Just tonight [Jessy & Kathleen]

Encore une soirée qui promettait d’être arrangée dans les règles de l’art au Driver’s High. Certes une soirée à travailler mais dans mon bar on ne s’ennuyait jamais.
Comment pouvoir même y penser d’ailleurs ? Il y avait tout ce qu’il faut aux jeunes en pleine crise de sensations. De la musique, de l’alcool et des fêtes à thèmes.
Ce soir d’ailleurs c’était années 60 et mafia. A cette occasion, la direction avait organisé un concours de poker qui verrait attribuer au vainqueur toute une soirée de shots gratuits ainsi qu’une place de choix dans le prochain clip réalisé au sein du bar (oui nous organisions parfois des concerts et faisions des clips pour faire de la publicité et nous apporter une certaine renommée).

Les cartes battaient leur plein sur les tables et je m’étais habillé en costard avec les cheveux laqués en arrière. Il fallait bien que le barman reste une image de marque, après tout, c’était lui qu’on allait voir pour se réapprovisionner.
D’ailleurs j’en avais même profité pour m’allumer un cigare. Le patron pour une fois n’était pas contre fumer à l’intérieur alors autant en profiter un peu, même si de base je ne suis pas un fumeur.

Alors que j’étais en plein jonglage avec mes bouteilles, l’un de mes collèges, serveur lui avait décidé de m’embêter un peu. Il avait entreprit de me mettre dans l’embarras en me projetant des cacahuètes avec une paille qu’il utilisait alors comme une sarbacane.
N’ayant pas mis plus de 15 secondes pour remarquer sa connerie, je posais mes bouteilles sur le comptoir et prenais quelques capsules pour les lui balancer. Une première loupée de peu mais une seconde tout juste placée dans la ligne de mire. Seulement à ce moment je n’avais pas prévu que quelqu’un allait être dans mon passage. Et boum petite collision.
Décidemment même inconsciemment je martyrisais les filles et cette fois ma victime avait été une belle blonde. C’était la première fois que je la voyais ici, et je l’aurai bien sifflé à la Tex Avery pour l’embêter si je n’avais pas dégradé mon image avec la boulette que je venais de faire.
A la place un pote ne s’était pas privé pour s’en charger. La pauvre, à peine entrée, elle allait être traumatisée.

« Sorry » déclarais je derrière mon comptoir avec mon plus bel accent australien. Oui à chaque fois que je disais ce mot, on entendait que je n’étais pas américain, pas de ma faute.
Il fallait l’avouer, elle était plutôt sympa à regarder mais loin de moi la perspective d’être intéressé. Je suis quelqu’un qui vit avant tout pour moi même, même si j’admets quand certaines choses sont belles. Puis les filles, fallait le dire ne sont pas ma tasse de thé. Soit à leurs yeux j’étais un enfoiré qui joue le jeu mais ne cède rien, soit j’étais trop distant et arrogant, ou pour une minorité quelqu’un de bien. A vrai dire, ça m’était un peu égal en revanche ça ne me privait pas de rester poli.

« Bienvenue au Driver’s High, Lady Murder. »

Finalement je m’en sortais plutôt bien, mes excuses étaient acceptées et la belle s’était assise à mon bar. Assise d’une manière plutôt aguichante d’ailleurs, du moins assez pour que mon collègue se mette à soupirer. J’imaginais déjà ce dernier se dire dans sa petite tête, « pourquoi ça n’arrive qu’à lui ce genre de truc ? ». Il allait sans doute me préparer une de ses vieilles vannes pour la fermeture.

Si Madame avait des allures de poupées, ses premiers mots en revanche affichèrent eux une tout autre couleur. Elle n’était pas venue pour se pavaner, draguer comme certaines avaient coutume de le faire, mais pour boire. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, même sollicitant le vice, elle avait su gardé une image de marque. Elle n’avait pas demandé la petite bière mondaine, non. Elle me défiait de lui faire le meilleur cocktail actuellement à mon tableau.
Il semblait y avoir du piquant sous ce doux déguisement et cela il fallait l’avouer avait le mérite d'éveiller ma curiosité.

