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28 juillet 2015, Cambridge.
La blonde Lockhart était allongée sur son lit, lisant un livre sur les thérapies à travers l'art. Elle trouvait ça absolument passionnant et étudiait en profondeur ce sujet, puisqu'elle voulait ouvrir un cabinet d'art-thérapeutes réunissant des psychologues danseurs, peintres, chanteurs ou autre pour aider les patients à accepter les choses et à les guérir en passant par l'art. C'était son projet, ça lui tenait à coeur et comme elle devait rester allonger à cause de ces fichues contractions de Braxton Hicks, elle en profitait pour lire des livres à ce sujet pour passer le temps.
« Léonora ! Ma belle ! », dit-elle d'une voix joyeuse. « C'est papa qui t'envoie, c'est ça ? Je crois qu'il en a marre de m'entendre fulminer parce que je dois rester allonger toute la journée... ». Elle se mit à rire d'un rire léger, ça lui faisait plaisir de voir sa soeur et d'avoir quelqu'un d'autre à qui parler que son père (puisque sa fille était en vacances avec une amie). Elle tapota son lit d'une main pour que sa jumelle vienne s'asseoir près d'elle et une fois chose faite, elle l'attrapa contre elle pour la serrer dans ses bras, bien que son gros ventre la gênait pour faire un câlin à sa soeur. « Ça me fait plaisir que tu sois là. »
L'après-midi passa rapidement, Ruby se sentait tellement bien avec sa soeur. Elle avait réussi à la détendre et à lui faire du bien. Lorsqu'elle vit le regard de sa soeur vers le piano qui trônait dans sa chambre, et lorsque celle-ci lui demanda d'en jouer ; elle répondit : « Non. ». Même si son ton était catégorique, elle savait que sa soeur était aussi têtue qu'elle et qu'elle insisterait jusqu'à ce que la blonde chante et joue du piano. Elle poussa un profond soupire et se leva, prit un album photo et se rassit sur le lit. Elle posa l'album photo devant elle, il était clos mais pourtant elle redoutait tout ce qu'elle allait voir. Elle releva les yeux vers sa soeur. « Ecoute Léo, je...je dois te raconter quelque chose pour que tu puisses comprendre pourquoi je ne veux plus faire de piano. ». Elle fit une pause et releva les yeux vers elle, il était temps. « Dans cet album photo repose toute mon enfance, de A à Z. Les bons comme les pires moments, que je souhaite garder parce que ça fait partie de ma vie. ». Elle ouvrit la première page où on pouvait voir une petite blonde d'environ trois ans, déjà maquillée et habillée comme une poupée. « Dès trois ans, Kestrel m'a inscrite à des concours de mini-miss. D'aussi loin que je m'en souvienne, j'en ai toujours fait et j'ai trouvé ça amusant au début. Il y avait du maquillage, j'étais coiffée, habillée comme une princesse, tout le monde m'admirait, me chouchoutait. J'avais toute l'attention sur moi et c'était un jeu. J'adorais ça... Kestrel adorait aussi, puisque je gagnais à chaque fois. J'étais une adversaire redoutable et je lui faisais gagner des centaines de dollars à chaque fois. Plus je grandissais, plus elle gagnait. J'étais pour elle, la fille idéale. Jolie et intelligente, mais je reviendrais sur le deuxième point plus tard. Elle m'a apprit à manipuler mes adversaires, à les écraser pour devenir la meilleure et je n'avais pas le droit de me faire une seule amie, c'est ce qui m'a fait détester ces concours quand j'ai commencé à comprendre ce qu'il se passait mais j'étais obligée. Elle me punissait si je refusais de participer ou si je me rendais malade pour ne pas à faire ça. Je devais faire attention à mon alimentation, faire de la danse, faire du sport donc j'allais courir tous les soirs après l'école quand j'étais en âge de le faire, j'allais faire des manucures et des choses que faisaient les adolescentes mais pas une petite fille de trois ans, de six ans ou de dix ans. J'avais tellement peur qu'elle me punisse que j'obéissais...même à quinze ans. Elle était terrible et papa ne disait rien, il était trop absent pour avoir son mot à dire et elle ne le laissait pas s'imposer en y réfléchissant...» . En parlant, elle tournait les pages et dévoilait des photos d'elle en mini-miss, avec des maquillages toujours plus voyants, des tenues extravagantes mais magnifiques, néanmoins. Il y avait aussi des shooting sur la plage où elle était en maillot de bain, aussi professionnelle qu'une mannequin et d'autres shooting qui dévoilaient une petite fille vraiment magnifique et d'une tendresse incroyable dans le visage. « Plus le temps passait, plus j'étais connue dans le monde des miss. J'étais même reconnue en tant que mannequin et je travaillais. J’enchaînais l'école, les activités extra-scolaires, les concours et le boulot, j'étais vraiment fatiguée