(+ Bambi) I'm not your father...

Je venais de finir une matinée de cours et le moins qu’on puisse dire, c’est que j’étais sur les rotules car je n’avais pas fermé l’œil de la nuit. Depuis cette connerie de peste, j’avais du mal à fermer les yeux sans faire d’affreux cauchemars et comme bien souvent, Anna était de garde ces derniers temps… Eh bien, je m’occupais comme je pouvais, m’endormant bien souvent à l’aube avant d’être réveillé par cette connerie de réveil. Au moins le fait de m’occuper de Moira me changeait les idées. J’adorais cette gosse, elle me faisait autant craquer que la mère. J’en souriais rien que d’y penser mais mon sourire se transforma en une moue perplexe devant la scène que je surpris devant les bureaux des professeurs. Je connaissais l’homme car c’était un de mes confrères archéologue mais la gamine… Sûrement sa fille si je comprenais bien le sens de leur discussion houleuse mais mon cœur de papa poule se brisa en voyant toute la tristesse sur le visage de la blondinette. « Ça va aller gamine ? » lui demandais-je une fois son père parti. Les mains dans les poches, j’attendais à ce qu’elle réagisse d’une manière ou d’une autre mais quel que soit sa réaction, je ferais en sorte de réagir de la bonne façon –du moins je ferais de mon mieux, la pédagogie n’étant pas mon fort.

« Quand je pense que tu passes tes nuits à te trémousser alors que tu t’es offert le luxe d’avoir un D à ton dernier TD ! J’ai honte de toi et crois-moi que ce soir, tu ne fermeras pas l’œil avant de m’avoir récité par cœur tout ce que tu as loupé dans ton examen ! » Son père avait levé la main sur elle, certes, avant de se raviser et de la laisser seule comme une couillonne dans ce couloir désert et froid. Désert ? Pas tout à fait : une voix masculine s’éleva bientôt dans l’atmosphère et autant dire que c’est un visage fermé comme une huître qui lui fit face. Bambi n’était définitivement pas d’humeur à recevoir les paroles bien pensantes d’un prof devant porter Moneypenny père au nu, comme tant d’autres avant lui. « Vous avez besoin de lunettes si vous pensez que je suis une gamine » fit-elle à la fois froidement et d’une voix presque brisée par la fatigue, la colère et l’abandon. Oui, Bambi baissait les bras pour une fois. « Je vais très bien je n’ai pas besoin de votre aide » fit-elle en cherchant à le contourner soigneusement car le jour où elle demanderait de l’aide à quelqu’un… non, ce jour n’était définitivement pas arrivé et tout ce qu’elle voulait, c’était s’enfermer dans un placard à balais quelconque afin de pleurer toutes les larmes de son corps en paix.

Je n’aimais pas les pères de ce genre. Certes, je n’étais pas non plus un modèle de droiture dans mon genre, encourageant bien souvent ma propre fille à faire autant de connerie que moi mais jamais au grand jamais, je n’avais été insensible à la détresse de mon enfant –même si elle m’en avait caché la majeure partie. Aussi, c’est naturellement que je m’approchais de sa fille une fois qu’elle fut seule dans le couloir. « Comparé à moi, tu seras toujours un mini-pouce alors autant t’y faire gamine, j’adore emmerder les gens » lâchais-je avec mon ton d’éternel nonchalant bien que mon regard était sincèrement inquiet pour elle. C’était tout moi, de toujours voler au secours de la veuve et de l’orpheline. Alors, presque instinctivement, je posais ma main sur son épaule pour la retenir lorsqu’elle passa à côté de moi. « C’est faux… Ecoute, si tu veux aller manger un morceau à la cafeteria, j’ai du temps de libre et puis, pas besoin de jouer la dure avec moi, je connais trop la chanson… On a jamais les parents qu’on mérite, c’est la vie… En fait, tu n’as pas le choix, j’ai envie de compagnie, tu es là, alors, c’est toi qui trinque et puis, y a pire comme compagnie. Tu as vu le beau gosse que je suis ? » ajoutais-je à son intention tout en lui faisant un clin d’œil. Si elle croyait que son ton froid ou mordant allait justement me refroidir… Loupé ! J’étais passé maitre dans l’Art d’apprivoiser les glaçons.