« C’est que Madame est exigeante mais c’est d’accord.»

Je saisissais un verre suffisamment grand pour faire durer sa dégustation et le posais devant elle, puis y ajoutais ma mixture en jonglant. Un peu de Jack Daniel’s par ci, une pointe de liqueur de Chambord par là, de la Vodka, de la liqueur de Whisky ainsi qu’un mélange de soda. Il ne me restait plus qu’à poser la touche finale, le petit citron, la paille et la baguette pour mélanger le tout.

« Je vous présente le Southern Rock, le cocktail aussi relevé que l’esprit sauvage de nos terres et aussi beau qu’un coucher de soleil sur l’horizon. N’en abusez pas ce n’est pas un poids plume.»

En effet, s’il était bon, il n’en restait pas moins agressif pour le degré des alcools qui y étaient mélangés. A ce niveau on aurait très bien pu à lui dédicacer la fameuse chanson, « tu me fais tourner la tête. »
Et mon invitée restait une demoiselle et non pas un camionneur qui boit comme il respire.

Mon échange de bons procédés accompli, je me remettais au rangement des bouteilles et saluais les nouveaux arrivants.
Si mon invitée avait tout le temps de déguster son verre vu son contenu, j’en profitais quand même pour balancer.

« Vous êtes venue pour la fête ou vous débutez une carrière dans les alcolos anonymes ? Je ne vous ai jamais vu ici.»
J'étais taquin et ça ce voyais. Mais le pire était sans doute que je le faisais naturellement. Puis cette fille semblait avoir du répondant alors raison de plus pour ne pas se priver. Cela pouvait être amusant.

« What's someone like you doing in a place like this?
Say Did you come alone or did you bring all your friends?
Say what's your name , What are you drinking
Think I know what are you thinking
Baby what's your sign tell me yours and i'll tell you mine »

Elle avait plutôt l’air du genre à l’aise où qu’elle aille cette fille et elle avait de la répartie, c’était bon à savoir. Elle n’en devenait que plus intéressante.
Si elle continuait sur cette voie, je n’allais pas m’ennuyer ce soir.
Puisqu’elle me tendait la perche, je n’allais pas la lâcher, je rentrais donc volontiers dans son jeu.

« Inspecteur ? Je suis un Don mademoiselle. Et vous auriez tort de sous estimé mon influence. Comprenez bien que ma question était juste dans le but de savoir si je vous servirais un autre verre, de peur que vous tombiez seule ivre et que personne ne soit là pour vous relever ou même vous surveiller. Vous n’êtes pas à la réception du maire du coin.»

Et même si c’était une soirée à thème, je doute qu’elle resterait seule dans son coin si elle venait à être éméchée. On verrait les gros lourds de base sortir de leur tanière (même si de base à l’entrée le tri se faisait déjà).
Or je ne laisserais personne la déranger rien que parce que j’étais bien éduqué et que je gérais le bar.

Et à son enchainement je répondais avec le sourire taquin. Je n’étais pas un enfant de cœur non plus.

« Bien au contraire, on en a assez pour que je ne me rappelle pas toujours du nom de certains clients. Mais s’il y a bien une chose que vous devriez croire, c’est qu’une femme qui m’exige le meilleur cocktail ça ne se voit pas couramment. Et d’autant plus si elle est seule, car en général elles prennent ce qu’elles connaissent à moins qu’elles soient accompagnées et décidées à se mouiller. »

Regardant autour de moi, je pus constater bien vite que la plupart des gens étaient occupés à jouer aux cartes, du moins à s’entrainer en vue du tournoi qui aurait lieu plus tard. Peu d’entre eux viendraient donc passer commande à moins que ce ne soit pour une bière. Chose qui revenait juste à presser un levier, je pouvais donc laisser au pire des cas l’un de mes collègues prendre la main pour un petit instant.
J’avais le temps.

