JOSHUA HAYNES ► John O'Callaghan.

Franchement, on s’en fout de savoir des trucs sur mon enfance, je veux dire… Comment vous dire sans vous démoraliser que je suis né dans une famille aisée, sans frères et sœurs casse pieds et qu’aucun mélodrame n’est survenu dans ma vie, que je n’ai pas vécu de traumatisme quand j’étais enfant et qu’aucun de mes parents n’est mort poignardé, ou n’est alcoolique et violent? Je sais bien que c’est totalement le genre d’histoire que les gens adorent entendre, parce que c’est tellement plus palpitant d’écouter un type qui revient de loin, qui s‘est toujours démerdé pour s‘en sortir dans la vie, plutôt qu’un petit bourge d’anglais à la con qui a ses deux parents, une grande maison et il faut définitivement se l’avouer, un physique de rêve.

…Non, j’rigole.

Enfin, c’était vrai pour la partie famille. Sinon… J’étais… J’étais vraiment moche, quand j’étais petit. J’étais sec comme une allumette, j’avais un appareil dentaire, je portais des pulls à col roulé et je remontais mes pantalons jusqu’à la taille. On voyait mes chaussettes et j’avais des chaussures à scratch. Sérieusement, qui ça intéresse de savoir que mes parents n’ont jamais acheté mes photos de classe, que j’ai jamais eu d’amoureuse avant de rentrer au lycée, que j’étais quasiment une tête d’ampoule et que j’étais le seul garçon dans une classe de fille parce que j’avais choisis la filière Littéraire alors que tout mes potes s’étaient orientés en scientifique. C’est une partie de ma vie que j’aime mieux ne pas raconter, quoi qu’elle ne soit pas si terrible que ça. Mais ça intéresse personne, quoi. J’ai jamais vraiment été malheureux. Bon, c’est sur que je n’avais pas tout ce que je voulais et mes parents me privaient parfois de sortie, mais j’ai relativement bien vécu mon enfance, puis mon adolescence. Rien de palpitant.

Ma vie a commencé le jour où j’ai quitté le comté de Surrey pour partir à l’aventure, avec mon compte en banque plein (merci papa, maman) et mon baluchon. J’ai passé le plus clair de mon temps en France. Surtout à Paris, puis sur la Côte. Ensuite j’ai fais le tour de l’Europe, je suis allé en Australie, en Afrique du Nord et même en Alaska. Ça m’a prit huit ans de ma vie. Évidemment, je rentrais souvent chez moi pour retrouver ma meilleure amie que j’ai laissé à Weybridge, mais surtout mes parents ainsi que le reste de ma famille, dispatché à Londres, Newcastle et Liverpool. Je n’ai fais que bouger, ce qui m’a rendu un peu sauvage comme garçon, un gros nomade. Et après avoir passé une semaine en Chine, j’ai décidé de décoller pour l’Amérique avant de reprendre mes études, comme je l’avais prévu depuis le début, afin d’obtenir une licence, un master et enseigner ma langue natale en France. Parce que ouais, j’ai envie de faire professeur dans ma vie. Le grand malade.

Ma vie est un sacré gros bordel. Je me rends compte à quel point tout est effroyablement éphémère. Après avoir quitté ma ville de naissance dans laquelle j’ai vécu dix neuf longues et pénibles années à m’ennuyer comme un rat mort, tout ce qui a pu entrer ou constituer ma vie n’a pas duré plus de trois mois. Mis à part mon iPod, qui me suit depuis mon dix septième anniversaire. God bless. C’est une relique ce truc. Il est gris, il s’appelle Capsule - parce que j’arrive à décapsuler les bières avec - et c’est la grosse constante de ma vie de globe-trotter.

Donc à tout mes téléphones perdus dans la nature, tombé dans l‘eau, volés, mangé par des crocodiles ; mon argent dépensé, gaspillé, volé, ayant servi de papier toilette ; mes habitats pouraves, luxueux, pas cher, partagés, qui n‘étaient autre que des abris bus ; mes copines avec des caractéristiques toutes plus étranges les unes que les autres mais que je ne donne pas pour ne pas faire trop misogyne et gigolo… Je n’ai pas réussi à vous garder plus de trois mois, pardon.

Et malheureusement pour moi, ce n’est pas une fille que j’ai pu gardé le plus longtemps dans ma vie, mais bien un cellulaire. Voilà, ma vie amoureuse est un gros fail. Depuis que j’ai lu L’amour Dure Trois Ans de Frédéric Beigbeder, je suis un gros sceptique en amour, mais j’ai quand même peur que ça m’tombe dessus.

Le jour où j’ai quitté l’Angleterre pour l’Amérique, c’était un vendredi 13 et aussi étonnant que cela puisse paraitre, mon avion était quasiment vide. Drôle. Disons que l’idée de partir pour l’Amérique m’avait déjà frôlé l’esprit, c’est pourquoi j’ai décidé de harceler des tas d’écoles dans tout les States. Mon grand délire : L’université d’Arts à San Francisco. Ça, c’était ce que je voulais. Enfin, c’était avant de recevoir un courrier de Harvard pour me dire qu’ils me prenaient dans leur petit personnel. Harvard. L’élite. La vie. Au début c’était bizarre parce que je pensais me retrouver au milieu de tout un tas de snobinards qui mangent des gâteaux secs en riant comme si le balais qu’ils avaient dans le cul les faisaient souffrir. Mais en vérité, quand je suis arrivé, une bonne poignée d’étudiants sont venus me saluer en pensant que j’étais un nouveau. C’est vrai que d’être pion à vingt six ans alors que la plupart des étudiants peuvent avoir deux ans de plus que moi, c’est pas super crédible… Mais j’avais envie d’Amérique, j’avais Amérique. J’avais envie d’un poste dans une école, j’avais un poste dans une école et j’étais même pas technicien de surface, alors hein!

Voilà un mois que je me lève à l’aube, dans ma petite chambre d’internat côté Personnel. Un mois que je fais mon petit footing matinal jusqu’au café dans lequel je déjeune qui se trouve assez loin de l’école, avant de rentrer, prendre une douche et commencer à bosser. Un mois que j’appelle ma meilleure amie depuis le téléphone du bureau, un mois que je sympathise avec des étudiants, que je découvre peu à peu la ville et voilà un putain d’mois que je me dis qu’en mai, tout ceci sera bel et bien fini. Retour au bercail. Études à Londres. Fin d’mes aventures. Quelle belle fin, n’empêche. Et je ne suis pas au bout de mes surprises dans cette Université.