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Siobhan Isleen Callaghan fiche; terminée C'est le 12 décembre 1986 à Greystone, que la famille Callaghan m'a accueillie dans ses bras, elle m'a prénommée Siobhan [Shivaune] Isleen. Je suis célibataire et fort heureusement, mais si vous voulez tout savoir je suis hétérosexuelle supposée et j'en suis fière. Je viens d'une classe sociale moyenne. J'ai décidé de poursuive des études à Harvard en Biologie (M), Archéologie(m), je suis maintenant en sixième année. Et pour terminer, je fais partie des Dunster. |
Études Le choix des études fut un casse-tête atroce qui arracha à Siobhan Callaghan de sacrés maux de tête. Mais lorsqu'il fallut s'inscrire, elle le fit en biologie. Pour l'étude du vivant, pour le plaisir des sciences, pour décortiquer les arcanes de la nature. Par curiosité. Et aujourd'hui, la jeune femme est heureuse d'avoir choisi cela. Elle désire être zologiste, voire biologiste. Mais la profession de zoologiste l'attire plus, car elle est plus sûre de pouvoir se déplacer sur le terrain. Et c'est ce qui l'intéresse. Aller étudier, là-bas, sur le grand théâtre de la vie animalière ce qu'il se passe. En direct. À travers la brousse et les insectes, le froid et les bruitages inquiétants, mais, surtout, la magie de voir des animaux dans leur vraie vie. Elle est débrouillarde et ne se préoccupe pas de se salir, de mal dormir, d'être piquée par un moustique. Ce n'est pas quelqu'un attaché à son apparence. Ce qu'elle veut, c'est ressentir l'adrénaline monter en elle, la fascination se déployer dans tout son corps. Elle veut aussi étudier, comparer, passer des heures à chercher, expérimenter. Oui, au fil de ses six années à Harvard, c'est devenu petit à petit une évidence, ce choix de la biologie. C'est ce qu'il lui faut. Elle en est toujours contente. Et peut-être même poursuivra-t-elle jusqu'au doctorat ? Sa mineure est l'archéologie. Ça lui aurait plu, d'être en musique, en danse, en arts, en théâtre. Ces facultés dont elle rêve, qu'elle ne possède pas. Elle admire tous ces artistes, les envie presque de leur talent. Elle aime les arts et aurait vraiment aimé s'y épanouir. Mais elle n'a jamais pu, et il est trop tard, elle est trop retranchée pour s'ouvrir aux arts. Alors elle regarde et admire, tandis qu'au bout de multiples hésitations entre histoire, botanique et archéologie, elle se décida finalement au terme de cette dernière discipline. Parce que la botanique, ça peut s'apprendre ailleurs et que l'histoire, on l'apprend grâce à l'archéologie. Tout comme l'art, par ailleurs. C'est aussi pour le plaisir des fouilles. Les pieds dans de la terre, les mains à gratter. Un peu cariturée cette image, certes, mais c'est ce qui l'a poussée à trancher pour cette étude et même si elle ne pense pas en faire un métier, elle se nourrit des connaissances qu'elle y apprend et boit toute la culture qu'elle emmagazine. Quant à sa vie sur le campus, Siobhan n'est pas du genre à assister aux fêtes universitaires et y passer tout son saoûl. Elle est plutôt discrète, et s'attache plutôt à la vie de la Dunster House. Et à ses études. Beaucoup, à ses études. Les gens, elle aime pas trop ça. C'est trop… Violent. Elle préfère la violence animalière, plus sincère, moins fourbe, plus vraie. | Caractère Siobhan, ce n'est ni tout à fait la force, ni tout à fait la fragilité. C'est un entre-deux instable qui bascule frénétiquement, mais dans une progression lente. On ne peut dire qu'elle soit méchante, on ne peut dire qu'elle soit gentille. Ni même associale ou sociale, ou encore avenante ou repoussante. Elle est de ces gens qui sont dans le Milieu. De ces personnes qui n'ont pas un caractère suffisament fort pour être remarquées, pas suffisament effacé pour être particulier. Cette moyenne qui te fait grincer les dents, plus que si tu étais en bas. Quand vous êtes quelqu'un de formidable, de charismatique, de remarquable, on vous aplaudit et vous soutient en tout et pour tout. Quand il s'agit d'une personne à l'opposé de ces dernières, il y a un soutien vers l'effort, et pour chaque progression, c'est une ovation. Mais les gens de ce milieu, de cet entre-deux qui n'est ni là ni ici, qui s'en soucie donc ? On leur sourit quand ils parviennent un petit plus que ce qu'ils font habituellement, on ne dit rien quand ils font un peu moins bien, au mieux, une tape sur l'épaule. La moyenne est constante. Elle ne bouge pas. Elle n'est pas soumise aux fluctuations que connaissent les deux extrêmes. Siobhan, c'est ainsi qu'elle se dit. Qu'elle est une personne moyenne, comme cela. Elle ne se trouve rien d'intéressant. Rien de particulier. Pas la moindre once de curiosité qui puisse retenir l'attention des autres sur elle. Elle n'est qu'une personne noyée dans une foule. Une toute petite minuscule personne qu'on ne verrait pas et qui tenterait de se frayer un chemin parmi les gens. Mais elle n'y parviendrait pas parce que personne ne l'écouterait, ne l'entendrait, et elle se ferait doubler par un nain extraordinaire qui irait vite vite et se faufilerait avec agilité à travers les jambes de tous ces gens incroyables pour décrocher, rien qu'une minute, une étoile, avant d'être repoussé en arrière par l'un de ces géants. Mais voyez que ce tout petit être est parvenu à briller. Parce qu'il avait un quelque chose. « Moi je n'ai rien. » C'est l'histoire qu'elle se raconte dans sa tête et qu'elle se dit tout le temps, Siobhan. Elle ne conçoit pas qu'on puisse l'aimer. C'est une notion chimérique pour elle. On l'aimera lorsque les coquecigrues viendront. L'aimer de toute sorte d'amour. Pas l'amour, l'Amour. Simplement une toute petite affection, l'esquisse d'une amitié. Elle ne parvient pas à s'imaginer cela. C'est inconcevable, elle, aimée ? Mais vous rendez-vous compte ? Il n'y pas là matière à gratter. Ce n'est pas une boîte de Silène. Son extérieur promet autant que son intérieur. Alors, elle aime son frère. De tout ce qu'elle peut aimer et qu'on ne peut l'aimer, elle aime son frère. Suileabhan, c'est le seul être en qui elle a une confiance absolue. Celui qu'elle protègera griffes et ongles. Car Siobhan a des griffes. Elle a beau se sentir d'une nullité affligeante, elle n'est pas une éponge que l'on peut tordre dans tous les sens, à qui l'on peut tout faire subir et qui reprendra sa