(Priape) ► If you wait.

Son stage en Angleterre lui avait appris énormément. Plus encore son expérience dans le chaos Syrien, mais de son retard à Harvard, Zoïa avait cumulé une solide masse de travail à rattraper. Préoccupée par l'état de santé de son frère aîné, les rares minutes qu'elle s'accordait étaient dédiées à son travail de la médecine. En quelque sorte, elle était de retour mais toujours absente. Une sorte de bulle transparente qui errait parmi les étudiants. Sans vœux de retour. Sans attaches. Mais cette position confortable ne dure pas éternellement et certains visages lui sont plus familiers que d'autres. Sans parler du manque. Inavouable. Sa tête fatigue, ses yeux se plissent à la lecture des différents manuels et un furtif coup d'oeil à sa montre lui indique qu'il est temps de passer à autre chose. De s'accorder du repos, pourquoi pas? Mais impensable pour la Demoiselle glacée. Zoïa emprunte quelques livres et décide de sortir de l'endroit. Sa tête se baisse sous l'accélération de ses pas, comme pour en accompagner la rapidité, insensible au bruit répétitif du martèlement de ses habituels escarpins contre le sol. Ses mains frêles tiennent pourtant solidement  les ouvrages, son ordinateur en bandoulière, l'Orgueilleuse ne prête pas attention à la silhouette qui se profile en face d'elle et la dépasse comme si de rien n'était. Elle sent pourtant ce regard sur elle, ses yeux qui la suivent. Les yeux de … Non, ses pensées s'arrêtent, haletantes, l'Errante se martelant de ne pas être idiote. Combien de fois as-t-elle cru le voir au détour d'une rue, d'un café, ou même de l'hôpital. Son talon ripe et se casse net. Laissant l'Inébranlable boiteuse. De quoi ramasser sa fierté avec des miettes. Ses yeux se relèvent instinctivement sur l'homme qui l'observe toujours. C'est bien lui. Priape Zacharias. « Je... » bredouille ses lèvres exsangues. Zoïa est désemparée, alerte rouge! Ses pupilles claires scrutent puis fuient, se posent et divaguent à nouveau, et sa gorge est désespérément sèche.

La fin de l’année résonnait pour certains comme une délivrance. Les couloirs du campus étaient désertés de tous et pourtant je continuais de les arpenter, comme si l’été qui approchait et le sevrage qui m’attendait, de cours, de révisions, d’épreuves, risquait de nuire à ma santé… C’était probablement vrai, mon équilibre actuel avait été jusque là essentiellement maintenu grâce à l’acharnement et l’énergie dont j’avais fait preuve pour la préparation des partiels. Désormais qu’est-ce qu’il me restait pour ne pas rabâcher ? Pour ne pas repenser à ce vide qu’ils avaient laissé dans ma vie ? Le départ de Denys, celui de Caly… Alors oui, même si les épreuves étaient passées, me voilà de nouveau en chemin pour la librairie, pour me plonger encore et encore sur les schémas d’anatomie,  mémoriser les noms imbuvables des virus et bactéries des cours de maladies infectieuses, ou encore pour me perdre dans les dédales des mécanismes du cerveau des cours de neuro… En attendant de pouvoir m’enivrer lors des soirées sans limite du summer camp, voilà mon échappatoire. Et pourtant, ce fut une toute autre forme de distraction qui se présenta devant moi alors que je marchais vers  la bibliothèque : comme un mirage, une revenante filant devant moi... Perchée sur ses talons, la silhouette élancée, sa chevelure couleur feu reconnaissable entre mille, la vision de Zoïa qui passait sans s’arrêter, sans me reconnaître, tête baissée, me laissa stupéfait. Je me stoppai et mes yeux s’accrochèrent obstinément à la jeune femme, suivant avec un étonnement marqué chacun de ses mouvements. Et c’est un mouvement particuliers qui me sortit de ma stupeur. La jeune femme cassa l’une de ses chaussures et l’espace d’un instant, nos regards se croisèrent. « Zoïa ? » fis-je en m’approchant alors de la jeune femme comme si le fait qu’elle se tienne devant moi n’était pas une preuve suffisante de son retour. « Ca va ? » demandai-je avec une pointe d’inquiétude en voyant l’expression perdue qu’affichait son visage. Elle semblait tellement différente de l’image que j’avais gardé d’elle… « Je t’avais dit qu’un jour ou l’autre il t’arriverait quelque chose avec de telles godasses de torture… » la taquinai-je avec un petit sourire au coin des lèvres tout en désignant son talon cassé, essayant de ne rien laisser paraître du trouble que son apparition soudaine au milieu de ce couloir avait provoqué en moi. Cela faisait des mois que je ne l’avais pas revue, je devais me retenir de lui poser les milles questions qui me brulaient les lèvres concernant son absence, ce qu’elle avait fait, son retour… « T'as oublié comment on marchait avec des escarpins là où tu étais partie ? » Une question légère, sur un ton amusé, mais aussi une façon détournée d'essayer d'en savoir plus sur les aventures de ces derniers mois de ma chère rivale...

