Il était temps • DEMOEY

On m'appella dans la salle d'attente, enfin mon tour après près de trente minutes de retard pour une simple visite de contrôle... Et oui j'avais le droit à cela une fois tous les mois pour vérifier que la leucémie ne reprenait pas le dessus sur moi. Ce n'était pas le cas d'après mes derniers examens, mais je ne faisais pas réellement confiance au mec qui avait pris mon dossier au pied levé après la disparition de l'interne qui me suivait habituellement. D'ailleurs lui si je remettais la main dessus il allait savoir comment je m'appelais parce que je l'aimais vraiment bien en tant que médecin et le courant passait mieux, puis j'avais plus confiance tout simplement... Je m'installais face au bureau alors qu'on m'indiqua que le médecin allait arriver. La porte se ferma, je me retournais et oh surprise, un miracle. « Hallelujah c'est pas trop tôt, je ne pensais jamais ravoir ce plaisir ! » Un sourire se dessina sur mon visage en complète contradiction avec mon air sérieux et faussement en colère.

L'hopital... Y revenir depuis mon AVC était... Étrange. Surtout que cette fois, j'étais là en tant qu'étudiant en médecine. Comme avant tout ça. Passer du médecin au patient pour revenir au médecin, c'était vraiment une expérience particulière et ça me faisait bizarre. J'avais du mal à me remettre dans le bain, me remettre dans la tête de celui qui soigne. Pourtant il le fallait, il était temps. Aller Dem'! Bouge ton cul! Surtout que j'avais du boulot et je voulais faire ça bien, je n'avais pas le droit à l'erreur. Beaucoup de retard, au final me remettre au boulot était pas aussi évident, surtout le premier jour. Doucement mais surement ça revenait et j'enchainais les rendez vous suivit de mon supérieur évidemment. Puis vint le moment de s'occuper d'une de mes préférée, Joey. Elle était déjà dans mon bureau et après un café, parce que oui une pause oblige, j'allais la rejoindre et à peine je passais la porte que j'entendais « Hallelujah c'est pas trop tôt, je ne pensais jamais ravoir ce plaisir ! » avant de fermer derrière moi pour me tourner vers elle et voir un beau sourire d'accueil. ÇA! Ça faisait du bien à voir. Je souriais donc à mon tour pour m'approcher d'elle "Surprise! Je suis de retour." et oui, j'étais de retour... Ça faisait du bien d'ailleurs, je m'en rendais compte là. "Alors, comment vous allez depuis cet hiver? Des nouveautés au tableau? Du changement?" bah oui faut quand même faire mon travail.

« J'ai cru que jamais je n'aurais le plaisir de vous revoir je dois bien l'avouer ! » Je lui souris et lui serrais la main alors qu'il venait s'asseoir en face de moi. Un tête à tête certes mais un tête à tête médical. « On peut dire que vous soignez l'effet de surprise, vous ne m'avez pas prévenue de votre départ et pas non plus de votre retour... » J'étais heureuse de l'avoir en face de moi à nouveau parce que je préférais largement les consultations avec lui mais je voulais qu'il comprenne que j'avais détesté me faire ballotter entre les médecins pendant son absence, une absence dont je n'avais pas eu d'explications. « Sinon je vais bien, toujours en forme car je râle toujours autant comme vous pouvez le voir, et les derniers bilans étaient bons, je crois que je suis condamnée à venir vous voir pour que vous m'annonciez que je vais bien ! » C'était plutôt pas mal hein, je n'avais aucune envie qu'il m'annonce une rechute, surtout depuis que Judith était revenue. Je ne savais vraiment pas comment lui dire qui j'étais pour elle. « Et vous quoi de neuf depuis le temps ? Toujours la forme et pas une ombre au tableau ? »

