[FLASHBACK] i'll take you to the sky

Le rêve. Le fantasme de bien des hommes était de se regrouper ici, de façon solitaire, avec un gros paquet de billets bien rangé dans le portefeuille, prêt à les glisser entre les cuisse d'une femme, ou bien dans son soutif, lorsqu'elle se penchait sur le bord de la scène, leur offrant ainsi la plus belle vue du monde. Une plus belle vue que pouvait leur offrir leur femme ou leur copine, en fait. Et le pire dans tout ça? C'est que toi, t'aimais ce métier. T'aimais pas être qu'un objet aux yeux de tous ces mâles en chaleur, mais ce que t'appréciais, c'était d'te rendre desirable et de les faire enrager vis-à-vis de leur vie sexuelle ratée et ennuyante. C'était pas encore ton tour sur scène, alors t'attendais, assise au bar. L'avantage? T'avais pas à payer ta consommation. C'est la "maison" qui payait. Quelle générosité, surtout avec votre salaire de merde, il fallait bien être dédommagée. T'attendais patiemment ton tour en sirotant ton verre, te coupant de ces sifflements d'hommes en rut qui regardaient cette copine à toi se déhancher et se déshabiller sur scène. Tu les comprenais : elle était bie foutue.

Le verre vide s'écrase contre le comptoir dans un léger battement. C'est ma troisième bière de la soirée et autant dire que celle-ci ne fait que commencer. Pour le moment, je suis loin de la scène. Très loin de celle-ci, même. De là où je suis, c'est à peine si je peux voir le corps élancé de la rouquine qui se trémousse sur scène et je crois même que j'ai perdu Chris dans la ... Ah, non, attends, c'est bon, je le vois, lui et ses cheveux de playboy. C'est le mec qui est en train de glisser un billet dans la culotte de la danseuse. Un sourire s'étire brièvement sur mes lèvres. C'est qu'il a été bien éduqué, ce garçon. Contemplant un instant le verre vide devant moi, je me demande si je devrais en commander une quatrième ou si, plutôt, je devrais remettre cela à plus tard et rejoindre mon ami à présent. Elle est plutôt bonne en plus la nana - s'il le faut les suivantes seront toutes des thons, après tout. Hésitant un bref instant, je me dis que je peux bien me prendre une dernière bière avant de retrouver mon meilleur ami. J'interpelle donc le barman d'un geste furtif de la main avant de lui en commander une nouvelle.

- Une autre Budweiser. Merci.

Lorsque je suis sûr qu'il a entendu ma commande, je me retourne vers la scène en silence. C'est à ce moment là que je me dis que ce type a une chance d'enfoiré, quand on y pense : lui, il peut les admirer tous les soirs, ces nanas ... Et en plus, il se fait payer à la fin du mois. Sacré veinard de mes deux.

Tu te délectais maintenant de ce nectar qui coulait le long de ta gorge. Ça te permettait souvent de passer la soirée sans trop d'accrochages et surtout et avant tout, de parvenir à supporter des soirées bondées d'insultes et d'hommes infectes et pervers. - Une autre Budweiser. Merci. Comme lui, quoi. Au moins, il avait eu la décence de dire merci. Tu l'observes : beau bonhomme, bien fait, qui te semblait bien foutu sous ses vêtements, mais tu ne voyais qu'en surface. Aux airs un peu prétentieux et frais chier, mais c'était passable. " Un s'il vous plaît n'aurait fait de tord à personne. ", l'interpelles-tu en avalant une gorgée de ton whisky. Tu redéposes ton verre sur le comptoir en regardant ta compagne terminer son spectacle, laissant ainsi la place à une autre qui apparaîtrait dans quelques instants. Il en restait trois avant toi. C'marrant et ce l'était pas à la fois, de savoir ce qui se passait à l'arrière scène, une fois que les filles, surtout les nouvelles recrues, avaient terminé leur petit show. T'avais réussi à te forger une carapace, mais certaines en étaient incapable, et c'est en larmes qu'elles sortaient de là, tremblantes. D'autres, au contraire, étaient toutes réjouies, même chauffées. Toi, c'était pas l'enthousiasme, mais pas le drame non plus. T'étais un juste milieu dans ton emploi.