Et voilà que Priape s'approche pour lui porter de l'aide, pour quiconque le connaît, c'est inévitable. Zacharias est tout ce qui s'apparente au bon samaritain, toujours prêt à venir en aide. Ses pupilles glacées se posent sur le visage familier, la Fière reste sourde aux manifestations dans sa poitrine. « Tu as perdu la vue pendant mon absence ou quoi? » lui lance-t-elle avec un petit sourire néanmoins. Zoïa a changé mais Zoïa reste Zoïa et elle est incapable d'effusions avec son rival préféré, même si elle est en joie de le retrouver. « Effectivement, je n'en ai pas eu franchement besoin c'était plus baskets et tenue négligée. » réplique-t-elle d'une voix douce et égale à la question masquée de son camarade de classe. Il a donc remarqué son absence. La Demoiselle ayant cette fâcheuse tendance à se croire transparente, inutile pour son entourage. « C'est surtout qu'il suffit que je te voie pour que tu me portes la poisse Zacharias. » rétorque-t-elle un mince sourire aux lèvres. Oui prétextons la malchance plutôt que la déstabilisation, ça passera mieux. Ses pupilles scrutent le visage du Dunster, il lui semble finalement tellement familier malgré leur inimitié. Inexorablement, Priape est devenu un véritable repère dans les murs de Harvard, mais malgré cela, elle le trouve changé. Plus terni, presque éteint. Elle décide finalement de répondre à sa première question après l'avoir observé quelques secondes. « Je vais mieux maintenant, merci. » lui souffle-t-elle avant de pencher la tête de côté. « Mais toi Zacharias? Je veux dire ça va? Parce que tu as une tête à faire pâlir un revenant. » Un rictus sarcastique orne ses traits. Mais n'allez pas croire, derrière l'ironie, la Belle est inquiète pour son martyre favori.

J’eus bien sûr le droit à une réponse piquante de la jeune femme sur ma vue. Loin de me froisser, cela fit apparaître un sourire sur mes lèvres… Je n’avais aucune idée de ce qu’elle avait fait ces derniers mois, mais une chose était sûre : son caractère était intact, ma rivale avait toujours autant de mordant et cela m’avait presque manqué de ne plus me faire envoyer bouler de la sorte. Elle répondit ensuite à ma seconde remarque, mais de manière évasive, si bien que je n’en appris pas beaucoup plus sur ce qui l’avait retenue loin de Cambridge durant tout le dernier semestre. Puis sa réflexion sur sa poisse lorsque j’étais dans les parages m’arracha un petit rire. «Tu sais que t’es pas la première à me reprocher ça… Je dois avoir un mauvais karma. » répondis-je sur un ton léger bien que cette remarque me fit un instant réfléchir. C’était peut être ça finalement l’explication à la désertion soudaine des gens de mon entourage : d’abord Zoïa, ensuite Denys et à présent Caly… J’étais un porte malheur, la personne à fuir, à éviter, à oublier. Une ombre passa un instant sur mon visage, moment de crispation qui ne sembla pas échapper au regard vif de mon interlocutrice. Reprenant aussitôt un visage neutre, je repris : «Tu t’inquiètes pour moi à présent ? » J’étais plus habitué aux piques de la rouquine qu’à ses questions sur mon bien être, même si son ton se voulait un brin moqueur. « Il s’est pas passé que des trucs drôles pour moi depuis que t’es partie… » expliquai-je simplement de manière détachée, comme si tous ces évènements fâcheux ne m’avaient finalement que très peu affecté. « Bon, et tu vas m’en dire plus sur ce que tu étais partie faire ou ça restera un de tes nombreux secrets ? » Assez parlé de moi, je voulais essayer d’en savoir plus sur sa mystérieuse absence.