forme sans protester ni mot dire. Elle brise, elle dépèce, elle abat, elle attaque, elle mord. S'il le faut. Elle peut être acerbe et acide, aussi froide et tranchante qu'une lame de poignard. Parce qu'à ne pas se sentir être à aimer, elle se sent très bien femme à mépriser. Et pour cela elle sait dégaigner et ne pas se laisser approcher. On n'obtient pas de Siobhan des confidences dès le premier soir. Il faut s'armer de patience. De temps. De longues années, au cours desquelles vous pouvez recueillir quelques bribes d'elle, par-ci, par-là, par pincées. La seule qui la défait de ses barages, c'est Daith, sa meilleure amie de toujours, et c'est bien parce que c'est sa meilleure amie de toujours. De la maternelle à aujourd'hui elles se parlent encore. Daith et Sully, ce sont les deux êtres en qui elle a toujours confiance, en qui elle croit. Elle a tendance à voir les choses en noir c'est vrai, et c'est peut-être un peu agaçant à la fin, ce manque d'optismisme qu'elle a, cette façon de toujours se dire qu'elle a raté, que ça n'ira pas, que tout sera fichu. C'est peut-être par cette crainte de l'échec, ou parce qu'elle ne se sent pas intéressante, et qu'elle se dit qu'on ne peut pas l'aimer, ou parce qu'elle a peur de découvrir un visage plus noir à ceux qu'elle est parvenue à aimer, ou encore car elle a besoin de changements, que les choses stables la font fuir, ou par peur d'être heureuse, ou bien comme ça, pour le plaisir, qu'importe, pour ça ou autre chose, Siobhan finit presque toujours par tout gâcher. Elle a un comportement autodestructeur, qui l'incite à faire échouer toutes les relations, de camaraderie, amicales, amoureuses, qu'elle possède. Elle est comme ça. Elle peut aimer quelqu'un, et tout peut aller bien, vraiment, pas une ombre au tableau, que des oiseaux qui chantent et un soleil brillant dans un ciel azur, des violons et des rires, mais elle, elle ne trouvera rien d'autre à faire que de tout briser. Et attention. Pas d'une manière propre. Pas de « Je suis désolée, je n'y arrive pas, il faut qu'on en reste là. » Non, non, pas de ça. Elle, elle trouve le moyen de faire les choses dans leur entièreté. Peut-être est-ce dû à sa rigueur scientifique. Toujours est-il qu'elle trahit, ou qu'elle pousse indirectement à la trahison, ou que, d'une manière ou d'une autre, ça se termine dans des cris, ou un cœur blessé, et elle, de regarder, le corps froid et loin, le cœur hermétique et barricadé, insensible, les yeux noirs. Ce n'est pas vraiment que ça lui arrive tout le temps. Que ça lui est arrivé un demi-million de fois. Mais il est des gens qui ont connu cela. Qui n'ont pas compris. Qui ne comprennent toujours pas. Qui pensent simplement que Siobhan est une garce. Voilà ce qu'elle est. Une garce. Elle vous donne des moments de joie, et un matin, ou un soir, ou à dîner, elle vous balance un seau d'eau froide à la figure et vous transperce de shuriken. Sans crier gare. N'est-ce pas là la preuve que c'est une garce ? C'est ce qu'ils se disent, ces gens, et ils ont bien raison : comment peuvent-ils penser autrement ? La vérité n'est pas que c'est une garce. La vérité est que Siobhan est instable. Et parfois impusilve. Elle prend peur tout à coup et coupe les ponts violemment, pour s'assurer que plus rien ne peut être recommencé, que jamais plus il n'y aura de contact entre elle et la personne. C'est pas un tsunami, ou un séïsme, ou une tornade, là-dessus il suffit de nettoyer pour reprendre à zéro, non, c'est une pluie acide. Avec ça, on est sûr que plus rien ne poussera. Elle est pessimiste et instable Siobhan oui, et également grande angoissée. N'ayant pas confiance en elle, comme vous avez pu le comprendre, elle n'est jamais sûre de ce qu'elle fait et craint toujours que ce ne soit pas bien. Vous n'imaginez pas le temps qu'il lui faut pour trouver un cadeau ! Parce qu'en plus, mademoiselle est perfectionniste. Elle avait souvent peur du regard des autres plus jeune, et bien que ce soit atténué, il lui reste encore un peu de cette crainte au fond d'elle, qui la rend quelque peu fébrile, mais surtout froide et distante. Elle ne va pas vers les autres, et quand on vient vers elle, elle se retranche en elle-même. Pouvant passer pour hautaine à cause de sa voix sèche, de ses phrases courtes, elle n'est pas ce genre de personne avec qui l'on peut tout dire tout faire dès les premières minutes. Mal à l'aise quand il s'agit de démonstrations affectives, elle ne viendra pas vers vous les bras tendus pour un gros câlin, même si ça fait trois ans que vous ne vous êtes pas vus. Nostalgique et mélancolique autant que secrète, elle rumine seule et dans son coin tous les maux dont elle s'afflige, n'en parle jamais à personne sauf à Suileabhan, et reste ainsi avec son angoisse qui le rend tendue en permanence, comme une barre de fer qui la maintiendrait dans son dos, comme prête à réagir au moindre mouvement suspect. Elle est aussi, et cela va de pair avec son amour fraternel surdimensionné pour Sully, possessive, et jalouse. Protectrice avec lui notamment, elle en vient presque inconsciemment à le surveiller, ou le materner, peu importe, toujours est-il qu'elle garde un œil d'aigle sur son cadet. Têtue et obstinée, elle ne démordra pas de ce qu'elle veut faire, surtout si cela touche à son côté rancunier. Le fait qu'elle soit possessive s'explique aisément par cet autre fait qu'elle a un besoin permanent d'être rassurée sur elle-même. Ce qu'elle va chercher auprès de Suileabhan. Car elle veut certes protéger son frère, il s'avère néanmoins que ce soit celui-ci qui la soutient plus qu'elle ne parvient elle-même à l'épauler, tant elle a besoin du soutien que lui apporte le jeune homme. Mais la jeune Irlandaise n'a pas que des mauvais côtés. Si elle se trouve difficilement supportable, inintéressante, minable, ce n'est pas pour autant que nous, ne pouvons pas souligner quelques aspects positifs de son caractère. Tout d'abord, elle est travailleuse et persévérante. Elle n'hésite pas à passer nuit blanche pour peaufiner un travail, à se lever plus tôt pour réviser plus, à passer des heures dans une bibliothèque quand tous les autres sont à la plage. La jeune femme n'abandonne jamais, et trouve plus de plaisir à réaliser des recherches compliquées qu'à bâcler ses devoirs. Et son travail acharné paie, elle est une