Priape et Léonora : Let us be brave.

Je sifflais impressionné lorsqu’elle me parla de son dossier. « Et moi qui me pensais en avance. Je vais peut être retourner m’y mettre plutôt que de pauser finalement… » plaisantai-je avant de reprendre. « Non je préfère quand même profiter. Cette sixième année me tue. » C’était vrai que c’était un tournant important dans nos études, la dernière ligne droite avant la spécialisation et les professeurs étaient toujours plus exigeants à notre égard. Je croquais une nouvelle fois dans mon sandwich après avoir souligné le fait qu’on avait la salle rien que pour nous. La réponse de mon interlocutrice me fit me sentir un petit peu mal l’espace d’un instant : je m’étais incrusté à sa table, j’avais entamé la conversation, pensant ainsi profiter de l’occasion pour en apprendre davantage sur elle, lui changer les idées et l’empêcher de s’ennuyer au cours de cette garde particulièrement tranquille, mais elle me confia qu’elle avait l’habitude d’être seule, que c’était donc tant mieux. « Tu sais si je suis de trop, je peux te laisser… » fis-je gêné, réalisant que je m’étais peut être un peu imposé à elle. Mais elle se reprit. Un petit sourire se dessina sur mes lèvres alors qu’elle m’avouait apprécier ma compagnie. « T’es pas obligée de te rattraper en disant cela… » Elle me raconta ensuite qu’elle avait surtout l’habitude de parler de médecine, elle évoqua son père qui était également médecin. « Il doit être fier de toi alors… » Supposai-je en entendant cette info. « En tout cas, j’aurais bien passé la journée à passer en revue tous les cas du service avec toi, mais vu le peu de patients qu’on a en charge aujourd’hui la discussion risque d’être vite finie. » Et la deuxième remarque de la brune m’arracha un petit rire et me donna une autre idée. « Du coup, on peut essayer de parler d’autre chose histoire de changer tes habitudes. Ca te dirait qu’on joue à un petit jeu ? Tu me dis un truc sur toi et moi je te révèle une info sur moi. Après tout, ça fait un moment qu’on se croise en stage et on a jamais eu l’occasion d’apprendre à se connaître. D’ailleurs je commence si tu veux : alors oui tu es perspicace, je suis bien européen. Je suis né à Athènes. » lui racontai-je. « A ton tour, dis-moi d’où tu viens ? »

Léonora était surprenante, elle dégageait ce côté sérieux, studieux et appliqué d’une parfaite étudiante en médecine et d’un autre côté, elle appartenait à la confrérie la plus délurée du campus et l’assumait parfaitement. « J’ai tellement l’habitude de te croiser à l’hôpital que ça me ferait bizarre de te croiser en soirée… » expliquai-je à la jeune femme. « Mais c’est une facette de toi que j’aimerais beaucoup découvrir. » avouai-je en souriant. Passé le petit moment de gêne durant lequel la brune reconnut ouvertement son petit côté solitaire, la conversation reprit et le malaise se dissipa. Je pouvais très bien comprendre ce besoin d’être seul. J’avais beau être quelqu’un de sociable et aimant faire de nouvelles rencontres, j’avais parfois ressenti ce besoin de m’isoler moi aussi. Lorsqu’elle évoqua son père médecin également, je supposais naïvement qu’il était fier d’elle mais mon interlocutrice réfuta aussitôt cette hypothèse. Son paternel  ne souhaitait pas qu’elle se spécialise en ortho. « Il exerce dans quel domaine lui ? » demandai-je ne comprenant pas vraiment ce dédain pour l’orthopédie. Bien sûr, ce n’était pas mon dada, je me destinais à la pédiatrie, ayant toujours rêvé de travailler au contact des enfants, mais je ne voyais pas en quoi l’orthopédie constituait un terrible choix. On évoqua ensuite le peu de patients dans le service et la jeune femme sembla particulièrement touchée par le cas d’une jeune femme en fin de vie atteinte du SIDA. Mes yeux s’allumèrent d’une lueur particulière lorsqu’elle me demanda si j’avais déjà vu des personnes atteinte de ce virus en phase terminale. « Malheureusement oui. » répondis-je d’une voix rauque. « Je faisais parti du club de voyage humanitaire les années précédentes, j’ai du lâché cette année par manque de temps. Mais lors de nos précédents voyages en Afrique, j’ai vu des services entiers remplis de patients particulièrement atteints par cette saloperie de virus. » J’avais beaucoup aimé faire partie du club mais cela m’avait aussi beaucoup touché, parce que malgré tous les moyens que l’on pouvait mettre en œuvre, on se retrouvait souvent impuissants, et dans le cas de cette maladie c’était encore plus vrai. On ne pouvait pas éradiquer ce virus encore, on pouvait simplement accompagner les malades et essayer de prolonger un peu leur vie, en réduisant leur souffrance… Je lui retournais la question avec prudence, je sentais la jeune femme sensible à ce sujet. Peut être avait-elle également déjà été confrontée à cette maladie ? « T’as déjà connu quelqu’un d’atteint toi ? » Je détendis finalement l’atmosphère en proposant une sorte de jeu pour poursuivre la conversation et apprendre à mieux nous connaître. « Pour le Parthénon je pourrais te servir de guide mais pour l’Italie ne compte pas trop sur moi, même si mon meilleur pote est italien. » fis-je en riant. Elle me répondit ensuite avant de lancer une nouvelle question. Et pas des moindre, sur mes frères et sœurs. Une nouvelle lueur de nostalgie emplit mon regard, comme à chaque fois que je pensais à eux. « Je viens d’une famille nombreuse… » Mais une famille détruite. J’avais retenu ces mots les gardant pour moi. Je n’étais pas du genre à me plaindre je n’avais pas forcément envie d’ennuyer Léo avec mes problèmes familiaux. « J’avais deux grands frères, un frère cadet et une  petite sœur. » confiai-je alors. « Et toi ? »