Si ça s'était pas de l'optimisme! Elle était à fond « J'ai cru que jamais je n'aurais le plaisir de vous revoir je dois bien l'avouer ! » me souriant pour venir me serrer la main. Je souriais "À ce point là?" le plaisir carrément, c'était un compliment, validé! Nous asseyant l'un en face de l'autre, elle esquivait mes questions pour enchainer sur mon sujet « On peut dire que vous soignez l'effet de surprise, vous ne m'avez pas prévenue de votre départ et pas non plus de votre retour... », une moue pas spécialement fier, je baissais légèrement le regard "J'ai pas vraiment prévu ces... Disons vacances improvisées. Quoi? Mes collègues étaient si nuls que ça?" bah ouais du coup je voulais savoir hein. Pour que je lui manque autant il devait y avoir une raison. Mais enfin elle se décidait à me répondre  « Sinon je vais bien, toujours en forme car je râle toujours autant comme vous pouvez le voir, et les derniers bilans étaient bons, je crois que je suis condamnée à venir vous voir pour que vous m'annonciez que je vais bien ! », je souriais de nouveau, notant tout ça sur mon carnet avant de sortir mon stéthoscope "Ça reste de bonnes nouvelles." je me levais alors continuant en venant vers elle, boitant légèrement en contournant le bureau. Je ne m'y attendais pas du coup, je me rattrapais le plus discrètement possible en posant ma main sur le bureau et reprenant "Allez, à l'ancienne." l'invitant d'un geste à s'asseoir sur la table d'examen juste à côté. C'est là qu'elle demandait « Et vous quoi de neuf depuis le temps ? Toujours la forme et pas une ombre au tableau ? », une nouvelle moue et je disais "T-shirt." pour qu'elle le soulève évidemment, mettant mon stéto' à mes oreilles et lui répondant en écoutant son coeur "Moi ça va oui. Tout va bien dans le meilleur des mondes." oh le gros mensonge qui pue! "On se retourne." j'étais douer pour faire le gars qui allait au mieux alors que c'est pas vrai.

« A ce point oui ! D'une j'aime mon médecin, sans aucune ambiguité là dessous malgré que... on se comprend voyons, de deux oui c'était un peu des empotés. » Le feeling n'était pas passé, je n'étais pas à l'aise avec eux, ou alors j'étais beaucoup trop habituée à Demyan, il fallait dire que j'avais à faire à lui depuis un petit moment déjà maintenant et partager des choses aussi personnelles qu'une maladie avec une nouvelle personne tous les mois, ce n'était pas vraiment possible pour moi. Et puis avec un nouveau je ne filais pas vers la table d'auscultation aussi rapidement et en simplement quelques mots. Non non le doc n'avait pas le dessus sur moi mais ses rendez vous étaient tellement plus agréables lorsqu'ils étaient faits dans la bonne humeur. Alors qu'il me demandait de lever mon tee shirt je souris en lui disant : « On profite pas de mon super corps tout bronzé grâce au Spring Break hein ! » J'avais fait le lézard pendant deux semaines alors oui j'étais bien bronzée et j'avais bon teint. Lui avait une bonne mine aussi mais je n'étais pas sans avoir remarqué son boitement ou sa perte d'équilibre, je ne savais pas trop ce que s'était. Lorsqu'il me jura que tout allait bien dans le meilleur des mondes, je ne le crus donc pas une seule seconde. Je me tournais lorsqu'il me le demanda tout en profitant pour lui demander : « Je suis là tous les mois, et j'ai pas de secret pour vous... Je commence à vous connaitre aussi vous savez, je sais quand vous mentez... »

Elle avait un sacré caractère cette fille, j'adorais « A ce point oui ! D'une j'aime mon médecin, sans aucune ambiguité là dessous malgré que... on se comprend voyons, de deux oui c'était un peu des empotés. », je souriais répondant "Je le prends comme un beau compliment." avant de commencer à l'ausculter et qu'elle sourit en disant « On profite pas de mon super corps tout bronzé grâce au Spring Break hein ! », je souriais de nouveau, restant tout de même sérieux pour bien faire mon travail "Si un peu quand même. Dure de fermer les yeux devant une peau pareil." oui autant lui faire un compliment à son tour aussi, puis nos rendez vous était toujours simple, léger, pas trop sérieux et je préférais ça. Quand à mon sujet étrangement, elle profitait de me tourner le dos pour me dire « Je suis là tous les mois, et j'ai pas de secret pour vous... Je commence à vous connaitre aussi vous savez, je sais quand vous mentez... », là mon sourire s'estompait alors que je la relâchais, rabaissant son haut et retirant mon instrument de mes oreilles "À ce point? Alors commence par arrêter de me vouvoyez. Si on se connait tant que ça, autant se tutoyer. Puis on est à la même université donc on peut passer les formalités je pense." avant de prendre son poignet pour tester sa tension avec le gonfleur "Ça change quoi si je mens? T'as vraiment envie de savoir?" ouais pourquoi être si sérieux, entre elle et moi je crois qu'on était même plus à ce stade.