excellente élève, ce qui lui a permis d'obtenir une bourse pour entrer à Harvard. Pas vraiment fêtarde, pas trop attirée par la vie américaine bien qu'elle habite depuis désormais six ans à Cambridge, elle préfère rendre ses devoirs en biologie qu'aller boire des verres d'alcool et danser. Mais de toute façon, elle serait une bien piètre danseuse, n'étant bonne à rien, vous dirait-elle. Siobhan est quelqu'un de dynamique, ce n'est pas parce qu'elle bûche ses cours comme une folle qu'elle reste passive à apprendre et apprendre. Il lui faut bouger, se dépenser, voir autre chose. Elle adore voyager, elle est avide de sensations fortes, de sport, d'escalade surtout, mais aussi d'accrobranche, de ski, de saut à la corde, et tout ce qui donne de l'adrénaline. Elle aime voir de nouveaux horizons et veut absolument voyager dans son futur métier. Rester cloîtrée, ce n'est pas fait pour Siobhan, contrairement à ce que tout le monde peut penser. Une fois qu'elle a cessé de se dire que ce n'était-pas-possible-d'être-aimée-elle-est-trop-nulle, Siobhan est quelqu'un de fidèle et loyale. Elle n'abandonne pas ses amis, pour peu, du moins, qu'elle ne décide pas de tout arrêter sans raison. Il n'empêche qu'elle est généreuse et même chaleureuse. Mais ce trait de caractère ne se remarque que quand elle est… En présence d'animaux ou d'enfants. Elle adore les enfants aussi bien que les animaux et ne s'adoucit qu'avec eux. Peut-être parce qu'elle ne sent pas de jugement dans leurs regards, qu'elle a juste à être là, respirer, et se laisser aller à des sentiments sans qu'on ne se moque. Peut-être parce qu'il n'y a pas d'engagement, d'engagement aussi contraignant que ceux, tacites, qui font les liens d'amitié et d'amour. Qui sait. Elle se rélève avec et aux enfants et animaux, cela est avéré. Enfin, même si c'est bien enfoui au fond d'elle, Siobhan Isleen est plutôt fleur bleue. Elle cultive en secret de douces pensées, qui contrastent avec son attitude très réaliste et terre-à-terre de son comportement quotidien. C'est dans l'imaginaire qu'elle se réfugie. C'est dans la lecture ou l'écoute d'une musique qu'elle ferme les yeux et se détend. Enfin. |
Everyone Has His Own Story
« Écrire à quelqu'un est la seule manière de l'attendre sans se faire de mal. »
Baricco
« Ne rien faire est une chose. Ne rien pouvoir faire en est une autre. »
BariccoLe 3 août 2004
Sacha,
Je tremble en écrivant, et c'est idiot que d'écrire cette lettre, elle ne servira jamais à rien. Je ne parviens plus à dormir. Le peu que je dors, j'en fais des cauchemars. Je suis impardonnable. Je sais que j'aurais dû parler, tant qu'il était encore temps. Mais j'avais peur. J'avais si peur Sacha ! Et je me dis que, peut-être, tu comprends, et m'excuses malgré tout. Parce que tu as connu cette peur toi aussi. Tu l'as connue trop fort.
Ça fait quatre jours déjà. Quatre jours que tout s'est passé. Mais comment Sacha ? Comment ça a pu tourner aussi mal, toute cette histoire ? C'était juste des vacances. On voulait juste des vacances, chacun. Deux semaines loin de nos familles, avec des gens qu'on allait apprendre à connaître. Un simple voyage organisé. J'ai encore peur pourtant Sacha. J'ai encore si peur tu sais. Je m'en veux en même temps d'être restée muette. Maintenant c'est trop tard. Je ne peux plus rien faire. Les quatre jours qui sont passés auront suffi à lui redonner son calme. Tu sais, ce visage qu'il avait, qui ne disait absolument rien, sur lequel rien ne passait. Ce visage où on ne devine rien. C'est trop tard Sacha. Je suis tellement désolée. C'est de ma faute. Il est trop tard par ma faute. Mais qui m'aurait crue ?
De toutes forces vers là-haut,
Siobhan.
« L'obscurité suspend tout. Il n'y a rien qui puisse, dans l'obscurité, devenir vrai. »
BariccoLe 4 août 2004
Sacha,
C'est encore la nuit. J'ai une petite lumière près de mon bureau que j'allume pour t'écrire. Mais je ne t'écris pas à mon bureau. Je suis par terre, la lettre sur mon lit, posée sur un livre. Le livre, c'est Endymion, un recueil de poèmes d'un auteur britannique, John Keats. Tu le connaissais ? Cela fait longtemps que je ne l'ai pas lu. Je ne lis plus. Je ne fais plus rien. Je tremble quand je marche. Pas physiquement. Je tremble à l'intérieur de moi. C'est étrange. Je ne sais pas comment t'expliquer. Peut-être que toi aussi tu as tremblé comme ça, juste avant. Peut-être que c'est pour ça que tu as décidé de t'en aller. Pour que tout s'arrête. Parce que c'est pire encore que d'avoir les mains qui chevrotent et les jambes qui flagellent. Je n'ose plus me lever. Mais quand je suis allongée, je te vois qui part. Je ne veux pas voir ça, et en même temps, je m'en veux de ne pas vouloir. Parce que j'aurais dû voir, comprendre, avant. T'en empêcher. T'aider. À deux on aurait été plus forts. On était trois. On était trois et il nous avait tous les deux. Il nous avait, séparés l'un de l'autre. Mais tu seras mon plus beau souvenir, Sacha. Je me souviendrai toujours quand tu riais, l'éclat qu'il y avait dans tes yeux, ta douceur et ta gentillesse. C'est juste un filet d'amitié, et c'était ce qu'il fallait. Ni plus ni moins. Ce filet d'amitié. Il aurait seulement fallu qu'il dure encore. Qu'on puisse se connaître, mieux. Qu'on passe d'autres étés ensemble. Mais il était là et il nous avait nous. Il t'avait toi et il m'avait moi. On était trois mais deux pour un. Si j'avais su Sacha, si j'avais vraiment su, si j'avais osé me dire que j'avais raison, Sacha… Sacha on aurait pu être deux. Pourquoi tu ne m'as rien dit de lui ?
Pourquoi je n'ai pas eu la force de comprendre ? Pourquoi ai-je été aussi lâche. Pourquoi n'ai-je pas eu le courage de faire valoir une justice. Pourquoi ai-je tu la vérité. Pourquoi ai-je eu si peur. Pourquoi est-ce que ça fait encore mal ?
À toi,
Siobhan.
« Des fois les gens se punissent pour des choses qu'ils ne savent même pas, comme ça, pour le goût de se punir... ils décident de se punir... »
BariccoLe 6 août 2004
Sacha,
Voilà. Sept jours sont passés.
Maman veut qu'on aille se promener.
Je vis tant la même scène depuis une semaine que je ne pense plus rien.
Je veux voir autre chose, me changer les idées, avoir d'autres images dans ma tête. Et je m'y interdis. Pour toi. Parce que c'est injuste, que moi je veuille fuir, quand tu as subi ces atrocités. Même si tu as fui, aussi.
