"Faut qu'on parle" Amber&Akira

La nuit était tombée, pour la troisième fois je crois depuis la première soirée du Summer Camp. J'me demandais encore bien dans quoi je m'étais embarqué. J'ai pas vraiment l'esprit d'équipe, ou en tout cas pas la patience nécessaire pour en supporter une. Je soupirais. J'étais sur le pont. Seul, pour le moment en tout cas. Il faisait frais, et le vent battait férocement contre le navire. Mais j'étais plus ou moins serein, appuyé sur le rebord en bois du bateau, la clope au bec. J'aimais bien cette tranquillité que seule la solitude pouvait apporter. Même si je finissais toujours par m'ennuyer, le début était agréable.

J'savais qu'il faudrait que je me confronte à mes problèmes à un moment ou un autre. Mes addictions, mon comportement "violent"... Et à Amber. Elle était malheureusement devenue la personnification de toutes ces merdes, de tous mes doutes. Elle m'avait laissé seul dans un monde de fête qui était pourtant le notre auparavant. Elle voulait faire mine de s'en sortir, me rabaissant au même titre que ce qu'elle avait pu être par le passé. Oui, je suis sûrement un peu dépressif. Mais je ne m'en inquiète pas. En revanche, je crois que, presque inconsciemment, je ne voulais pas être le seul à tomber.

Les soirées commençaient à défiler, surement parce que les membres de l'équipe se sentaient de plus en plus à l'aise ensemble et qu'une petite routine agréable s'installait peu à peu. Pour ma part, mon rôle dans cette équipe me poussait à aller vers les gens, à leur parler et à sympathiser. Je n'avais donc aucune difficulté à ce niveau là, pourtant, j'aurais parié deux jours auparavant qu'il me serait impossible de me faire des amis de la sorte. Je venais de me préparer un cocktail sans alcool, mangue ananas, rafraîchi par quelques glaçons lorsque je décidai de me rendre sur le pont. Je me posais sous les étoiles chaque soir et profitai des heures tardives pour avoir un peu de silence, de solitude, de paix. Mais il était bien tôt lorsque je montai les quelques marches et atteignais l'endroit, observant autour de moi. Quelques personnes discutaient par endroit, mais au loin, appuyé sur la barrière du bateau, une cigarette à la bouche, Akira se tenait là, à profiter comme moi chaque soir, de sa solitude. Je l'observai un instant. Je ne lui avais pas parlé depuis deux jours. Depuis la soirée qu'il avait tenté de foutre en l'air pour une raison que j'ignorais. Du moins, j'espérais que ça ne me concerne pas, mais la façon dont il m'avait regardait et répondu à la plage m'indiquait tout le contraire. Sans me poser de questions,  je m'approchai doucement de lui. Mon verre toujours en main, je vins m'appuyai à mon tour sur le navire, sans un mot, d'abord. J'observai l'horizon, là où la mer régnait au loin et fermai les yeux lorsqu'une brise marine vint me caresser la peau. "On dit que la mer est guérisseuse. Elle apporte des bien faits qu'on ne peut trouver nul part ailleurs. Je crois que c'est vrai, ça se sent tu ne trouves pas ?"

Je crois que je m'étais perdu dans mes propres pensées. C'est que la vue, le claquement des vagues sur la poupe n'aidaient pas. A quel point l'eau était-elle froide ? Y survivrais-je longtemps si je m'y jetais maintenant ? Pourquoi me sentais-je si petit face à l'océan ?... Des questions bien futiles, qui se dissipèrent lorsqu'une jeune femme se posa à mes côtés. Je tournai mécaniquement les yeux vers elle, avant de reprendre une taffe, en silence. Amber. Forcément, j'pouvais pas mieux tomber... Je jetai la fin de ma clope par dessus bord. " T'es défoncée ou quoi ? " que je lui fis, pas vraiment méchamment, plus taquin qu'autre chose. J'savais que j'avais été con pendant la dernière soirée, qu'elle m'en voulait probablement d'avoir foutu la merde dans son équipe chérie, tout ça. Mine de rien, je gardais de l'affection pour cette fille, et j'aimais pas avoir à me dire qu'elle me détestait. J'aurais voulu que tout redevienne comme avant.