« Puisque votre quelqu’un n’est pas arrivé et que vous avez l’air en forme, que diriez vous de faire un baby foot avec moi? Si je perds, je vous offre des shots pendant la soirée et si je gagne libre à vous de me proposer ce que vous êtes prête à offrir. C’est de bonne guerre. »

« What's someone like you doing in a place like this?
Say Did you come alone or did you bring all your friends?
Say what's your name , What are you drinking
Think I know what are you thinking
Baby what's your sign tell me yours and i'll tell you mine »

L’avait elle prit sérieusement ? Vu sa réponse, il semblait bien que oui. J’avais sorti la petite vanne de la mairie uniquement parce que c’était le genre de cérémonie bien ennuyante, au même titre qu’un apéritif dinatoire. Mais elle, contre toute attente, en avait parlé comme par expérience.
Ainsi si on disait volontiers que l’habit ne fait pas le moine, là j’avais la preuve même du contraire. Elle, qui s’habillait comme une princesse en était sans doute une.
Une princesse qui d’ailleurs m’invitait sans préjugés, à l’accompagner au prochain meeting communal.
Autant dire que oui je suis curieux mais j’aurai sans doute refusé si ça avait été avec une autre personne qu’elle. Quitte à aller à un endroit plus morbide qu’un cimetière autant y aller en bonne compagnie.
Par contre, tout ça je ne comptais pas le lui dire tout de suite.

« Hum je ne sais pas, vous me proposez combien ? Après tout la vie est un marché et si vous voulez louez la présence d’un escort boy, ça ne sera pas gratuit. »


Mais à peine je terminais ma phrase que mon interlocutrice se transformait en Ariane. Non pas Ariane, le prénom, Ariane la fusée. Après m’avoir frappé dans la main, elle décolla de sa chaise comme propulsée par des réacteurs pour se suspendre aux manettes du babyfoot. C’est qu’elle en voulait la belle.
Et comme un bonhomme devant un match de foot ou un gosse qui sait ce qu’il veut elle me précisait bien qu’elle n’entendait pas perdre et qu’il n’y avait aucune négociation possible à ce sujet.
Elle me faisait rire et c’est d’ailleurs enthousiaste que je la rejoignais à la table.

« Vous vous attendiez à quoi ? A ce que je déroule le tapis rouge ? Je suis peut-être un gentleman mais je n’ai pas perdu ma fierté. J’entends bien gagner surtout face à un travelo plutôt bien réussi (je lui glissais un clin d’œil pour bien lui montrer que je plaisantais). D’ailleurs puisque vous avez eu le loisir de choisir la couleur, je prendrais celui de commencer. »

Quelques minutes avaient suffit pour qu’elle me fasse bonne impression. Et moi l’exigeant Jessy en était le premier surpris. J’aimais sa manière de jouer avec les mots et sa répartie. Elle ne cédait à rien et renvoyait toujours la balle.
Nous étions les acteurs d’une pièce improvisée dont ni les textes, ni les rôles n’avaient été distribués.
D’ailleurs en parlant de rôles, de noms, nous ne nous étions même pas présenté et je trouvais ça plutôt intéressant. Mon prénom devenait un mystère. Un mystère que je ne dévoilerais qu’au « bon » moment.

« What's someone like you doing in a place like this?
Say Did you come alone or did you bring all your friends?
Say what's your name , What are you drinking
Think I know what are you thinking
Baby what's your sign tell me yours and i'll tell you mine »

A ma plus grande surprise, elle prenait les choses plutôt bien et cela faisait drôlement plaisir à voir. Surtout que mes réflexions en temps normal en auraient agacées plus d’une. Mais là j’avais juste à être moi même, quoi de mieux ? Croyez bien que cela faisait longtemps que je ne m’étais pas senti aussi bien.

