Promenade nocturne

Au fur et à mesure que l'hiver laissait place au printemps, la chaleur commençait peu à peu à revenir à Cambridge. Bien sûr, il était toujours préférable de sortir avec un manteau, mais on pouvait limite s'en passer maintenant. Jimmy n'avait absolument rien de prévu en cette soirée et avait donc décidé de se balader un peu. D'habitude, il n'était pas vraiment le genre de gars à simplement prendre sa veste et à marcher dans la rue. Cependant ce soir il n'avait absolument envie de rien, même pas de se prélasser sur son canapé devant un bon film. Il avait bien envie de prendre l'air et de profiter un peu de la fraîcheur avant de se rendre à Punta Cana pour le Spring Break. Jimmy était canadien, alors il ne craignait vraiment pas le froid. Après avoir vécu les trois quarts de sa vie au Canada, je vous assure que Cambridge était assez chaud pour lui. Le jeune homme avait donc opté simplement pour une petite veste en cuir tandis qu'il sortit dans même prendre sa voiture. Il marcha alors dans son quartier résidentiel sans vraiment savoir où il allait. Après de longues minutes de marche, il arriva finalement près du petit parc d'Inman Square. Il le longea alors. Beaucoup de pensées traversaient son esprit sans qu'il ne s'attarde sur aucune d'entre elles.

Le patron m’avait laissé un soir de congé, ce qui m’avait surprise. A croire que malgré tous mes efforts pour être un minimum agréable avec les clients du bar, ma mauvaise humeur du moment arrivait à se frayer un chemin dans mon attitude. En soi, ce n’était pas plus mal, je pouvais au moins prendre l’air. J’avais failli contacter Swan pour aller me changer les idées à coup de tequila, mais finalement j’avais préféré rester seule. J’avais vu beaucoup trop de monde ces derniers jours, ce qui ne me ressemblait pas. J’étais plutôt du genre louve solitaire, qui ne s’embête pas avec une meute, ce qui me permettait de flâner à droite à gauche sans risquer de blesser qui que ce soit. Chose qui arrive plus vite qu’on ne le croie lorsqu’on se laisse embarquer dans un groupe. Les températures étant plutôt agréables, même le soir, je restai en robe, enfilant un veste légère avant de sortir, talons aux pieds. Je pouvais parcourir des kilomètres en talons sans souffrir tellement j’avais l’habitude d’en porter. Et il était déjà bien assez dur pour moi de ne pas en porter à l’université, je ne pouvais me retenir le soir venu. Je quittai donc la résidence des Lowell, les mains dans les poches, sans portable pour me déranger lors de mes errances nocturnes. Je souhaitais être seule, marchant sans réfléchir, l’esprit déconnecté de toute réalité. Jusqu’à ce que je croise une silhouette le long d’un parc. Silhouette qui m’était étrangement familière. Je levai les yeux vers le jeune homme qui arrivait en face de moi, reconnaissant ce jeune homme avec qui je m’étais laissée emporter dans le jeu de la séduction le temps d’une soirée. « Bonsoir, qu’est-ce qu’un jeune homme comme vous fait seul par une si belle soirée ? » Finalement, je n’étais pas contre un peu de compagnie…

La nuit était agréable, les premiers lampadaires s’allumaient... Et les rues étaient d’un calme incroyable. J’avais l’habitude de les voir bondées d’étudiants complètement ivre, sortant d’un bar pour se rendre en boîte de nuit ou autre endroit transpirant le vice et l’avarice. Cette ambiance si paisible avait un petit côté dérangeant, et pourtant je m’en accommodais sans problème. Au moins, nous ne risquions pas d’être dérangés par un quelconque soulard. Nous n’avions pas eu le temps de faire connaissance lors de notre première rencontre, mais la nuit nous offrait une seconde chance, que je ne laisserai certainement pas passer. Tant de nonchalance en une seule personne m’aurait agacée en tant normal. Mais il avait ce petit quelque chose en plus qui me poussait à rester calme et agréable. Je n’aurais pas su dire quoi, toujours est-il que de le voir en face de moi me mettait d’humeur joueuse. Surtout lorsque je voyais ce petit sourire en coin lui fendre le visage. Je ne pus m’empêcher de lui rendre son sourire avant de lui répondre. « Je ne sais pas, ce sont peut-être les apparences, mais vous avez plutôt l’air d’être de ceux qui ne crache pas sur le genre de soirées dont les étudiants raffolent... Mais après tout, je peux très bien me tromper, on ne se connait même pas... »

