Cette soirée était un désastre… Moi qui me faisais une joie de voir mon mec et mon frère, ils n’avaient visiblement pas l’air de supporter. Je me trouvais pris en sandwich entre le loup et la panthère, mais je ne savais pas s’ils se jetteraient d’abord l’un sur l’autre ou sur moi. Dans un cas comme dans l’autre, je ne me sentais pas mieux qu’un faon, proie des deux carnassiers. Matthew après s’en être pris à Lukas avait quitté mon appartement miteux. J’avais conseillé à ce dernier de s’allonger pendant que je courrais après mon frère.
Dehors, je le saisis par le poignet, essayant de récupérer tant bien que mal mon souffle. Je n’étais pas un grand sportif et ma chute dans l’escalier m’avait un peu sonné. J’allais avoir un joli bleu ! Je lui demandais de me dire tout ce qu’il savait sur le drame familial mais il refusa, prétextant que ma faiblesse l’emporterait sur tout autre chose. Il ne voulait pas que je ne lui fasse un autre malaise. Ma main se crispa sur son poignet, tout mon corps se tendit. Je ne sentais que rarement la colère m’envahir, c’était assez déplaisant, d’autant que j’étais d’un naturel calme et réfléchit. Ce qui mit le feu aux poudres, c’était en relevant la tête. Je constatai que mon frère fumait. Quel exemple ! Je détestais cette odeur répugnante. C’était ça qu’il voulait que je visse ? Lui en train de perdre pied ? Je lui arrachai sa clope des doigts avec fureur et le jetai sur le macadam.
-Approche Lukas.
Je m’étais exprimé d’une voix froide et calculée. Je l’avais senti dans mon dos, comme si ses yeux transperçaient mon dos. Faisant fi de la douleur dans mes côtes, je m’emparais de sa main et le conduisais à côté de mon frère. Je voyais une sorte d’aura électrique entre les deux, dès qu’ils s’étaient approchés l’un de l’autre, c’était comme si leur karma respectif en se touchant s’échauffait et produisais de petits éclaires qui crépitaient dans l’air. L’atmosphère était lourde comme avant un orage.
-Ecoutez-moi bien. Lukas, tu es le mec de ma vie, que ça plaise ou non à certains. Oui, je suis gay, et alors ? Les filles me font peur, ce ne sont que des garces stupides, sans scrupules, qui jouent avec les sentiments des gens, les manipulent, les rabaissent. Ce sont des menteuses, je ne leur fait pas confiance. Lukas, j’ai foi en toi. Je t’aime. Mais bon sang, ce que tu peux être possessif ! Je ne suis pas un morceau de steak haché qu’on s’arrache à la supérette du coin ! Matthew, tu es mon grand frère, celui qui vient de me tomber du ciel. Je ne te connais plus, tu ne me connais pas non plus. JE pense que j’ai beaucoup changé, sans doute trop. Ca fait six ans. Je te reproche de m’avoir laissé dans la merde le jour de mon anniversaire, quand nos parents sont morts, tu n’étais pas là. Je veux bien écouter tes raisons, je ne suis fermé à rien, mais laisse-moi le temps. C’est ma vie, je tiens à mener la barque. Je sais que tu cherches à me protéger. Vous le cherchez tous les deux, mais pour des raisons différentes. Chacune de vos intentions est bonne, mais vous vous y prenez mal pour me montrer votre affection. Grandissez un peu, et quand vous serez calmés, remontez, la porte sera ouverte, et on pourra discuter.
Je les plantais là, littéralement. Je tournai les talons, les laissant seuls ensemble avec leur aura électrique. Je retournais vers l’entrée de mon appartement. EN posant la main sur la poignée, je leur jetais un dernier regard.
-Matthew, la prochaine fois que je te vois fumer, je te jure, je ne serais pas aussi clément.
J’espérais m’être fait comprendre. Je remontais les escaliers, et à chaque marche gravit, un peu de ma superbe retombait. Je me tenais les côtes. Arnica me voilà ! Je jetais un coup d’œil à la rambarde cassée. Elle était en bois, bouffée par les mites. Pas étonnant qu’elle n’ait pas tenue… Je rentrai chez moi, fermai la porte mais sans la barrer. Mon sang, j’avais été bien lunatique… Passer de la peur panique à l’idée de perdre mon frère à la colère remontant presque à la rage… Qu’est-ce que j’avais bien pu faire ? En soupirant, je me dirigeais vers ma petite pharmacie. Je ‘avais que de l’alcool à 90°C, des cotons, et des petites billes d’arnica pour les bleus et les bosses. Il devait me rester un ou deux pansements, mais guère plus. J’ôtai mon T-shirt pour regarder l’étendue des dégâts. Je n’avais pas de bleu, il n’avait pas encore eu le temps d’apparaître, mais sûrement que demain matin je ressemblerais déjà plus à un Schtroumf… Décourager, je pris quelques billes blanches que je mis sous ma langue pour fondre et me rhabillais. Je m’allongeais sur mon matelas, m’enroulant dans ma vieille couverture trouée. S’ils voulaient rentrés, grand bien leur fasse, moi, je ne supportais plus leurs jérémiades. Ils devraient me tirer du lit ! Je me tournai face au mur, ayant juste l’espace d’y coller mon front avant que l’avancée de toit ne me bloquât, et fermai les yeux. Je me concentrai sur ma respiration, lente et régulière. Je les attendais de pied ferme.