Priape commençait à la connaître et il savait désormais que derrière la remarque acerbe sur sa vue se cachait un certain trait d'humour. Zoïa avait évolué certes, mais elle n'avait rien perdu de sa répartie légendaire. Autant enlever à un lion sa crinière. Le mauvais karma, le pauvre Zacharias semblait l'attirer ces derniers temps et à voir sa mine défaite, la Solitaire avait fait une déduction qui touchait dans le mille. « Pense à te faire désenvoûter ou quelque chose du genre. » lui réplique-t-elle très sérieuse avant qu'un sourire ne vienne hanter ses lèvres. Zoïa souriait beaucoup plus à présent. Et cela pouvait être déstabilisant pour les personnes qui la connaissait auparavant. Elle souriait parce qu'une telle remarque venant de sa bouche était incongrue. Il n'y avait pas plus terre à terre que la Rousse, elle ne croyait pas aux bondieuseries, aux croyances qu'elle jugeait stupides, alors les superstitions... Le Grec la questionna ensuite sur son inquiétude, elle le regarda sans ciller mais ne rétorqua pas vraiment. Bien entendu qu'elle s'inquiétait pour lui, mais elle n'allait tout de même pas lui avouer. Elle préféra s'accrocher à sa deuxième remarque, puis à sa question. « Je ne pensais pas laisser un tel vide dans ta vie Zacharias, c'est à croire que te faire rabrouer te manque. » lui lance-t-elle provocante. Elle soupire en prenant un air de réflexion et passe une mèche derrière son oreille. Zoïa et Priape qui passent aux confidences, non mais vraiment? « Très bien, mais on respecte notre règle habituelle. Donnant donnant. » Un air de défi inonde ses prunelles, bien entendu elle fait référence au jour de l'an, une barrière a été cassée depuis ce soir là et le trop plein de boissons ne sert même plus d'excuse. Là où elle aurait fuit auparavant, elle affronte à présent. « Je suis partie d'abord en Angleterre puis j'ai eu l'opportunité d'intervenir avec un organisme humanitaire en Syrie. » Dis comme ça, ça semblait presque facile, mais c'est en plein chaos qu'elle s'était retrouvée plongée. « Et toi, c'est quoi tes trucs drôles? » lui demanda-t-elle une moue interrogative sur ses traits.

Le conseil de Zoïa m’arracha un nouveau sourire. « T’as le nom d’un chaman à me suggérer peut être ? » demandai-je alors avec ironie. Parce que venant de l’une des plus brillantes étudiantes de ma promo, cette recommandation sonnait comme une plaisanterie. La médecine et la science avant la sorcellerie et ce genre de choses. Même si je respectais les croyances de chacun… Zoïa sembla ensuite s’inquiéter pour moi, chose étonnante. Je lui expliquais alors de manière évasive que je n’avais pas du faire face qu’à des trucs marrants durant son absence. Sa remarque avait beau sonner comme une provocation, je ne pus m’empêcher de penser qu’elle avait en partie vu juste. Peut être que les piques et réflexions piquantes, mais bien souvent pertinentes, de la jeune femme auraient été un vrai tremplin pour moi, il y a quelques mois de cela, lorsque j’avais l’impression de toucher le fond. Mais elle était partie, sans un mot, sans une explication. Elle ne m'en devait aucune, après tout nous n’étions même pas à proprement parler des amis. Pourtant, cette disparition avait provoqué en moi un certain sentiment de frustration. Bien sur, plutôt mourir que de le reconnaître devant elle… «On ne change pas les bonnes habitudes. » acquiesçai-je ensuite à sa seconde remarque. Donnant, donnant. Pas besoin d’être plus explicite, je sus aussitôt ce à quoi elle faisait alors référence. Le nouvel-an. Cette fameuse soirée où notre relation avait pris un tournant inqualifiable… Zoïa m’expliqua alors qu’après un passage en Angleterre elle était partie en mission humanitaire en Syrie. Je la savais déjà talentueuse, studieuse, déterminée et derrière ses airs individualistes de miss parfaite intouchable, j’avais souvent soupçonné que se cachait une vraie âme charitable. Après tout, on ne se lance pas dans la médecine, même légale, sans un minimum de bienfaisance, mais de là à constater ses élans altruistes, cela me laissait épaté. « Fais gaffe je vais vouloir te recruter dans le club de voyages humanitaires… » annonçai-je alors avant d’enchainer naturellement avec des questions sur ce voyage. « Et comment c’était là bas ? Pas trop dur ? » C’était le genre d’expérience qui pouvait vous grandir mais qui pouvait tout aussi bien vous ronger de l’intérieur, d’où une pointe d’inquiétude dans ma voix. Mais Zoïa me rappela à l’ordre avec sa question… Donnant, donnant. Je lui devais d’abord une réponse avant de pouvoir poursuivre mon interrogatoire. «Les trucs drôles ? » repris-je donc en réfléchissant. A vrai dire, ça avait été plutôt un enchainement de galères ces derniers temps… Je ne trouvais rien d’autre à répondre que ça : « Bah le truc sympa c’est que grâce à ton absence aux partiels, je suis assuré d’être major de promo cette année. » la narguai-je sur un ton fier .