mais je n'avais pas le droit de faiblir...Jamais. Les seules amies que j'avais, c'était par intérêt. Comme papa n'était pas là pour moi, il m'avait créé ma propre carte bancaire où il mettait des sommes astronomiques dessus assez régulièrement et où mon salaire était déposé, du moins une partie puisqu'un tiers allait à mes parents. Mes "amies", ne me fréquentaient que pour l'argent mais elles m'ont toutes tournées le dos quand j'ai arrêté le mannequinat, les concours de mini-miss et que je suis partie de Los Angeles... Mon seul vrai ami était Ryan, que je retrouvais tous les étés en Irlande. C'est avec lui que j'ai passé les meilleurs moments de mon enfance...Comme on ne se voyait qu'une fois par an, on s'appelait au téléphone tous les jours, on s'envoyait des lettres de cinq pages à chaque fois etc...Il était formidable... ». Le regard de Ruby se voila, une lueur de tristesse traversa ses yeux. « En plus d'être belle et de rapporter beaucoup d'argent, les écoles dans lesquelles ma scolarité s'est déroulés étaient les meilleures de Los Angeles. Attend, il fallait des écoles à la hauteur de ma popularité, de notre revenu et de mon intelligence ! Kestrel n'allait pas laissé son enfant parfait dans une école de plouc, voyons. », dit-elle avec ironie. « En vérité, j'étais surdouée, mes résultats scolaires frôlaient l'excellence mais je ne devais pas être assez parfaire pour Kestrel qui me faisait enchaîner des cours d’équitation, de violon, de théâtre, de piano de flûte traversière, de chant, de chinois, de russe et de danse. Sans exagération. ». Elle marqua une pause, et soupira en regardant les photos. Elle paraissait tellement épanouie, tellement heureuse, tellement souriante, tellement adorable, tellement douce, tellement sensible. Et pourtant...Ce n'était pas ce qu'elle était. C'était une façade. « C'est drôle, sur les photos je ne semble pas souffrir et pourtant mes parents m'avaient enfermés dans une solitude qui me rongeait. Quand, je regarde Elsa s'épanouir et s'amuser avec ses copines, rires aux éclats...Je l'envie. J'aurais aimé avoir des parents qui me laissent une enfance comme les autres, j'aurais aimé manger une glace avec mes copines, sortir avec des garçons au collège, et faire tout ce qu'un enfant ou un adolescent pourrait faire... Je fais attention à ce qu'elle puisse avoir une enfance la plus normale possible, malgré son coeur en mauvaise santé. Dès que je peux, je l'emmène dans un parc, au zoo ou à la mer. Je fais avec elle, des choses que je n'ai pas pu faire quand j'étais enfant et que j'aimerais qu'elle profite de faire pendant qu'elle a encore l'âge de rêver comme elle le fait... ».
Ruby tourna une énième page, qui dévoila une petite fille de six ans qui était assise à un piano. Ses mains se crispèrent sur les pages de l'album et elle retint sa respiration pendant quelques secondes. « Ce passage est le plus douloureux pour moi. Le piano... ». Elle ferma ses yeux et ravala sa salive. « Je...C'était ma passion. J'aimais énormément ça. J'ai commencé à six ans et je n'ai même pas eu besoin de faire de solfège puisque j'avais l'oreille absolue, j'étais un prodige pour mon prof. Il me répétait sans cesse que j'avais un don. Il voyait en moi un grand potentiel et c'était la seule personne qui réussissait réellement à lire en moi. Je l'admirais, il était un mentor pour moi et j'adorais suivre ses cours, j'avais une immense confiance en lui et...tout s'est envolé. Ouais, envolé c'est le bon mot. Il m'a brisé. J'avais dix-sept ans, j'étais à un cours de piano avec lui. Comme toujours, entre deux morceaux on rigolait, on parlait mais c'était différent...Il semblait tendu, et je lui ai fait remarquer. Je ne m'attendais pas à ce qu'il m'avoue avoir des sentiments pour moi et je l'ai repoussé. Il avait trente ans ! De une il était trop vieux et de deux il était mon mentor, mon model mais je n'étais pas amoureuse de lui. Il l'a très mal pris et...et j'ai compris ce soir là que ma vie ne tenait qu'à un fil lorsqu'il m'a kidnappé. La vérité est qu'il avait des problèmes psychologiques très graves, que personne n'a jamais remarqué. ». Ruby avait du mal à continuer, cette partie la faisait souffrir et elle n'en parlait que très rarement. « Il m'a kidnappé et je suis restée enfermée pendant plus de deux semaines, dans une cave. Il me battait, me violait et m'insultait tout ça parce qu'il m'aimait. Il m'aimait depuis le début, depuis la toute première fois où il m'avait donné des cours de piano. J'avais 6 ans, Léo...comment un homme en était venu à aimer une gamine de 6 ans ? Ce n'était pas réciproque en plus, et il me le faisait payer... Je suis donc restée plus de deux semaines dans