Qu'il prenne les compliments, je n'étais pas vraiment la reine pour en faire même si j'étais le genre de fille adorable avec les gens à avoir le coeur sur la main. Sociable et généreuse mais peu fournie en mots pour qualifier les gens. Du grand moi quoi ! « Un cancer à la fois pas vrai ? Le cancer de la peau c'est pas pour tout de suite alors ? » Je n'étais pas le moins du monde déçue de cette annonce, et puis il savait bien que je ne parlais pas du tout de ma peau dans ma précédente phrase mais que je le taquinais juste un peu sur le fait qu'il était un homme, jeune et beau garçon et que j'étais une jeune femme, belle ou non, bien faite ou non, tout était relatif à chacun des hommes... Je le charriais un peu, tentais d'en savoir plus alors que lui de son côté ne tardait pas de lâcher un peu de lest et de s'accorder le tutoiement. Je ne savais pas si nous en étions restés là lors des précédentes visites mais pourquoi pas après tout on se fréquentait assez régulièrement et personne n'était là pour dire que ce n'était pas déontologique entre patient et médecin. « Et si je te dis que je vais bien alors que ce n'est pas du tout le cas, tu penses que ça change quoi ? » Je jetais un regard par dessus mon épaule avant de me remettre sur le dos et lui tendre mon bras pour qu'il prenne ma tension. « Tu sais très bien depuis ma première phrase que j'ai envie de savoir pourquoi le médecin en qui j'ai confiance ici n'a pas pu être là tout ce temps. » Je tourne ma tête vers lui et croise son regard, je ne le lâche pas et reste un instant comme ça.

Au moins elle savait faire de l'humour avec son état « Un cancer à la fois pas vrai ? Le cancer de la peau c'est pas pour tout de suite alors ? », je le prenais comme tel, léger "Oui c'est sûr, on va y aller doucement hein." elle était forte, pas du genre à pleurer sur son sort et j'aimais ça. Même si il fallait s'en méfier car au fond ça cachait au contraire de la fragilité. Vous savez, quand on est seul, sans personne, là on peut craquer. Elle était de ce genre là j'en étais persuadé. Pour continuer sur ma lancé, je l'invitais même à me tutoyer, histoire qu'on se la joue cool depuis le temps et elle le pris direct « Et si je te dis que je vais bien alors que ce n'est pas du tout le cas, tu penses que ça change quoi ? », je levais les yeux sur elle, son visage qui osait se tourner un peu vers moi. Sérieux, tout en prenant sa tension je me risquais à lui demander "Je pense qu'étant donné que je te suis car j'ai pour mission de prendre soin de ton cas, il faudrait m'en parler un peu." c'est là qu'elle me dit « Tu sais très bien depuis ma première phrase que j'ai envie de savoir pourquoi le médecin en qui j'ai confiance ici n'a pas pu être là tout ce temps. », se mettant bien face à moi pour capter mon regard. Une légère moue et je détournais un instant les yeux, posant mes instruments sur mon chariot "Et bien d'accord. On va faire un marché. J'te dis ce qu'il m'est arrivé et toi tu en fais autant. Tu me dis ce que tu as, ce qui ne va pas. Conclu?" ouais autant tourner ça sous forme d'une sorte de jeu, ça ne pouvait pas nous faire de mal. Je souriais légèrement avant de m'asseoir sur un tabouret face à elle "Me concernant, j'ai fais un AVC cet hiver. J'me suis effondré lors du voyage au Canada. J'ai eut beaucoup de chance de m'en tirer et en si bonne état d'ailleurs." je levais un peu les bras, me regardant une brève seconde "Je ne suis pas totalement remis mais d'autres... N'ont pas eut ce bonheur." une moue et je plongeais mes yeux dans les siens "Alors et toi..? Qu'est ce qu'il t'es arrivé?" moment confidence, j'avais raconté ça qu'à très peu de monde et pour tous, c'était des proches ou la direction du campus.