Je ne veux pas aller me promener Sacha. Je veux me dire que ça fait sept jours. Sept jours, sept jours, sept jours, sept jours, sept jours, sept jours, sept jours.
Sept jours.
Avec toutes mes pensées pour toi,
Siobhan.
« On donne toujours un nom à ce qui fait peur, raison pour laquelle d'ailleurs, par prudence, les hommes en ont deux. »
BariccoLe 6 août 2004
Sacha,
J'ai eu des pensées étranges hier. Je n'ose pas les rapporter ici. Mais il n'y a qu'à toi que je puisse les dire.
J'ai voulu planter ma fourchette dans ma peau, pour sentir la douleur. Parce que j'ai si mal en moi, que, je me dis… Peut-être qu'en sentant de la douleur à l'extérieur de moi, ça sera plus supportable.
Je ne l'ai pas fait. J'ai eu peur de mes propres pensées, alors je ne l'ai pas fait. Je m'interdis de faire une chose pareille. Tant pis. J'aurai mal en moi.
Il est treize heures et je ne suis pas sortie de ma chambre depuis que je me suis réveillée. J'ai réussi à dormir quelques heures, cette nuit. J'aurais préféré rester éveillée, passer une autre nuit blanche. Je t'ai encore vu mourir. Et je l'ai vu faire des choses horribles. J'ai rêvé – cauchemardé plutôt – qu'il tuait des chats avec un couteau, qu'il nous regardait avec un sourire sadique et qu'il ricanait. C'était ignoble Sacha. Le ciel était rouge, parce qu'il avait tué trop de chats et que le sang avait giclé jusqu'au ciel. Je sais que ce n'était qu'un cauchemar, mais je frissonne en y pensant. Lui il est toujours en vie. Que fait-il à cette heure-ci ? Quelle nouvelle victime a-t-il trouvée ? Je n'avais pas vu, au départ, sa folie. Il me paraissait un peu étrange c'est vrai, mais je m'étais dit que ce n'était rien, qu'on avait tous nos particularités, et qu'il avait l'air plus intelligent que les autres, justement. Si j'avais su à quel point j'avais tort ! C'est un sadique, un psychopathe ! Il t'a assassiné. Je ne peux pas dire que tu t'es suicidé. Il t'a assassiné. À force de pression morale, il t'a tué. Il t'a tué avec toute sa folie. Sacha, le chien, c'était lui pas vrai ? Le chien qui venait sur le terrain, que tu aimais bien, il l'a tué n'est-ce pas ? Il l'a peut-être fait devant tes yeux. Je me souviens de son regard, quand il a tué le papillon. Tu n'étais pas là, on était tous les deux. Il y avait un joli papillon qui voletait, ses ailes étaient d'un bleu qui brillait au soleil, il semblait heureux à papillonner de fleur en fleur. Et lui, il l'a tué. Après, il a ri. Le plus atroce, c'est que son rire, Sacha, il était clair, comme quelqu'un de joyeux, comme quelqu'un qui vient de raconter une blague.
Je pleure en y pensant. Combien de temps tous ces souvenirs vont rester dans ma tête Sacha ? Je n'arrive plus à penser à autre chose. Il n'y a que ça. L'été avait pourtant bien commencé. Je voulais simplement partir. Voyager. Expérimenter. La toute première semaine des vacances, j'étais allée à la montagne, j'avais fait de l'escalade. C'était magnifique ! Mon dieu mais pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'on a rencontré quelqu'un comme lui ?
Maintenant que je sais, dans chacun de mes souvenirs où il apparaît, je vois tous les signes qui montraient ce qu'il était réellement. Il n'a jamais cherché à le cacher, au final. C'est nous qui étions trop aveugles. Parce qu'il nous emmenait dans des endroits un peu plus ardus que ceux qu'on arpentait avec les autres. Parce qu'il ne se préoccupait pas des règles, des conventions. On s'est un peu amusé quand même, non ? Le jour où nous étions allés dans la forêt, tu sais, quand nous avions marché pendant deux heures avant de rejoindre la rivière. On s'y était baigné. Il y avait les rayons du soleil à travers les feuilles, les poissons qu'on cherchait à toucher, le bruit des animaux, des feuillages… Après on avait grimpé aux arbres. Il était presque allé jusque la cime. Nous, nous étions restés tous les deux à même hauteur, face à face. Tu te souviens ? Je souris. Pourtant il t'a tué. Et moi je n'ai rien dit. Je n'ai pas eu la force d'aller vers les policiers et de dire « Moi je sais pourquoi il s'est suicidé. Vous voyez le gars là-bas ? C'est lui. C'est à cause de lui. Il l'a assassiné mentalement. Sacha ne pouvait pas supporter, alors il s'est jeté de cette falaise. Ce n'est pas un suicide. C'est un meurtre. »
Je crois que je vais m'en vouloir toute ma vie. L'Autriche est si loin à présent. Si j'y retourne, est-ce que ça changera quelque chose ? On ne connaissait même pas son nom.
À toi,
Siobhan.
« Je ne sais pas où je suis, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne peut savoir, on doit juste avancer. »
BeckettLe 8 août 2004
Sacha,
Je ne sais pas ce qui se passe. Je pleure pour un rien. Je parle de moins en moins. Je ne veux plus sortir. Je ne veux même plus voir mon frère. Mais de toute façon, Daith et lui sont scotchés. Et ça m'arrange. Je me dis que comme ça, je suis tranquille. Comment puis-je penser cela de mon propre petit frère et de ma meilleure amie ? Qu'est-ce qu'il se passe, dans ma tête ?
Suileabhan est un frère génial. Tu veux bien que je t'en parle, dis ?
Il a juste un an de moins que moi. Alors on a toujours été proche. Il est adorable, vraiment ! Je suis incapable de vivre sans lui. Peut-être un peu trop. Mais ce n'est pas grave, si ? Et puis, j'ai beau le harceler de sms, il ne semble pas m'en vouloir, alors je peux continuer, pas vrai ?! Ce n'est pas de ma faute si j'ai besoin de savoir qu'il va bien et ce qu'il fait quand même. On ne peut pas me reprocher ça ! Et puis papa n'est plus là maintenant. Plus totalement du moins. Je sais que parfois j'exagère avec Sully, que je le surveille trop, mais c'est mon petit frère et je l'aime. Même s'il fait plus vieux que moi maintenant qu'il devient un adulte. Je ne l'abandonnerai jamais. Et je sais que je peux compter autant sur lui. C'est la seule personne avec qui je me sens libre de tout raconter. Je n'ai plus peur de rien, parce qu'il est là avec son regard doux, et que ça suffit à me calmer. Il ne pouvait pas trouver mieux que Daith ! C'est la meilleure personne avec qui il puisse vivre ! Parce que je suis sûre qu'ils sont faits pour vivre ensemble ! Daith, c'est la fille de la boulangère, je l'ai rencontrée à l'école quand on était petit. Tu parles qu'on ne s'est plus quitté après ! Suileabhan, il en est tombé amoureux. Il était tellement chou ! Maintenant qu'ils sont ensemble, je suis vraiment heureuse. Ils se méritent l'un l'autre. Les deux plus géniales personnes du monde qui s'aiment ! Au moins, je sais que tous les deux sont là. Je les ai eux. Je sais qu'eux m'aiment, parce que ça fait des années qu'on est là, soudés. Ce sont les seuls en qui je crois. Et que je crois quand ils me disent qu'ils m'aiment.
