SAMUEL - Retour en enfance

Aujourd’hui était mon jour de congé et j’avais proposé à une de mes étudiantes de m’accompagner à la fête foraine. Ma fille était à New York, Anna travaillait bref, j’avais envie de compagnie et j’appréciais énormément Leonor alors pourquoi ne pas passer du temps avec elle ? Par contre, comme d’habitude, j’étais en retard. J’avais un réel problème avec la ponctualité mais qu’importe, je saurais me faire pardonner en lui achetant de la barbe à papa ! « Hey Miss Marquez ! » m’écriais-je en m’approchant, frottant mes mains l’une contre l’autre. Nous étions en plein hiver et il faisait un froid de canard mais nous allions tout de même bien nous amusé. « Désolé pour le retard, je me suis arrêté devant une boutique de fringues pour bébé, j’ai pas pu résister ! » plaisantais-je avant de l’observer. « Alors Leonor, prête à t’amuser ? » lui demandais-je avec un grand sourire.

J’étais en retard comme à mon habitude mais depuis le temps que Leonor me connaissait, elle devait savoir que je ne serais pas à l’heure même si je fis de mon mieux pour ne pas avoir trois plombes de retard. Néanmoins, je fus soulagé de constater qu’elle était toujours là même si je pouvais sentir sa tension. Il suffisait de simplement l’observer pour comprendre que quelque chose n’allait pas mais j’en ignorais encore la nature exacte. « Je vais bien mais je comprends mieux à présent pourquoi tu ressembles à une bête traquée. Tu es sûre que tu veux faire la fête foraine ? On peut aller dans un musée ou un lieu avec moins de monde » lui proposais-je ayant envie qu’elle passe une bonne soirée également. « Cela te vient d’où ta phobie ? » lui demandais-je soucieux et inquiet pour elle. Depuis le temps, j’avais appris à l’apprécier et à l’aimer un peu comme un père aimerait sa fille bien que notre relation n’était pas aussi forte que celle que je partageais avec ma véritable fille.

Ah ouais quand même pensais-je sur le coup tandis que je la regardais avec un air ahuris. Je ne m’étais pas attendu à ce qu’elle me sorte quelque chose d’aussi… fort, insensé, incroyable ?! Je n’avais pas vraiment de mot pour qualifier une telle confidence mais maintenant, je comprenais un peu plus son comportement que ce soit ce soir ou durant les deux années qui venaient de s’écouler. « Je suis désolé pour tes parents… Je comprends un peu mieux les choses mais tu n’as rien à craindre ici, personne ne viendra te traquer et puis, je te protégerai enfin j’essaierai, je suis pas Rambo non plus » grimaçais-je car je ne voyais pas d’autres mots à lui dire en de pareille circonstance. J’étais plutôt doué pour déconner, faire rigoler les autres mais pour ce qui était de réconforter… Anna était bien meilleure que moi dans le domaine. « Essaie de ne plus y penser ce soir, je vais essayer de te changer les idées ok ?! Ce soir, tu n’es que Leonor, étudiante en anthropologie et accessoirement, mon invitée pour la soirée… Allez, viens, on va commencer par le passage obligatoire : la maison hantée… Enfin, tu as peut-être pas trop envie de ça maintenant » fronçais-je les sourcils, prêt à changer nos plans en toute occasion.

L’histoire de Leonor était triste. Je ne pouvais pas le nier et j’étais peiné qu’elle ait assisté à une telle scène du haut de ses six ans. Un enfant ne devrait pas être confronté à la violence du monde adulte mais c’était utopique que de vouloir les mettre dans une bulle d’innocence. Pour preuve, je n’avais pas réussi à protéger ma propre fille des agissements de ma sœur ainée et de son mari. « Je vois oui mais si j’ai un conseil à te donner : ne planifie pas ton avenir sur le souvenir de ta mère. Tu dois faire quelque chose avant tout pour toi. Je sais que ce n’est pas facile et crois-moi, je parle en toute connaissance de cause mais ne vis pas dans le souvenir de ce jour funeste. Tu dois essayer de te créer ta propre existence, agir en fonction de toi et non d’un souvenir. C’est ainsi que tu pourras te libérer de tes démons » lui conseillais-je d’un ton assez paternaliste, je devais bien le reconnaitre mais je ne voulais pas que Leonor trace son chemin uniquement par rapport à la mort de ses parents. C’était certes un souvenir bouleversant qui marquerait à jamais son cœur mais elle pouvait encore écrire tout son futur. Le passé devait rester ce qu’il était : du passé. « Cherche moi toi ! Je n’ai peur de rien. Mon meilleur ami est russe, ma future femme est russe et mon gendre est allemand ! Je crois que plus rien ne peut me faire peur ! » rigolais-je avant de lui attraper le poignet pour l’amener vers la maison hantée.

« Leonor, justement, tous les psys du monde ne pourront pas le faire à ta place. C’est quelque chose que tu dois entreprendre toi-même. Personne ne peut t’aider car c’est un travail personnel. On peut simplement te lancer mais on ne peut rien faire d’autre. Tu dois trouver la force et la volonté en toi » lui répondis-je le plus sérieusement du monde car elle devait comprendre que dans la vie, on ne pouvait pas toujours être prise par la main et qu’il y avait des choses où fatalement, elle serait la seule à pouvoir les mener à bien. Cela ne serait pas facile, je le savais bien mais à elle de trouver la force d’aller de l’avant car personne ne pourrait le faire à sa place. C’était sa croix à porter. J’espérais réellement qu’elle trouverait la force en elle d’entreprendre ce travail mais elle ne devait surtout pas se mettre martel en tête pour ça.

On se rapprocha donc de l’attraction de la maison hantée. Leonor se lança alors dans une folle envie de cache-cache mais cela n’allait pas être évident de trouver une cachette dans cette attraction. Il s’agissait ni plus ni moins que d’un bête petit train. Si on se faisait choper en dehors des clous, on était bon pour une sacrée engueulade – qu’est-ce qu’elle me faisait pas faire comme connerie à l’aube de mes quarante ans ; « Pourtant, ça fait du bien de rire ! Tu vis trop sérieusement Leonor, profite au contraire de la vie, tu es jeune ! Par contre évite de mettre trois plombes à me trouver, pas certain qu’on est le droit de se faire une partie de cache-cache dans cette attraction » plaisantais-je en me demandant si elle avait déjà mis les pieds dans une attraction de ce genre dans une fête foraine.