Lentement, je pivote sur moi-même. Je rêve ou une conne vient de m'adresser la parole ? Clignant des yeux, ébahi, je la dévisage de la tête aux pieds, stupéfait par l'audace dont elle venait de faire preuve. C'est qu'elle était pas trop mal en plus la donzelle, malgré tout. Je ne sais pas pourquoi je suis surpris, d'ailleurs : les plus belles sont souvent les moins intelligentes après tout, non ? Toujours est-il que je la détaille méticuleusement avant de lui demander, d'un ton légèrement méfiant :

- Tu viens d'où exactement, toi ?

Non, parce que clairement, elle ne vient pas d'ici si elle s'attend réellement à ce que les gens perdent leur temps avec mille formules de politesse différentes lorsqu'ils consomment dans un bar. La musique est trop forte pour cela, pour commencer - et puis, les gens ne sont généralement pas assez bien éduqués pour cela. Nous sommes aux États-Unis, après tout : nos cousins de l'autre côté de l'Océan n'ont de cesse de vanter à quel point leurs snobs sont plus raffinés que nos vulgaires campagnards. S'ils n'ont pas tort, d'ailleurs, ils oublient cependant de vanter à quel point les anglais ont l'air coincés en contraste avec le charme naturel des américains. C'est dans ce genre de moments que je suis fier de mon pays. Plus que d'habitude, je veux dire.

Mon attention se reporte alors à la jeune femme tandis que je me demande intérieurement si elle aurait le courage de partager son véritable prénom avec moi si jamais l'envie de le lui demander me frapperait. Probablement pas. Je devrais tester, tout à l'heure, tiens.

Tu viens d'où exactement, toi ? Ah ouais, parce qu'il croit qu'il doit savoir tout en plus d'être impoli? C'est bien l'aspect de ton travail que tu détestes tant. La supériorité des clients, leur côté "au-dessus" de tout et de tout l'monde, la façon dont ils vous crient des insultes lorsque vous êtes sur la scène. Des grosses cochonnes, salopes, t'es bonne, et tout ça, t'en avais entendu si souvent, que ça ne te parvenait même plus jusqu'aux oreilles. Tu t'en contre-fichais. Toi, tu faisais ça pour l'argent, pas pour qu'ils s'trouvent un fantasme de plus à rajouter au lot. "J'bosse ici, pour l'info." Comme quoi? Barmaid, danseuse, concierge? À lui de deviner, il saurait pas. S'il restait, il le verrait bien assez vite, ce con de bel homme. La musique battait présentement à son plus fort, et tu secouais doucement la tête en buvant ton verre. Mais après quelques secondes de silence, tu t'levas de ton tabouret, buvant d'un trait le reste de ton verre, avant d'le redéposer d'un bruit sourd sur le comptoir. "J'reviens." Non, tu n'allais pas revenir près de lui, mais tu reviendrais sur la scène. Il ne restait plus que deux filles à passer, mais fallait aussi qu'tu te prépares vite fait. Tu fis un clin d'oeil au barman, aussi ton ami, avant de t'éclipser, laissant le jeune homme seul avec ses pensées pour quelques minutes...

Spoiler:

Elle bosse ici ? Ah, cool. C'est quoi l'intitulé de son métier, exactement ? Chieuse de service ? Non, parce que, clairement, elle est douée dans ce domaine là, avec son attitude à deux balles et son air supérieur de mes deux. Je suis curieux d'en savoir plus, pour le coup, mais je ne perds pas mon temps à lui poser la moindre question, tout simplement parce que je suis pratiquement convaincu qu'elle ne me donnera pas une réponse satisfaisante ; elle est trop capricieuse pour cela, ça se voit dans son regard, dans les traits de son visage et même dans sa façon de siroter sa boisson, là. Elle est pas moche, d'ailleurs, tiens. Je me demande si elle serait plus belle sans ce chandail autour de son corps ou pas. J'essaie de visualiser la silhouette, le corps dissimulé sous le tissus, mais je n'y arrive pas, tout simplement parce que je parviens difficilement à identifier le corps assorti à un si joli visage. Évidemment qu'elle est belle, hein : elle ne serait pas aussi chiante si elle était moche comme un cul, tout le monde l'aurait deviné. Mais je m'égare. Elle semble s'en rendre compte, d'ailleurs, parce qu'elle me dit qu'elle va revenir et qu'avant même que je ne puisse lui répondre, elle a déjà disparu. Eh beh. Finissant d'une traite la bière brune que j'avais jusqu'alors posée devant moi, j'attends en silence, et je ne sais même pas pourquoi j'attends parce que je sais pour un fait qu'elle ne reviendrait pas. Elle me prend probablement pour un de ces sales obsédés qui ne peuvent pas s'empêcher de l'imaginer nue lorsqu'ils la rencontrent dans la rue ... Mais moi, je sais que ce n'est pas vrai : je suis bien trop beau pour qualifier en tant qu'obsédé, tout le monde le sait.

