New York, Madison Avenue
2002, 17 Août
La tête contre la fenêtre de la voiture, Noé observait la vue qu’il pouvait avoir de sa place sur la banquette arrière, histoire de voir à quoi ressemblait New York. D’après la douce voix de l’hôtesse de l’air avant de descendre de l’avion, il faisait une bonne trentaine de degré dehors, soit un peu plus chaud qu’à Paris en cette période de l'année
« Ca te plait ? Je suis toute excitée. On va avoir un tout nouvel appartement et, toi et ta sœur aurez Central Parc pour jouer aussi… et l’école n’est qu’à quinze minutes en vélo, ça te fera faire du sport et prendre le bon air new yorkais. » Sa bonne humeur ne faisait que d’exaspérer le jeune adolescent. Elle lui parlait encore comme s’il avait cinq ans et pourtant il mettait sa main à couper qu’il en avait quinze. Il ne voulait pas la faire tomber de son petit nuage en gâchant son bonheur, alors il se contenta de gémir un petit
« Ouais… » sans grande conviction, avant de soupirer lourdement. Il n'aimait pas beaucoup les changements. Surtout quand il était aussi grand qu'un déménagement. Pourtant voyager, c'est ce qu'il aimait le plus au monde. Et puis c'était New York ! Il y est né avant de s'installer à Paris. Il finirait bien par s'y faire, mais tant qu'il ne l'aura pas constater par lui-même il resterait sceptique. Ca fonctionnait comme ça avec Noé. La voiture se gara devant un gigantesque gratte-ciel et toute la petite famille descendirent du véhicule et firent face à leur nouveau chez eux.
New York, Central Parc
2003, 22 Mars
Le ballon passa dans la main de l'un, puis de l'autre, puis sur lui qui fonçait à toute vitesse à l'autre bout de terrain pour marquer le panier de la victoire. Que demander de plus ? Ah oui, un père qui s'intéresserait un minimum au match ne serait pas de refus. Parce que les mères, elles papotent et ne retiennent que les coups de sifflets, les bleus et les plaquages trop violents : n'oubliez pas vos protège-dents mes chéris. Oui, c'est probablement ce que sa mère ferait si elle était encore là aujourd'hui. Puis une voiture de sport coupée s'arrêta près du terrain, tout le monde tourna la tête évidemment. Noé, lui, souffle d'agacement : mais qu'est ce qu'il venait faire ici habillé comme un touriste ? De plus le match était terminé donc bon, c'était inutile d'utiliser de l'essence pour venir parader devant les potes.
« Où est ta soeur, Hunter ? » le petit garçon montra les gradins du doigt et but goulûment à la bouteille. Son père était bien le seul à l'appeler Hunter. Parce que ca fait plus masculin, plus viril et qu'il voulait un fils sportif qui sache taper dans le ballon et dont il serait fier de présenter à ses collègue.
« Je vous ramène à la maison, hop hop dans la voiture ! » Depuis ce jour où son père est venu le récupérer à l'entraînement, pas mal de choses ont évoluées : il est plus disponible, invite ses collègues à la maison pour bosser sur place et surtout ... maman a plus de temps pour elle. Bizarrement, Noé ne voyait pas cela d'un bon œil. Du haut de ses 11 piges, inscrit dans une école du secondaire dite "prestigieuse", il n’était pas con le p’tit mec. Parce que son père, il envoyait maman à l'autre bout du pays en cure Thalasso, et il invitait plein de collègues. Il y en avait une, elle revenait tous les jours. Ouais, c'était la seule de ses collègues femme qui revenait tous les jours. Bien vous vous doutez un peu de la nature des réunions entre le père et sa superbe collègue : ils sont sur une bonne affaire, c'est certain.
« Rose va rester ici le temps qu'on finisse le boulot, ça ne te dérange pas mon bichon ? Maman reviendra dans un peu moins d'une semaine. » Penché sur son bol de céréale, ça laisse une boule de miel dans le gosier comme annonce. Il aurait pu balancer franchement "foutez-vous de ma gueule, vous bosser au lit c'est ça ? Ou vous changez peut-être d'endroit ... je peux vous prêter ma chambre si vous voulez." il fit une grimace désapprobatrice et dévisagea la poupée décolorée que son père appelait "Une grande dame qui nous fera gagner du temps."
« Okay. » il passe à côté de la bonne femme et s'arrête en regardant le sol. Il fait un sourire mesquin et lance avec une pointe d'ironie dans sa voix enfantine.
« Faites pas de trop bruit ma chambre est juste au bout du couloir et ça me dérange vachement. » Boum. Malheureusement les deux grands dadets n'ont rien vu venir. Pour eux c'était qu'un pauvre gamin mais, les gamins ça comprend vite et puis, c'est pas toujours évident de se dire avoir une mère à l'autre bout du pays et que pendant ce temps, c'est cette collègue en or qui prend sa place, elle cuisine, elle pose ses chaussures sur le paillasson et disparaît jusqu'à ce que maman reparte. Il voulait pas briser le mariage, c'était juste qu’il n’aimait pas voir sa mère être aussi naïve et ne pas voir ce qui se tramait juste sous son nez.
