Préchauffe (Zozo)

Déjà qu’aller au bal de fin d’année en mode pingouin sur le thème féérique de la forêt enchantée au bras de Zoïa, c’était assez inconcevable, alors être en train de parler sexualité avec elle, c’était carrément du domaine du surnaturel. « Oh tu sais y’en a pour qui le fait d’être en couple ne signifie pas faire l’amour avec une seule et même personne… » corrigeai-je d’une voix aigrie… « Faut croire que ta cousine et toi partagez bien cette vision des choses… » Je n’avais toujours pas digérer la tromperie de mon ex et les discours libertins de Zoïa ne faisaient que me rappeler que de mon côté, la fidélité n’était en rien une option synonyme d'ennui ou de frustration… Enfin, la rouquine essayait quand même de me remonter le moral à sa façon, en me montrant les bons côtés du célibat. « Bof… S’éclater pour quoi faire ? » fis-je avec un manque d’enthousiasme évident, peu sensible à cet argument.  Et lorsqu’elle me donna ensuite l’explication concernant son choix de robe, je retrouvais ma bonne humeur et ne pus retenir un petit rire moqueur : « Il te faudra plus qu’une robe blanche pour retrouver ta pureté… Mais merci pour le cavalier parfait, je vais essayer d’être à la hauteur. » Et si on commençait par se pochtronner, ma tâche risquait d’être plus compliquée. D’ailleurs, Zoïa lisant dans mes pensées, nous resservit tout en proposant à son tour une série de codes plus farfelus les un que les autres… Autant tousser c’était trop banal au point qu’on risquait même de passer à côté de l’alerte rouge autant là, avec ces propositions on allait se faire griller de suite. « Ou alors, si ça va pas, et que tu veux partir, tu me fais du pied sous la table… Comme ça c’est discret, et au pire si les autres nous grillent ils penseront juste que tu es follement attirée par moi quoi… » proposai-je en riant à mon tour.

Point sensible touché. Zoïa se referma comme une huitre après que je lui aie fait remarquer que le rejet de la monogamie semblait un trait de famille, soulignant ainsi un point commun entre Talya et elle. Son ton changea, son visage se ferma. Pas besoin d’être devin pour deviner qu’il s’agissait de bien plus que de simples chamailleries entre cousines entre les deux femmes. Je me rappelais encore très bien la fureur dans laquelle la blonde s’était mise lorsque je lui avais confié avoir invité Zoïa pour le bal. « De toute façon, tu es hors du commun c’est bien connu… » concédai-je puisqu’elle semblait déterminée à faire bande à part et ne pas se mettre à notre niveau. Et quant au débat d’une vie sans attache, c’était surement sans fin. Rallier Zoïa à ma cause était peine perdue. Elle avait ses idées, bien arrêtées, et j’avais les miennes. Je me contentais de sourire à sa réponse, me rappelant un instant qu’il y avait quelques années de cela, moi aussi j’avais pensé ainsi. Mais aujourd’hui je n’imaginais juste plus enchaîner les histoires sans lendemain… Peut être que dans quelques temps, ça serait à son tour de changer d’avis ? J’essayais d’imaginer la jeune femme en mère de famille, mariée, posée, trois enfants, une petite maison en banlieue… Je chassais cette pensée pour revenir au présent : le bal et ma cavalière qui allait, selon ses propres mots, me suffire cette année. Un petit rire s’échappa de mes lèvres. « Tu es parfaitement imparfaite ne t’en fais pas. » J’en avais rien à faire d’avoir une potiche à mon bras, une fille qui sourirait et dirait amen à tout ce que je disais. Si je l’avais invitée elle, et pas une autre, c’était pour son piquant, son mordant, son répondant. Je savais qu’avec Zoïa, il n’y avait pas de place pour l’ennui, la déprime et laisser aller. Elle allait me secouer et c’était exactement le traitement de choc qu’il me fallait. Comme lorsqu’on évoqua ce code secret, et qu’elle me répondit aussitôt de ne pas prendre mes désirs pour la réalité, avant de se pencher vers moi, lentement, lascivement, approchant doucement sa bouche de mon visage pour semer le trouble en moi avant de me susurrer une réponse bien plus cassante. Un sourire mauvais étira mes lèvres. A son tour, elle avait touché un point sensible. « Je propose qu’on évite donc de parler d’elle ce soir, puisque ni l’un, ni l’autre, nous n’avons envie de nous étaler sur le sujet. » Je n’avais aucune envie d’épiloguer sur Talya, ce n’était pas une bonne idée pour mon entente fragile avec Zoïa, ni pour mon moral en berne d’ailleurs, et de toute façon l’évocation de ces histoires de famille ne semblait pas du meilleur effet sur la rouquine, il n’y avait qu’à voir comment elle avait réagi précédemment. Nos verres s’entrechoquèrent et je pris une nouvelle gorgée de whisky, avec une soif qui ne m’habitait pourtant pas.  

C’était peut être bien d’avoir mis les pieds dans le plat finalement, au moins cela nous avait permis d’arriver à un accord : bannir Talya de nos sujets de conversation. «  Deal… » acquiesçai-je sans hésiter, la blonde était bien trop souvent au cœur de mes discussions ces derniers temps. Et puis Zoïa avait raison de souligner que notre –non amitié-, enfin bref cette relation sans nom que nous entretenions, remontait à bien avant mon histoire avec sa cousine. C’était peut être avec un certain soulagement que je l’entendais me dire cela, puisque Talya de son côté s’était amusée à insinuer que je n’étais qu’un pion pour la rouquine, que c’était uniquement pour lui mettre des bâtons dans les roues qu’elle avait accepté d’être ma cavalière. Je n’avais pas cru mon ex, mais c’était toujours encore mieux de pouvoir constater que je ne m’étais pas trompé auprès de la principale intéressée. Je gardais pour moi ce rôle de petite marionnette dans les mains de Zoïa que Talya m’avait prêté, puisque le prénom en T était désormais interdit, et puisqu’il me semblait évident que je n’avais pas besoin d’alimenter leurs rancoeurs familiales. Zoïa se leva, saisit ma main alors que mon autre amena mon verre à mes lèvres pour ingurgiter les dernières gorgées de mon deuxième verre, avant de me laisser entrainer pour une danse avec un sourire amusé. Je fis alors tournoyer la jeune femme sur elle même alors qu’une mélodie entrainante résonnait dans la chambre : « Ca tourne assez comme ça ? » rigolai-je en stoppant net la jeune femme et en m’amusant à la faire basculer en arrière, ma main glissant dans le bas de son dos pour la retenir.

Un sourire se dessina sur mon visage alors que ma partenaire de danse me répondit avant de se redresser. Elle saisit nos verres qu’elle remplit une dernière fois pour la route, citant le fameux dicton du jamais deux sans trois. « Chez moi c’est jamais trois sans quatre. Mais j’imagine qu’on peut se garder le quatrième pour quand on arrivera à la salle. » D’ailleurs je jetai un regard à ma montre. On était déjà bien à la bourre, tout le monde allait déjà être arrivé. Et rien qu’en imaginant cette image d’une table ronde autour de laquelle siégeaient Matthéo et Théo, je ressentis un nouveau désir d’ivresse. Par chance, la rouquine avait fini de jouer les serveuses et je m’enfilais le whisky qu’elle venait de verser dans mon verre d’une traite. La jeune femme en fit autant. « Allez Cendrillon, allons voir si notre citrouille est arrivée… » Notre taxi quoi… Mais autant commencer à se mettre dans l’ambiance conte de fées… Et on prit alors le chemin de la sortie.