Mon regard se détournait de nouveau vers les vagues, et je m'appuyai davantage sur le rebord, l'air un peu rêveur. " Dis moi, Amber... Ca va ? " Et n'essaie même pas de me répondre ' oui et toi ? ' tout naïvement. Ma question portait sur bien plus que sa journée, sa semaine. Ca faisait tellement longtemps qu'on avait pas parlé de nous -parlé vraiment-, là où elle se confiait davantage dans l'ivresse que dans la sobriété... Je pense que je me faisais un peu de soucis. C'est typiquement le genre de chose que je n'aime pas assumer, mais j'pense que j'étais cramé.

Akira jeta sa clope à la mer, un geste que j’observai en soupirant. Qui sait qui allait la bouffer celle là. Il avait l’air bien plus calme que la dernière fois où nous nous étions parlé. En fait, il avait simplement retrouvé son calme de d’habitude, ce calme que j’appréciais tant. Je ris à sa question. Défoncée, je l’étais à ma façon, du moins sans toutes les choses qu’on avait l’habitude de prendre lui et moi. Et je savais que tout ça, mon absence, ma désintox ça nous avait vraiment éloigné. Pourtant, en rentrant, j’avais tout fait pour éviter Akira, j’avais ressenti l’envie de l’expulser de ma vie comme s’il n’était qu’un moins que rien parce que je ne voulais plus de tout ça dans ma vie. Mais j’avais sous-estimé cette chose entre nous, cette chose que j’avais du mal à comprendre mais qui m’importait bien plus que je ne le pensais. Comme lui, je me concentrai sur l’horizon marin. Ces images, nuit comme jour me rappelait ma petitesse et mon insignifiance dans ce monde. Comme si, une vision plus globale de la planète me revenait à l’esprit, de sorte que je n’oublie jamais le capital, excluant la concentration intensive sur nos petites vies, nos habitudes, nos envies matérialistes et dépensières que nous offraient nos sociétés. Akira sans même me regarder me demandais si j’allais bien. Une question dont nous avions tous l’habitude de négliger la réponse. Je tournai la tête vers lui, l’observai silencieusement. Habituellement, on répondit un petit oui vide de sens, mais Akira tenait à ce que je réponde vraiment, cette fois. « Je ne sais pas, Akira. Sincèrement, je ne sais pas. J’ai l’impression que tout va de travers pour moi. Que tout est fichu d’avance dans n’importe quel domaine. Que je n’aurais jamais du revenir. » En réalité c’était bien plus que ça, mais sortir des sentiments que moi-même je n’arrivais pas à déterminer et tout cela en mots me paraissait extrêmement difficile.

Je tournai la tête vers elle lorsqu'elle me répondit, plantant mon regard dans le sien. Malgré mes airs encore un peu froids, j'étais... compatissant ? J'aurais voulu qu'elle aille bien, que tout ce par quoi elle était passé lui apporte au moins ce réconfort. Certes, je n'étais pas au courant des détails de ses mésaventures, j'irais même jusqu'à dire que je connaissais assez peu son histoire... Mais je m'en faisais une vague idée.

" Je ne te savais pas si défaitiste. " Je souriais un peu, presque taquin. J'voulais la provoquer, qu'elle me prouve le contraire. Je me tournai de nouveau vers l'océan, un peu pensif. " Et pourquoi tu dis ça ? Ca fait peu de temps que tu es revenue. " J'savais pas comment m'y prendre pour l'aider. Ni même si elle voulait effectivement que je l'aide. Mais j’espérais en apprendre un peu plus. Car malgré tout ce que l'on pouvait dire de moi, tous mes gros défauts, mon comportement violent et insupportable, j'avais au moins le mérite de tenir à mes amis.

