Retrouvailles (Aidan)

Oui, bien sûr que j’étais au courant, mais pour une fois que j’avais matière à le taquiner, je n’allais pas rater l’occasion. « Je suis au courant, c’est justement la raison de mon étonnement… » répondis-je en rigolant avant d’ajouter : « En tout cas j’ai hâte de découvrir ton petit nid douillet. » La façon dont il avait pu arranger son loft, dont il l’avait décoré, les peintures qu’il avait choisies pour orner les murs, le coin qu’il avait du aménager pour son atelier… Mes joues s’embrasèrent à nouveau à l’énoncé de son compliment à mon égard : une bombe, surement pas le terme que j’aurais utilisé pour me qualifier ou alors ça aurait été pour me désigner comme une bombe à retardement. Ce que j’étais probablement plutôt qu’une bombe sexuelle, à force de tout intérioriser on finit toujours par exploser. Je secouais néanmoins la tête avec un petit sourire gêné : « Tu dis n’importe quoi… » Pour le –sacrée bombe- parce que pour le côté sage, il avait tout bon. Je l’étais surement même un peu trop, essayant d’enrôler à tour de bras mes amis au sein d’un groupe d’abstinence. Le baiser sur la joue et le –tu es parfaite- finirent de colorer l’ensemble de mon visage, mais bon en même temps j’étais censée avoir un coup de soleil. Ma main effleura un instant ma peau à l’endroit où ses lèvres venaient de se poser avec un petit sourire avant que nous nous retrouvions dans le couloirs de l’hôtel. « J’ai entendu dire qu’on pouvait emprunter un funiculaire qui emmenait jusqu’au sommet des collines qui entourent la ville… » commençai-je à expliquer à mon ami. « Apparemment y’a une vue à couper le souffle depuis là haut, ça te tente qu’on s’y rende ? » proposai-je tout en avançant jusqu’aux ascenseurs avant de sortir de l’établissement.

Ouf, Aidan confirma une nouvelle fois qu’il avait besoin d’un point d’ancrage et que c’était justement ce que représentait ce loft qu’il venait d’acquérir. Je ne pus qu’hocher la tête pour acquiescer : le besoin de racines j’étais bien placée pour connaître. Entre le décès de mon père et l’absence d’investissement de ma mère dans ma vie, moi aussi j’aurais bien besoin d’un grand loft. Même si j’avais malgré tout la chance d’avoir mes grands parents. Il glissa alors une invitation pour sa prochaine expo et je retrouvais aussitôt mon sourire : « Bien sûr que ça m’intéresse… Je suis sûre que ça sera grandiose. » fis-je avec enthousiasme et une pointe d’impatience. « J’imagine que maintenant que t’es une star je vais plus avoir les moyens de m’offrir une de tes toiles. » ajoutai-je avec une petite moue déçue. C’était la rançon du succès. Enfin tant que j’étais toujours invitée aux vernissages et dans son appart, moi, j’étais heureuse. Puis j’eus le droit à un flot de compliments que j’eus bien du mal à accepter et qui me firent aussitôt virer un peu plus à l’écarlate. « Si je m’en rends bien trop compte… » soupirai-je suite à ses paroles. Une gamine aux yeux des seuls hommes qu’elle aimait,  une fille trop naïve aux yeux des hommes qui la voulaient… J’étais surement condamnée à aimer à sens unique et n’être aimée que par des connards qui ne cherchaient qu’une chose. Enfin je n’avais pas l’intention d’ennuyer Aidan avec mes amourettes déçues. Je préférais nettement lui exposer le programme auquel j’avais pensé et qui sembla lui plaire. « Tu m’as eu dès –coucher de soleil- ! » approuvai-je suite à sa suggestion en souriant aux éclats. Et sa remarque me fit rire : « Tu n’es pas vieux, tu n’as même pas 30 ans encore ! » Jeune je me disais que quand j’atteindrais la vingtaine et que lui aurait 25 ans, peut être que les choses pourraient prendre une tournure différente entre nous. Mais mes 20 ans approchaient à grand pas et je ne sentais pas une once de changement dans la nature de notre relation. Peut être qu’il y avait certains liens qui n’étaient juste pas faits pour évoluer…