Il était tellement élégant que c’en était incroyable. Comment était-il possible qu’un américain ait autant de classe à la française ? Il avait forcément des origines européennes. Ou alors c’était un aliène. Au choix. Mais certainement pas un américain. Ou c’était l’exception qui confirmait la règle… Peu importe, j’étais sous son charme. En même temps, comment ne pas craquer devant un tel sourire ? Et son rire était encore plus ensorcelant. Et communicatif. « Effectivement, ça paraît plus logique de se tutoyer. On va dire que c’est à cause de la commande inhabituelle de la dernière fois. » Et surtout à cause du fait que l’on s’était rencontré dans le cadre du travail pour ma part. J’avais interdiction formelle de tutoyer les clients – mis à part ceux que je connaissais – et une fois que j’avais commencer à vouvoyer quelqu’un, je ne passais pas automatiquement au tutoiement, même avec des étudiants. Il me déstabilisa en me sortant ma biographie complète. Comment pouvait-il en savoir autant sur moi ? Je n’avais pas souvenir de lui avoir raconté ma vie lors de notre rencontre. Il avait sortit tout ça avec une telle assurance que j’en restais bouche bée. « Eh bien, je vois que tu t’es bien renseigné. Si ce n’est un petit détail : je n’étudie pas la littérature, mais l’archéologie. Sinon bravo, tout est correct. » Je laissais planer un sourire malicieux avant de reprendre. « Par contre, j’aimerais bien savoir à qui j’ai affaire, car je n’ai pas autant d’information à ton sujet. Au final, je ne sais même pas comment tu t’appelles ! »

Même lorsqu’il grimaçait, il arrivait à rester plus que charmant. Je ne savais pas comment il faisait ça. Il avait dû s’entraîner des heures devant son miroir, ce n’était pas possible autrement. Il fallait que je garde les pieds sur terre. Ce qui était assez difficile. La tentation de me laisser succomber était forte, j’avais tellement besoin de me laisser aller sans réfléchir depuis les derniers épisodes chaotiques de mon existences qu’il m’était dur de lui résister. Mais je n’allais pas lui faire ce plaisir de céder aussi facilement. Il devait avoir l’habitude d’avoir à peu près toutes les filles qu’il désirait, un peu de résistance ne lui ferais pas de mal. Et puis après tout, cela mettrait un peu de piment à la soirée, lui donnant une toute autre saveur. Je laissais échapper un rire à sa mention de Cindy. La blonde écervelée. Ce sobriquet lui allait à merveille. « Ah, cette chère Cindy… Je suis déjà étonnée qu’elle ait réussit à se rappeler de tout ça, et surtout qu’elle ne t’ait pas raconté n’importe quoi à mon sujet, vu comme elle te dévorait des yeux. » Elle en aurait volontiers fait son quatre heure, toute nymphomane qu’elle était. Mis à part qu’il se soit adressé à la poupée Barbie, j’étais flattée qu’il se soit renseigné sur moi.. J’avais donc toutes mes chances pour peu que je joue bien mes cartes. Mon sourire s’élargit subrepticement lorsqu’il m’annonça qu’il étudiait lui aussi à Harvard. « Ah bon ? Tu étudies en quoi ? Je ne me souviens pas de t’avoir déjà croisé sur le campus… » Et pour sûr, je m’en serais souvenu si j’avais croisé son joli minois auparavant.

Evidemment, il avait réussi malgré mes efforts à remarquer que je ne m’étais pas contenté de servir sa table, devançant la Bimbo à chacune de ses tentatives pour me coiffer au poteau. Je ne m’étais pas privé de me rincer l’œil tant que je le pouvais, essayant de rester discrète. J’aurais pu mettre ça sur le compte de mon travail, arguant une passion soudaine pour le service impeccable, mais ce n’aurait été que mensonges. « Admettons. Mais tu n’étais pas en reste non plus… » Il ne fallait pas oublier que lui aussi s’était fait plaisir, et que j’avais pu sentir son regard épouser quasiment le moindre de mes faits et gestes. Oui, nous avions passé la soirée à jouer au chat et à la souris, mais malheureusement, il était parti avant la fin de mon service, ne nous laissant pas la chance de donner suite à ce petit jeu, sans laisser le moindre numéro. Mais ce soir, nous avions l’occasion, de nous rattraper. Je n’avais rien de prévu, personne ne m’attendait, j’étais libre comme l’air. Administration et économie, effectivement, ça ne devait pas être très drôle tous les jours. Mais au moins cela expliquait pourquoi je ne l’avais jamais croisé auparavant, ses cours n’étant pas dans les mêmes bâtiments que les miens. Il soutenait mon regard sans ciller, ce qui était rare. « Non, pas vraiment. Je voulais juste prendre l’air. Et toi ? Tu n’es pas attendu quelque part ? »