Les prunelles métalliques s'accrochent aux traits altruistes du Dunster. Zoïa est femme de sarcasme et elle aime l'utiliser régulièrement. « Je consulterai mon feu de cheminée et je te donnerai une adresse. » rétorque-t-elle comme si elle s'apprêtait à chercher réellement dans un répertoire de contacts.  Elle avait fait aveu en partie des occupations durant son absence, prenant soin de ne pas révéler le motif de son retour, Priape le découvrirait en temps voulu si il se montrait curieux puisque son Sang, sa moitié intégrerait la Dunster avec elle à la rentrée. L'Incendiaire se contente de hausser les épaules à sa suggestion de club humanitaire. « Et me retrouver avec des fleurs dans les cheveux à chanter des ballades romantiques autour d'un feu de camp en pensant sauver le monde? Non merci. » Comment dire, Zoïa aime les stéréotypes... disons que surtout elle s'attache à évoluer en marge de toute forme de groupe. S'intégrer à une confrérie est déjà pour elle le maximum. Ses doigts agiles parcourent ses pommettes sinueuses tandis qu'il lui demande un retour de son expérience en Syrie. Elle ne s'était pas tellement liée avec les personnes de sa cellule, mais elle avait été appréciée pour ses qualités de soignante et surtout d'embaumeuse. Personne ne voulait se coltiner le sale travail de la préparation des corps et cela ne la dérangeait pas, bien au contraire. C'était un instant où elle était paisible. Les morts ne posent pas de questions, ils sont toujours inexorablement morts et donc maîtrisables. « Si un peu, mais j'aime travailler dans le chaos. Rien n'est jamais pareil, tout est toujours imprévu. » Néanmoins, cette expérience avait réussi à ébranler la forteresse que représentait Zoïa. Ses pupilles délavées rencontrent celles amicales de son camarade, comme si furtivement, il pouvait en lire le trouble avant qu'elles ne redeviennent indéchiffrables. « Je n'y passerai pas ma vie ceci dit. » avoua-t-elle un mince sourire aux lèvres. Quoi qu'on dise, les bonnes causes avaient besoin de Sang-froid comme elle. Les grands Altruistes sont parfois atteints de sensiblerie, de contagion émotionnelle rangées derrière des notions d'empathie, mais il fallait aussi des personnalités froides et rudes, réputées hautaines et insensibles, parce que ces personnes encaissent et avancent, et surtout s'appliquent à ne pas ressentir. Un nouveau sourire s'accroche à ses lèvres tandis que Priape lui fait part d'un point positif. Sa main tapote l'épaule du Dunster comme pour le ramener à la raison. « Mais non gros bêta, je te parlais des ennuis qui te donnent ta mine actuelle. » Les trucs drôles, elle avait simplement repris ses propres mots. Elle enlève sa main de la silhouette rivale, son menton imperceptiblement relevé. « Mais bon, tu peux te consoler de me surpasser cette année, j'ai effectivement beaucoup de retard à rattraper. C'est un miracle si je valide mon année. » avoue-t-elle réaliste. Mais Zoïa est capable de l'impossible, il ne faut pas la sous-estimer.