New York, Aeroport JFK International
2009, 29 Juin
« Tu feras bien attention à toi mon chéri hein. » Noé s’arrêta dans la file derrière une bande d'autres jeunes qui semblait avoir son âge.
« Mais maman, tu me connais ! » « Oui je te connais. Et c'est bien pour ça que je m'inquiète. » Le jeune homme se mit à rire. Oui bon, il avait beau paraître comme un garçon calme, discipliné et responsable, parfois, il se comportait comme tous les autres jeunes de son âge. Casse-cou, intrépide, avide d'aventures. Sa mère se souviendrait toujours de la fois où il s'est introduit avec des amis dans son lycée la nuit pour y cacher des caméras dans le gymnase afin de piéger un camarade. Mais cette fois-ci, c'était du sérieux. Il partait pour l'Australie. L'Australie ! Il se sentait comme un fou là. Ce n'était pas faute d'avoir bosser comme un dingue durant le lycée si ce n'était que pour obtenir un stage sur la terre des kangourous. Lui qui aimait voyager, il était servi. Il rêvait de grandes choses. Devenir quelqu’un, exister, ne plus être traiter comme un moins que rien, qu’on le respecte. Pour ça, il n’y avait pas beaucoup de solution et il s’attendait déjà à mordre la poussière pour y arriver, mais il allait y arriver. En plus de ça, il venait d'apprendre son admission à Harvard. Harvard, les gars ! C'est officiel, il était définitivement lancé sur le chemin de la réussite et rien de nl'arrêtera. « Oh mon dieu, mon fils entre à Harvard !! » Sous le coup de l'émotion, la tête du jeune Noé se retrouve pris pour cible des baisers de sa mère. Bon, il ne voulait pas la chagriner à la tenir éloignée de lui, mais amusé par sa façon de lui montrer à quel point elle était contente pour lui, il la laissait faire. Mais pas trop longtemps non plus. « Bon maman, je dois y aller seul maintenant. » fit-il en riant, se décollant doucement des bras de sa mère.
« Est-ce que mon fils est en train de me dire qu'il veut que je parte ? » « Dis pas de bêtises... Allez, je reviens bientôt ! Et en un seul morceau promis ! »Cambridge, Appartement étudiant
2012, 04 Novembre
« et … » « et … elle m’a dit que j’étais un raté. » « C’est tout ? » « Elle m’a dit que j’étais un raté et qu’elle ne sait pas ce qui lui a pris de sortir avec moi. Quelque chose dans le style, j’ai pas retenu les détails. » Concentré sur les différents composants du téléphone qu'il était en train de réparer, les petits bémols de son ancienne relation avec sa désormais ex-copine ne le chagrinaient pas plus que ça, au grand désarroi de sa frangine. Oui, il doit probablement se demander quel taré d’esprit occupait le corps de Noé pour paraître si insensible à ça, mais elle le connaît assez bien pour savoir qu’il ne prenait pas les histoires de cœur à cœur justement. Faut dire qu'aucune de ses relations n'avait vraiment fonctionné et qu'à force, les ruptures n'étaient plus si douloureuses que ça. Ca avait toujours été le boulot, ses études et ses proches avant tout. Après une ou deux manip bien placées, une masse moelleuse mais violente le tire de sa bulle. « Bordel ! C’est quoi ton problème ? » Il lève les deux mains instantanément, l’air sévère sur le visage et pourtant il savait que cela ne lui ferait rien. Le temps qu’il observe de nouveau son bureau, il s'aperçoit que certains composants se retrouvent sur le sol. Il laisse retomber ses bras le long de son corps soupirant longuement, passant une main au passage sur son visage comme pour reprendre ses esprits après une longue séance de cinéma, acceptant au final la conversation puisqu’il n’avait plus de raison de ne pas l’écouter. Elle était parvenu à a manière de le faire décrocher de son occupation, comme toujours. Il sait très bien ce qu’elle veut entendre de lui, seulement les Feux de l’amour, ce n’était pas son truc à Noé. Bien sûr qu’il aimerait bien trouver le grand amour, seulement il faut que tout lui tombe dessus comme par magie, dans un plateau d’argent. Et bon, à vingt ans, ce n’était pas sa plus grande préoccupation, il a encore beaucoup d’année devant lui… et le monde à conquérir. Noé se pencha et rattrapa la coque du téléphone et le replaça sur l'engin avant de le tendre à sa sœur, bien trop curieuse à son goût. Un jour, elle aura les réponses à ses questions, il le savait. Rien ne la freinait quand elle voulait quelque chose, et ca fonctionnait un peu pareil pour lui. Ce n'est pas pour rien qu'ils sont jumeaux.
« Tiens, ça devrait fonctionner maintenant. Pas la peine de me remercier. Bon je te laisse, j'ai des filles à aller draguer. » lance-t-il en souriant. L'humour est souvent son exutoire. Voilà pourquoi il paraît si insaisissable aux yeux de son entourage, d'autant qu'il est intéressé par ce qui sort de l'ordinaire, par les énigmes, il prend plaisir à cultiver lui-même le mystère. Curieux et avide de savoir, ce qui n'est pas plus mal quand on sait qu'il veut percer dans le journalisme, il préfère écouter les autres qu'il juge plus intéressants que lui. Ou alors tout simplement parce qu'il n'aime pas parler de lui, être au centre de l'attention.