J'aurais tellement aimé que tu me racontes ta vie. Au lieu de ça je suis là à t'écrire sur des feuilles. J'écris à un mort. Et le pire, c'est que je me culpabilise de parler de ma vie alors que toi, tu ne peux plus vivre la tienne. Est-ce que tu m'en veux de parler de tout ça, ou je peux continuer la prochaine fois ? Ça me fait du bien d'écrire comme ça. J'ai réussi à penser à autre chose pendant quelques temps. C'est grâce à toi d'une part Sacha.
Merci,
Siobhan.
« Pas la peine de faire leur procès aux mots. Ils ne sont pas plus creux que ce qu’ils charrient. »
BeckettLe 28 août 2004
Sacha,
Vingt-six jours que je t'écris, les uns après les autres. Des feuilles que sur lesquelles je balance des mots qui ne veulent plus rien dire. Je jette des mots sur du papier pour épancher mon mal. Je suis ridicule. Regarde-moi et dis-moi que je suis ridicule.
Ma famille s'inquiète pour moi à présent, parce que je ne fais plus rien. Je ne parle plus. Lorsque je souris je m'en veux. Et ne parlons même pas de rire. De toute façon, je ne ris plus. Je ne fais que des pâles copies de sourires. Des imitations calquées sur de vieux souvenirs. Je ne me défais pas de toi, de lui. Et comment veux-tu qu'il en soit autrement quand chaque nuit je cauchemarde que tu te suicides, ou que je le vois, en diable, ou que je me réveille en pleurs parce qu'il a tué dans ma nuit une petite fille avec des ailes de papillons ? Je ne suis plus dans cette torpeur qui m'étouffait au début, je parviens à prendre du recul à présent. Pas sur ce qu'il s'est passé, mais sur moi-même. Ma mère veut que j'aille voir un psychologue. Non merci. J'avais été voir l'infirmière de mon lycée lors du divorce de mes parents parce que j'avais éclaté en sanglots en plein cours. Je ne referai plus jamais cette erreur. En sortant de là, je m'étais sentie violée. J'avais honte d'avoir déballé toute ma vie à cette inconnue mielleuse. J'en ai encore un goût amer en y pensant alors que deux ans sont passés. Je n'irai pas voir de psychologue. Je m'en sortirai seule. Cette histoire n'est qu'entre toi, moi, et lui. Ou plutôt entre toi et moi. Lui, il en est la cause.
Tu sais combien chaque soir j'ai ressassé ce qu'il s'était passé, tous les jours, en Autriche. J'ai parfois même écrit ce que je pensais, le déroulement de nos journées. Je continue encore. Je ne suis plus bonne qu'à ça. À ressasser. Mais au moins, je n'ai plus ces envies terribles de me faire du mal physiquement. C'est une petite victoire sur moi-même, dans ce cercle vicieux de la culpabilité. Je me sens coupable de n'avoir rien dit, mais je me sens coupable de me laisser aller de cette façon, par rapport à ma famille. Sauf que, dès qu'un sourire s'esquisse sur mes lèvres, aussitôt je me mure, parce que coupable d'être contente, donc coupable de vivre bien, alors que tu es mort. Et je ne peux m'empêcher de nouveau d'être coupable de n'avoir pas dit ce qui aurait dû être dit. Et ça continue comme ça. Je n'en peux plus. J'ai des crises de larmes de plus en plus fréquentes. Je veux en finir avec toute cette histoire, mais dès que quelqu'un ose hasarder que je peux en parler si je veux, je me retranche et assure que tout va bien avec un pauvre sourire à deux balles. Tu crois que je suis en… En dépression ? Si oui, c'est pathétique. Je ris jaune de moi-même tellement je me trouve ridicule. Dans des années, si je relis ces lettres, je suis sûre que j'aurai honte de moi et que je me traiterai d'imbécile. Non pas de me sentir coupable, de ne pas être bien à cause des évènements. Ça, non. Mais de toutes les choses larmoyantes, pitoyables, désespérées, que j'ai écrites. Et du fait d'écrire à un mort, aussi. Je me sens déjà idiote. Mais c'est mon seul exutoire pour le moment. Je ne sais quand je vais sortir de cette torpeur, mais ce ne sera pas demain. J'écris mal. Sur certaines lettres il y a des larmes qui sont venues diluer l'encre. Tant mieux. Je fais plein de répétitions. Je déteste ça.
Quelle idiote je fais.
Ta ridicule correspondante à sens unique,
Siobhan.
« Ce que je veux, c'est me fuir moi-même. »
PirandelloLe 2 septembre 2004
Sacha,
Ça fait deux jours que je ne t'ai pas écrit. Je suis restée sur mon lit. Ma mère m'a forcé à manger un peu. J'ai eu envie de vomir après tellement ça me dégoûtait. J'avais rêvé de cadavres toute la nuit. Je n'en peux plus, Sacha. Je n'en peux plus, bordel ! Il faut que je fasse quoi pour que ça s'arrête ? Mais pourquoi tu t'es suicidé ? Pourquoi ? Tu aurais pu… Tu aurais pu… Surmonter ça ? Rentrer chez toi et passer à autre chose ?
Non bien sûr c'est stupide. Moi je ne le peux pas encore, après un mois, alors que je n'ai rien vécu directement. Alors, toi, s'il avait fallu que tu vives avec tous ces souvenirs à vif… Non, évidemment. Je suis désolée. Je raconte n'importe quoi. Je me mets à en vouloir à tout le monde. Suileabhan est passé dans le couloir tout à l'heure, ses pas faisaient du bruit, ça m'a énervée. Son pas, tu te rends compte ? Comment on peut en vouloir à quelqu'un de marcher ?
Daith et lui sont toujours ensemble, c'est la seule chose qui me fait réellement sourire. De les voir contents tous les deux. Au moins, Daith, elle ne fera jamais de chose aussi ingrate que l'autre, là, Aidlinn, avec qui il était sorti. Daith m'avait raconté qu'elle avait piqué le journal intime de mon frère après qu'il ait rompu avec elle. Je la déteste. Je déteste tous ceux qui font du mal à Sully. De toute façon je ne l'aimais pas. Elle m'énervait. Elle était tout le temps de bonne humeur, ça m'agaçait. Elle était trop… Trop bien. Maman l'aimait bien. Raison de plus pour ne pas l'aimer. Je ne supportais pas quand elle faisait des câlins à mon frère. J'avais envie de l'enlever, de lui arracher ses cheveux et de la ficher à la porte. Si tu savais combien je haïssais son air parfait de fille joyeuse ! En plus elle lui faisait des brownies pour le goûter, Suileabhan n'arrêtait pas d'en parler, il était heureux. Si j'avais eu le plat de brownies devant moi je l'aurais fichu par terre.