le noir, à pleurer toutes les larmes de mon corps et à encaisser la douleur sans un mot alors que j’étais terrifiée, paniquée, horrifiée. Totalement détruite. Il avait réussi à me briser, littéralement. ». Ses larmes coulaient sur ses joues, à flot. « J'ai réussi à fuir, mais je ne sais plus comment. Je me rappelle seulement m'être retrouvée sur le bord d'une route, nue et frigorifiée. Je me suis réveillée plusieurs semaines après, à l'hôpital. J'étais tellement mal en point et au bord de la mort, que le médecin a faillit pleurer en me voyant réveillée. Il m'a répété que c'était un miracle si j'étais encore en vie, j'avais frôlé la mort. J’étais physiquement mal en point, j’avais des ecchymoses partout, des côtes cassées, une jambe brisée, un poignet foulé, un énorme traumatisme crânien qui avait probablement provoqué mon coma et j’en passe. Moralement, c’était une autre chose. Les semaines qui avaient suivies mon réveil, j’avais fait des batteries d’examens, j’avais subis une opération, commencé des rééducations et consulté un psychologue. Je ne parlais pas et je n'ai plus parlé pendant des mois. Ce n'était pas que je ne pouvais pas, mais que je ne voulais pas. Choc post-traumatique, ai-je entendu plusieurs fois...J'étais choquée, ouais mais même ce mot n'était pas assez fort pour ce que je ressentais. Je pensais à toi, puis à mon bébé lorsque j'ai appris que j'étais enceinte. Au delà de toutes les blessures physiques et morales, la grossesse était l'épreuve de trop. Mon corps était à la fois trop faible pour subir un avortement et pour subir un accouchement. J'ai été contrainte à garder ce bébé contre mon gré mais elle a été ma plus grande force. J'avais du mal au début à accepter le rôle de future mère à cause de mon trop jeune âge, mais surtout à cause des douleurs en plus que me provoquaient cette grossesse et du fait que le bébé n'était pas désiré. J'ai peu à peu commencé à m'y faire... Après ça, on a déménagé à New York, mes parents m'ont obligés à couper les ponts avec toutes les personnes que je connaissais et j'ai rattrapé le retard que j'avais sur ma scolarité avec grande facilité. J'ai eu mon diplôme de fin de scolarité et je me suis inscrite à Yale. L'été avant de démarrer l'université, j'ai accouché de ma petite Elsa Léonora Lockhart, 45 cm pour 2,5 kilos. Une petite crevette, mais une petite crevette en parfaite santé. Elle était magnifique...Un vrai petit trésor. J'ai insisté pour mettre Léonora en second prénom, ça comptait énormément pour moi même si Kestrel m'a longtemps fait la gueule pour ça. J'en avais rien à faire. C'était mon bébé, j'étais sa maman et c'était à moi de décider. Septembre est arrivé, j'ai commencé les cours à Yale en vivant ma nouvelle vie de maman...ce qui me faisait bizarre. J'étais très tendre avec Elsa et à l'université je me suis transformée en peste pour cacher ma douleur. C'était ma carapace. Tu connais la suite : notre rencontre, mon arrivée à Harvard etc. Maintenant tu sais...tu sais pourquoi je ne veux plus jouer au piano, ni chanter. ». Elle fixa la dernière photo dans l'album qui datait de leur anniversaire : elles étaient toutes les deux assises sur le canapé de chez Alexander, le sourire aux lèvres. Le père de Léonora (et le sien, mais elle ne le savait pas) avait insisté pour qu'elles puissent fêter leur tout premier anniversaire ensembles, et avait même fait un effort pour inviter Jake (au final, ils avaient renoué à cette soirée et allaient boire un verre deux fois par semaines depuis).
La blonde quitta la photo des yeux et releva la tête pour regarder sa soeur avec douceur. Elle voyait l'émotion dans les yeux de sa soeur, si bien qu'elle se pencha et lui fit un petit baiser sur la joue. Elle se montrait très tendre avec Léonora. « Je...Je vais... », hésita-t-elle. « Je vais jouer, pour toi. ». Bien qu'elle ait banni le piano de sa vie, un de ces beaux instruments trônait encore fièrement dans sa chambre. Elle prit place sur le siège avec sa soeur, en prenant une grande inspiration. « C'est la première fois que je joue du piano depuis tout ce qu'il s'est passé... », dit-elle en lançant un regard à sa soeur avant de regarder les touches. Elle posa ses mains tremblantes sur les touches et commença à jouer "People help the people" de Birdy. Elle enchaîna avec le chant, d'une voix d'abord tremblante qui se laissa transporter et qui devint magnifique, assurée et puissante. Puissante, comme l'était cet instant intime entre les jumelles et Ruby faisait ça d'une telle facilité, comme si elle n'avait jamais arrêté. A l'époque son prof avait raison, elle était un prodige. Elle avait un don.
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