(+ Lavender) Strange technology... ~ FB

Que foutait-elle là au juste, mystère et balle de golf. Sans doute Elisandra avait-elle envie de se sentir plus instruite en se rendant à une exposition d’un peintre en vogue, quittant ainsi la morosité actuelle de sa vie tout en sachant qu’ici, au moins, personne ne viendrait l’emmerder avec les nouvelles technologies. Pas d’ordinateur qui tienne, pas de machin plat tactile, pas de plan interactif auquel la blondinette ne panait jamais que dalle… juste de l’art dans toute sa splendeur. Elie sentait son angoisse s’amoindrir en ces lieux, et son assurance revenir même au galop… du moins jusqu’à ce qu’elle n’entende une sorte de vibration désagréable provenant du sac d’une jolie demoiselle à côté d’elle, qui se mit subitement à parler dans un machin électronique accroché à son oreille. « Bordel il y a quelqu’un là dedans ?! Mais il est minuscule le truc !! Pis votre portable il bouge tout seul… c’est concept. » L’inconnue allait la prendre pour une tarée, c’était l’évidence même, mais tant pis. Elie n’avait pas pu retenir sa langue…

Même si chaque exposition avait l'art et la manière d'ouvrir le bal en retard, Lavender était arrivée dix bonnes minutes en avance et avait attendu avec impatience que les portes de la grande galerie s'ouvrent. Pour une fois qu'une exposition gratuite avait lieu à proximité de la faculté, elle avait décidé de faire un crochet et de se laisser emporter par les différentes ambiances dépeintes sur de grandes toiles. Des peintres de la région mais également de contrées plus lointaines, de quoi laisser songeur et donner des envies d'évasion. L'étudiante déambulait avec ses ballerines au pied aux côtés des costumes chics et tailleurs, cet univers était loin d'être le sien...Elle s'arrêta quelques instants devant une toile des plus originales, des dizaines de teintes différentes avaient été utilisées pour peindre une scène de tous les jours. Son téléphone vibra dans sa poche, avec un oeil vers l'écran de son téléphone rangé dans la poche de son blouson, elle aperçut le nom de l'appelant : Casey. Elle se mordit la lèvre discrètement et attendit quelques secondes avant de se décider enfin à prendre l'appel. A peine le temps de répondre qu'une sonnerie annonça la fin de la conversation. Avec un air effaré, Lavender se tourna vers une jeune femme blonde qui était à ses côtés depuis quelques minutes et observait son téléphone comme s'il s'agissait d'un objet du diable.
- C'est le principe du kit main-libre, précisa Lavender avec un sourire. Et le vibreur permet d'être averti des messages sans entendre 36 fois la même sonnerie.

Pour être un objet du diable, le smartphone en était un pour Elisandra. Elle n’y comprenait strictement rien et la folie du tactile lui échappait bien au-delà des mots… de quoi la décontenancer devant cette parfaite inconnue qui risquait de la prendre pour une folle échapper d’un asile dans très peu de temps… « Ah je vois » murmura-t-elle. En vérité, Elie ne voyait absolument pas de quoi parlait la demoiselle et cela pouvait aisément se lire sur son visage. L’incompréhension marquait autant ses traits de porcelaine que le fond de son regard, alors que la blondinette ne la lâchait pas des yeux. « Et ça existe depuis longtemps le kit machin chouette ? » demanda-t-elle, s’intéressant à ce qui avait été manifestement inventé durant la période de son coma. Elie ne félicitait pas Hippo pour ne pas l’avoir tenue au courant d’avancées aussi élémentaires car maintenant qu’elle y regardait de plus près, la majeure partie des convives semblaient en posséder… « N’empêche, il bouge tout seul votre téléphone, c’est balèze ! »