Je sais ce que tu dois penser. Que je suis méchante de penser tout ça, parce que c'est mon petit frère et que je devrais plutôt être heureuse qu'il soit heureux. Mais je suis heureuse, là ! Je suis vraiment contente. C'était juste cette Aidlinn. Elle était trop avec lui, c'est tout. Je t'imagine avec tes yeux en train de me regarder et me dire en soupirant que je suis trop possessive et que c'est pas bon, ça. Je suis sûre que tu dirais ça comme ça. Tu as raison, je suppose. Mais… Oh, tant pis, à toi je peux le dire. J'ai longtemps pensé que… Que je l'aimais. Je veux dire. Vraiment, aimer. Aimer d'amour. Comme lui il aime Daith. Pas aimer juste parce que c'est mon frère. L'Aimer. J'ai réussi à me défaire de ça aujourd'hui, je crois. Je crois. C'est mal d'avoir aimé son frère comme ça ? En tout cas, c'est pour ça que je suis toujours aussi protectrice avec lui maintenant, tu comprends ? Avec Daith au moins, je suis rassurée.
Il est tard, je vais espérer rêver de Daith et Sully, ce sera plus joyeux.
Bonne nuit chez les Anges,
Siobhan.
« – Quelquefois je me demande ce que nous sommes en train d'attendre.
Silence.
– Qu'il soit trop tard, madame. »
BariccoSilence.
– Qu'il soit trop tard, madame. »
Le 3 septembre 2004
Sacha,
C'est devenu une habitude à force de me mettre par terre et de t'écrire. Pour une fois, c'est le matin. Il fait beau. J'ai dû baisser mes volets. J'ai envie de penser à autre chose. J'aimerais vouloir mettre une robe à pois et tournoyer au soleil. Je n'en aurai pas la force. Alors, si tu le veux bien, je vais te parler encore de moi. Cela fait des semaines que je le fais, je sais.
Je suis née en Irlande comme tu le sais. De toute façon, avant même mon prénom, on le devine immédiatement à mon accent. Même moi je me suis rendue compte de mon accent avec vous !
Ma mère et mon père ont divorcé en 2002. J'avais seize ans, et à vrai dire… Je n'ai pas vraiment apprécié la chose. J'étais trop accrochée à la grande histoire d'amour, peut-être. Je ne sais pas. Ça m'a presque blessée, en fait. Ils se séparaient et en faisant ça il fallait qu'on choisisse, lui, ou elle ! Comment tu veux faire ça, toi ? J'ai l'impression de trahir l'un quand je parle à l'autre. Et puis, j'avais peur que Suileabhan en soit profondément touché aussi. Qu'il ait du mal à s'y faire. C'est surtout pour cela que ça m'a révoltée. Au final, je ne sais pas trop ce qu'il en a pensé, lui. C'est plutôt lui qui m'a aidée à surmonter tout ça. Comme toujours. À chaque fois, je veux le protéger, lui, mais c'est toujours lui qui m'aide. Cependant, je me dis qu'un jour, il faudra qu'il s'occupe plus de lui que de moi. Je n'ai pas envie d'être un fardeau pour lui et qu'il passe son temps à s'inquiéter pour moi ou je ne sais quoi. Mais pour cela, il faudrait déjà que j'arrête de le harceler de sms, n'est-ce pas ?
J'aime bien me balader à Greystone. Il y a une plage et les pêcheurs y laissent leurs barques. Quand j'étais petite, je m'imaginais que les barques étaient des montagnes derrière lesquelles je m'abritais. Il me fallait aller jusqu'à la mer pour trouver le Coquillage Magique et je courrais partout à travers les gens qui passaient, j'en faisais des ennemis à combattre. Ça désespérait mes parents qui devaient s'excuser toutes les minutes auprès des promeneurs, mais je riais comme une folle. Je n'ai jamais aimé être la petite princesse qu'il fallait sauver. C'est trop ennuyeux. Et puis je n'ai pas l'étoffe d'une princesse, de toute façon. Je les détestais dans les contes. J'ai toujours été jalouse de La Belle au Bois Dormant. Cents ans qu'elle dort, à son réveil elle est fraîche comme au premier jour et en plus, un prince l'attend ! Je préfère Mulan, même si elle n'est pas d'un conte. Au moins elle, elle n'hésitait pas à se battre, à y aller. Elle ne pleurnichait pas pour un rien. Elle est courageuse ! Comme je ne l'ai pas été pour toi.
À bientôt,
Siobhan.
« Les choses ne sont plus ce qu'elles sont mais ce qu'elles génèrent. »
BariccoLe 5 janvier 2005
Sacha,
Une nouvelle année est passée il y a peu. J'ai pris la résolution de cesser de me morfondre. Je sais que je commence mal, en t'écrivant cette lettre. Mais je vais tenter, petit à petit. Mon père est parti en Amérique. Avec… Une femme. Je te passe mes commentaires, tu devineras sûrement que j'ai une certaine appréhension vis-à-vis d'elle et que je tends à ne pas l'apprécier. On verra avec le temps. Peut-être que je m'y ferai, après tout. Pour le moment c'est un poignard de plus. Surtout qu'elle a une fille. Il va vivre plus avec elle qu'avec ses propres enfants ! Mais j'arrête, oui, j'arrête.
J'avais prévu des voyages encore, pendant mon année sabatique qui se poursuit. L'année dernière je m'étais préparée, j'avais récolté de l'argent en travaillant pour pouvoir partir maintenant et aller où bon me semblait. Je voulais aller en Inde. Je ne sais pas si je vais le faire. Cela fait plus de six mois que tout s'est passé, mais je me sens encore mal à l'aise. Je ne pensais pas que je mettrais autant de temps à m'en remettre. C'est normal, tu penses ? N'importe qui serait tombé de la même façon que moi, ou suis-je trop… Fragile ? C'est assez vexant de se le dire.
J'ai un peu parlé à mon frère de mon désir d'aller en Inde et il me pousse à le faire. Il a sûrement raison. Ça me changerait les idées, ça me ferait bouger, et je cesserais de vivre dans une léthargie presque malsaine. Je ne sais pas. Le problème, c'est que le meilleur moment pour aller en Inde, c'est plutôt entre octobre et décembre. Entre juillet, août et septembre il y a les moussons. En avril et juin il fait bien trop chaud pour la petite Irlandaise que je suis. Je ne peux pas y aller en fin d'année… Il faudra bien que je fasse quelque chose l'année prochaine. Mon frère semble vouloir aller à Harvard, il y a eu quelques allusions… Alors, je ne sais pas, peut-être que j'irais aussi. Du coup, il me reste… Février et mars. C'est un peu court comme délai mais ça ne me fait pas peur. Il faudrait aussi que je me décide entre l'Inde du Nord ou du Sud. J'aimerais aller en Amazonie aussi. Voir autre chose, totalement, du moins. Un endroit qui soit radicalement différent de l'Irlande, même si j'adore mon pays. Je vais réfléchir.