Nah mais le mec, son attitude t'énerve, ça c'est clair. Il ne s'entête qu'à faire ce qu'il veut, comment il veut, et ne traite les gens ici que comme il les voit : de la merde, peut-être? Il ne t'envoie pas chier, mais c'est tout comme. Il se moque de toi, tu le vois dans son regard de tombeur, c'est d'une évidence rare. Tu te sauves alors pour aller te préparer. Rien de bien compliqué, tu as déjà une bonne partie de ton costume sous ton chandail large. C't'un chandail d'homme que t'as acheté pour ça, et il est d'ailleurs très confortable. Tu t'cacherais bien au fond des toilettes rien que pour rester blottie dedans et apprécier la chaleur qu'il te procurait.. Mais non, il fallait que tu montes sur scène, que tu te dénudes, que tu fasses ton petit spectacle comme à presque tous les soirs pour ces hommes en chaleur. Et tu montrerais à cet homme snob dans quel domaine tu travaillais pour la boîte... Il s'fermerait peut-être la gueule. Nah, impossible. Ce genre de personne trouvait toujours un moyen d'répliquer ou de te balancer un truc, rien que pour vous faire chier. Tu enfiles ton chapeau d'pompière sexy, tu enlèves ton t-shirt, tu mets tes talons aiguilles rouges qui t'montent en haut des genoux, tu finalises ton maquillage, puis tu attends que la dernière fille termine son numéro, si on peut appeler ça ainsi. Lorsque c'est ton tour, y'a le mec du Nirvana qui vous kiffe trop et qui ne fait que dire vos noms dans un micro qui t'annonce, puis tu montes sur scène, faisant claquer tes talons, dans le noir. Et là, la musique sexy - comme c'est cliché, qui s'met en marche, les lumières, les projecteurs, et le poteau... Tu fais ton truc, hein. Ta sensualité s'dévoile au grand jour, tu joues de tes charmes, tu fais quelques bisous ici et là, tu t'penches, dévoilant le plus de.. "viande" que tu peux, puis tu te laisses toucher par-ci, par-là, par des mains masculines chaudes et parfois tu t'ramasses avec quelques billets. Tu lances quelques coups d'œil amusés et malicieux au jeune homme de tout à l'heure. Tiens, toi. Qu'est-ce que tu en dis?

Ma bière terminée, j'en commande une deuxième. Non, parce que jusqu'à présent, ce show est un peu - beaucoup - mort. Je suppose qu'il faut être suffisamment bourré pour pouvoir passer outre cet éclairage de merde et ces corps squelettiques que seuls les vautours pourraient convoiter. Non, vraiment, je ne sais pas ce que je fous ici, ce soir, parce que franchement, le spectacle laisse à désirer. En plus, j'ai eu la connerie de venir seul. C'est tout moi, ça, évidemment. Si encore j'avais eu la présence d'esprit d'emmener Chris avec moi, ou un ou deux de mes autres potes, on aurait au moins pu trouver une façon de s'amuser. On se serait plus à énumérer tous les atouts et tous les défauts des filles sur scène, on aurait joué à "celui qui remporte le plus de numéros de téléphone, ce soir" ou à une autre connerie de ce genre ... Bien qu'évidemment, la nuit se serait invariablement terminé de la seule façon possible : séparément, chacun rentré chez lui avec l'une des filles du show. Je suppose que ce soir, je vais donc devoir me contenter du bouquet final, sans passer par toutes les étapes intermédiaires qui auraient fait de cette soirée un moment mémorable. C'est alors qu'une nouvelle nana commence à se pavaner sur la scène et que tu la regardes d'un regard semi-attentif. Pour tout avouer, t'as plutôt envie de finir ta bière, même si la qualité de l'alcool laisse à désirer. Tu regardes la silhouette élancée de la femme se courber et se mouvoir au rythme de la musique et, si tu ne l'avouerais pas à voix haute, tu la trouves plus intéressante que les autres cruches qui venaient de passer avant elle. Franchement, elle est vraiment pas mal, celle là. Tu devrais peut être essayer de la retrouver, une fois qu'elle serait redescendue de la scène, parce que tu sais, au fond de toi, que tu ne trouveras pas mieux qu'elle pour te satisfaire, ce soir.