La réponse de Zoïa quant à ma suggestion de nous rejoindre au sein du club huma fit apparaître un nouveau sourire amusé au coin de mes lèvres, m’imaginant moi même déguisé en hippie au milieu des autres étudiants membres. «Tu sais pas ce que tu rates.. Et puis une petite pâquerette parmi tes cheveux roux, ça t’irait à ravir… » me moquai-je sur le même ton sarcastique qu’elle avait elle même utilisé. L’entendre parler de son expérience en Syrie me toucha néanmoins, imaginant difficilement le chaos auquel elle avait du effectivement être confrontrée. Je savais Zoïa forte, mais je n’avais pu m’empêcher de m’inquiéter un peu pour elle, après une telle expérience certains rentraient traumatisés… Ma rivale, elle, semblait avoir résisté. « Tu as eu des cas… difficiles ? » demandai-je prudemment, en captant un instant une lueur inhabituelle dans son regard. Je voulais l’encourager à se confier, à vider son sac sur les horreurs qu’elle avait pu voir, conscient que parfois en parler était aussi une sorte d'exutoire. Mais ce fut ensuite à mon tour de subir les interrogations de la jeune femme. Répondant d’abord avec humour sur les points positifs que je retenais de ces derniers mois, elle me corrigea aussitôt, voulant en savoir plus sur les évènements qui étaient responsables de ma mine défaite… « Qu’est-ce qu’elle a ma mine ? » répondis-je sur un ton un peu bourru. J’imaginais très bien qu’après tout ce que Zoïa avait du traverser lors de son séjour en Syrie, les petits aléas de ma vie pourraient lui paraître bien insignifiants. « J’ai pas envie de t’ennuyer avec mes bricoles… » fis-je sur un ton détaché, espérant ainsi clore le sujet des lamentations… Et je profitais ensuite de l’aveu de mon interlocutrice pour poursuivre sur le thème des cours : « Tu peux toujours t’aider de mes notes. » proposai-je. Même si cela ne remplaçait pas les cours à proprement parler, les annotations que j’avais pu prendre lors des conférences pourraient toujours compléter les schémas et polys qu’elle avait du se procurer auprès de nos professeurs. « …Enfin si tu arrives à les relire… » ajoutai-je en bon critique, lucide sur la qualité de mon écriture. Soudain, une pensée me traversa l’esprit : si Zoïa avait tant de retard, elle avait surement prévu de passer l’été à le rattraper et cela signifiait surement qu’elle allait rester tout l'été ici à Cambridge. Je venais juste de la retrouver, bizarrement l’idée de passer de nouveau deux mois loin de son regard perçant et de ses petites remarques mordantes me décevait, et je ne pus m’empêcher de lui demander : « Tu pars quand même au summer camp ? »

Comme cela lui est étrange de discuter ici avec Priape comme si de rien n’était, comme si ils ne détestaient pas surtout. Parce que force est de constater qu’elle ne déteste plus celui qu’elle peut qualifier de « meilleur ennemi », non, il est désormais bien plus que ça. Il ne fallait pas croire néanmoins qu’il ne l’agaçait pas par moments, mais sa mine défaite la rassurait sur de possibles failles chez le Dunster, et elle aimait mieux ça que ce côté de perfection lisse qu’il pouvait parfois incarner. « J’ai bien vu ce que ça donnait les gentils héros sauveurs d’humanité en Syrie justement. » Ses pupilles rencontrent celles plus sombres du Dunster. Des situations difficiles, c’est un faible mot, les débris d’histoires explosées sont trop nombreuses pour en constituer un morceau. Dans ces situations, tout passe tellement vite, tout s’enchaîne, qu’il ne vous reste parfois qu’une sensation de vertige, puis d’épuisement. « Nous sommes tous des êtres faits de chair, de sang, et d’eau. Nous sommes aussi forts que nous sommes faibles. Les courageux peuvent se montrer lâches et les trouillards peuvent faire preuve de force. C’est là la règle, il n’y en a pas. » Voilà ce qu’elle retenait de son expérience en Syrie, sa première dans l’humanitaire, mais au final sans doute pas la dernière. « Tu es parti souvent toi ? » lui demande-t-elle puisque son adhésion au club sous-entend qu’il a une certaine expérience dans le domaine, elle est curieuse d’en partager quelques ressorts avec lui. « Et bien hormis le fait que tu as des cernes jusqu’au menton et un teint blafard, je dirai que ta mine est celle d’un Zacharias. » lui lance-t-elle narquoise. Priape ne souhaite pas parler de ses problèmes et c’est compréhensible, ils ne se sont jamais vraiment confiés l’un à l’autre, alors se révéler n’est pas chose facile. Une pensée la traverse. « J’espère en tout cas que ta copine blonde parfaite va bien. » Même si elle avait une vraie tête à claques selon elle, va savoir pourquoi. Elle semblait importante à l’équilibre du Dunster. Celui-ci lui proposait d’ailleurs l’aide de ses notes pour réviser, mais l’orgueil de la Rousse lui criait de ne pas s’abaisser à ça. En même temps, comment faire autrement ? C’était encore un peu tendu avec Joshua alors elle n’osait pas vraiment lui demander de l’aide. Elle ne voulait surtout pas qu’il ait l’impression d’être utilisée. « Je peine à te relire Zacharias. Mais si tu pouvais me laisser tes coordonnées que je puisse te contacter au cas où je galère sur une notion. » De toute façon, il réussira mieux qu’elle cette année, alors quitte à être perdante… Autant essayer de ne pas se rétamer complètement. « Ils m’ont accordé le droit de me présenter aux examens de rattrapage de fin juin, mais c’est ma seule chance de ne pas redoubler. » avoue-t-elle fataliste. « Donc oui, j’irai quand même au Summer Camp. » Un sourire furtif éclaire ses traits, l’Incendiaire tentant de masquer le stress de l’échéance s’intéresse tout à coup à Priape. « Dois-je comprendre que tu y seras ? » Un rictus s’accroche au coin de ses lèvres. Quelque chose lui dit que ce n’est que le début des retrouvailles.