Bonne année s'il en est chez les Anges,
Siobhan.
« En dehors de l'enfance et de l'oubli, il n'y a que la grâce qui puisse vous consoler d'exister. »
IonescoLe 24 mars 2005
Sacha,
Je ne t'ai pas écrit depuis si longtemps ! Il y a tant de choses qui se sont produites depuis 10 janvier. Je ne savais toujours pas si je choisirais le Nord ou le Sud de l'Inde à ce moment, mais mon frère était parvenu à me convaincre de partir. Et je suis partie ! En Inde du Sud ! C'était magique, Sacha, magique ! J'ai atteri à Bombay le 7 février. C'était très court pour organiser mon itinéraire, l'hébergement, surtout que je partais seule, mais après quelques complications administratives, j'y suis parvenue.
Comme je débarquais à Bombay, j'avais choisi un hôtel dans la ville même pour le début, et ma première visite fut celle de la ville tout simplement. Rien que cela m'a dépaysée ! Les couleurs, les odeurs, les sons… Je les retiendrai toute ma vie. Cela n'a rien à voir avec l'Irlande, c'est sûr ! J'ai ensuite été à Madurai, visiter le Sri Meenakshi Temple, c'était vraiment impressionant. Toutes ces statues qui recouvrent le temple ! C'est immense ! Au Kerala, les paysages étaient splendides. J'ai été dans des réserves animalières, c'était merveilleux ! Et les plages ! Elles n'ont rien à voir avec celles de Greystones, c'est un tout autre paysage. Les saris que les Indiens portent ! Et la cuisine, Sacha ! En Inde du Sud ils sont plus végétariens qu'en Inde du Nord mais j'ai quand même trouvé quelques plats avec viande. J'ai adoré leur cuisine. Les dosaï surtout, ce sont comme des crêpes mais en farine de lentille et de riz, et on le mange au petit-déjeuner ! C'est délicieux, ça me manque. Le paneer aussi, qui est un fromage frais, très doux, très agréable. J'en mettais sur mes dosaï… Je n'ai jamais compris si ça se faisait ou non, mais ce n'est pas grave, je trouvais l'ensemble succulent. J'ai goûté des bananes roses aussi ! Roses, je t'assure ! Bon, pas un rose Barbie franc, mais roses ! Elles avaient un parfum que je pourrais toujours rêver de trouver ici. Leur thé est fameux, et le lassi, une boisson à base de yaourt, un peu spécial, mais j'ai bien aimé quand même. Je crois que j'ai totalement adopté la cuisine indienne. Je pourrais te parler encore et encore de l'Inde, j'y suis restée un mois, alors il y a bien d'autres choses encore que j'ai vues, mais c'est trop long à rapporter. J'avais voulu faire un carnet de voyage avec des dessins, mais je ne suis vraiment pas faite pour les arts plastiques. À la place j'ai écrit et j'ai pris des tonnes de photos. J'en avais… Un peu plus de mille en rentrant je crois. Oups ?
J'ai rencontré des personnes fantastiques. J'ai quelques fois dormi chez les habitants, et ce sont mes plus beaux souvenirs. J'ai eu peur aussi de temps en temps, mais comme j'avais rencontré un groupe d'Anglais (aucun Irlandais, hélas), on restait ensemble, c'était plus sûr selon les coins. Je n'étais pas toujours avec eux bien sûr, j'ai voyagé par moi-même aussi, mais c'était bien de pouvoir partager ses impressions avec d'autres étrangers.
À bientôt,
Siobhan.
« Quelquefois, hasarder des réponses est seulement une manière d'éclaircir pour soi-même des questions. »
BariccoLe 2 mai 2005
Sacha,
Sully est fermement décidé à aller à Harvard, et il me tente de plus en plus. Et puis, je ne supporterais pas d'être aussi loin de lui ! Alors moi aussi, je vais tout faire pour y être acceptée ! Tu imagines ? L'Amérique, Sacha, l'Amérique ! L'Inde était terriblement différente de l'Irlande, mais, l'Amérique… J'ai l'impression que c'est plus un autre monde que ne l'était mon séjour à Bombay et les autres régions du Sud. Cependant, voilà, j'ai tranché. Daith veut aller à Oxford… J'essaie de la convaincre de venir à Harvard avec nous mais elle ne veut rien entendre et Suileabhan non plus ne parvient pas à la faire changer d'avis. Elle va me manquer terriblement. Je sais qu'on gardera toujours contact, elle est mon amie depuis toujours, on ne va pas se perdre ainsi, mais ce ne sera pas la même chose. Il y aura cette foutue distance, et le décalage horaire en prime… Au moins, je serai avec Sully ! Et puis, je vais voyager aussi comme ça ! Je ne sais pas encore dans quelle matière je désire étudier. J'aime beaucoup les lettres, mais d'un côté, je ne suis pas sûre de vouloir éplucher des centaines de pages dans je ne sais quelle langue étrangère pour en déchiffrer les symboliques. Les relations internationales, le droit… Ça me tente aussi, mais je ne suis pas sûre. Le droit ne me correspond pas, je crois. Et je ne suis pas super douée pour les relations humaines – il suffit de regarder mon cercle d'amis qui se compose de… Daith, Daith et encore Daith, réellement. Alors je peux oublier cette idée, pas vrai ? Tout ce qui est administration, gestion, je laisse tomber, je ne veux pas m'embêter avec ce genre d'affaires, ça m'ennuie. Les arts, je n'ai aucun talent. C'est désespérant. Quoiqu'il y a « histoire de l'art »… Ça a l'air intéressant comme cours. Sully veut faire du droit lui. Il veut être avocat. Je l'imagine tellement dans une robe d'avocat ! Il serait superbe ! Et je suis sûre qu'il ferait son travail conscienceusement ! Moi je suis vraiment perdue. Je n'ai jamais su ce que je voulais faire. Je changeais tous les jours. Mais je suis sûre que je n'irai pas en santé. Être dentiste, médecin, chirurgien, ce genre de choses… Non merci. Dans le social, je me dis, psychologie, peut-être… Mais si ça m'intéresse, je ne me vois pas en faire un métier, en fait. L'histoire, ça me tente. Cependant… Après ça tu fais quoi, hein ? Historienne ? Génial. Prof' ? Non, sérieusement, tu me vois prof' ? Je serais horrible et nulle. Il me reste les sciences. Ça me parle plus. L'archéologie, l'anthropologie, la biologie… Même la botanique. J'aime bien étudier ce qui nous entoure. Découvrir des ruines, fouiller, chercher des correspondances, étudier des peuples, des animaux, la flore… Ça, je crois que ça me plairait. Je ne sais pas. Les débouchés ne sont pas nombreux. Mais en sortant de Harvard, peut-être que c'est plus facile… Je verrai bien, j'ai encore du temps, c'est dans un an – je préfère partir en même temps que Sully. En tout cas, je ne veux pas d'un métier statique. Je veux bouger, absolument !