Tu fais ça depuis des mois. Étonnement, vous suivez des cours le soir pour apprendre à danser de la sorte. Tu as appris des plus grands, enfin... Tu es douée, et tu le sais, ça se voit rien qu'à entendre les cris de tous ces hommes et de ces quelques femmes en bas de la scène. La musique te donne le boost nécessaire pour faire ce que tu as à faire. Elle te rentre dans le corps, c'est génial, alors tu fais ton p'tit numéro sans trop te préoccuper de ce qui se passe autour de toi. Arrive vite la fin de ton tour, puisque trois minutes s'écoulent vite, puis pour la touche finale, c'est en te penchant sensuellement vers l'avant, te trouvant dos au public, de sorte à faire ressortir tes fesses bien à la vue de tous, puis sur la note finale de la musique, tu t'penches complètement, bien flexible, pour t'trouver tête à l'envers, les jambes écartée, à regarder dessous le public qui n'en redemande qu'encore. En plus, dommage pour eux mais... tu étais le numéro final. Oups! Tu sors donc de scène, pour te retrouver à l'arrière scène, te démaquiller un peu le visage de ce qui est en excès, puisque tu détestes avoir l'air d'une poupée. Tu te changes pour retrouver ton chandail confortable de tout à l'heure, enlevant ton costume complet et l'déposant sur une des tables de l'arrière scène. Cependant, tu gardes tes talons aiguilles/bottes rouges. Puis, tu sors de là, car tu en as marre. Comme promis, tu retournes vers le beau brun de tout à l'heure, l'insolant qui ne devait certainement te croire sur rien... Enfin. Tu verras bien ce qu'il te dira, maintenant qu'il t'as vue te dénuder. "Alors, le spectacle t'as plu?", dis-tu en te positionnant debout, directement devant lui.

Et juste comme cela, c'était terminé. Soit. Finissant les restes de cette deuxième bière, un fin sourire plaqué sur le coin des lèvres, je me dis que la nana, la dernière à être passée, là ... C'est elle que je me faire, ce soir, je le sais. Je règle ma note, je m'apprête à me lever afin de partir à sa recherche lorsqu'une voix dont je ne me souviens que trop bien m'interrompt dans mes mouvements. Lassé, je me retourne lentement afin de faire face à l'arrogante de tout à l'heure, me demandant intérieurement pourquoi elle s'est sentie obligée de revenir alors que, clairement, j'ai des choses bien plus importantes à faire, ce soir là, qu'à l'écouter - essayer de - me rabaisser. Lorsque mon regard croise le sien, cependant, c'est pris de stupeur que je me laisse retomber sur mon tabouret de bar. Merde, alors. La meuf canon de la fin, c'était elle ?

Je ne sais même pas pourquoi je suis surpris.

Généralement, les plus belles femmes sont également les plus insupportables. Je l'ai appris très jeune, ça, et je ne l'ai jamais oublié depuis. Lorsque la nature donne d'une main, elle reprend toujours de l'autre, après tout, et si une femme est belle, c'est souvent compensé par un manque d'intelligence, un manque de gentillesse et, parfois, même, lorsqu'elle est très chanceuse, un manque des deux. Celle-ci semble simplement manquer de sympathie, parce qu'elle n'a pas l'air si conne que cela, intellectuellement parlant ... Bien que c'est ma conviction personnelle que toutes les personnes incapables de bonté sont des personnes privées d'intelligence.

- Mouais, ça passe, j'ai vu pire.

Je feins l'indifférence, parce que je sais qu'avec les filles comme elle, c'est la seule arme, ou tout du moins, la seule qui est réellement efficace. La seule chose qu'une belle fille ne supporte pas, après tout, c'est qu'on ne s'intéresse pas à elle. Ça aussi, je l'ai compris très jeune ... Et je ne compte jamais l'oublier.