Lavender se serait attendue à voir le regard effrayé de la jeune femme au détour d'un couloir de la galerie, après avoir aperçu une toile sombre et torturée dans un recoin, mais il n'en était rien. L'inconnue ne semblait pas convaincue par ses explications et ne tarissait plus de questions à l'égard de la jeune brune. Les yeux dans le vague et le sourire pincé, Lavender aurait pu se demander si la demoiselle n'était pas en proie à des substances illicites ou à l'alcool, pourtant elle semblait tenir sans problème sur ses jambes et ses gestes ne trahissaient aucune hésitation. L'étudiante commençait malheureusement à en connaître un rayon sur le sujet de l'alcool et des dépendances; elle avait passé des mois à tenter de convaincre une de ses plus proches amies de se détacher de la drogue. Ce qui avait impliqué des réveils nocturnes pour aller la chercher en taxi et la récupérer alors qu'elle gisait sur le trottoir à moitié consciente, c'était également sans compter les appels de bon matin pour informer Lavender qu'elle était sur le point de replonger. Quel enfer ça devait être pour les personnes dépendantes.
- Le kit main-libre, précisa de nouveau l'étudiante. ça existe depuis un certain temps oui et c'est même très utile au quotidien. Elle se demandait si c'était le bon moment pour lui expliquer le fonctionnement de la chose...
- Vous n'avez pas de vibreur sur le vôtre ? C'est un mode classique maintenant.

« Ah oui, kit main libre » répéta Elisandra en essayant de se rentre cette foutue expression dans la tête, non sans être quasiment certaine que d’ici dix minutes, elle aurait déjà tout oublié. Non pas qu’elle ne soit pas passionnée par la chose, mais plutôt qu’il lui soit difficile de tout retenir d’un coup. Quatre ans de vie volée, cela fait une montagne d’évènements à rattraper, mine de rien. « Très utile pour ceux qui savent s’en servir, ouais sûrement » remarqua-t-elle avant de hausser les épaules tout en grimaçant. « J’ai un portable depuis… une semaine et je ne sais pas m’en servir, c’est l’angoisse. Je n’en n’aurais pas, je crois que ça reviendrait au même » reprit-elle d’un air mortellement sérieux, n’osant pas expliquer pourquoi cette acquisition était aussi récente. Elie craignait que cette parfaite inconnue se méprenne sur elle, la juge folle ou profondément inadaptée sociale… sûrement fut-ce pour cela qu’elle reprit aussitôt la parole : « je suis pas une folle échappée d’un asile, hein. »

Le regard de Lavender abandonna quelques instants les toiles qui l'entouraient et ne faisait même plus attention aux regards courroucés de certaines convives qui visiblement ne voyaient pas l'utilisation des téléphones portables d'un bon oeil. Il fallait dire que ce lieu "haut de gamme" ne s'y prêtait pas forcément. Lavender, loin de juger hâtivement, était pourtant étonnée de voir une jeune femme vêtue avec goût et certainement à grands frais, ne pas reconnaître un kit main-libre bon marché et un vibreur. Mais après tout, il existait encore certains réfractaires aux nouvelles technologies, et était-ce vraiment une mauvaise chose alors qu'il était prouvé scientifiquement que l'utilisation de ces engins était nocive pour la santé et l'activité cérébrale. La technologie rendait dépendant, c'était là le véritable danger.
- On s'y fait assez rapidement en fait, dit-elle en ouvrant la paume de sa main et exposant ainsi le kit main-libre au regard de la grande blonde. C'est un système de petit haut-parleur intégré dans une tige qui épouse la forme de l'oreille. C'est surtout utilisé pour éviter de décrocher son téléphone lorsqu'on est au volant. Malheureusement, de nombreux automobilistes n'avaient pas saisi cette nécessité et préféraient décrocher en plein milieu du périphérique. Une semaine ? C'est en effet un peu juste pour appréhender son téléphone. ça viendra avec le temps et en lisant la notice ou les conseils sur internet, ajouta l'étudiante. ça tombe bien, moi non plus, plaisanta Lavender.

Elisandra remercia la parfaite inconnue d’un regard lorsque cette dernière lui confia quelques instants son kit main libre en le mettant dans sa main. Ainsi, tout en écoutant ses propos, elle eut tout le loisir de le détailler en long, en large et en travers d’un air comme émerveillé. La norvégienne donnait l’impression d’avoir un cadeau ultra précieux entre les mains, reçut bien évidemment un matin de Noël… « On peut décrocher au volant ? Classe ! » s’exclama-t-elle, même si elle avait l’impression de débarquer ni plus ni moins d’une autre planète. Elie voulait rattraper ses quatre années de retard mais en quelques jours seulement… là aussi, cela faisait malheureusement un peu juste. « J’ai essayé de lire la notice mais c’était du charabia pour moi… puis internet, je sais pas m’en servir non plus, l’ordinateur n’est pas forcément mon meilleur pote » expliqua-t-elle en grimaçant légèrement pour mieux rendre son kit à la demoiselle. « Tant mieux si vous êtes pas une folle échappée d’asile, ça nous fait un point commun ! Vous vous appelez comment ? Moi c’est Elisandra, enchantée. »

