« Je pense que mon plus grand rôle dans ma vie, c'est ma vie. » colbie, à un casting.
« Tu es belle, tu iras loin. » Lui avait-on souvent répété, comme si la beauté suffisait à sustenter la réussite. Toute son enfance avait été régie par les concours de Mini Miss, les défilés de mode, les shoots. À cinq ans, Colbie était même devenue l’égérie de Barbie malgré son brun qui l’opposait totalement à la poupée. Son père l’avait coaché, comme s’il comblait l’échec de son mariage avec une femme frigide en transformant sa fille en produit dérivé d’un mode de consommation purement américain. Il la marchandait d’une manière presque aussi malsaine que s’il avait vendu son corps à un grand magnat du pétrole. Elle était devenue le fantasme de toutes les gamines de son âge, chacune d’elles rêvait d’être un jour à la place de Colbie, cinglée par ces flashs. Son regard plaisait, attirait les photographes et autres publicitaires. Elle était devenue riche, presque millionnaire avant même d’avoir fêté son onzième anniversaire. Elle n’allait pas vraiment à l’école, elle suivait les cours par correspondance à l’aide de sa mère, stricte et intransigeante envers l’éducation de sa fillette. Mais elle disparut brutalement à la suite d'un accident de voiture. Ce fut un choc pour Colbie, pour son père. Ce dernier, ne cédant pas à son chagrin, se voua corps et âme à la célébrité de sa fille, comme une mission qu'il se devait de remplir. Ce fut sa cure, sa manière de faire son deuil. Il savait que s'il était resté chez lui à ne rien faire, à geindre au fond de son lit, il aurait fini par se tirer une balle. Alors, il s'occupa de Colbie, lui offrant une adolescence unique. Une gouvernante lui assura ses cours à domicile, tant pis pour le collège. Elle n'avait pas le temps pour ça. Les concours de beauté lui apporteraient tellement plus.
Tu es belle, tu iras loin. Peut-être le lui avait-on trop répété. C’est au détour d’un énième café, offert durant un énième service dans un énième Starbucks que Colbie allait décrocher le rôle qui lui offrirait gloire et célébrité. Elle nourrissait des rêves profonds de renommé et pensait que la main posée de son père sur sa carrière durant son enfance aurait suffi. Mais après avoir essuyé des dizaines de refus aux castings, elle avait perdu espoir, songeait presque à vendre son corps dans une ruelle sombre à deux pas d’un cadavre de chien écraser pour subvenir à ses besoins. Colbie allait souvent dans les extrêmes, car en réalité, elle avait suffisamment amassé d’argent durant son enfance pour avoir une vie paisible jusqu’à son repos éternel dans le cercueil. Elle l’avait son happy ending, elle n’avait qu’à le saisir. Mais parfois, tendre un bras se révélait plus dur que d’écarter les cuisses. Colbie était pathologiquement atteinte selon les psy qui l’avait examiné à la demande de son paternel ; elle devait alimenter cette quête de la reconnaissance, de la célébrité, de la gloire. Mais son mal-être était plus profond que ça, elle souffrait de dépendance affective. Mais jamais elle n'a été assez lucide pour s'en rendre compte par elle-même, vivant donc sa vie comme elle l'entend, s'enfonçant dans sa démence. Le psy, elle ne le voyait que pour faire plaisir à papa, rien d'autre. Revenons au café, revenons à ce fameux jour. Un producteur ambitieux, possédant déjà son émission, la remarqua ; son physique, sa manière de parler, son naturel, cet ensemble lui plut. Elle était parfaite. Il lui donna sa carte. Deux semaines après, Colbie débutait une émission à son nom.
« Ouais ouais, c'est ça, vas te faire foutre, vas bien te faire foutre et ne reviens plus jamais. Quoi ? Si reviens, je t'aime ! Reviens ! J'dois faire quoi pour que tu reviennes ? » colbie, en pleine rupture de contrat avec son producteur.
