hedwige & zoie - tourner la page

Partout où elle allait, elle avait l'impression de tomber sur Hedwige. C'était dingue. En tout cas, ça la rendait dingue. Elle allait faire demi-tour sans plus attendre, quand la dunster lui parla. Et la regarda sans prendre la peine de dissimuler à quel point elle la jugeait en ce moment précis. Zoie ne supportait pas ça. Elle ne le supportait vraiment pas. Hedwige ne valait pas mieux que tous ces imbéciles qui la jugeaient au quotidien, parce qu'elle était une mather, parce qu'elle était gay. "C'est quoi ton problème avec moi ? Visiblement j'ai bien compris que je te déplais. Maintenant que le message est rentré, fous moi la paix." Elle était hargneuse. Et son haleine empestait l'alcool, le joint, tout ça mélangé. "Tu devrais en prendre un de ces quatre. Ca te permettrait de te détendre un peu."balança-t-elle sans ménagement. La vérité ? Elle avait commencé à arrêter de consommer de la drogue quand elle avait fait son coming out. Elle n'y avait plus touché depuis deux mois. Mais après ce qui s'était passé avec Hedwige, ce baiser rejeté, la tentation avait été trop forte. La peine trop douloureuse. Il n'en fallait pas beaucoup pour retomber dans ses travers. Et ça n'était vraiment pas la soirée à la chauffer.

C’était quoi son problème ? Son problème c’était qu’elle ne pouvait pas rester inerte en la regardant foutre sa vie en l’air. C’était ça son problème. Hedwige serra la mâchoire, tout comme ses mains sur l’évier. Elle avait compris qu’elle lui déplaisait. Zoie pensait, non, elle était persuadée qu’elle ne ressentait plus rien, que tout ça n’avait rien représenté pour elle. Tout ça n’était qu’un tissu de mensonges, et elle était la seule responsable. « Si c’était vraiment ça mon problème, tu crois vraiment que je serais encore là ? Que je prendrais encore la peine de te parler ? » A vrai dire, elle n’avait plus aucune envie de lui parler. Pas dans cet état-là. Son haleine alcoolisée lui arrivait jusqu’au nez, et Hedwige eut un nouveau haut-le-cœur. Et Zoie qui en remettait une couche... C’en était trop. Beaucoup trop. La blonde ferma les yeux, ne put empêcher un sourire triste, dépité, et déçu. « J’arrive pas à le croire Zoie. Croire que pendant un instant, j’ai pensé… j’ai voulu… » Elle n’arrivait pas à terminer sa phrase. Elle avait voulu, pensé, cru à tellement de choses. Mais là, sous ses yeux, Zoie était en train de détruire tous ses espoirs. Et tous ses doutes. Une épave. « J’ai cru qu’il y avait encore quelque chose. Mais visiblement, j’ai eu tort. » Elle la fixa pendant encore un instant, puis détourna le regard, refusant d’en voir plus. Elle se décolla de l’évier et se dirigea vers la sortie, passant tout près de la brune.

Franchement, elle avait l'impression que si Hedwige lui parlait c'était juste pour soulager sa conscience et jouer à la fille mature et équilibrée qui voulait aider les autres. Pas franchement parce qu'elle était encore attachée à elle. Parfois, quand on est blessé dans son orgueil, on est con. Surtout Zoie. Comment ça, elle avait pensé, elle avait voulu, quoi ? Pourquoi elle ne finissait pas sa foutue phrase. La réponse fut comme une gifle. Mais qu'est ce qu'elle était stupide. Ca n'était pas parce que la dunster s'était barrée qu'elle ne tenait pas à elle. Elle avait agi comme une bête blessée dans son amour propre au lieu d'utiliser son cerveau. Une vraie ado. Et maintenant, elle avait perdu toutes ses chances. Pour de vrai. Bien sur qu'Hedwige n'accepterait jamais d'avoir quoi que ce soit à faire avec une fille qui faisait des trucs pareils. Le masque de Zoie se fissura. Hedwige la frôla, mais elle n'allait pas la laisser partir sans rien dire. Elle attrapa son poignet au vol, sans serrer pour ne pas lui faire mal. "J'avais arrêté ! J'avais arrêté d'accord ? ... Mais depuis que t'es revenue ..." Elle était désespérée. "J'suis perdue. Je suis perdue ! Et tu ne m'aides pas, et je ne sais ce que je dois faire, et je réagis n'importe comment." Elle lacha le bras de la dunster et jeta le sachet de poudre blanche dans le lavabo, les larmes aux yeux. L'alccol n'arrangeant rien, elle avait l'impression que sa tête allait exploser.