Je pouvais simplement imaginer ce que la jeune femme avait eu à traverser là bas, les difficultés auxquelles elle avait du faire face, et l’élan de sympathie mêlé à de l’admiration sincère que je ressentais depuis qu’elle avait commencé à m’en parler ne cessait de croitre. Mais d’un autre côté, l’inquiétude se peignait également sur mon visage : je savais combien ce genre d’expérience pouvait bouleverser. Je me rappelais très bien de l’état dans lequel j’avais parfois retrouvé mon frère Artémis après ses interventions armées dans des pays ravagés par le conflit… Zoïa me ramena au moment présent, me tirant de mes souvenirs, en m’interrogeant sur ma propre expérience à l’étranger. « Je suis parti deux fois avec le club. En Afrique principalement mais plus sur des missions de développement, d’échange, que dans un optique humanitaire pure, et jamais pendant des phases de conflits. » Trop d’insécurités. Les pays en pleine guerre armée étaient aussitôt rayés de la liste de nos destinations éventuelles, malgré les besoins immenses de la population locale. J’avais néanmoins aimé ne pas tomber dans les stéréotypes et ne pas endosser le rôle du super héros venu de l’occident apportant avec lui ses richesses et son savoir, mais plutôt baser mon expérience sur l’échange de savoir et l’entraide mutuelle. Car nous avions nous aussi beaucoup à apprendre de ces pays. La réflexion que Zoïa me fit ensuite sur mon teint m’amusa. Si je n’avais pas récolté quelques remarques narquoises de la part de ma rivale, cela m’aurait presque déçu, ce fut donc avec un sourire que j’accueillis sa réponse. Sourire qui s’effaça néanmoins très vite, dès que Zoïa évoqua Caly. « EX copine. » corrigeai-je sur un ton un peu brusque. Je m’étais aussitôt rembruni, comme à chaque fois qu’il était question d’évoquer notre séparation. « Et j’espère moi aussi qu’elle va bien. » Une réponse qui exprimait suffisamment clairement où notre relation en était rendue, c’est à dire le néant total, surtout depuis qu’elle était partie en Russie. Et puis je sautais ensuite sur le changement de sujet salvateur qui s’offrait à moi : les cours. Je proposais même mes notes à la jeune femme. Au fond de moi, je voulais que ma rivale reste au niveau. Notre petite compétition m’avait plutôt manqué ces derniers mois. J’attrapai alors un bout de papier dans ma poche et griffonnai mon numéro de téléphone dessus avant de le lui tendre. « Essaie de pas redoubler, je sais pas qui ils vont me coller comme binôme sinon... Je pourrais bien tomber sur un étudiant pire que toi… » lançai-je avec ironie pour masquer ma véritable crainte de la voir quitter ma promo. « On sait ce qu’on perd mais on ne sait pas ce que l’on retrouve. » Je lui avais ensuite demandé si elle serait au summer camp cet été, question à laquelle elle répondit à l’affirmative avant de me la retourner. « Et oui j’y serais aussi. » répondis-je simplement avec un petit sourire. « Faut que je ramène quelques trucs à la bibliothèque avant qu’elle ne ferme. » fis-je en désignant la porte du dit endroit, située un peu plus loin au bout du couloir. « Je te laisse, on se verra cet été surement. » fis-je en m’éloignant avant de me tourner une dernière fois vers elle et lui souhaiter : « Merde pour le rattrapage fin juin ! »