« Et nous voilà pour une nouvelle édition duuuuu Cooooolbie Show ! » cria l'animateur face à une foule en délire. Colbie apparut avec une robe ras-la-salle-de-jeu, comme à son habitude, sourire aux lèvres. Il fallait ce qu'il fallait pour faire grimper l'audimat et le producteur, le grand monsieur Sheffield, l'avait compris. Et Colbie se laissait faire, telle une poupée de chiffon. Sa vie était devenue un show, elle enflammait les plateaux-télé, défrayait les chronique, tout le monde la voulait, tout le monde la haïssait autant qu'il l'aimait. Il n'y avait pas une semaine sans qu'elle fasse la une des magazines-papier-toilette, pas une semaine sans que ses frasques soient pointées du doigt par les médias. Elle était célèbre, qu'on l'aime ou qu'on la déteste, on ne pouvait pas s'empêcher de parler d'elle. Puis comme disaient les kikoos de mon temps (raconte-moi une histoire Mère Castor) ;
'qu'on parle de moi en bien ou en mal, l'important c'est qu'on en parle, tssssk.' Ouais, l'air de rien, le
tssssk est super important ma gueule. Le Colbie Show était une émission sur Colbie. Je vous vois venir, c'était à peiiiiiiiine narcissique. Le concept était simple, les gags, les chroniques, les sujets, tout était tourné sur Colbie, cette espèce de greluche aux gros seins. Elle pensait qu'on s'intéressait à elle mais, en réalité, le Père Sheffield avait monté ce qui ressemblait surtout à un lynchage public sur elle. Mais elle aimait ça, elle avait toujours aimé qu'on s'intéresse à elle, qu'on la regarde, qu'on parle d'elle. C'était sa vie, sa personnalité, son tout. Et cette farce a duré un an. L'émission fut l'un des plus grands succès de la télé, du moins au début, puisque les téléspectateurs étaient friands de cette totale nouveauté. Puis, l'audience s'est écroulée et le compte en banque de Sheffield avec. L'émission n'a donc pas été reconduite, envoyant Colbie à la case Pôle Emploi. Vous imaginez une starlette de la télé pointer dans ce genre d'établissement, sérieusement ? Et bien pas elle. Après l'annonce de la fin de l'émission, elle passait ses journées à harceler son producteur, ses agents et le fils du producteur. Puis d'autres gens de pouvoir.
« On est entre nous hein, mais Colbie elle est un peu comme Mariane ; elle a beau être tirée par Robin des Bois, on ne peut pas dire que ce soit une flèche. » son producteur, lors d'une interview.
« Silas ! Il faut que tu parles à ton père, je t'en supplie, j'ai une idée ! » fit-elle en se mettant littéralement à genoux face au jeune homme, en pleine rue. Je vous préviens, Ô grands esprits pervers de la rpgosphère, il garda son pantalon. Pourtant, elle tira dessus, histoire d'ajouter un peu de mélodrame à la scène.
« J'ai une émission ! Tu vois les Kardashian, mes idoles, ma vie, mes stars ? Kim a les plus belles fesses du monde, OK. Mais tu sais quoi, elle n'a pas mes seins ! » Silas la dévisagea avec un petit sourire malin en coin. En effet il avait une vue plongeante sur les arguments de Colbie et il pouvait donc le confirmer. L'air innocent, il lâcha en levant les yeux au ciel ;
« Je dirais même que personne n'a tes seins. » Quel obsédé celui-là, heureusement que Colbie avait un très bon rapport avec sa poitrine, sinon elle lui aurait fichu ses griffes en plein dans ses yeux de mateur. Quoique … Non. Elle n'aurait pas pu, elle aimait trop qu'on parle d'elle pour ça.
« Voilà ! Je suis unique ! Je dois donc faire une émission sur moi ! » Narmol. Paris Hilton avait dû se dire la même chose. Un jour, Colbie finirait la biographie qu'elle avait commencé à écrire sur elle, largement inspirée de Wikipédia, je dois l'avouer.
