Tes petites joues étaient rougis par le feu de la cheminée, tes mains posées sur le rebord de la fenêtre, ta chevelure blonde accrochée en deux merveilleuses couettes, tu attendais. Tu attendais ton père, le fantôme, l'homme invisible. C'était le jour de ton anniversaire, comme ce n'était pas un jour comme les autres, tu souhaitais qu'il arrive. Tu voulais qu'il soit devant toi, te prenant dans ses bras, te disant que tout irait mieux à présent. Mais ce n'était pas le cas, ça ne sera d'ailleurs, jamais le cas. Alors tu t'es énervé, tu avais la haine. Tu étais si petite mais pourtant, tu avais déjà un esprit vengeur de cet homme qui fait preuve d'une trop grande absence dans ta vie. Puis ta petite-soeur, elle, elle avait son père. Mais pas toi. Ta maman n'avait aucune tact, un jour elle était venue, elle t'avait dit «
Écoute ma puce, Galino n'est pas ton père biologique. Je dois t'avouer qu'il est parti et il n'est jamais revenu. » Au moins, l'honnêteté était présente dans ta famille. Mais ton petit coeur d'enfant avait du mal à accepter cette vérité. Vérité trop lourde, trop pesante. Et cette soeur, cette soeur que tu haïssais tant, cette seule aux allures de perfections, tu la détestais plus que tout. A cette époque, elle avait l'attention de ta mère, de ton beau-père. Et toi, dans tout ça, tu étais qui Mélina ? Personne. La tâche sur le t-shirt, la miette de pain entre les dents, le bouton sur le visage.
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La danse contemporaine, ça a toujours été une passion depuis mon enfance. Sentir mon corps se courber, bouger, s'exprimer au son de la musique, c'est vrai que c'était magique. Mais je parle de tout ça au passé, la danse, c'est terminé. Dans mon groupe à l'époque, il y avait ce garçon. Raphaël, je me souviens encore. Il dansait merveilleusement bien, il aimait me regarder bouger, on adorait nous unir le temps d'une musique. Et puis on a commencé à se voir en dehors, deux adolescents, la même passion, les mêmes envies. Raphaël, le temps d'une nuit, ma première fois. Je ne regrette pas. J'avais quinze ans, il en avait dix-sept. Mais je l'ai cherché, Raphaël, je l'ai cherché. Mes allures de salopes, de déesses, fille parfaite, peur de rien qui profite de tout. Je l'aimais bien, on s'amusait bien. Pas de sentiments, je ne voulais pas, ça servait à rien. Puis il a commencé à m’emmener en soirée, c'est grâce à lui que je suis reine de la nuit. La nuit à Athènes, c'est grand, c'est fort. J'ai rigolé, j'ai bu, j'ai vomis, j'ai fumé, j'ai couché. Je m'amusais. Et le lendemain matin, je mentais, ma mère me croyait. Avec sa maladie, elle ne pouvait pas vraiment s'attarder sur sa petite-fille qui part à la dérive. La jeunesse, elle part, la jeunesse. Puis un jour, il est parti Raphaël, ouais, parti dans les bras de ma soeur. Qui l'aurez cru ? La sainte et le démon. Entre le bien et le mal, entre Athénaïs et Raphaël, qui a gagné ? Elle. Il a changé pour elle, par amour. Après tout, ma soeur lui a donné la seule chose que je n'ai jamais souhaité. L'amour, les sentiments et toutes ces conneries. Raphaël, tellement libre, tellement soumis. Je n'ai jamais compris les gens qui souhaitent depuis tout petit tomber amoureux, être en couple. Ça fait peur, ça nous prive. Et je le croisais en soirée, parfois, dans les bras d'une autre fille que ma soeur. Mais j'ai jamais rien fait, jamais rien dit, elle l'avait cherché. On ne les change pas ces hommes-là.
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Ta mère était atteinte d'une maladie incurable depuis maintenant quatre ans. Tu avais pris soin d'elle, tu t'étais occupée de la soigner, de la laver, de la coucher. Tu lui faisais à manger, tu lui lisais des livres. A côté de ça, tu travaillais dans tes études à Ahtènes, c'était difficile de suivre les cours avec la fatigue, mais tu y arrivais. Ta mère était fière de toi, malgré toutes les imprudences qu'elle avait commise, malgré l'imperfection même qui la définissait, tu l'aimais. Ton beau-père était parti à l'entente de la maladie, ce lâche. Un enfoiré, un salop. Le jour de son départ, tu l'avais insulté, tu l'avais frappé. De toute manière, c'était ce qu'il méritait. Puis ta sœur, elle, elle était partie avec lui. Tu lui avais craché au visage, ce qui coupa définitivement le lien que vous aviez. Des sœurs, allez dire ça à qui voulait bien l'entendre. Mais toi, tu étais restée et c'était tout ce qui importait. Puis un jour, elle avait cessé d'ouvrir les yeux. Un matin, les oiseaux chantaient, la lumière pénétrait la chambre et elle était allongée là, froide et inerte. Les larmes commençaient à couler sur tes joues dans un silence qui était bien plus effrayant que la mort.
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Harvard. Voilà mon objectif. Après le décès de ma mère, j'ai fait des multiples recherches sur mon père. Cet homme que je haïs plus que tout. Et lorsque je l'ai trouvé, aux États-Unis, j'ai senti un goût amer dans ma bouche, ce goût de vengeance. Et comment gâcher sa vie, à lui ? Maintenant que je suis seule, sans personne, il faut que je retrouve ses enfants. Ses chers et tendres enfants. J'ai envie de cracher sur eux, j'ai envie de les étrangler. Harvard. L'endroit où se trouvait Chrissy, la fille du milieu. Cela me permettrait de continuer mes études et de les atteindre, en douceur. Alors maintenant que j'ai repris la danse, maintenant que j'ai touché l'héritage de ma mère, maintenant que tout a changé et que rien ne m'attend à la maison, me voilà partie pour une nouvelle école, nouvelle université, nouvelle vie. Un changement, Mon changement.