Je sautillais presque en entendant l’offre de mon artiste préféré : « Olala, ça serait vraiment super ça Aidan… » Je voyais déjà l’œuvre accrochée au dessus de mon lit… A coup sûr j’allais fait de beau rêve avec un tel présent au dessus de ma tête. Je n’avais aucune idée de la somme réelle qu’il me faudrait débourser pour pouvoir acquérir une toile du jeune homme désormais, et à vraie dire, au délà de la valeur vraie de ses peintures c’était plutôt la valeur sentimentale à laquelle je m’attachais : il allait me faire une toile, rien que pour moi. Ca prouvait qu’il tenait à moi d’une certaine manière non ? Je ne pus m’empêcher de me demander si il avait aussi proposé cela à sa Jackie… Il me rassura sur l’avenir de ma vie amoureuse pour le moment chaotique, et j’haussais simplement les épaules septiques. « On verra bien… En attendant, je collectionne les cons ! » C’était parti pour une après midi de découvertes à en prendre plein la vie, pas question de ruminer davantage. A peine quelques pas dans la rue que déjà Aidan avait sorti son carnet pour se mettre à croquer un bâtiment. Je le regardais faire avec une lueur admirative dans les yeux. Qu’il était beau quand il dessinait ainsi avec son petit air concentré ! Il m’arracha à ma contemplation en me demandant comment je trouvais Harvard : « C’est merveilleux. Les locaux, les moyens mis à disposition des élèves, le melting-pot des étudiants… Puis on a des enseignants super aussi ! » ajoutai-je un peu pour lui puisqu’il avait rejoint le professorat de la faculté. «J'ai hâte d'y retourner en fait. » Même si le Pérou ça avait été chouette, l'université m'avait manqué.

Quand le peintre me proposa une galerie, un rire s’échappa de mes lèvres en écho avec le sien. « Oh oui, la galerie Thompson, ça en jetterait ça ! » Je plaisantais mais je n’oubliais pas la toile promise parce que c’était Aidan, et que même un post it de lui me comblerait. Le sujet plus délicat de mes égarements sentimentaux sembla toucher le jeune homme. Je grimaçais en l’écoutant proférer ses menaces à l’égard des cons qui gravitaient autour de moi… Non, je n’allais pas m’aventurer à lui raconter ma première fois désastreuse à la fin du lycée. Non je n’allais pas lui parler de Raphael parce que je n’avais pas envie de gâcher notre journée avec le souvenir de mon ex petit ami, je préférais avoir avec moi un Aidan décontracté et souriant, même si sa façon de me défendre m’arracha un petit sourire touché et attendri. « T’inquiète pas pour moi, j’ai retenu la leçon. Tu sais que j’essaie de monter un club d’abstinence ? » Voilà qui devrait le rassurer, je ne comptais plus laisser qui que ce soit s’approcher de trop près désormais. Je lui aurais bien proposé d’appuyer mon projet auprès du doyen et de la direction de la fac, mais je n’étais pas sûre que ce soit très crédible vu la réputation plutôt sulfureuse du jeune professeur. « Ca aurait servi à rien puisque tu n’y étais plus. » avouai-je finalement lorsqu’il souligna que j’aurais du choisir la lowell. « Et puis tout le monde sait que je suis quincy jusqu’au bout des cheveux. » Petite boutade à propos de la couleur de ma chevelure. Enfin cette référence à la Lowell me remit en mémoire la véritable raison de notre petite virée et je me mis à farfouiller un instant dans mon sac pour en sortir mon appareil. « Allez pour te faire plaisir, je vais laisser parler mon âme d’artiste. » Et joignant le geste à la parole, je flashai le jeune homme pour immortaliser ce moment.