Je levai les yeux sur lui. Etais-je tombée aussi bas ? Il avait peut-être raison. Défaitiste, je le prouvais encore une fois. Je savais très bien que ce n’était pas mon genre. Abandonner, laisser tomber et me contenter simplement de ce qui venait, y faire face mais sans le combattre. C’était des choses qui me révulsaient auparavant et aujourd’hui, ça m’arrivait à moi. J’esquissai un sourire en coin, moi aussi, juste pour faire croire que je prenais tout ça à la légère. Et au fond, c’était peut-être le cas. J’avais l’impression de me laisser tomber. De voir que rien n’allait mais de ne pas y porter d’attention et de me laisser vivre, ainsi. J’étais surement un peu fataliste… « Je ne sais pas, ça doit faire peut-être un mois. Plus ou moins… » J’essayais de répondre à sa question, mais là je ne savais pas quoi dire. La raison pour laquelle je regrettais mon retour ? Je l’ignorais (décidemment ce soir, je ne savais vraiment rien), c’était simplement un très mauvais ressenti. « J’dis ça parce que quelque chose me dit que je ne vais pas y arriver. Désolée pour le pessimisme, j’vais pas arranger ton jugement ce soir, j’crois que c’est ma soirée. » Je m’appuyais davantage sur le bateau, buvant une gorgée de ma boisson. « Je dis ça parce que tout me ramène à l’année dernière. Vraiment chaque chose, chaque mot parfois il me suffit juste d’un geste pour me faire revenir de mauvais souvenirs et de bons aussi que je refuse de voir comme tel parce que ce n’était juste pas… correct. Pff. Et parce que malgré tout, j’en ai toujours envie de… de tout ça et à la fois, c’est comme mon pire cauchemar… Enfin, j’crois que c’est loin d’être clair dans ma tête » dis-je d’un air ironique. C’était trop compliqué d’expliquer par des mots, j’allais donner l’air d’être complètement barge. Je levai mon verre, observant le restant du contenu puis soupirai, exaspérée. « Un cocktail sans alcool, si c’est pas désespérant, ça. »

Je lui lâchai un sourire à sa dernière remarque. Elle arrivait à rester drôle, ça faisait au moins l'un de nous... Sa tirade m'avait touché. Sans doute parce que je voyais de quoi elle voulait parler, ce qu'elle ne trouvait pas "correct" dans son passé. J'avais beau avoir le nez en plein dedans depuis des années et sans doute encore pour un moment, je savais bien tous les problèmes que la drogue, l'alcool pouvaient causer. Sans parler de maladies, de maux à longs terme. Ces choses nous libèrent, nous font dire et faire au grand jour ce que l'on aurait contenu en nous en étant sobre. Elles faisaient ressortir nos démons, nos peurs, alors même qu'elles en étaient le premier des remèdes. C'était compliqué. J'comprenais qu'elle ne sache pas où elle en était.

" Faut pas te prendre la tête avec ça... Enfin, pas autant. Si tu as envie de quelque chose, fais-le, si tu veux prendre une pilule, boire un verre, ça ne va pas changer ta vie. Ca pourra juste rendre ta soirée plus supportable. " Je soupirai doucement. " J'veux pas spécialement t'encourager à reprendre, tu sais. Mais si tu dois plaquer tout ça, ça doit être pour toi. Si toi-même tu n'es pas sûre, à quoi bon ? On ne sera pas toujours jeunes. "  Bon sang, j'avais l'impression d'être le diable qui lui soufflait de mauvais conseils à l'oreille. Mais j'étais honnête. J'avais pas envie qu'elle se fasse de mal, qu'elle se frustre et ait des regrets. Il n'y avait pas de mal à s'amuser, surtout maintenant. Et sur ces mots, je sortis encore une clope de mon paquet, sans en proposer à la jeune femme.

Voir Akira sourire était une chose agréable, rare aussi mais j'avais assez traîné avec lui pour ne plus m'en étonner. Nous avions passé presque un an à faire les quatre cents coups, se fichant éperdument de la raison pour laquelle nous nous trouvions à Harvard. Mais la seule chose que nous connaissions bien de nous, fut ce côté festif de notre personnalité. Le reste avait presque été banni. Ce soir, il se montrait particulièrement doux avec moi et je savais qu'il pouvait se montrer d'une gentillesse et d'une compréhension dont certains étudiants ne seraient même pas capables. J'aurais voulu faire comprendre ça aux Calaveras, l'autre soir. J'avais d'ailleurs essayé de le démontrer à Motya, mais rien, rien ne pouvait vraiment excuser son comportement à leurs yeux. Et pourtant je ne lui en voulais pas.

J'esquissai un sourire en coin en écoutant ses fameux conseils. Ils étaient simples, en conflit avec tout ce que j'avais fait pour arrêter la drogue, mais logiques. Ça rendrait ma soirée bien plus agréable, je le savais. Je me rappelais des effets procurés comme si je les avais vécu ce jour même. Tous mes problèmes seraient mis de côté, toutes mes inquiétudes s'éteindraient pendant ce lapse de temps précis. Il ne s'agissait que de quelques heures... Akira sortait une nouvelle clope, l'allumait, ne prenant même plus la peine de m'en proposer. Il avait compris, je le savais maintenant. "Ouais je sais bien.. La dernière fois, j't'ai parlé de ces gens qui m'avaient ouvert les yeux sur ce qui se passait. Mais je ne le fais pas vraiment pour eux.. Enfin, j'ai juste pas envie de décevoir mon entourage comme je l'ai fais l'année dernière. Mon frère, Socrate et Lavender qui me ramassait dans les rues parfois... Y a ma petite soeur aussi. L'idée qu'elle puisse prendre exemple sur moi me fait vraiment flipper." Je regardai Akira et sa fumée qui s'effaçait dans l'atmosphère. J'en avais marre de tout ça, de toutes ces prises de tête. Akira ignorait peut-être jusque tout cela m'avait mené... "Et merde, aller files moi en une." Lui dis-je sans quitter des yeux l'horizon, comme pour éviter le regard et la réaction du jeune homme.