Je n’étais pas du genre à me laisser impressionner par les avertissements de la jolie brune que je choisis d’ailleurs de prendre plutôt à la rigolade.« Mais tu n’as rien contre les dunsters ? Non parce que jusqu’à preuve du contraire j’ai ni le compte en banque, ni les atouts pour intégrer les Eliots ou les Cabots. » fis-je en plaisantant. « De toute façon, les gens trop fréquentables sont ennuyeux. » fis-je pour clore le débat et lui prouver qu’elle n’allait pas réussir à me dégouter d’elle aussi facilement. Au final, nous étions tous les deux sur la même longueur d’onde, avec l’envie de découvrir l’autre. D’ailleurs, elle commença à me parler de son père et de sa déception de la voir se tourner vers l’ortho. Je lui avais alors demandé pourquoi et elle m’expliqua alors qu’elle était la fille du fameux docteur Lockhart, neurochir de renom dans le monde de la médecine. J’eus une nouvelle expression impressionnée et étonnée. « J’avais pas fait le rapprochement entre vos deux noms de famille. » Je compris alors que l’étudiante devait subir une pression monstre de la part de son paternel. Forcément, lui avait tellement bien réussi sa carrière qu’il avait les mêmes attentes pour sa fille et cela devait faire beaucoup à supporter pour les épaules de la pauvre Léo. « En tout cas, tu fais ce que tu aimes c’est le principal. Il ne faut jamais faire les choses par dépit pour faire plaisir aux gens alors tu as raison de ne pas te laisser influencer. » affirmai-je, impressionné par la détermination de mon interlocutrice. « Et tu m’invites quand tu veux, je serais ravi d’accepter. » répondis-je alors qu’elle évoqua une potentielle invitation chez elle. Et puis on en vint à parler de ce cas dans le service, une jeune femme en fin de vie atteinte du SIDA. C’était dur pour moi de parler de l’Afrique sans être particulièrement touché et envahi par les souvenirs douloureux de mes missions là bas. Léo hocha positivement la tête lorsque je lui retournais la question, à savoir si elle avait connu quelqu’un d’atteint également. « C’était quelqu’un qui t’était proche ? » demandai-je en voyant combien ce sujet la troublait. « Tu sais on est pas obligés d’en parler si tu préfères… » Je voulais pas la forcer à se confier sur cela, surtout si même avec son psychologue elle n’en parlait pas. C’était peut être plus simple de parler d’autre chose, comme de mon meilleur pote par exemple. « C’est bien lui. Ce mec est génial, faudra que je te le présente un jour. » Valentin était vraiment la personne sur qui je pouvais toujours compter, mon frère de cœur depuis de nombreuses années désormais. Si moi j’avais mon lot de drames familiaux, du côté de Léo ça semblait pas être beaucoup plus simple. « Je suis désolé Léo, ça a l’air compliqué dans ta famille aussi… » fis-je en grimaçant. « On pourrait créer un club des familles effondrées ? » proposai-je avec une pointe de sarcasmes afin de dédramatiser nos cas. Puis je lui demandais plus sérieusement : « Tu as déjà revu ta jumelle ? »