Elle sentit la main de Zoie se refermer sur son poignet, et s'arrêta. Elle ne savait pas comment prendre ce que lui disait la mather. Probablement que c'était l'alcool qui parlait, sûrement même. Mais quoi qu'il en soit, Hedwige ne voulait pas qu'elle la retienne. Ou peut-être que si ? Mais c'était plus facile, tellement plus facile de faire comme si que tout ça ne l'atteignait pas. « Tu veux de l'aide ? Commence déjà par être une grande fille, et éviter de me mettre ça sur le dos » Ca, désignant le sachet de poudre que Zoie venait de jeter. C'était déjà ça de fait. Hedwige refusait complètement l'idée que son ex se mettait dans cet état par sa faute. Et puis, elle avait déjà commencé avant son arrivée non ? La simple idée d'être si froide envers elle lui était insupportable, mais le besoin de sortir était le plus fort. Sans oublier le souvenir marqué au fer rouge de sa danse avec cette autre fille, leur baiser langoureux, tout le reste... La jalousie est effectivement un bien vilain défaut. Surtout quand on refuse son existence même. « Pour le reste, il n'y a plus rien que tu puisses faire. Pas dans cet état-là en tout cas. » Elle fit un nouveau pas vers la porte, puis jeta un regard vague en arrière. « Ta copine doit t'attendre. Avec elle, je suis sûre que tu sauras exactement quoi faire. » Puis elle sortit. En direction de la table que ses amies avaient réservée. Elle était vide, elles devaient toujours être sur la piste.

Zoie se prit une gifle. Une énorme gifle. Le genre dont on ne se remet jamais. Elle la traitait de gamine ? D'immature ? Zoie Greyson, la fille qui n'avait jamais rien demandé, qui en avait bavé toute sa vie, et qui s'était toujours débrouillé toute seule ? Elle regarda Hedwige bouche bée. Peu importait l'alcool, le joint, elle était bien scotchée sur terre, et elle ne risquait pas d'oublier ça. Et en plus elle lui reprocha aussi son comportement avec la fille de tout à l'heure. Alors que c'était elle qui s'était barré la dernière fois et qui la considérait avec des airs de grande dame, genre t'es qu'une gamine et tu ne m'intéresses pas. Zoie finit referma la bouche - le temps que le choc passe - et ses traits prirent un air dur. Elle n'en valait pas la peine. Cette fille, pour qui elle aurait tout fait, n'en valait pas la peine. Même si se dire ça n'apaisait pas son coeur en mille morceaux. Quand Hedwige sortit, elle ne la suivit pas. Elle ne dit pas un mot. Elle avait souhaité la revoir pendant tellement d'années. Désespérément. Et maintenant, elle aurait aimé qu'elle reparte. Elle s'appuya sur le lavabo, et se regarda dans la glace. Et elle vit une fille blessée, dont une larme coulait sur sa joue. Elle l'essuya sans ménagement et respira profondément. C'était exactement le genre de chose qui contribuait à la rendre plus fermée. Plus détachée. Plus insolente. Insolemment libre, voilà ce qu'elle voulait être. Le masque froid de la mather refit son apparition. Elle sortit de là à son tour, s'arrêta un instant pour regarder Hedwige, assise à sa table. C'était terminé. Zoie lui jeta un regard difficile à décrypter, mélange de nostalgie, de colère, de froideur, de fragilité, et se tira sans demander son reste.