Si au départ, Bambi avait simplement haussé les épaules pour chercher à ne pas apporter plus de crédit aux paroles de son interlocuteur, dont elle ne se rappelait somme toute même pas du nom, elle s’arrêta nette lorsqu’il déposa une main contre son épaule. Merde, mais ils s’étaient donné le mot pour l’emmerder aujourd’hui ?! Il fallait croire… « Donc en fait j’ai pas le choix c’est ça ? » reprit-elle d’un ton plus glaçant encore, espérant de tout cœur qu’il se découragerait mais cela ne semblait pas être le genre de la maison, et son clin d’œil entendu le lui fit très rapidement comprendre. « C’est logique chez vous d’être prétentieux ? » Ne plus s’étonner de la raison pour laquelle Bambi s’entendait si bien avec Caleb. Mais là, c’était une autre histoire, elle n’envoyait pas paître à moitié un étudiant de sa génération mais un prof… quelqu’un pouvant lui nuire au moins autant que son père. « Écoutez, vous êtes sûrement très sympa comme prof et toutes vos étudiantes doivent vous manger dans la main mais moi, énervée comme je suis, c’est mon poing dans la gueule que vous risquez et je ne le contrôlerais pas. J’ai pas envie de vous avoir sur le poil et encore moins d’être renvoyée parce que vous m’aurez empêchée d’aller passer mes nerfs sur autre chose qu’un être humain. » Au moins, c’était dit.

« Nop pas le choix du tout ! » réitérais-je avec un grand sourire. Si elle pensais que je n’allais pas insister, elle se fichait le doigt dans l’œil jusqu’au coup même si, j’étais certain qu’elle devait en traumatiser plus d’un avec son ton glacial mais comment dire, j’étais vacciné voire totalement immunisé. Même la menace de l’émasculation ne me faisait plus rien alors…. Un coup de poings… Elle ne serait pas la première à m’en coller une –bien que d’ordinaire, les femmes se contentaient de me gifler. « Je suis pas prétentieux, je sais ce que je vaux, nuance très chère » m’amusais-je à lui répondre avant de soupirer et de secouer la tête. « Dis donc, va falloir apprendre à te détendre un peu de la culotte parce que c’est pas folichon. Ton père est un connard sans cœur et alors ? Tu n’es pas mariée à lui et fatalement, il y a un beau jour où tu vas voler de vos propres ailes et il s’en mordra les doigts… Et puis, pourquoi je te ferais renvoyer ? Ouais, va vraiment que tu apprennes à lâcher du lest donc restau ou cafet ? C’est que je commence à avoir faim et quand j’ai faim, je deviens grognon… Au pire, tape un bon coup dans le mur si ça peut te soulager mais je ne te lâcherai pas d’une semelle… Ma fille est la femme la plus bornée et elle a hérité de moi donc… restau ou cafet ?! Au fait, je m’appelle Samuel ! Tu devrais suivre mes cours d’archéologie, je suis bien plus passionnant que ton fossile de père » rigolais-je avant de la dépasser pour mieux me retourner par la suite. « Bon alors tu viens ? »

Bambi poussa un énième soupir face à la diatribe que lui envoyait le professeur dans les gencives même si c’était fait sans méchanceté aucune, avec de nombreux traits d’humour et qu’il était somme toute nettement plus agréable que son père ne le serait jamais. La blonde ne songeait même pas au physique car ce genre d’homme devait certainement être casé, voire même marié, et le fait qu’il ait une fille le lui confirma plus ou moins. « Je suis très détendue pour info ! Et vous ne seriez pas le premier à me prendre en bouc émissaire on va dire » fit-elle non sans une large dose d’ironie mais la vérité, c’est que Samuel la désarmait avec sa joie de vivre et la simplicité de ses réactions. Il semblait être une tête et pourtant, il était loin de se la prendre… « Bambi… » murmura-t-elle non sans s’attendre à LA réplique de l’année sur son prénom s’apparentant au jeune faon de Walt Disney. Il serait suffisamment culotté pour la faire. « Elle a quel âge votre fille ? Non parce que côté borné croyez-moi j’ai du niveau. Et si on pouvait quitter la fac franchement ce serait bien » avoua-t-elle tandis qu’elle le rattrapait en soupirant, ne sachant pas encore si c’était du lard ou du cochon. « J’suis pas douée pour l’archéologie. Enfin si mais je crois que ce n’est définitivement pas fait pour moi. »

Un bouc émissaire ? Grand dieu, ce n’était pas mon genre du tout. « Alors là, désolé gamine qui n’est pas une gamine mais j’ai toujours assumé mes conneries et puis, franchement, m’en prendre une par une étudiante, y a vraiment pas de quoi s’en vanter… Non non, au pire, je raconterai que tu mesurais six mètres de haut et trois de large, que tu étais tatouée… Tu serais en fait la réincarnation du Yeti croisé à Mike Tyson… Ce sera plus gratifiant et moins humiliant » rétorquais-je avec ma connerie habituelle tandis qu’elle m’apprenait enfin son prénom. « Bambi ? Original… Tes parents t’ont franchement pas aidé dans la vie quand même » la charriais-je en la toisant avec un immense sourire, sifflottant par la suite tandis que j’espérais vraiment qu’elle me suive. Ce serait dommage qu’elle reste toute seule dans son coin alors que je ne serais pas contre un peu de compagnie. « Ma fille ? Elle a vingt-quatre ans ouais je sais, je l’ai eu très jeune mais elle est magnifique, intelligente et bien élevée… Que demander de mieux ? Bah j’aurais bien aimé qu’elle entre dans un couvent pour qu’elle ne croise jamais d’hommes seulement nul n’est parfait » grimaçais-je de façon comique. « Ce n’est pas fait pour toi ou ton père t’en dégoute ? Allez viens, je connais un petit restau italien pas très loin d’ici ! » lui dis-je avant de reprendre « Et sinon, tu voudrais faire quoi toi ? »