« Ce n’est pas de refus. J’irai bien lui demander de me refaire mon sourire pour qu’il ne me monte plus jusqu’aux oreilles. »


Bien décidé à ne pas faire preuve de pitié pour la gente féminine, je lançais la balle sur le terrain. J’avais de nombreuses fois pu jouer au babyfoot avec les collègues, notamment pendant les temps de pause. A chaque fois on pariait quelque chose, c’est d’ailleurs comme ça que je m’étais retrouvé avec une grosse collection de Redbull chez moi.

Le ton était donné. Les petits bonhommes bicolores s’agitaient dans tous les sens sur le terrain. Aucun de nous ne voulait céder l’avantage à l’autre. Autant dire que le score était serré.
Mais alors qu’elle venait de marquer le point qui pour la énième fois nous mettait à égalité et que j’allais chercher la balle dans le trou, je vis la nouvelle petite serveuse, Sasha sur le point de commettre une énorme gourde.
Agacée par un client qui venait de lui mettre une claque sur son postérieur, elle s’était retournée pour l’engrainer, le plateau qu’elle tenait en main se reversant par la même occasion lentement. Vous savez comme ces ralentis dans les films pour annoncer une catastrophe?
Et devinez sur qui, le plateau allait déverser le champagne qu’il supportait ? Sur ma très chère adversaire.

Dans ma tête, il y eut comme un déclic et je me retrouvais en deux temps, trois mouvements entre la blonde et Sasha. La main droite entourant la taille de la princesse et la main gauche maintenant le cercle en plastique de la maladroite femme de maison.

« On peut dire que c’est passé tout près. »

Me redressant, je rendais à Sasha son outil de travail. Cette dernière ne cessait d’ailleurs de me remercier toute gênée de lui avoir évité de commettre l’irréparable. Heureusement je n’étais pas le patron, elle n’aurait donc droit qu’à une légère moquerie de ma part.

« Ce n’est rien ne t’en fais pas, tout est arrangé. J’espère juste que dorénavant tu t’entraîneras davantage à jongler qu’à vernir tes ongles. »

Cette dernière dans une dernière approbation alors s’éloigna. Je tournais donc ma tête vers la demoiselle suspendue à mon bras droit. On aurait d’ailleurs dit que je la tenais comme si avec elle j’avais dansé le tango. C’était plutôt sexy mais loin d’être confortable pour elle. Je décider alors de la relever. Geste qui la propulsa presque contre mon torse, face à face.

Sans un mot, je la regardais droit dans les yeux et ressentis comme un picotement dans ma poitrine.
Je savais désormais pourquoi avec elle, je me sentais à l’aise, bien qu’on se soit à peine rencontrés. C’était parce qu’autant physiquement que mentalement, elle ressemblait à Anna, mon ex copine. Celle qui avait décidé de partir pour Londres afin de réaliser son rêve sans que je ne puisse la suivre. Elle avait cette même manière d’être à la fois élégante où qu’elle soit et agréable à vivre. Elle riait d’un rien et communiquait son sourire.
Confus par cette ressemblance, je m’excusais et m’éloignais.

« Désolé d’avoir été si brusque. On s’y remet ? »

Et comme si ce soir était le soir où la terre entière avait décidé que je n’aurais pas de répit, mon boss se pointa derrière moi et posa sa main sur mon épaule.

« Mon vieux, ça va être à toi. »

Pendant un instant, j’avais oublié que ce soir serait le soir où pour la troisième fois consécutive j’allais monter sur scène et interpréter un morceau. Cette recette cartonnant dans le bar, elle avait été adopté sans hésitation.
Le temps n’attendant pas, je me retournais vers la belle blonde et lui lançais la balle avant de me diriger vers la porte arrière qui mènerait tout droit à la scène. Evidemment il fallait que je récupère ma guitare.

« Egalité. A charge de revanche. »

« What's someone like you doing in a place like this?
Say Did you come alone or did you bring all your friends?
Say what's your name , What are you drinking
Think I know what are you thinking
Baby what's your sign tell me yours and i'll tell you mine »