Le technologie avait envahies la vie des citoyens en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire. Pour la plupart, ils ne vivaient plus que par les SMS ou échanges sur Skype. Elle sentit sa gorge se serrer en pensant à Casey qui avait tenté de la joindre. Elle espérait qu'il ne s'agissait pas d'une urgence médicale...C'était fou ce que permettait de faire le progrès, téléphoner à une autre personne, même séparés par des milliers de kilomètres, par des frontières et des océans. Il y avait du bon dans le fait de se savoir toujours lié au monde extérieur. L'inconnue étudiait le kit main-libre sous toutes ses coutures, au même titre qu'une ouvre d'art qu'elle aurait pu détailler ce soir, en plein milieu de la galerie.
- Oui, ça a été inventé dans ce but, pour éviter de lâcher le volant pour répondre à son téléphone. La conduite de son véhicule et la vie des passagers, valaient selon Lavender bien plus qu'un appel téléphonique qui pouvait toujours être reporté.
- Il y a beaucoup de termes techniques dans ces notices, pas facile de s'en sortir au début, plaisanta Lavender.
L'étudiante récupéra son kit main-libre et le fourra dans sa poche histoire de ne plus être dérangée par des appels.
- Par curiosité, c'est votre premier téléphone, c'est ça ? Comment fait-on, aujourd'hui pour s'organiser sans ? demanda Lavender avec une réelle curiosité. Moi, c'est Lavender. Vous voulez faire le tour de l'exposition ? proposa la brunette.

Pour l’heure, Elisandra n’était pas encore autorisée à conduire, pas alors que sa rééducation avait juste pris fin et qu’elle peinait encore à serrer quelque chose dans ses mains sans que ces dernières ne se mettent à trembler violemment. Foutue agression lui donnant l’impression que sa vie lui avait été volée ! « En même temps c’est pas le summum de l’intelligence de répondre au téléphone tout court au volant » avoua-t-elle même si Elie n’avait jamais été victime d’un accident de voiture à cause de ça. « Si vous saviez le nombre de termes techniques qui me donnent juste envie de brûler le manuel ! » éclata-t-elle de rire en se moquant bien d’être regardée comme une vulgaire bête curieuse. C’était devenu habituel depuis sa sortie de l’hôpital, car tous ceux la connaissant la jugeaient comme une revenante, voire même comme un fantôme. « Ça se voit que c’est mon premier téléphone hein ? Disons que j’ai pas mal de raisons d’être complètement paumée au milieu de toutes ces nouvelles technologies… le monde va trop vite pour moi je crois ! Enchantée Lavender, en tout cas. Vous accepteriez de faire le tour de l’expo avec moi, c’est vrai ? »

Son téléphone restait désormais inerte dans la poche de son manteau, si Casey n’insistait pas, c'était certainement parce qu'il n'y avait pas d'urgence. Elle sourit intérieurement en pensant qu'il avait peut être juste eu envie d'entendre sa voix, ça lui arrivait parfois de la prendre par surprise avec ce genre de phrases qui semblaient issues des films avec Kate Hudson. Lavender opina du chef :
- On est d'accord sur ce point, précisa l'étudiante. Après tout, le téléphone au volant, c'était aussi une question de mode. Les jeunes surtout étaient touchés par ce phénomène, ils se pensaient invincibles sur la route...Lavender en oubliait même qu'elle faisait partie de cette tranche d'âge ! Elle avait pourtant l'impression d'être si loin de ces considérations, comme si elle avait déjà payé le prix fort en perdant son père dix ans plus tôt. La vie était courte et elle le savait mieux que personne.
- Ou on peut aussi le ranger dans un coin, plaisanta Lavender. Disons qu'avec l'expérience, on a tous tendance à rédiger des sms en quelques secondes, question d'automatisme certainement. Alors on reconnait les habitués et les novices de cette manière. Il y a aussi les termes employés qui peuvent mettre sur la piste. Parler bluetooth, 3G, kit main-libre...est devenu inévitable, alors forcément, si l'on utilise "Bouton rouge" au lieu de "raccrocher"... pouffa gentiment l'étudiante.
Lavender reporta son attention sur les tableaux.
- Bien sûr ! Il y a plein de belles oeuvres exposées ici, mais je n'en connais malheureusement aucune...