« Je vais te produire. » lâcha soudainement Silas. Colbie fut assez surprise de l'avoir convaincu si vite mais tant mieux. Peut-être aurait-elle dû être avocate dans une autre vie, elle aurait été une teneur du barreau. Aujourd'hui aussi elle tenait régulièrement des barreaux, mais pas du même type. Et oui, il faut coucher pour réussir, vous croyez quoi. Elle se releva, réajusta sa robe et commença à déballer tout le florilège d'idée qu'elle avait dans sa tête ;
« Super. J'ai réfléchi au nom, j'pense qu'on devrait faire un jeu de mots, du style 'Colbie sa vie'. Tu vois, c'est subtil. Après j'ai pensé à Colbiatch, mais j'aimerais casser cette réputation de biatch, de meuf qui porte des strings. Mais j'vais continuer à en porter évidemment, mais juste faire croire aux gens que je me suis tournée vers le Petit Bateau ... » Silas la coupa net. Il semblait qu'il ne se rendait pas encore compte de ce dans quoi il s'engageait mais bon, il le découvrirait bien vite.
« Tu sais quoi Colbie ? Les décisions de producteur … Je m'en occupe. » Il valait mieux.
« Papa ! Papa ! J'ai signé un contrat ! » s'écria-t-elle en parcourant de fond en comble la villa, à la recherche de son papa. Oui, ils avaient une villa. Il faut dire que Papa Colbie avait largement eu les moyens, avec tout ce que sa fille avait gagné. Elle le trouva finalement au bord de la piscine, les yeux perdus dans l'eau bleue. Elle mit le fameux bout de papier sous les yeux du vieil homme, le visage candide. Mais lui, il semblait moins rire. Pourquoi ? Elle le sut bien vite.
« T'as vu ? Y a écrit Sheffield ! S-H-E-F-I-L-D-E. Euh … E-L-D-E … Bref. C'est le fils de … » -
« Ton producteur ? J'avais compris, merci. » Waw, il était aussi enjoué à cette idée qu'un cadavre à une bar mitzvah, STP. Colbie s'installa sur le transat voisin à son père et baissa la tête.
« Qu'est-ce qu'il y a ? Un de tes oiseaux est mort ? C'est pas grave papa. Il y a une mort après la vie. Ou une vie après la mort. Je pense que c'est plutôt ça la phrase. » finit-elle, pensive. Son père se redressa. Il était temps pour eux qu'ils aient la conversation, celle qu'ils auraient dû avoir avant qu'elle entre dans tout ce star-sytème. Certes, elle ne dégénérait pas autant que Justin Bieberon mais quand même, ses lacunes en matière d'éducation commençait à se voir et elle n'était plus aussi populaire qu'avant. Oh, on parlait encore beaucoup d'elle, mais vous voyez l'image qu'elle avait ? C'en était trop pour son père qui ne pouvait plus gérer sa fille. Il avait l'impression d'avoir engendré un monstre, de vivre un remake de Speed, d'avoir lancé une machine qu'il n'était pas foutu d'arrêter. Elle était le hamster dans sa roue et il était temps qu'elle en sorte.
« Je veux que tu fasses des études. De vraies études. Pas les cours que tu suis par correspondance. J'y ai déjà pensé et … Tu as un livret à la banque. Il est possible que tu rentres dans les plus grandes écoles, même avec ton dossier. Tu as du talent, tu es célèbre, tu vends du rêve, tu … Tu devrais essayer. Ce serait bon pour toi, pour tout, pour ton image, pour ta vie. » Il ne lui avoua pas mais aussi, il pensait qu'elle ne pourrait plus jamais vivre de la télé après tout ça. Il fallait donc qu'elle se trouve un vrai métier, quelque chose qui l'épanouirait d'une différente manière. C'est ainsi qu'elle est parvenue à entrer à Harvard, contre toute attente. Ses résultats n'étaient pas très faramineux au test d'entrée, mais elle disposait de bons pistons pour convaincre les recruteurs de la prendre. De plus, l'administration de Harvard avait trouvé une correspondance entre les cours qu'elle suivait à distance et ceux enseignés dans cette université, la permettant d'entrer en deuxième année d'office. Puis honnêtement, une star internationale, pourquoi Harvard n'en voudrait pas ? Il allait de soi que ses projets d'émission avançait. Avec Silas, ils projetaient de reprendre le Colbie Show, plus axé sur la télé-réalité, axé sur la vie de Colbie, un petit peu comme le Show des Kardashian. Narcissiques, eux ? Que nenni.