Bambi eut un micro sourire à la réplique de Samuel car effectivement, s’il allait raconter qu’une étudiante bien plus jeune que lui avait réussi à lui rétamer la tête, sûrement son égo en prendrait-il un fameux coup dans les roustons. Mais cela ne l’empêcha pas de ne faire que hocher la tête en guise de première réponse, ne sachant pas encore de quelle façon elle pouvait bien jauger ce curieuse professeur… « J’aime bien mon prénom » répliqua-t-elle un tantinet plus froidement car sa mère avait choisi ce dernier et qu’il s’agissait, en plus d’un jeu de cartes très ancien, de la dernière chose lui restant d’elle. Par chance, justement, Samuel ne lui avait pas fait de remarque sur sa génitrice ! « Je dois comprendre qu’elle est en couple avec quelqu’un et que ça vous défrise ? » osa-t-elle demander non sans un brin de curiosité dans le fond de sa voix. Mine de rien, Bambi essayait de faire un effort. « En tout cas vous avez l’air d’aimer votre fille… et disons que mon père est doué pour rendre tout ce qu’il touche… désagréable. Ouais, c’est le mot ! Je suis pour le restaurant italien mais je ne suis pas certaine que vous soyez intéressé par ce qui moi m’intéresse. »

« Mais il est très bien ton prénom ! Original comme tu sembles l’être. Tu sais, il ne faut pas prendre pour argent comptant toutes les conneries que je sors sinon, tu n’as pas fini de râler ou bouder. J’aime bien raconter des conneries. Tiens, dernièrement, j’ai failli me faire assassiner pendant la peste parce que j’avais osé titiller d’un peu trop près une bande d’étudiant sans humour. Cruelle est ma vie » soupirais-je avant d’afficher un sourire aussi amusé que goguenard. « Non c’est pas que ça me défrise. Comment expliquer, j’aime ma fille et je l’ai toujours encouragé à faire ce qui lui plaisait dans la vie pour qu’elle soit heureuse. Et je connais très bien mon futur gendre… C’est juste que je suis un peu jaloux. Je crois que j’ai peur qu’elle n’ait tout simplement plus besoin de moi. Les enfants, ça grandit, ça quitte le nid mais Thais, c’est mon petit trésor et même si ma compagne attend des jumeaux, je ne peux m’empêcher de craindre qu’un jour, elle me dise : papa, j’ai plus besoin de toi merci » expliquais-je avec un peu de tristesse derrière ce masque de clown. J’étais un père gâteau et gâteux, je n’y pouvais rien, j’adorais les enfants qu’ils soient bébé ou grand comme Thais. Elle était la chair de ma chair après tout. « J’aime ma fille plus que tout tu veux dire… Quant à ton père, apparemment, il ne réussit pas à gâcher tout ce qu’il touche ! La preuve, tu sembles être une jeune femme charmante derrière tes airs de Rocky Balboa… Et tu te trompes, j’ai beau me foutre de la gueule du monde tout le temps, lorsque je pose une question, c’est que je suis intéressé par la réponse »

« J’ai du mal avec le second degré. Pas mon truc… ceci dit vous avez l’air un peu suicidaire dans le genre pour titiller des gens malades, si vous faisiez partie de la vague dont ils ont parlé aux infos. » Bambi avait échappé à la chose, heureusement, sans quoi elle serait devenue chèvre. En même temps, elle avait une fâcheuse tendance à être un brin claustrophobe, par conséquent la flanquer derrière une vitre… autant se prétendre suicidaire direct. « J’crois que vous avez une crainte à la fois légitime et crétine, si vous me permettez l’expression. Votre fille aura toujours besoin de vous. A moins que vous ne vous entendiez pas bien mais ça ne semble pas être le cas, elle aura toujours besoin de votre aval et votre soutien. Vous êtes sa famille » reprit-elle, une pointe de tristesse dans la voix car de son côté, son père n’était pas le plus présent du monde. Il avait plutôt tendance à s’en foutre, même… « Rocky est un modèle en boxe, si j’arrivais à faire la même chose, je serais happy ! Mais plus sérieusement… j’aime bien peindre. »