Invité
est en ligne
Invité
Comme le lui répétait souvent son père, une bonne leçon est une leçon que l'on n'apprend qu'une seule fois, et qu'il n'est pas nécessaire de réviser. Si, du premier coup, nous pouvions tous apprendre de nos erreurs autant que de nos bienfaits, personne ne se sentirait plus jamais mal aimé, ou mis à l'écart, ou en échec. Et comme contre-argumentait le professeur de macro-économie de Danny : si personne ne faisait d'erreurs, qui passerait le balais ? Et malgré cette vision quelque peu élitiste de l'humanité, on ne pouvait nier qu'une différence fondamentale existait entre les êtres humains : l'homme des cavernes qui allait vérifier le bruit derrière le buisson vivait plus longtemps que celui qui ne cherchait pas à comprendre. Et Danny avait cette curiosité, celle de se démener pour apprendre de ses mauvais choix afin de ne pas refaire les mêmes. C'était dans cet esprit qu'il était venu à la banque ce matin là, garant sa merveilleuse Nissan Skyline GTR-34 devant le parvis. Un rapide entretient avec le directeur lui permit d'accéder aux produits plus risqués que proposaient la banque, ceux qui nécessitaient quelques connaissances supplémentaires. Il s'assurait grâce à ces investissements faciles, "en père de famille" comme on le disait si bien jusqu'au début des années 2000, une tranquillité financière pour les mois - années - à venir. A condition, bien sûr, de ne pas perdre le reste de son magot.
Danny ressortit les mains dans les poches, contrats sous le bras, se dirigeant tranquillement vers sa voiture. Il monta à l'intérieur et ferma la porte. Il ne démarra pas immédiatement, préférant feuilleter les documents qu'il avait sortit de la bâtisse afin de mieux s'imprégner de ce qu'ils pourraient lui amener, mais pourtant il était infoutu de se concentrer d'une manière convenable. Tout se bousculait toujours dans sa tête. Il comprenait chaque chose à une vitesse incroyable, n'ayant jamais recours à des explications, n'ayant besoin d'aucun éclaircissement, que ce soit sur un terme technique ou un problème financier. Les chiffres des rapports dansaient devant ses yeux pour s'agencer les uns avec les autres en créant des variables évidentes conduisant aux bénéfices. Il voyait chaque réflexion se faire d'elle-même, lui offrant sur un plateau d'argent les résultants fulgurants d'une immense affaire de pipeline ou d'une mine de gaz sous marin. Il lui suffisait de lire un livre pour en retenir les sens cachées, y voir les caméos, les clins d'oeils discrets, les railleries pleines de sous entendus. Son oeil décelait, le cerveau interprétait, et immédiatement le jeune homme comprenait. Pour lui, tout avait toujours été aussi simple, il était né ainsi. Né avec cette capacité hors du commun. Pourtant, il était un phénomène que même une vingtaine d'années n'avait suffit à lui permettre d'expliquer : Heather.
Le beau gosse jeta les papiers qu'il avait en main sur le siège passager et se prit la tête dans les mains, avant de décider de ranger le bordel et d'enclencher la première. Il se dégagea de la place où il s'était garé, puis commença à parcourir les rues d'Harvard à une vitesse d'escargot pour un tel bolide de course. Vivement le prochain quatre cent mètres, qu'il puisse enfin cesser de réfléchir, cesser de penser à cette femme qui le retrouvait chaque nuit, que ce soit dans ses rêves ou dans son lit. Il ne savait même plus s'il désirait plutôt s'évader... Ou plutôt l'avoir enfin pour lui. Mais jamais elle ne l'accepterait, elle avait fait son choix, lui avait préféré sa carrière à leur relation. Elle ne l'aimait plus, il était... Pratique. Facile. Un peu comme la pizza au micro-ondes, qui ne gêne pas trop le boulot. Et on ne tombe pas amoureux d'une pizza au micro-ondes... Danny le savait, l'acceptait. Mais pour lui, c'était son seul moyen de rester auprès d'elle. Oh, il y avait d'autres femmes, c'est vrai, comme il n'était pas le seul homme pour elle. Mais c'était ça ou rien. Et même s'il trouvait que c'était dégueulasse, il n'avait pas le choix. Elle le tenait, elle était ce qu'il avait de plus précieux sur cette planète. Elle était la seule à le connaître... Mieux que lui-même. Elle. Elle, elle était cette erreur qu'il avait été incapable d'assimiler.
A force de rouler avec une voiture unique sur tout le campus, il finit par se faire remarquer par plusieurs groupes de jeunes. Les beaux jours arrivant, il mit ses lunettes noires et ouvrit la capotes de sa caisse, non pas pour frimer, mais pour saluer les diverses connaissances qu'il pouvait croiser. On lui donnait rendez-vous, on l'incitait à passer des coups de fils, on lui demandait même parfois des services. C'était là le point fort de Danny : les services. Il était généralement assez doué pour se sortir de mauvaises situations tout seul, par conséquent il n'avait pas besoin qu'on lui rende la pareille quand il rendait service. Il avait ainsi accumulé une véritable dette immatérielle et l'ensemble du campus, profs compris, lui avait au moins une fois dû quelque chose. Il avait tout fait et comme il le répétait souvent, "Savoir, c'est pouvoir", et l'important n'était pas de connaître les gens, mais comment il les connaissait. Il s'était démerdé pour démêler tout un tas de situations rocambolesques en aidant un monde pas possible. Mais ça lui faisait plaisir. Non pas parce qu'il était la star, ou parce qu'il s'était rendu indispensable, mais parce que c'était sa contribution au bonheur des gens. L'équilibre de sa vie, en somme.
Et c'est alors qu'il la vit. Même de dos, il pouvait la reconnaître entre mille. Il n'était pas vraiment certain de ce qu'elle était en train de faire, mais il était sûr de pouvoir arrêter la voiture à côté d'elle. Il enleva ses lunettes, et tant pis pour sa photosensibilité, et gara la Skyline, portière passager près de la belle brune. Le véhicule ronronnant comme un chat, il se racla la gorge pour qu'elle le remarque, même s'il était difficile d'ignorer la voiture et son chauffeur. Il prit son air le plus charmeur et lui demanda d'un ton calme et serein :
- Bien le bonjour, mademoiselle, puis-je vous déposer quelque part ?
(Invité)