Ta peut-être future américaine qui se prépare,
Siobhan.
« On croit que c'est autre chose qui sauve les gens : le devoir, l'honnêteté, être bon, être juste. Non. Ce sont les désirs qui vous sauvent. Ils sont la seule chose vraie. »
BariccoLe 27 mars 2006
Sacha,
Deux ans ont passé et je n'ai jamais cessé de t'écrire. Je ne t'ai pas oublié, tu vois. Il m'a fallu longtemps avant que je m'en sorte, que je cesse d'être prise dans ce tourbillon de macabres souvenirs et que je me projette vers l'avant, mais voilà, enfin, c'est fait et depuis plusieurs mois déjà. Le voyage en Inde m'avait grandement aidée, puis celui en Amazonie. C'était magnifique ! Mais je t'en ai déjà parlé. Désolée, j'en ai encore des étoiles plein les yeux. L'Italie aussi m'avait charmée. J'aimerais voyager encore, encore, encore ! J'ai dépensé tout le budget que j'avais soigneusement économisé pour mes escapades… De toute façon, nous sommes en mars 2006, il faut que je me prépare pour Harvard ! Harvard… Et oui, c'est sûr et certain. Nous voulons y aller ! Reste à obtenir la bourse et être accepté… En parlant de mon frère… Suileabhan a rompu avec Daith. Je lui en veux ! Ils étaient tellement adorables tous les deux ! Ils étaient… Ils étaients parfaits ensemble, voilà tout ! Je les voyais tellement, plus tard, tous les deux, mariés, amoureux encore… Mais non. Sully a quitté Daith. Il a dit qu'il ne l'aimait plus, tout simplement. Lui ! Lui qui l'aime depuis qu'il est au jardin d'enfance ! Daith est inconsolable. Mon frère a eu énormément raison de me pousser à partir en Inde, je vais beaucoup mieux grâce à ce voyage, mais il s'est bien trompé pour ce coup-là ! Il le regrettera j'en suis sûre. On ne peut trouver plus parfaite que Daith.
Ta correspondante qui trouve toujours matière à râler,
Siobhan.
« La toile d'araignée qu'était son âme pouvait à nouveau servir de piège pour ces étranges mouches que sont les idées. »
BariccoLe 10 octobre 2006
Sacha,
Voilà quelques semaines que je n'ai pas écrit. Ma dernière lettre remonte au 19 septembre. Comme tu le sais, j'ai été acceptée à Harvard, avec une bourse, et mon frère aussi ! On est entré tous les deux en première année, comme je n'avais rien fait depuis un an, c'était préférable pour moi. Finalement, je suis en biologie ! On verra bien où ça me mènera. La vie américaine est tellement différente ! Les gens n'ont pas la même façon de penser qu'en Irlande, pas du tout ! J'ai un peu de mal à m'y faire, mais je suis rassurée parce que Sully semble lui aussi un peu dérouté, même si ça lui plaît, je crois. Il veut être avocat, ici !
Enfin, le temps nous fera aux habitudes États-Uniennes, n'est-ce pas ? Même si notre fort accent de Greystone nous trahira sûrement.
Je crois qu'il est temps de cesser ces lettres. Je l'avais déjà dit l'année dernière. Je n'ai pas tenu, j'ai continué à t'écrire jour après jour ou presque, parfois avec de longues pauses malgré tout. Mais cette fois… Cette fois c'est une autre vie qui commence. Je suis à Harvard, je vais commencer mes « vraies » études, il faut que j'aille de l'avant. C'est bien ridicule que je dise cela, n'est-ce pas ? Je n'oublierai jamais Sacha, j'y repenserai toujours. Mais je dois au moins arrêter d'écrire à un mort. La thérapie a trop duré, c'est devenu une addiction, une maladie. Je vais empiler cette lettre dans ma boîte turquoise qui les contient toutes, refermer le coffret, et ne plus l'ouvrir.
Alors au revoir Sacha, repose-toi à présent que je ne t'embêterai plus. Je te laisse en paix là-haut et ne te parlerai plus des tragiques évènements. Il est temps de tourner la page.
Ton amie,
Siobhan.
« Mais des navires sont venus s'échouer dans les endroits les plus absurdes. Une vie peut bien elle aussi venir s'échouer sur un visage quelconque. »
BariccoLe 24 décembre 2012
Mon vieil ami,
Six ans ont passé depuis ma dernière lettre et je ne sais trop pourquoi j'ai rouvert ce coffret en cette période de Noël. Son éclat turquoise a attiré mon œil et j'ai balayé de ma main la poussière qui le recouvrait. C'est comme d'ouvrir un trésor, à la différence qu'il s'agit ici, de fragments de vie, d'un souvenir hanté.
Qu'est-ce que j'ai pu écrire comme lamentations ! Mon pauvre Sacha, j'en suis désolée.
Je suis toujours à Harvard, en sixième année. Sully aussi, mais il n'aime plus le droit. Malheureusement, notre bourse nous empêche de tout recommencer… Il doit continuer. J'espère qu'il trouvera quelque chose qui lui plaira.
Je ne vais pas trop m'attarder, mais je voulais simplement te montrer que je pensais encore à toi. Que tu étais là dans un coin de mon esprit, toujours.
Je te souhaite un Joyeux Noël Sacha.
Ton amie, qui a toujours son accent irlandais,
Siobhan.
« Ce qu'il y a de beau dans la vie est toujours un secret. » B.
the face behind
↬ PSEUDO/PRÉNOM - Siobhan ? ↬ ÂGE - On ne demande pas son âge à une demoiselle ! ↬ PAYS/RÉGIONS - Vils curieux ! ↬ OÙ AS-TU CONNU LE FORUM - Par moi-même. Je me fais de l'auto-propagande. ↬ TES IMPRESSIONS - :love2: ... Ça suffit ? 8D ↬ CRÉDIT(S) - L'avatar est de Paweke, le gif vient de Tumblr mais je ne sais plus qui l'a fait. ^^' ↬ AVATAR - Liv Tyler ↬ SCÉNARIO OU PI? - Scénarioo ! ↬ LE MOT DE LA FIN - Vous excuserez la médiocrité de l'écriture dites ? *J'ai pas voulu faire trop compliqué pour aller plus vite.* *PAN* Et si le rose-orange vous fait mal aux nyeux je veux bien changer. Il me fait mal aux yeux à moi. Mais j'ai la flemme dans l'immédiat de changer. :wrong: |
(Invité)