Demyan où l'art de savoir rester calme dans toutes les situations, où l'art de détourner toutes les phrases pour ne pas avoir trop à y répondre ou le faire avec une finesse qui fait qu'on ne se rend même pas compte qu'en fin de compte il a répondu à côté de la plaque... Ouai mais non, au bout d'un moment je pouvais le connaitre et ne pas me faire avoir. « Je pense que c'est mieux en effet, mais c'est bien que le médecin parle aussi un peu, ça permet d'établir une relation de confiance, c'est un truc pas mal la confiance en son médecin quand on est patiente tu sais ? » Et ce n'était pas offert à tout le monde, la preuve en son absence il n'y avait eu que des ratés. J'avais donc poussé pour qu'il crache le morceau et finalement il avait lâché la bombe. Je me redressais donc pour me mettre en face de lui. « Tout s'explique en effet, et je suis soulagée... Vraiment j'aurais pas aimé qu'un des idiots que j'ai eu devienne mon interne récurent ! » Je souris gentiment avant de reprendre plus sérieusement. « Tu penses que tout reviendra petit à petit ou tu vas devoir vivre avec ? » Les séquelles qu'il pouvait avoir ne me faisaient pas peur, s'il était là c'est qu'on l'avait jugé apte. « Tu veux savoir quoi ? Tu ne vas pas me dire que depuis tout ce temps tu me fais passer mes examens et me dis que tout va bien sans savoir pourquoi je les passe ? »

Ouais je n'aimais pas parler de moi, de ma vie et de mes soucis. Mais aujourd'hui avec elle, j'allais peut-être faire une exception « Je pense que c'est mieux en effet, mais c'est bien que le médecin parle aussi un peu, ça permet d'établir une relation de confiance, c'est un truc pas mal la confiance en son médecin quand on est patiente tu sais ? », je souriais, hochant brièvement la tête avant de répondre d'une moue "La confiance tout court c'est même très bien." oui une valeur importante mais dans mon cas difficile à obtenir. J'étais assez farouche, du moins de moi aux autres, à l'inverse j'étais très ouvert et toujours prêt à aider. Mais là je me risquais à me "confier" et donc ouvrir mes secrets à sa curiosité. Venant me faire face, elle répliquait « Tout s'explique en effet, et je suis soulagée... Vraiment j'aurais pas aimé qu'un des idiots que j'ai eu devienne mon interne récurent ! » en me souriant gentiment. Je souriais à mon tour répondant avec humour "Oh non ne t'en fais pas, je suis irremplaçable!" oui je préférais la jouer comme ça plutôt qu'entrer dans un sérieux dramatique. Mais il fallait tout de même qu'elle ajoute avant qu'on change de sujet « Tu penses que tout reviendra petit à petit ou tu vas devoir vivre avec ? », une légère moue et je détournais le regard, baissant celui si sur l'une de mes mains "Je ne sais pas encore.. J'ai pas mal récupéré mais il est encore trop tôt pour savoir si les quelques séquelles resteront ou m'épargneront à long terme." ouais mes tremblements pouvaient me bloquer l'accès à la chirurgie, le domaine qui m'intéressait le plus... À voir si ça allait durer ou s'estomper avec le temps. Bref! Il ne fallait pas pour autant oublier la principale intéressée ici, après tout c'était son rendez vous et pas le miens « Tu veux savoir quoi ? Tu ne vas pas me dire que depuis tout ce temps tu me fais passer mes examens et me dis que tout va bien sans savoir pourquoi je les passe ? », je souriais gentiment à mon tour "Je sais très bien pourquoi tu les passe. J'te demande si ça va pour ton suivis. Voir si il y a évolution, changement, ou des problèmes qui apparaitraient spontanément. Tu n'as aucun trouble? Effet secondaire avec ton traitement? Tu te sens comment?" puis la regardant avec un peu plus d'insistance j'ajoutais "Et mentalement...?" oui savoir si elle avait le moral, que tout allait correctement dans sa vie.