secret de Lydie », parce que malgré le fait que tu mourrais envie d'en dire plus et de conter chaque secondes que tu passais avec lui, tu savais que tu n'avais pas le droit si tu voulais avoir la chance de rester avec lui.
Putain. Ton connard de petit-ami ( ex ? ex ! ) est marié. Ouais, vous avez bien lu, marié. En concubinage avec une blondasse ancienne candidate de miss America, père de deux enfants de tout juste deux ans, et propriétaire d'un putain de chien devant sa maisonnette gardée par des barrières blanches fraichement repeintes. Et ça ne devrait pas te faire autant mal, et pourtant. Et c'est pas que ton égo qui en prend en coup, c'est pas seulement le fait que tu n'étais au courant de rien et qu'il t'avait menti à toi, Lydie Cooper. C'est pas non plus le fait que t'ai offert ta première fois à un mec qui finalement s'en foutait complètement, et t'utilisait comme amante de passage. Ça faisait juste mal. Mal de savoir que tu t'étais trompée sur toute la ligne, mal de comprendre que pour une fois que les choses devenaient un peu sérieuses de ton côté, elles s'effondrent parce que t'étais la seule à t'investir autant dans cette relation. Mal parce que t'aurais dû le comprendre dès le départ, que sortir avec ton prof de sport, aussi sexy et attentionné puisse-t-il être, était une mauvaise idée. Et on peut pourtant pas te reprocher le fait de ne pas avoir été observatrice, car non, il n'avait jamais sa bague de mariage au doigt. Non, il ne te semblait jamais suspect, et vos règles établies comme celle de ne jamais se voir chez lui étaient simplement évidentes quant à son métier. T'avais pas trouvé ça bizarre, non. Et même quand tu fouillais son téléphone, y avait rien d'anormal. Et le connard avait surement tout préparé, s'en était surement pris un second pour jamais se faire prendre, ni part toi, ni part l'autre blonde. Plus t'y pensais, et plus t'avais l'impression de souffrir, et plus tu te rendais compte que cette relation cachée n'en avait peut-être jamais valu le coup depuis le début. T'étais pas comme celles qui voulaient garder les bons souvenirs et tourner la page, non : tu allais bien te remémorer le souvenir de cette trahison pour ne plus jamais que ça recommence. Pour ne plus qu'on te prenne pour la bonne poire. C'était tellement banal comme découverte en plus. Une que tu aurais pu très bien faire y a six mois de cela. Mais non, c'était maintenant, à la fin de l'année, que tu t'en apercevais. Quel gâchis. Et t'as réussi cet exploit seulement parce que pour aller à l'épicerie du coin tu passais devant cette pizzeria, et que ce soir-là ils étaient en rendez-vous, à se faire des papouilles dégueulasses toutes les secondes, comme s'ils étaient libres de s'aimer aux yeux de tous. Chose que vous, vous n'aviez jamais pu avoir, cette liberté. Et après tu l'avais seulement stalké, le soir quand il rentrait chez lui, le vendredi quand il passait prendre ses gosses à la maternelle, alors que toi tu pensais juste qu'il allait rejoindre son club de basketball. Conneries, conneries, conneries. Et t'étais pas le genre à faire ta farouche, à être trop prude ou secrète, mais tu te sentais salie, et vidée, et t'avais juste l'envie de t'échapper aussi vite que possible de toute cet air pollué par lui et sa petite parfaite famille. Alors après ce début d'année d'université passée à Londres, t'as décidé de partir. Ouais, sans finir, sans avoir ton diplôme, rien. Parce que tu ne pouvais plus aller en cours et voir ce putain de mec dans les yeux. Tu pouvais pas te sentir bien et te concentrer sur la seule chose qui rendait tes parents fiers de toi : les études. Alors t'es partie, rassurant tes parents, ton violon sous le bras, et tu t'es envolée direction les états-unis, Boston. T'as inventé des excuses lorsque tu as fait tes démarches tardives pour Harvard, car tu ne pouvais pas simplement dire que ton prof de sport sur lequel tu avais craqué était en vérité marié et que ça avait comme détruit ton coeur. Tu t'es enfermé dans les études, le sport telle une vieille amie, et bizarrement la musique. T'avais toujours fait un peu de violon, mais quand ça te prenait, parce que te concentrer sur la musique t'avait toujours un peu fait chier. Mais là, ce fut différent. Les sons, les gammes, la pratique de l'instrument, tout ça t'aidait à traverser cette mauvaise période, à exprimer tout ce que tu ne pouvais pas et que tu n'osais pas dire à travers la musique. Le premier plaisir, les secrets lourds à cacher, l'adultère... Au lieu de mettre en mots ton histoire et tes problèmes, tu les as mis en scène, joué, et au mieux tu apprenais à ne faire qu'un avec le violon, au mieux tu arrivais à créer ton échappatoire, éloigné des sentiments horribles que tu ressentais. Ce fut comme ton travail de reconstruction, ça et le fait que le Doyen t'accepte parmi Harvard malgré ton retard. Et t'étais prête enfin à reprendre tout du début et de faire de ces années les meilleures de ta vie.