Ah, l'argument de la petite soeur, très efficace sur moi je dois dire. Se retrouver minable devant des amis est une chose, l'être devant sa famille et plus particulièrement sa plus jeune fratrie en est une autre, et j'avais déjà partagé ces doutes.

"Tu sais, j'ai une soeur cadette aussi." Peut-être le savait-elle déjà, même si la famille n'était pas mon sujet de discussion favori, loin de là. "Et elle a eu l'intelligence de ne pas prendre exemple sur moi." Je souris un peu. "Mais je me dis que si elle venait à prendre quelque chose, elle pourrait m'en parler. Je pourrais peut-être l'aider. Enfin, à mon échelle." J'étais pas franchement pour l'éducation par la punition. C'est toujours plus efficace d'être mis en garde par quelqu'un qui sait de quoi il parle. Enfin, j'allais pas non plus lui faire de ma pub pour la débauche. J'considère pas les drogues comme un problème. C'est plutôt l'addiction qui en découle qui en est un.

Je tournai des yeux un peu surpris vers elle quand elle me demanda une clope. J'avais pas envie de ruiner ses efforts, mais... quel serait le mal à une petite cigarette ? Ok, je crois que je me cherchais surtout des excuses pour céder à la tentation de lui en donner une. "Si tu veux" fis-je en me débarrassant de toute responsabilité. Et je ressortis mon paquet, pris une clope, et la lui tendis, faisant de même avec le briquet que je sortis de ma poche. "T'étouffe pas." lui suggérai-je pour la taquiner. Et quand elle prit tout ce petit attirail, je posai les mains contre le rebord auquel on s'accoudait pour m'y hisser, assis dos à la mer, le vent dans les cheveux, regardant, un peu curieux, ma chère amie succomber à la tentation.

Je savais qu’Akira ne refuserait jamais de me filer une cigarette. Pas lui. Il m’en avait voulu d’avoir mis fin à notre quotidien, m’avait souvent proposé d’y regoûter… Il n’allait pas me dire non. Puis c’était qu’une clope. Je la saisis, l’emprisonnai entre mes lèvres, puis l’allumai en la couvrant de mes mains. Je prenais une bouffée, esquissant un sourire suite aux dernières paroles du jeune homme. « Aucun risque… » J’inspirai, fermai les yeux en m’appuyant davantage au navire. Mon Dieu ! Ca faisait du bien ! Et ce n’était qu’une cigarette, imaginez seulement ce que me procurait un peu d’mdma ou de coke. Ce soir, je sentais à quel point ça me manquait. J’expirai le reste de fumée et l’observai longuement s’évanouir dans la nuit.
« J’savais pas pour ta sœur. Elle est là ? » Dis-je en reprenant une autre bouffée. « Elle fait bien... Ma sœur aussi, c’est un ange plein d’innocence, mais vraiment. J’dis pas ça parce que je l’adore, mais encore hier elle me demandait comment draguer un mec… Et elle a 19 ans, j’veux dire à cette âge on est tous à fond déjà. Alors, je veux pas que ça foire. » Puis je regardai Akira, assis sur le bord, face à moi. « Et t’as raison tu sais. Si ça doit arriver, autant qu’on soit là pour pas qu’elles prennent d’la merde comme la plupart des étudiants. Ils s’contentent de si peu parfois niveau qualité et c’est parfois pas qu’une question de fric, les petits fils de riches font de même parfois. » Je me demandais si je me retrouverai à nouveau à fêter peu importe quoi, Akira à mes côtés. Si on reformerait le duo qu’on avait été. Ce n’était pas ce que je voulais en soit… Sauf quand j’regardais Akira qui lui, n’avait pas changé. « Désolée… Tu dois penser que j’t’ai lâché. C’est peut-être le cas. »